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Expression génitale des toxidermies

27 December 2021

Par Anne-Claire Nonnotte

Dermatologie génitale - masculine et féminine

Nous vous proposons de découvrir un chapitre de l'ouvrage Dermatologie génitale opens in new tab/window

Dermatologie génitale

Dermatologie génitale

Expression génitale des toxidermies

Érythème pimenté fixe

Évoquer

L'érythème pigmenté fixe (EPF) est une réaction muqueuse et/ou cutanée médicamenteuse, récidivante en cas de réintroduction du médicament responsable.

Son incidence est méconnue et les cas probablement sous-diagnostiqués et sous-notifiés car il s'agit d'une toxidermie souvent peu grave. L'EPF prédomine au cours de la cinquième décennie dans deux séries françaises totalisant respectivement 59 patients vus en milieu hospitalier [1] et 307 cas déclarés à la base nationale de pharmacovigilance [2]. Une localisation muqueuse exclusive y est observée dans respectivement 5 % et 12 % des cas. Alors que les EPF extra-muqueux prédominent chez la femme, la localisation génitale est prépondérante chez l'homme puisque 90 % des hommes ont une atteinte génitale dans la série hospitalière et que 93 % des cas d'atteinte génitale surviennent chez des hommes dans la série de pharmacovigilance [1,2]. L'atteinte muqueuse est rare en cas d'érythème pigmenté fixe bulleux généralisé, au contraire du syndrome de Stevens-Johnson (SJS) et de la nécrolyse épidermique toxique (NET) (ou syndrome de Lyell) [3].

Les signes fonctionnels, qui peuvent précéder les signes physiques de quelques heures sont inconstants, représentés par un prurit ou une sensation de brûlure.

Reconnaître

Les lésions apparaissent 1 jour à 2 semaines après la prise du médicament inducteur, délai qui peut se réduire à quelques heures en cas de récidive. Selon les critères français d'imputabilité des médicaments, un délai compris entre 1 et 7 jours est compatible pour un EPF en cas de première administration, alors que le délai est considéré comme incompatible si les lésions surviennent plus de 2 semaines après l'interruption du médicament [4,5].

L'EPF génital prédomine chez l'homme, sur le gland sous la forme d'une plaque érythémateuse (figure 12.1), parfois œdémateuse [6,7]. Dans une série de 60 cas d'EPF génital chez l'homme, le fourreau du pénis et le scrotum n'étaient atteints chacun que dans 1,7 % des cas [8]. Un aspect bulleux est plus souvent observé que sur la peau.

Érythème pigmenté fixe du gland à la carbocystéine. Placard érythémateux du gland.

Figure 12.1. Érythème pigmenté fixe du gland à la carbocystéine. Placard érythémateux du gland.

Fréquemment, le patient est vu à un stade d'érosion postbulleuse peu spécifique, rendant indispensable un interrogatoire relatif aux prises médicamenteuses devant toute balanite érosive, d'autant plus qu'elle est récidivante (figures 12.2 et 12.3). L'évolution est spontanément favorable en quelques jours, laissant de façon inconstante une séquelle pigmentaire [9].

Érythème pigmenté fixe génital au sulfaméthoxazole-triméthoprime. Ulcérations du gland et du sillon balanopréputial.

Figure 12.2. Érythème pigmenté fixe génital au sulfaméthoxazole-triméthoprime. Ulcérations du gland et du sillon balanopréputial.

La localisation vulvaire de l'EPF est beaucoup moins bien documentée dans la littérature que l'atteinte génitale masculine [10]. Elle se traduit par un érythème et un œdème touchant de façon bilatérale et symétrique les petites et grandes lèvres avec une extension possible aux plis inguinaux et au périnée [10–12]. La présence de bulles est possible [12]. L'évolution pigmentée est rare. L'EPF peut se présenter comme une vulvite érosive chronique résistante telle que l'ont décrite Drummond et al. [10], chez une patiente âgée de 64 ans, liée à la prise régulière et non signalée de paracétamol en automédication. Le cas décrit par Wain et al. [12] était aussi lié à une automédication par fluconazole.

En cas récidive, on peut observer une diminution du délai de survenue après la prise médicamenteuse, une augmentation du nombre de lésions et une plus grande fréquence des lésions bulleuses.

Confirmer

Érythème pigmenté fixe du gland au kétoprofène.  Érosion postbulleuse du gland.

Figure 12.3. Érythème pigmenté fixe du gland au kétoprofène. Érosion postbulleuse du gland.

Une biopsie est réalisée en cas de doute diagnostique. L'examen histologique montre des nécroses kératinocytaires parfois responsables d'un décollement sous-épidermique et dans le chorion sous-jacent, un dense infiltrat lymphocytaire associé à des polynucléaires éosinophiles voire neutrophiles (figure 12.4) [7]. Une dermatose lichénoïde de l'interface est possible [13]. Dans le chorion superficiel, des mélanophages peuvent être visibles, notamment dans les formes récidivantes. L'immunofluorescence directe (IFD) est négative.

Aspect histopathologique d'un érythème pigmenté fixe du gland

Figure 12.4. Aspect histopathologique d'un érythème pigmenté fixe du gland. (Source : Dr Bénédicte Cavelier Balloy)

Éliminer

Différents diagnostics différentiels doivent être évoqués, notamment lors du premier épisode d'EPF bulleux vu à un stade érosif postbulleux, en fonction de la chronologie et de la topographie des lésions, de l'association à des lésions cutanées, des prises médicamenteuses précessives et des examens complémentaires (histologie standard, IFD, immunofluorescence indirecte [IFI], prélèvement bactériologique et mycologique, PCR HSV1 et 2) :

  • une balanite ou une vulvite érosives infectieuses seront éliminées par la négativité du prélèvement bactériologique et mycologique et de la recherche de syphilis (sérologie syphilitique voire PCR Treponema pallidum);

  • la possibilité de récurrences herpétiques en cas de lésions érosives récidivantes fera réaliser une PCR HSV1 et 2 ;

  • un érythème polymorphe post-infectieux et un SJS seront écartés par l'aspect clinique et si besoin l'aspect histologique ;

  • une maladie bulleuse auto-immune (MBAI) et un lichen plan érosif seront évoqués en cas d'érosions chroniques et non pas intermittentes, confirmés par l'examen histologique, l'IFD (cette dernière étant habituellement positive en cas de MBAI) et l'IFI.

Explorer

Un bilan allergologique comportant des patch-tests est indiqué, notamment lorsque plusieurs médicaments sont imputables [14]. Ils doivent être réalisés sur le site lésionnel donc sur le gland (patch-test in situ), difficilement réalisables et ne faisant l'objet d'aucune publication sur la vulve, avec la forme commercialisée du médicament, diluée à 30 % dans la vaseline. La sensibilité est faible pour l'EPF, évaluée à 40 %, sans étude spécifique concernant l'EPF génital [15]. En cas de négativité des patch-tests in situ, peuvent s'envisager l'application répétée in situ du médicament suspecté. La réalisation des tests doit se faire au minimum 2 semaines après l'épisode d'EPF afin d'éviter un résultat faussement négatif lié à la période réfractaire. Autrefois proposé, le test de provocation orale doit être évité afin de ne pas engendrer une forme bulleuse généralisée de l'EPF.

Comprendre

La physiopathologie de l'EPF repose une réaction d'hypersensibilité retardée aux médicaments, particulière par sa rapidité d'apparition et médiée par les lymphocytes T CD8, responsables des lésions tissulaires mais aussi persistant pendant plusieurs années au site de la toxidermie (lymphocytes T CD8 intraépidermiques de phénotype «effecteur mémoire») expliquant la récidive au même site [7]. La présence du CD69 à leur surface, marqueur d'activation précoce même en l'absence d'antigène explique probablement leur capacité d'activation rapide [7]. Un des facteurs de persistance de ces lymphocytes, jusqu'à 4 ans après la réaction immunitaire, est l'expression à leur surface de la molécule CLA (cutaneous lymphocyte-associated antigen) [7,16].

En France, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), piroxicam notamment, sont les médicaments les plus fréquemment responsables d'EPF, suivis des antibiotiques (amoxicilline essentiellement), paracétamol et carbocystéine [1,2]. La topographie génitale de l'EPF semble plus spécifique des EPF aux AINS, possiblement du fait de leur élimination préférentiellement urinaire [1], bien que ce lien ne soit pas toujours mis en évidence [17]. Chez l'enfant, les médicaments responsables les plus fréquents sont le paracétamol, le cotrimoxazole et l'hydroxyzine dans une étude publiée en 2002, ces 2 molécules étant d'usage moins courant actuellement [18].

Des causes non pas médicamenteuses mais alimentaires ont été décrites pour des EPF génitaux, mettant notamment en cause la quinine ou le propolis [19,20], voire des EPF génitaux «par procuration», les médicaments responsables (AINS, aspirine, sulfamides) étant consommés par la partenaire sexuelle du patient et suspectés d'être présents dans les sécrétions vaginales [21,22].

L'éruption pigmentée fixe neutrophilique est rare et se distingue de l'EPF classique en histologie par un infiltrat dermique riche en polynucléaires neutrophiles et éosinophiles, sans nécrose kératinocytaire. Une forme génitale chez l'homme a été décrite avec le naproxène [23].

Traiter

La prise en charge de l'EPF génital repose en premier lieu sur l'identification et l'éviction du médicament responsable. Une corticothérapie locale forte à très forte est indiquée à visée symptomatique [7]. Aucun traitement n'a fait la preuve de son intérêt pour l'amélioration des séquelles pigmentaires.

Surveiller

Aucune surveillance particulière n'est recommandée.

Dire

  • L'érythème pigmenté fixe génital est une réaction à un médicament ingéré, plus rarement à un aliment ou à un médicament pris par la partenaire.

  • Il nécessite l'éviction du médicament responsable.

Retenir

  • Un EPF génital doit être évoqué devant toute lésion génitale érosive ou récidivante.

  • Les médicaments le plus souvent incriminés sont les AINS, les antibiotiques et le paracétamol.

  • Penser à rechercher une automédication (paracétamol).

Distinguer homme/femme

  • L'EPF génital est plus fréquent chez l'homme que chez la femme.

  • Les patch-tests in situ ne sont ni d'usage courant ni rapportés sur la vulve.

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Jean-Noël Dauendorffer : Dermatologue ; praticien attaché, service de dermatologie, hôpital Saint-Louis, Paris ; président du groupe Maladies anogénitales (MAG) de la Société française de Dermatologie Sandra Ly : Dermatologue ; ancien chef de clinique des universités-assistant des hôpitaux de Bordeaux ; praticien attaché, service de dermatologie, hôpital Saint-André, CHU de Bordeaux ; ancienne présidente du groupe Réflexions en Vulvologie de la Société française de Dermatologie (actuel groupe MAG)

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Références

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