Adrien et les cartons
25 juin 2021
Par Anne-Claire Nonnotte
Nous vous proposons de découvrir un article des Métiers de la Petite Enfance S’ouvre dans une nouvelle fenêtre
Adrien et les cartons
Laurence Rameau : Directrice petite enfance, rédactrice en chef c/o Métiers de la petite enfance, Elsevier Masson, 65 rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux cedex, France
Résumé
Aucun enfant ne joue pour apprendre, mais parce que le jeu qu’il crée l’intrigue, l’amuse ou l’intéresse. Ce faisant, celui-ci lui permet bien d’apprendre. Dans les métiers de la petite enfance, nous devons toujours nous demander ce que chaque enfant fait en jouant. Ainsi nous le comprenons et l’accompagnons au mieux. Voyons ce que fait Adrien.
Mots clés : apprentissage, carton, imaginaire, jeu
Univers
Installons un univers (on parle d’“univers” dans l’itinérance ludique, une pédagogie où les enfants peuvent circuler au sein de la crèche en toute autonomie [1]) composé de plusieurs cartons de tailles différentes. Chacun sait que les bébés adorent les emballages, particulièrement les cartons. En leur en proposant de différents modèles, on leur ouvre un ensemble de possibles permettant des jeux très variés.
Entrer et sortir du carton, y placer des objets, le retourner pour en faire un tam-tam, se cacher à l’intérieur, lui inventer un usage : une fusée, une maison ou carrément un bobsleigh lorsque l’on monte en haut du toboggan pour en descendre la pente avec une version toute aplatie.
Les idées ne manquent pas aux jeunes enfants tant leur créativité est foisonnante. Encore faut-il que les adultes leur en laissent la possibilité. Lorsque le professionnel décide que le carton est une maison et dessine dessus des ouvertures, des volets et une porte, alors il ne peut plus être autre chose qu’une maison. L’imaginaire enfantin se trouve contraint par celui du professionnel, plus élaboré, construit et représentatif.
Situation
Adrien ne quitte pas son doudou, avec lequel il effectue tous ses jeux. Il prend beaucoup de temps à le jeter dans chaque carton. Il le jette, le reprend, le rejette, recommence et passe à un autre carton. Au bout d’un moment, son doudou a fait le tour des cartons et Adrien décide d’entrer avec lui dans l’un d’entre eux. Il existe un petit carton à chaussures dans lequel il ne peut pas mettre autre chose que son pied, un autre dans lequel il parvient à entrer en entier, mais seulement en restant debout. Il se lance alors tête la première dans un très grand carton dans lequel il entre tout entier et peut se cacher, jusqu’à ce qu’un autre enfant vienne lui tenir compagnie.
Les dimensions
Adrien étudie les dimensions. À cet âge, les enfants cherchent à comprendre concrètement comment fonctionne le monde. Pour évaluer les différentes tailles et formes des objets, ils utilisent principalement leur corps, sorte d’étalon naturel. Adrien cherche à comprendre la différence entre ce petit carton dans lequel il n’arrive à mettre qu’un pied et ce très grand carton dans lequel il peut tenir avec un autre enfant. Il devient évident pour lui que ce n’est pas la même chose et que ces deux objets n’ont pas les mêmes dimensions. Le doudou, quant à lui, peut entrer dans tous les cartons ! Autre paramètre retenu par Adrien : son doudou est bien plus petit que lui.
Partir-revenir
Adrien jette son doudou dans chaque carton, l’un après l’autre, et constate qu’il se passe à chaque fois la même chose. Le doudou jeté s’en va, s’éloigne de lui pour entrer dans le carton. Il part, lâché par Adrien, et il revient lorsque le petit garçon va le chercher. Ces actions répétées avec un objet aussi personnel que son doudou permettent à Adrien de symboliser dans son jeu cet apprentissage du partir-revenir qu’il expérimente chaque jour avec ses parents, lorsqu’ils l’emmènent à la crèche et viennent le rechercher. Ils reviennent toujours chercher Adrien, comme lui va toujours chercher son doudou dans les cartons… C’est rassurant !
Dedans-dehors
En cherchant à mettre son doudou dans les cartons et en y entrant lui-même, Adrien expérimente une notion de base : la différence entre le dedans et le dehors. Quand son doudou est dans le carton, il n’est pas dehors, et c’est pareil pour lui. Pour qu’il soit dehors, il est nécessaire qu’il en ressorte et son doudou également. Cela nous semble évident, mais il faut effectuer beaucoup d’expérimentations pour comprendre qu’il s’agit d’une règle de physique constante. Plus tard, Adrien appliquera cela de manière plus abstraite, par exemple avec les ensembles mathématiques ou lorsqu’on lui demandera, à l’école maternelle, de coller des gommettes rouges dans le cercle et des vertes en dehors du cercle. S’il a bien expérimenté cette notion de dedans-dehors dans sa petite enfance avec son corps et son doudou, il comprendra alors aisément la consigne.
Conclusion
En jouant ainsi avec les cartons et son doudou, Adrien fait des expériences importantes de mathématiques, de physique et de sécurisation affective. Tout est important pour lui et si l’adulte peut avoir le sentiment que le petit garçon ne fait pas grand-chose puisqu’il ne joue qu’avec quelques cartons et son doudou, il réalise pourtant des expériences intéressantes. Il ne sait pas qu’il apprend, mais nous, nous le savons.
Déclaration de liens d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
Référence
[1] Rameau M., et al. L’itinérance ludique Une pédagogie pour apprendre à la crèche Malakoff: Dunod 2017 ;
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