Nutrition clinique pratique
France | 4 avril 2018
Par Anne Claire Nonnotte
Ceci est un extrait de l’ouvrage Nutrition clinique pratique sous la direction de Jean-Louis Schlienger
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Besoins conseillés
Les besoins nutritionnels concernent les individus et procèdent d’une démarche physiologique et médicale. Les apports conseillés s’adressent à une population et s’inscrivent dans une démarche de santé publique. Conçus à l’origine pour résoudre les états de déficit, ils constituent des guides précieux pour formuler la teneur de l’alimentation en nutriments et fournissent des repères pour une alimentation optimale. Ils ne sauraient à eux seuls décrire l’alimentation des hommes puisqu’ils font abstraction de la valeur symbolique et de la dimension hédonique des aliments et du style alimentaire.
Besoins nutritionnels
Les besoins nutritionnels expriment la quantité de nutriments, de micronutriments et d’énergie qui permet de couvrir les besoins nets en tenant compte de la quantité réellement absorbée. Parmi les micronutriments, certains sont indispensables dans la mesure où, bien que nécessaires à la structure ou au bon fonctionnement de l’organisme, ils ne peuvent pas être synthétisés. La synthèse endogène d’autres micronutriments peut ne pas satisfaire les besoins spécifiques accrus lors d’une situation physiologique particulière (grossesse). Ces micronutriments sont dits « constitutionnellement indispensables ». Les besoins nutritionnels minimaux expriment la quantité nécessaire au maintien des grandes fonctions, et ce, éventuellement, aux dépens des réserves ou d’autres fonctions considérées comme non prioritaires. Ils permettent d’éviter l’installation d’une carence.
Apports nutritionnels conseillés
Les apports nutritionnels conseillés (ANC) représentent la quantité de macro- et micronutriments nécessaires à la couverture de l’ensemble des besoins physiologiques. Ils correspondent aux besoins nutritionnels moyens. Ils sont estimés à partir de données scientifiques et répondent à des règles fixées par l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA devenue Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail [Anses]). Ils sont calculés de telle sorte qu’ils couvrent les besoins de 97,5 % des individus d’une population. Les valeurs proposées ne sont pas synonymes de normes contraignantes, mais sont des repères ou des références pour les individus d’une population dans le but premier d’éviter les déficiences. Les ANC sont à considérer comme des apports optimaux pour une population donnée. Des doses supérieures aux ANC obtenues par une supplémentation, une complémentation ou un enrichissement d’aliments courants conduisent dans une zone proche des doses pharmacologiques et peuvent interpeller quant aux bénéfices réels. Des limites de sécurité ont été définies pour certains minéraux et vitamines dont l’excès d’apport peut ne pas être sans conséquences pour la santé (tableau 4.1). Il est admis que chaque individu d’une population devrait se rapprocher des ANC pour la totalité des macro- et micronutriments en tenant compte de ses particularités, y compris lorsque les apports spontanés sont au-dessus des ANC [1]. Apports journaliers recommandés (AJR) Les AJR représentent la quantité suffisante des différents nutriments nécessaires à la couverture des besoins physiologiques. Évalués à partir de données scientifiques, ils répondent à des règles fixées par l’Anses, et sont calculés en fonction des besoins nutritionnels moyens mesurés par groupe d’individus (par exemple enfants, femmes enceintes, personnes âgées, etc.). Il est cependant peu réaliste de vouloir appliquer ces recommandations stricto sensu chaque jour.
Définitions : les densités alimentaires
Densité énergétique La densité énergétique traduit la quantité d’énergie apportée par 100 g d’aliments. Plus un aliment est « sec » (par exemple les biscottes par rapport au pain) ou riche en lipides de constitution, plus il est dense en énergie. Un repas apportant la même quantité d’énergie aura un volume variable selon la densité énergétique des aliments qui le composent. Les fruits et légumes ont une densité énergétique faible. Densité nutritionnelle La densité nutritionnelle traduit la teneur en micronutriments pour 1 000 kcal. Les graisses saturées et les glucides simples (le sucre) ont une faible densité nutritionnelle mais une haute densité énergétique. Les fruits et légumes ont une haute densité nutritionnelle (apport en minéraux, vitamines et microconstituants) et une faible densité énergétique. Une alimentation optimale pour la santé doit avoir la densité nutritionnelle la plus élevée possible en regard d’une densité énergétique faible tout en couvrant à la fois les besoins énergétiques et les besoins qualitatifs. Cet objectif peut être atteint en majorant la part des fruits et légumes et des glucides complexes, peu raffinés (riches en fibres).
Allégations
Les aliments fonctionnels exercent soit un effet sur une fonction de l’organisme dans un sens favorable à la santé, soit ce même effet mais au-delà de ce que pourrait réaliser un régime alimentaire bien conduit. Le discours sur la santé porté par les aliments fonctionnels correspond à une allégation qui fait l’objet d’une réglementation précise. Une allégation est définie comme « tout message ou toute représentation, non obligatoire en vertu de la législation communautaire ou nationale, y compris une représentation, sous la forme d’images, d’éléments graphiques ou de symboles, qui affirme, suggère ou implique qu’une denrée alimentaire possède des caractéristiques particulières ». Les allégations nutritionnelles font référence à un apport énergétique ou à une teneur significative en un nutriment par rapport à l’apport journalier recommandé. Les allégations de santé font état de l’intérêt particulier d’un produit pour la santé. Les allégations peuvent être génériques, répertoriées dans une liste consolidée par l’autorité européenne de sécurité des aliments, innovantes, ou faire référence au développement et à la croissance des enfants ou à la réduction d’un facteur de risque de maladie. Ces dernières allégations font désormais l’objet d’une évaluation obligatoire a priori et ont une justification scientifique dûment établie par des études probantes menées chez l’homme. Les allégations « santé » ne peuvent pas faire référence à des propriétés de prévention, de traitement ou de guérison d’une maladie. La réglementation a pour but d’éviter la tromperie du consommateur, de préserver la pertinence nutritionnelle et de faire la chasse aux allégations imprécises. Enfin, les allégations ne devraient être attribuées que si le produit a un profil nutritionnel satisfaisant.
Profil nutritionnel
Ce concept introduit en 2006 dans le règlement européen a pour but de tempérer la portée des allégations nutritionnelles ou de santé. Il implique un jugement de valeur sur les aliments et leur place par rapport à l’équilibre nutritionnel global. Il se fonde sur des connaissances scientifiques concernant l’alimentation et les aliments en lien avec la santé. En pratique, un produit ne peut être porteur d’une allégation que s’il est conforme à un profil nutritionnel défini, ce qui sous-entend une composition en accord avec certaines règles. La définition d’un profil nutritionnel pour un aliment ou pour une catégorie d’aliments n’est pas aisée puisqu’en plus des données strictement scientifiques, il y a lieu de prendre en compte des considérations de faisabilité et de pragmatisme. Il n’existe pas de critères clairement définis. Le profil favorable doit être en accord avec l’équilibre alimentaire : un produit ne doit pas contenir trop de graisses, d’acides gras saturés (AGS), de sucres ajoutés, d’acides gras (AG) trans et de sel et est d’autant plus intéressant qu’il a une densité nutritionnelle élevée (fruits et légumes) et qu’il assure une bonne couverture des ANC (laitages pour le calcium par exemple). Ainsi, l’attribution d’une allégation nutritionnelle ou de santé à un produit ne dépend pas seulement de la teneur en un composant, mais aussi de sa composition globale. Elle est prioritairement proposée à des produits pauvres en AGS, en sel ou en sucres, et riches en fibres et en divers micronutriments conférant une bonne densité nutritionnelle. Ultérieurement, le profil nutritionnel pourrait être utilisé pour des produits sans allégation et apparaître sur l’étiquette des produits afin d’orienter le consommateur vers des aliments « bons » pour la santé.
Équilibre alimentaire
Concept largement répandu dans le grand public où il est associé à juste titre au « bien manger », l’équilibre alimentaire est également défendu par les nutritionnistes qui peinent cependant à le définir avec précision. Le principe en est qu’une répartition « équilibrée » entre les nutriments non seulement assure la couverture des besoins, mais de plus qu’elle optimise la croissance, l’état de santé global et le vieillissement physiologique. L’équilibre entre les nutriments est considéré comme un moyen de prévenir les maladies chroniques à déterminisme nutritionnel. Sa mise en oeuvre sous-entend implicitement que le libre choix alimentaire soit guidé et soutenu par une éducation nutritionnelle. Dans les conditions actuelles de disponibilité alimentaire, d’incitation à la consommation, de contraintes socio-économiques et d’exigence psychosensorielles, l’alimentation spontanée est assez éloignée des objectifs de l’équilibre nutritionnel proposé à partir de l’interprétation des données épidémiologiques. Aujourd’hui, le profil de consommation se traduit trop souvent par un excès d’apport énergétique avec une surreprésentation des lipides par rapport aux hydrates de carbone, et une consommation insuffisante de fruits et légumes et de fibres alimentaires.
Bases
L’équilibre alimentaire préconisé sur des bases scientifiques a bien du mal à intégrer la diversité des comportements et de la composition chimique des aliments. Il est formulé sur la base d’une répartition des macronutriments exprimée en pourcentage de l’apport énergétique total.
Pour les glucides : 50 à 55 %
Les produits céréaliers peu transformés et les légumineuses sont à privilégier en raison de leur destin métabolique, de leur densité énergétique modérée et de leur apport en protéines, fibres et micronutriments. La part des glucides dits « simples » devrait être limitée à environ 10 % de la ration énergétique.
Pour les lipides : 35 à 40 %
Principal déterminant de la densité énergétique des aliments, la consommation lipidique globale est à limiter. Il existe une répartition souhaitable selon les différents types d’AG, avec pour objectif premier un apport suffisant en acide linolénique et le souhait d’obtenir un rapport d’AGPIS n-6/n-3 proche de 5. Les AGMIS, et notamment l’acide oléique, devraient constituer l’apport principal du fait de leur neutralité relative sur l’incidence des maladies cardiovasculaires alors que les AGS sont à limiter. Cela revient à privilégier les huiles végétales et leur variété par rapport aux graisses d’origine animale et à consommer des aliments à faible densité énergétique. Chez le sujet adulte, homme ou femme, ayant un apport énergétique de 2000 kcal, les ANC en acides gras essentiels (AGE) sont de : ■ 4 % de l’AE pour l’acide linoléique ; ■ 1 % de l’AE pour l’acide α-linolénique ; ■ 500 mg de DHA + EPA.
Pour les protéines : 11 à 15 %
L’équilibre dynamique entre la protéosynthèse et la protéolyse étant chez l’adulte de l’ordre de 250 à 300 g/jour, soit 2,5 % environ de la masse protéique totale, la couverture des besoins protéiques est une préoccupation majeure en nutrition humaine. L’apport nutritionnel conseillé en protéines a été établi à 0,83 g/kg/jour pour un adulte avec un objectif assez peu ambitieux pour les pays développés de 15 % de la ration qui est justifié par la capacité limitée d’augmentation de la masse des protéines corporelles, par le coût métabolique élevé des protéines excédentaires, par des conséquences rénales potentiellement délétères et par de possibles interactions avec d’autres nutriments favorisant, par exemple, les pertes urinaires de calcium. La proportion des protéines animales (deux tiers actuellement) gagnerait à être réduite au profit des protéines végétales car elles sont souvent associées aux lipides et ont un coût énergétique élevé avec un impact plutôt négatif sur l’environnement. Un apport de protéines animales à hauteur de 1/3 serait suffisant pour assurer les besoins en acides aminés essentiels, satisfaire les besoins en vitamine B et améliorer la biodisponibilité de certains micronutriments (Ca, Fe, Zn).
Le cas des fibres
Associées aux aliments, la contribution énergétique des fibres est négligeable. Néanmoins, il est conseillé d’accroître notablement la part des fibres alimentaires dans l’alimentation habituelle. Il est recommandé de consommer entre 25 et 30 g de fibres par jour à l’âge adulte. Les quantités efficaces de fibres solubles sont de 10 à 15 g par jour.
Équilibre alimentaire en pratique
La mise en œuvre de l’équilibre alimentaire devrait idéalement se faire lors de chaque repas. En pratique, l’unité de temps à retenir est plus probablement la semaine, sauf en restauration collective où le principe du repas équilibré apparaît souhaitable. L’équilibre des macronutriments devrait être réalisé sur une période plus courte que celle des micronutriments en raison de la difficulté d’élimination des stocks lipidiques et de l’absence de stockage des acides aminés indispensables. La diversification alimentaire est un prérequis pour atteindre l’équilibre dans la mesure où elle facilite la consommation quotidienne de chacune des grandes classes alimentaires. L’ajustement de la fréquence de consommation de certains aliments peut être nécessaire selon les circonstances (alimentation festive, alimentation à type de fast-food et de snack) en insistant sur le fait qu’aucun aliment ne met en péril l’équilibre par lui-même mais par l’usage qui en est fait. La fréquence de consommation de certains aliments riches en graisses et/ou en sucres peut avoir des effets néfastes sur la corpulence et les métabolismes en favorisant par exemple l’installation d’une insulinorésistance et de conditions prédisposantes pour l’athérogenèse. Au contraire, la fréquence de consommation d’aliments dits de « recharge » peut être augmentée dans les situations physiologiques où les besoins sont accrus. Il en est ainsi de la viande pour le fer, le zinc et les protéines, des produits marins pour l’iode et le sélénium, ou encore des produits laitiers pour le calcium et les protéines. L’équilibre alimentaire a été schématisé à des fins pédagogiques sous forme de « bateau » ou de pyramide alimentaire (fig. 4.1 et 4.2).
L’emploi des aliments allégés ou destinés à une alimentation particulière ou encore la complémentation vitaminique n’entre pas a priori dans la conception de l’équilibre alimentaire. Les compléments alimentaires ne devraient être ingérés que pour pallier une insuffisance établie ou supposée des apports journaliers. La formulation pratique de l’équilibre alimentaire n’est pas aisée dans la mesure où elle doit tenir compte des habitudes alimentaires et des contraintes de la vie. Elle est facilitée par une structuration des repas (horaire et composition) qui prône la diversification alimentaire et par l’information nutritionnelle (encadré 4.1).
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Jean-Louis Schlienger, professeur honoraire des universités, faculté de médecine de Strasbourg.
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