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Contraintes psychiques de la prise en charge de l'auteur de violences sexuelles

France | 22 avril 2022

Par Anne-Claire N.

Contraintes psychiques

Contraintes psychiques

Nous vous proposons de découvrir un extrait de l'ouvrage Processus de réhabilitation des auteurs de violences sexuelles S’ouvre dans une nouvelle fenêtre

Contraintes psychiques de la prise en charge de l'auteur de violences sexuelles

La rencontre thérapeutique du sujet agresseur sexuel présente donc des spécificités qui tiennent tout autant à la qualité des actes délinquants d'où l'horreur émerge parfois, qu'à ce que celle-ci impose à la psyché de celui qui est présent pour l'entendre. La question qui servira de fil directeur à cette partie est : «Comment, face à de tels sujets, être et rester analyste ? C'est-à-dire, quand un fonctionnement psychique tout entier est engagé dans une lutte contre la passivité, comment permettre un accès au sens et donc une rencontre “vraie” avec un tiers, ce qui suppose une passivation?»

Processus de réhabilitation des auteurs de violences sexuelles

Processus de réhabilitation des auteurs de violences sexuelles

Cette question est d'autant plus aiguë que la rencontre de tels sujets tient de l'obligation judiciaire et non de la demande volontaire. Travailler en tant que psychodynamicien dans un tel contexte avec les pathologies du comportement violent sexuel, suppose donc de ne pas se départir de son identité d'analyste, c'est-à-dire que le champ de la pulsionnalité restera notre «pain quotidien», notre référence princeps avec celle de la sexualité infantile, même si cette dernière est souvent ramenée au hors sujet de la violence meurtrière et celle de l'inconscient.

Qu'est devenu le sexuel infantile?

En effet, de la sexualité infantile, il n'en reste que peu de chose dans les actes violents sexuels. Ceux-ci, non scénarisés, fonctionnent comme des «passages à l'acte» ou des «recours» comportementaux mis à la place d'un processus de pensée. L'idée de recours dit celle du dernier moyen efficace dont le désespoir et l'irrémédiable ne sont pas absents (Le Petit Robert). Le recours à l'acte affirme «la primauté narcissique de violence mise en place pour échapper à une menace d'inexistence » (Balier, 1999). La sexualité infantile est ainsi absente en tant que source d'explication du monde et du rapport aux objets ; les fantasmes originaires ne sont donc plus véritablement organisateurs des scénarios psychiques ; la pulsionnalité opère à l'état le plus originel. Le refoulement est donc inexistant comme processus. Pour autant, et nous le verrons plus avant, la notion de sexualité infantile doit toujours rester présente dans la pensée de l'analyste comme trame historisante humaine. Si donc la sexualité infantile est quelque part, en son refoulement elle se situe du côté de l'analyste. Pour lui, «les désirs infantiles en quête d'une réalisation hallucinatoire constituent de puissants agents de figurabilité» et, en cas de difficulté pendant le temps de la séance, ils pourront «toujours être appelés à la rescousse par le Moi régressé [de l'analyste] pour éviter le risque de la non-représentation» — risque majeur comme l'ont montré César et Sarà Botella (Botella & Botella, 1983). Ainsi, en son refoulement, la sexualité infantile constitue pour l'analyste en séance une réserve de figurabilité qui participera à la «chimère» transférentielle. Nous voici face à une pulsionnalité non qualifiée en tant que sexuelle. En quelque sorte, ces sujets nous placent face à une excitation qui échoue à se pulsionnaliser et qui dès lors échappe à toute juridiction psychique, que ce soit celle du principe de plaisir ou du Moi. Le règne est celui de la décharge violente, de la destructivité donc et du retour au calme. Le schéma perceptif ne laisse aucune place à celui de l'hallucinatoire, nous sommes en effet, ici, dans une économie de la survie psychique.

L'acte violent sexuel, une méduse processuelle

La rencontre clinique de tels sujets provoque souvent un trouble, un éprouvé de fasseyement de notre écoute, voire une sidération, parfois même une fascination. Jean-Michel Quinodoz, à propos du patient pervers, a fréquemment relevé la peur et la paralysie qui envahissaient l'analyste (Quinodoz, 1985). Qu'est-ce qui fonde ce qui relève d'un sentiment d'inquiétante étrangeté mais aussi, au-delà, d'un médusage50. Pour l'inquiétant, Freud précise qu'il « se produit lorsque des complexes infantiles refoulés sont ramenés à la vie par une impression, ou lorsque des convictions primitives surmontées paraissent de nouveau confirmées» (Freud, 1919). La rencontre des sujets violents sexuels nous confronte à ce fait psychique : ce qui, pour nous, fonctionne dans le processuel psychique, le refoulement, se meut pour eux dans une réalité qu'ils viennent «étaler» devant nos yeux. Nous voyons se dérouler le refoulé le plus ancien de notre sexualité infantile, non dans un fantasme mais dans une réalité d'autant plus réelle qu'elle possède un sceau : la judiciarisation. La sexualité infantile de l'analyste s'érige dans le miroir des actes délinquants dans toute sa crudité, sans déguisement, sans substitution, sans métaphore. Étrangeté d'autant plus grande que de sexualité infantile il n'est pas, pour eux, question. Le miroir de nos fantasmes est déformé par la réalité de leurs actes. Ce qui pour nous est surcharge figurative de sexualité infantile n'est au bout du compte que l'exercice répétitif de la compulsion violente visant le rétablissement du calme antérieur.

50 Ce terme et ce thème, à partir des travaux de Freud (1922), ont été travaillés par Bernard Chervet (1993).

Ainsi, pour la psyché de l'analyste, cette surcharge de figuration se présente comme une figuration de la castration. L'excès vient figurer ce qui manque dans le processus : le refoulement. Ces sujets nous confrontent à une castration dans le processus psychique, c'est cela qui paralyse, qui méduse, en une forme de médusage processuel. Pétrifié dans son fonctionnement, l'analyste le sera, et pas uniquement à l'écoute du descriptif des actes délinquants. En effet, le clivage sévère que nous rencontrons chez ces sujets, plus étanche que dans la psychose, indexe l'intégralité du discours. Que ce soit, sans forcer le trait pour les besoins de la démonstration, le prêche politique de certains pour une société plus libertaire, les vitupérations d'autres à l'encontre des lois trop opprimantes, les déclarations de respect et d'affection à l'égard des enfants chez les pédocriminels, de leurs enfants chez les pères incestueux, l'engagement dans les mouvements associatifs humanitaires ou proches de l'enfance, l'ensemble du discours est entendu avec un filtre particulier, une réticence associative. Cette paralysie serait le signe d'une tendance de ces patients à ne faire qu'un avec le thérapeute et à s'unir à lui, malgré lui (par un mouvement fusionnel), pour ne pas se sentir seul à triompher dans la confusion et dans la peur de devenir différent (Quinodoz, 1985). Ici, la paralysie devient le signe d'une «perversion» de la relation thérapeutique. Mais cette paralysie n'est elle pas, dans ce type de prise en charge, un passage obligé ? La réticence dans l'écoute, comme un sphincter protecteur d'une pénétration inéchappable, transforme radicalement l'attitude analytique classique, faite de passivité, l'activité étant dédiée à l'analysant. L'un parle, l'autre écoute de manière flottante, c'est-à-dire investissant également le champ du matériel du patient en laissant se croiser les charges d'investissement de celui-ci avec les siennes propres issues des échos de sa sexualité infantile par le biais du refoulement. Croisement qui générera la figurabilité préconsciente chez l'analyste et qui conduira éventuellement à l'interprétation. Ici, rien de cela n'est possible. Paradoxalement, compte tenu de ce je viens d'écrire sur la sexualité infantile, ce grâce à quoi l'analyste se figure le matériel de son patient rend infigurable ce qu'il entend. Le matériel du patient formant alors un écran bêta51 pour l'analyste, inrêvable et donc inanalysable. L'analyste se trouve donc face à l'impossibilité de se laisser aller à une régression formelle permettant la figuration du matériel; l'utilisation de sa sexualité infantile en son refoulement comme réserve de figurabilité n'est plus possible ; dès lors toute idée mutative au niveau psychique ne peut être qu'abandonnée, laissant la voie ouverte à la pulsation de fond qu'est la répétition dans sa violence la plus originelle — avec le fantasme d'inaccessibilité aux soins qui peut envahir le thérapeute. Par ces nombreux éléments, ces sujets menacent l'identité psychique du thérapeute et, lorsque celle-ci est atteinte, l'éprouvé du thérapeute sera, au-delà de l'inquiétante étrangeté (de M'Uzan, 1976), de lutter contre ce sentiment par une mobilisation de ses résistances narcissiques, manœuvre qui ne peut que rigidifier ses limites (Bayle, 1988), afin de les défendre. Passivation impossible, passivité effrayante engageant le sujet dans une conduite d'activité forcenée amènent à reformuler la question du début : comment, d'une position de thérapeute psychodynamicien, amener le patient sexuellement violent à être sujet de son acte, quand on sait que la passivation a un rôle-clé dans la subjectivation ?

51 Terme de W. R. Bion (1962), l'écran bêta est une barrière défensive contre toute expérience émotionnelle. Les éléments bêta qui le composent sont par essence non rêvables et non symbolisables et se prêtent à l'identification projective. Ils attaquent spécifiquement la fonction alpha qui est la fonction de transformation symbolisante.

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André Ciavaldini Psychanalyste, docteur en psychologie clinique et en psychopathologie, directeur de recherches associé, Laboratoire PCPP (Psychologie clinique, Psychopathologie, Psychanalyse), EA4056, Institut de psychologie, université René-Descartes, Paris, fondateur et ancien directeur de programme du CRIAVS Auvergne-Rhône-Alpes

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