Dépister la fragilité chez le sujet âgé
1 juin 2023
Par Anne Claire Nonnotte
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Dépister la fragilité chez le sujet âgé
Screening for frailty in the elderly subject
Bénédicte Clero : Infirmière en pratique avancée, Marion Floc’h-Liziard : Infirmière en pratique avancée, Christine Lenouvel ⁎ : Infirmière en pratique avancée Équipe mobile de gériatrie, Centre hospitalier de Saint-Brieuc, 10 rue Marcel-Proust, 22000 Saint-Brieuc, France
*Auteur correspondant.
Résumé
Le repérage de la fragilité peut être effectué par tout professionnel de santé. Cette évaluation permet d’instaurer des mesures correctives afin d’agir précocément sur les éléments réversibles.
Screening for frailty in the elderly subject The identification of frailty can be done by any health professional. This assessment allows corrective measures to be taken in order to act early on reversible elements.
Mots clés : concept de fragilité, personne âgée, syndrome gériatrique
Keywords : concept of frailty, elderly person, geriatric syndrome
L’allongement de la durée de vie génère de nombreux enjeux dont celui de mieux appréhender les conséquences du vieillissement et d’optimiser le maintien à domicile. L’identification précoce de facteurs de perte d’indépendance permet de mettre en place des stratégies de prévention ou de compensation. Différents modèles et approches de dépistage, d’évaluation et de mesures ont été développés dans l’idée de favoriser le “bien vieillir”. Parmi ces derniers, fragilité et syndromes gériatriques se conceptualisent sur une frontière mince.
Le concept de fragilité
Le vieillissement n’est pas un processus uniforme et l’hétérogénéité des états de santé s’accroît avec l’âge [1]. Dans les années 1990, l’approche de la personne âgée par le prisme de la fragilité, émerge en démontrant la différence entre fragilité et vieillissement. S’ensuivent des propositions de définitions qui établissent que la fragilité est « un état de vulnérabilité lié à une mauvaise résolution de l’homéostasie à la suite d’un stress et une conséquence du déclin cumulatif de plusieurs systèmes physiologiques au cours d’une vie » [2]. Il est suggéré qu’« en tant que tel, l’état de fragilité est largement séparable du processus de vieillissement et devrait donc être susceptible d’intervention active et d’inversion » [3].
La réduction de la réserve physiologique
En 1984, le phénomène est modélisé par Bouchon [4] qui analyse les performances d’un organe chez un sujet âgé sous l’effet du vieillissement, des pathologies et des affections intercurrentes (Figure 1). La baisse des réserves justifie bien pourquoi la fonction est de moins en moins capable de s’adapter à un stress. Ainsi, chez les patients âgés non malades, le vieillissement seul ne suffit pas à expliquer une défaillance d’organe. En revanche, chez les patients âgés polypathologiques, les réserves adaptatives diminuent et entraînent un état de fragilité permanent caractérisé par une instabilité physiologique et une incapacité à s’adapter à un stress quel qu’il soit [5].
Repérer la fragilité
La notion de fragilité apparaît donc comme un cumul de risques qui, une fois identifiés, permet de proposer des actions pour limiter les événements préjudiciables. En effet, cet état de fragilité, selon Fried [6], favorise un risque significativement accru d’invalidité, d’hospitalisation et de mort. Agir pour détecter et prévenir devient donc un enjeu majeur pour la société. Potentiellement réversible, la fragilité est un investissement nécessaire en santé publique qui amène les politiques à organiser des interventions et tracer des trajectoires pour cette population.
Les indicateurs de fragilité à rechercher
Indicateurs physiques : le modèle de Fried [2] appuie son analyse sur la recherche de cinq critères de fragilité qui sont : une perte de poids involontaire de plus de 4,5 kg (ou ≥ 5 % du poids) depuis un an, une asthénie, une baisse de la vitesse de la marche, une perte de force musculaire et une sédentarité. Fried classe les personnes âgées en trois groupes : les préfragiles (au moins un critère), les fragiles (trois critères ou plus) et les robustes.
Interaction de facteurs personnels et environnementaux : Rockwood [7] propose une approche cumulative et intègre, en plus, des facteurs cognitifs et sociaux. Il estime qu’il existe près de soixante-dix facteurs d’évaluations. Si les échelles de mobilité, particulièrement la vitesse de marche, sont fiables pour prédire du risque de dépendance, d’institutionnalisation, voire de décès [8], les facteurs cognitifs (antécédents de syndromes confusionnels ou des résultats indiquant une déficience cognitive) sont des éléments indispensables à l’évaluation de la fragilité [9]. La thymie basse est fréquente et lourde de conséquences chez la personne âgée. Elle doit donc être recherchée : dégradation de l’image de soi, sentiment de perte de contrôle de sa vie dont la perte d’autonomie, anxiété [9]. Une plus grande vulnérabilité sociale est corrélée à une augmentation de la mortalité chez les personnes âgées [10].
Comme le disent Campbell et Buchner [11] au sujet de la fragilité, « ce n’est clairement pas un phénomène de tout ou rien et différents patients présenteront différents degrés de fragilités ».
Finalement, il n’existe pas de consensus sur une définition de la fragilité. Elle peut se mesurer « par autant d’indicateurs de santé qu’il est possible d’accumuler » [12] et elle diffère selon les approches.
Nous pouvons également retenir la définition proposée par la Société française de gériatrie et de gérontologie (SFGG), selon Rolland [13] : « La fragilité est un syndrome clinique. La fragilité se définit par une diminution des capacités physiologiques de réserve qui altère les mécanismes d’adaptation au stress. Son expression clinique est modulée par les comorbidités et des facteurs psychologiques, sociaux, économiques et comportementaux. Le syndrome de fragilité est un marqueur de risque de mortalité et d’évènements péjoratifs, notamment d’incapacités, de chutes, d’hospitalisation et d’entrée en institution. L’âge est un déterminant majeur de fragilité mais n’explique pas à lui seul ce syndrome. La prise en charge des déterminants de la fragilité pourrait réduire ou retarder ses conséquences, mais actuellement le niveau de preuve pour une telle efficacité est faible. Ainsi, la fragilité s’inscrirait dans un processus potentiellement réversible. »
Le syndrome gériatrique
Sous cette qualification sont regroupées les affections fréquemment observées chez les personnes âgées qui peuvent avoir plusieurs causes sous-jacentes : les chutes répétées ; la confusion mentale ; la perte d’indépendance fonctionnelle ; la déshydratation ; etc. Le terme est utilisé pour désigner les conditions cliniques chez les personnes âgées qui ne rentrent pas dans des catégories distinctes de maladies et souvent la plainte principale ne caractérise pas la pathologie sous-jacente, ayant induit le changement de l’état de santé [14].
Conclusion
Au total, toutes ces approches diverses et multidimensionnelles de la fragilité permettent d’obtenir une trame pour diagnostiquer et évaluer la fragilité. La réalisation d’une évaluation gériatrique globale basée sur le modèle multidimensionnel de l’évaluation gériatrique standardisée (EGS) reste l’outil de référence proposé par la SFGG pour diagnostiquer et évaluer la fragilité. Une collaboration pluridisciplinaire est alors nécessaire avec un rôle clé des infirmiers dans le dépistage et la mise en place d’interventions [15].
Agir pour détecter et prévenir devient un enjeu majeur pour la société
Déclaration de liens d’intérêts
Les autrices déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
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Références
[1] Rockwood K., Theou O. Frailty in aging. Biological, clinical and social implications. Introduction Interdiscip Top Gerontol Geriatr 2015 ; 41 : VII-X [2] Fried L.P., Tangen C.M., Walston F, et al. Frailty in older adults: evidence for a phenotype J Gerontol A Biol Sci Med Sci 2001 ; 56 (3) : M146-M156 [3] Bortz W.M. A conceptual framework of frailty : a review J Gerontol A Biol Sci Med Sci 2002 ; 57 (5) : M283-M288 [4] Bouchon J.P. 1+2+3 ou comment tenter d’être efficace en gériatrie ? Rev Prat 1984 ; 34 : 888-892 [5] Floccia M., Sol P., Lagouarde S., Bidalon F. Chapitre 1. Généralités Hypnose en pratiques gériatriques Malakoff: Dunod (2020). 3-32[https://doi.org/10.3917/dunod.flocc.2020.01.0003]. [6] Fried L.P. Frailty Principles of geriatric medicine and gerontology New York (NY): McGraw Hill (1994). 1149-1155 [7] Rockwood K., Song X., MacKnight C, et al. A global clinical measure of fitness and frailty in elderly people CMAJ 2005 ; 173 (5) : 489-495 [cross-ref] [8] Abellan van Kan G., Rolland Y., Andrieu S, et al. Gait speed at usual pace as a predictor of adverse outcomes in community – dwelling older people an International Academy on Nutrition and Aging (Iana) Task Force J nutr Health Aging 2009 ; 13 (10) : 881-889 [cross-ref] [9] Vogel T., Schmitt E., Kaltenbach G., Lang P.O. La fragilité : un concept robuste mais une méthode d’évaluation encore fragile NPG 2014 ; 14 (79) : 43-49 [cross-ref] [10] Andrew M.K., Mitnitski A.B., Rockwood K. Social vulnerability, frailty and mortality in elderly people PLoS One 2008 ; 3 (5) : e2232 [11] Campbell A.J., Buchner D.M. Unstable disability and the fluctuations of frailty Age Ageing 1997 ; 26 (4) : 315-318 [cross-ref] [12] Béland F., Michel H. La fragilité des personnes âgées. Définitions, controverses et perspectives d’action Rennes: Presses de l’EHESP (2013). [https://doi.org/10.3917/ehesp.bela.2013.01]. [13] Rolland Y., Benetos A., Gentric A, et al. Frailty in older population: a brief position paper from the French society of geriatrics and gerontology Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2011 ; 9 (4) : 387-390 [14] Inouye S.K., Studenski S., Tinetti M.E., Kuchel G.A. Geriatric syndromes : clinical, research and policy implications of a core geriatric concept J Am Geriatr Soc 2007 ; 55 (5) : 780-791 [cross-ref] [15] Gobbens R.J.J., Uchmanowicz I. Frailty viewed from a nursing perspective Sage Open Nurs 2023 ; 9 : [23779608221150598].