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Dr Balencon, pédiatre pour les enfants victimes de maltraitance

13 janvier 2022

Par Monique Remillieux

Dr Martine Balençon

Prendre en charge les enfants maltraités

Rencontre avec Dr Martine Balençon,  Pédiatre et Médecin légiste, auteure-coordinatrice du livre Pédiatrie médico-légaleS’ouvre dans une nouvelle fenêtre

  • crise covid

  • procédures juridiques

  • les écrits face aux maltraitance

  • travailler ensemble entre acteurs de la santé

  • place de l'ouvrage dans la prise en charge

Livre. Pédiatre médico-Légale

Comment la crise de la Covid a-t-elle impacté votre travail de prise en charge de mineurs victimes de maltraitance ?

L'actualité du Covid-19 nous a tous bousculés (…). Aujourd'hui, il y a une attention vraiment très particulière et précoce - grâce d'ailleurs à la Société Française de Pédiatrie Médico légale et la Société Française de Pédiatrie - autour des possibles violences faites aux enfants. (…) Très rapidement on a vu que nos activités professionnelles étaient marquées d'un silence assourdissant : c'est à dire que dans les quinze premiers jours (…) qui ont suivi le confinement, on a eu en fait une mise quasiment à l'arrêt de toutes nos activités et nos activités en protection d'enfance avec aussi sur l'ensemble des services une très grande inquiétude sur la possibilité de violences qui seraient survenues au domicile. Donc on s'est beaucoup mobilisés avec les collègues pédiatres médecins légistes sur ces points-là. Ce que l’on se disait aussi de façon très forte, c'est que ce qui constituait le repérage initial à ce type d'exposition était à l'arrêt puisque les enfants n’étaient plus sociabilisés et ça, ça a été vraiment une grosse préoccupation. On s'est beaucoup mobilisés nationalement, sur nos territoires aussi les secteurs de terrain se sont mobilisés,  et ce que ça a montré - alors effectivement nous professionnels, nous étions capables de travailler ensemble donc vraiment dans une dynamique de pédiatrie médico-légale avec effectivement la Justice, les services des deux conseils départementaux, les services de santé scolaire et on a réussi aussi grâce à ça je pense à mettre en avant qu'on était capables de faire ensemble, même si on a vu dans nos hôpitaux un effondrement des pathologies tout-venant puisqu'en fait tout ce qui était actualité autour de l’infectieux et de la traumatologie était vraiment tout à fait diminué de 30 à 70% dans tous les CHU et CHG de France par rapport à l'actualité et par contre en fait on avait un maintien très fort des prises en charge donc après ces 15 premiers jours assourdissants, on avait un maintien des situations graves en protection de l'enfance. Il y a eu aussi une grosse mobilisation des services du 119 avec un développement médiatique très fort, aussi une grande adaptation de ces services,  des services du SNATED -  je crois vraiment qu’il faut qu'on leur rende hommage parce que du jour au lendemain ils ont dû monter en compétences, s’adapter, travailler à distance, se mobiliser et c'est vrai qu'on voit bien que ça a été aussi quelque chose de très très très précieux. Les appels au 119, alors certainement grâce à cette médiatisation, ont été augmentés, particulièrement les appels d'enfants, les appels de voisins. On a vu aussi pendant cette crise la mise en place, alors de façon pas immédiate en tous les cas un tout petit peu plus à distance, la possibilité d'une sollicitation directe du 119 par un formulaire en ligne ce qui effectivement a été certainement très précieux. Donc c'est vrai qu'on a pu voir une grande mobilisation des professionnels mais aussi des acteurs de terrain et particuliers autour de ces situations.  La question qui découle de ça, c’est : y a-t- il eu plus de violences pendant le confinement ? Alors plus de violences conjugales, on sait que les enfants maintenant sont quand même non pas exposés aux violences conjugales mais bien pleinement victimes de ces violences. Oui, il y en a plus, les statistiques laissent à penser que probablement il y a eu plus de violences pendant les périodes de confinement mais en même temps je pense que si quantitativement on a ces chiffres- là, il va falloir aussi être très fins sur l'analyse qualitative de ces situations parce que dans notre expérience en tous les cas on a vu que c'était des violences probablement plus graves et c'est difficile de trouver des marqueurs scientifiques. Quand je vous dis ça, je pense que ça met aussi en perspective ce qui était un peu dans le livre de pédiatrie médico-légale, c'est à dire toute la difficulté de faire des études épidémiologiques sur l'enfance en danger et sur les violences sur mineurs. La crise nous montre ces difficultés en tous les cas à mettre en avant des chiffres qui soient des chiffres solides. Ce qu'on peut se dire aussi, c'est que dans les situations qui était dégradées, elles ont continué à se dégrader malgré la mobilisation des acteurs : dans tous les cas le confinement, la vie à huis clos a continué à dégrader ces situations. Alors paradoxalement, on a aussi des enfants qui ont été  - ça on a pu le lire aussi dans la littérature et ça peut nous donner aussi peut-être un souffle un peu nouveau - c'est à dire on a des enfants qui étaient sur des lieux de placement ou qui étaient dans des structures où ils ont été plutôt maintenus avec peu d'allées et venues, peu de changements et qui ont aussi pu - c'est les témoignages du terrain en tous les cas qu’on a pu recueillir - bénéficier d'une certaine stabilité et ça c'est aussi un effet de la crise covid qu'il faudra certainement évaluer. En tous les cas cette crise covid nous a permis de nous dire – et de faire ensemble et ça je pense que c'est vraiment très précieux - on voit bien que le confinement, le second confinement en fait - il y a eu une forte pression des pédiatres et de notre Société Française de Pédiatrie Médico Légale et de la SFP pour maintenir les écoles ouvertes parce que on a bien mis en évidence après qu'ils étaient peu contagieux, beaucoup moins menaçants qu'ils n’étaient au début de la pandémie alors qu'on avait peu de données notamment de la littérature internationale, et le risque aussi d'être coupés des apprentissages, de la vie collective, et c'était aussi un vrai risque. Donc l'intérêt supérieur de l'enfant – en tous les cas sur l'analyse de la balance bénéfice/risque- plaidait plus bien sûr pour un maintien de la vie en collectivité. Aujourd’hui on a des difficultés qui ont vu le jour notamment sur l'état de santé psychique des enfants et ça, ça doit être aussi un point qui nous préoccupe. Beaucoup de situations -en tous les cas sur le plan psychologique -de l'enfant, des adolescents ou même un peu plus grands, se sont quand même parfois dégradés. Encore une fois, je pense que travailler ensemble a été possible.

Quelles sont les procédures juridiques à mettre en place pour faire valoir le droit ?

Ce qu'on dit depuis longtemps, c'est que la violence c'est très difficile à voir, c'est à dire que la première chose que ça évoque pour les praticiens c’est : « c'est pas possible ». Donc une sorte de sidération et de déni et c'est vrai que c'est très difficile de voir ces situations quand on a une seule paire d'yeux donc l'idée c'est probablement d'en avoir plusieurs et de travailler en collectivité. Donc les procédures juridiques qu’il faut mettre en place, la forme est très importante à respecter parce que la forme est vraiment ce qui va permettre en tous les cas à nos correspondants du monde de la justice et du monde du travail social et des départements de nous lire. J'aime bien la citation de Rudolf von Jhering qui dit « Ennemie jurée de l’arbitraire, la forme est la sœur jumelle de la liberté ». C'est vraiment quelque chose auquel nous on s'attache de façon très très forte. Ce à quoi le professionnel de santé est soumis, c'est d'abord la protection des enfants, ça peut être une protection effectivement par la rédaction d'un écrit qui peut être un signalement judiciaire ou une information préoccupante en fonction de la gravité, et ça peut être aussi l'hospitalisation, la mise à l'abri. Le professionnel doit protéger. Après, sur la question du signalement judiciaire et de l’information préoccupante, il a la faculté de se délier du secret professionnel, secret professionnel qui est visé un par l'article 226-13 du code pénal. Les situations de danger permettent en tous les cas de s’en délier. Dans le livre de pédiatrie médico légale, on voit bien que le secret professionnel est quelque chose de très central puisque on a au moins trois chapitres qui sont pleinement dédiés à ce sujet,  des chapitres qui ont été rédigés par Sylvie Grunvald qui est maître de conférences à l'université de droit de Nantes, par Stéphane Cantéro, avocat général auprès de la cour d'appel de Rennes et moi-même, et on voit bien combien c'est quelque chose de complexe et difficile, pour autant c'est une faculté qu'on a, voire une obligation dans certaines situations, et c'est vraiment très important de le connaître. Un autre élément que les praticiens peut-être connaissent moins, qu’il est important de rappeler ici,  c'est : dès lors qu'on a une situation de danger, les praticiens peuvent partager des informations à caractère secret pour permettre que la situation soit évaluée au plus près et avec les éléments qui sont portés à la connaissance des instances, qu'elles soient départementales ou judiciaires. Ces informations permettront une prise en charge et au plus juste de l'enfant. Et puis l'autre chose, ça aussi la crise covid nous l'a enseignée, il est important de connaître ses interlocuteurs et aussi de pouvoir discuter en dehors de la crise, c'est-à-dire en dehors des situations qui nous occupent et qui mobilisent aussi beaucoup de notre énergie et de nos émotions aussi, c’est des situations qui sont d'autant plus riches qu’on n’y est pas préparés est d'autant plus riche qu'on est seul.

Quel écrit produire dans une situation de maltraitance ?

Ce qui est assez étonnant par rapport à ce sujet-là, c'est que l’écrit que les médecins savent faire et qu'on leur a appris à la faculté, c'est les certificats. Ils connaissent la forme du certificat est en fait ce dont on s'aperçoit c'est qu’en protection de l'enfance, ce n'est pas toujours le bon écrit qu'il faut faire. Et ça en fait je pense que c'est quelque chose pour lequel les praticiens ont vraiment du mal, parce qu'il faut se rendre compte aussi que le certificat médical, en pratique quotidienne, sur les pratiques de terrain des médecins généralistes ou des pédiatres, c'est vraiment quelque chose qu'ils font de façon très régulière et la rédaction des certificats est quelque chose de très complexe. On y a consacré dans le livre de pédiatrie médico-légale un chapitre entier qui a été rédigé avec nos collègues du CHU de Caen et de l'APHP. Il faut savoir dans des situations d'enfance en danger le débusquer le moment où le certificat c'est vraiment pas l'écrit qu'il faut faire. Donc le certificat il ne doit pas désigner Pierre, il ne doit pas désigner de mécanique traumatique. Dès lors que le praticien commence à se poser ces questions-là, c'est que c'est pas le bon écrit à faire. Donc dès lors qu'il doit effectivement reprendre des propos de l'enfant, décrire de façon précise les lésions qui lui apparaissent comme étant de nature traumatique, c'est pas le bon écrit. Donc c'est aussi en cela qu'il faut apprendre aux médecins à prendre du temps, pas être dans l'instantanéité, savoir à qui demander pour rédiger aussi ces écrits et savoir qu'il faut parfois transformer ces écrits en autre chose qui sont des écrits qui vont pour le coup protéger l'enfant, qui soient effectivement soit des informations préoccupantes soit des signalements judiciaires, donc ça en formation initiale et continue c'est quelque chose qu'on peut dire très régulièrement. Après, la question qui est en arrière par rapport à tout ça, c'est que si je ne fais pas de certificat médical,  comment puis-je l'annoncer à la famille,  comment puis-je annoncer ce refus donc ça c'est quelque chose qui est aussi dire non à une famille, à un patient c'est compliqué pour nous, et après si je décide de faire une information préoccupante ou un signalement judiciaire a fortiori si je suis seul dans mon cabinet, comment je vais les écrire, est-ce que je vais bien le faire, comment je vais l'annoncer à l'enfant et sa famille, et en fait on s'aperçoit aussi que quand bien même le praticien est passé à l'acte de la rédaction de l'IP ou du signalement judiciaire, se pose la question de l' annonce et c'est vrai que on leur dit effectivement toujours que ces écrits doivent être centrés sur l'enfant, doivent être faits à hauteur d'enfant. Ils ne doivent surtout pas être accusateurs pour les parents. En tous les cas, ça demande beaucoup de rigueur, beaucoup de gymnastique par rapport à ces écrits. Souvent les praticiens - d'ailleurs la première chose qu’ils nous disent par rapport à ces situations de maltraitance, c’est « nous ne sommes pas formés »  et il est très probable que derrière cette allégation de demande de formation,  c'est aussi « je suis pas à l'aise avec ça, le sujet me dérange  et finalement je sais pas faire parce que aussi je suis tout seul » et je crois que c'est quelque chose qu'on doit entendre et qu'on doit entendre dans les parcours de soins des enfants et adolescents en danger, c’est certainement un point sur lequel on peut trouver des points de discussion et des points d'accroche avec nos ministères de tutelle et administrations centrales.

Comment les différents acteurs de la santé réussissent à travailler ensemble pour les enfants victimes de maltraitance ?

Donc ce livre met en avant combien il est important de travailler ensemble sur les sujets de l'enfance et de l'adolescence en danger. Ce qu'on constate en fait dans notre pratique quotidienne, c'est que les difficultés familiales ou les dysfonctionnements familiaux sont extrêmement contaminants sur nos pratiques autour des enfants/adolescents en danger. C’est à dire les discordes entre les services notamment ou entre les professionnels sont souvent très graves parce que les familles sont contaminantes et non pas parce que les professionnels ne sont pas compétents. Identifier la divergence comme un signe clinique de gravité, ça permet de faire un pas de côté très important par rapport aux situations de danger qui nous occupent. On a parlé tout à l'heure de la sidération, du déni. La collectivité, le travailler ensemble, c'est vraiment la seule façon de faire face à ça et de faire face aussi en partageant des formations communes, des temps de travail communs, des supervisions communes, ça nous permet de connaître les contraintes des professions de chacun, les compétences et champs de compétences et les zones de tuilage qu'on peut avoir au service des enfants. Sur le travailler ensemble, il est important pour les praticiens de terrain en tous les cas de première ligne , qu’ils soient médecins, psychologues, dentistes, orthophonistes, orthodontistes etc … c'est la question du repérage, c'est à dire : quels sont les éléments qui doivent m’alerter, qui doivent me faire demander un avis ou me faire poser la question de la violence, c'est à dire qu'il faut que dans ce qu'on appelle nous en médecine « dans nos tiroirs- diagnostics » lorsqu'on constate un symptôme, il faut effectivement essayer de pousser notre raisonnement professionnel, quel que soit notre champ de compétences, et éventuellement envisager de demander un avis spécialisé pour entériner ou non cette situation. Les avis spécialisés, ce pour quoi nous travaillons, c'est effectivement de faire de la clinique de la violence un diagnostic médical. Alors un diagnostic a sa part d'incertitude, sa part de raisonnement, et proposer une thérapeutique qui soit effectivement adaptée à l'enfant et à ses besoins. Donc c'est vraiment réfléchir autour de l'enfant et non plus réfléchir sur l'auteur possible des violences particulièrement en intra-familial, et ça c'est vraiment ce qui fait le travailler ensemble.  Penser aussi nos activités comme une vraie spécialité médicale, qui dit spécialité médicale dit : formation, principes de l'information, formation interprofessionnelle et ça c'est un point qui a été très exposé dans le chapitre qui a été coécrit par le Professeur Gras-Leguen, pédiatre, et le Professeur Scolan, médecin légiste, sur comment penser ensemble notre culture médicale commune à laquelle les médecins généralistes doivent être pleinement associés ainsi que les urgentistes. En tous les cas, on s'aperçoit que dans toutes les spécialités médicales,  il y a un petit quelque chose qui va faire qu'on va travailler ensemble sur ce sujet-là, je pense particulièrement aux radiologues, aux généticiens, aux toxicologues, on voit bien toute la richesse de nos interactions et en tous les cas il faudra certainement poursuivre notre réflexion autour de l'information et la formation en santé,  c'est évident.

Quelle est la place de votre ouvrage dans la structure de prise en charge de l'enfance maltraitée ?

Le développement de ce concept qui était pré-existant, c'est à dire qui est au service de l'enfant, qui est la pédiatrie médico légale et le concept de cet ouvrage, c'est quelque chose qui porte en fait ce collectif pour les enfants et adolescents en danger. L'idée c'est certainement pas d'être descendant en tous les cas, et plutôt de proposer aux professionnels qui s’y intéressent de se dire «  ben finalement, où est ma place dans cette chaîne de soins et de prise en charge ? » et si les professionnels qui ont la lecture de cet ouvrage ou qui ont connaissance de nos différents travaux se posent à ce moment-là cette question-là, je pense qu'on aura tout gagné. Enfin les enfants auront tout gagné, nous rien du tout, les enfants ont gagné.

Voir la vidéo de l'entretien

Pédiatrie médico-légale SFPML, coordination Martine Balençon ISBN  9782294764745 2020

Extrait de l'ouvrage

Pédiatrie médico-légale