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Engager le bloc opératoire dans le développement durable

France | 14 juin 2023

Par Anne Claire Nonnotte

Bloc Opératoire Dans le Développement Durable

Bloc Opératoire Dans le Développement Durable

Nous vous proposons de découvrir un article de la revue Oxymag

Engager le bloc opératoire dans le développement durable

Engaging the operating theatre in sustainable development

Jane Muret : Chef de service anesthésie-réanimation-douleur de l’Institut Curie, fondatrice et ancienne présidente du comité Développement durable de la Société française d’anesthésie réanimation, membre du comité développement durable de l’European Society of Anesthesiology and Intensive Care Institut Curie, 26 rue d’Ulm, 75005 Paris, France

Oxymag

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Résumé

La température moyenne à la surface de la Terre dépasse déjà en moyenne d’environ 1,2°C son niveau préindustriel z Si cette augmentation se poursuit au-delà de 1,5°C d’ici à 2050, l’adaptation de la planète aux conséquences du réchauffement climatique deviendra hasardeuse z En anesthésie-réanimation, les professionnels doivent, dès lors, réduire la part mesurable de la contribution de leur pratique au réchauffement climatique.

Engaging the operating theatre in sustainable development

The Earth’s average surface temperature is already about 1.2°C above its pre-industrial level. If this increase continues beyond 1.5°C by 2050, the planet’s adaptation to the consequences of global warming will become hazardous. In anaesthesia and intensive care, professionals must therefore reduce the measurable contribution of their practice to global warming.

Mots clés : anesthésie, bloc opératoire, développement durable, écoconception, empreinte carbone

Keywords : anaesthesia, carbon footprint, eco-design, operating theatre, sustainable development

Les blocs opératoires sont des points névralgiques des établissements de santé. S’y conjuguent la présence de nombreux personnels très qualifiés travaillant dans des conditions particulières qui posent des problèmes de qualité de vie au travail (QVT), de gros postes d’achats, et la production massive de déchets – le plus souvent sensibles. Ce n’est donc pas un hasard si depuis plusieurs années, de plus en plus de projets autour du développement durable (DD) y voient le jour.

Positionnement de l’anesthésie-réanimation dans les projets de développement durable

En 2012, la revue Anesthesia & Analgesia publiait un numéro spécial consacré à l’écoconception des soins avec différents articles sur la réduction des déchets, l’analyse du cycle de vie (ACV1 ) des masques laryngés, les champages, ou encore les gaz d’anesthésie, qui jouent un rôle majeur sur l’effet de serre [1]. Au congrès de l’American Society of Anesthesiologists la même année, une session entière était consacrée pour la première fois à la thématique du DD. Une étude parue en 2015 a confirmé l’accumulation inquiétante de gaz anesthésiques dans l’atmosphère à partir d’échantillons de gaz atmosphérique collectés depuis les années 2000 en Antarctique, dans le Nord-Pacifique et en Europe [2].

Fin 2017, une autre étude a comparé l’empreinte carbone de blocs opératoires de trois hôpitaux au Canada, aux États-Unis et en Grande-Bretagne [3]. Celle-ci s’élevait en moyenne à 184 kilos équivalents dioxyde de carbone (eqCO2 ) par cas opératoire, soit ce qui est émis au cours d’un aller-retour Paris-Lyon en voiture. Cette empreinte carbone se répartissait entre trois postes : les gaz anesthésiques, l’énergie et les déchets. L’hôpital britannique était le plus énergivore en raison de la taille et de la vétusté de ses bâtiments alors que le coût carbone des hôpitaux nord-américains était dû à plus de 50 % à l’utilisation des gaz anesthésiques, et principalement au recours quasi exclusif au desflurane. Les Britanniques privilégiaient, quant à eux, le sévoflurane ou l’isoflurane, respectivement vingt et cinq fois moins polluants que le desflurane.

Depuis 2015, le programme du congrès annuel de la Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar) comporte une session consacrée au DD ainsi qu’un stand et une charte green à destination des exposants et de l’équipe organisatrice du congrès [4]. En 2016 a été créé au sein de la Sfar un groupe de réflexion DD multidisciplinaire composé d’anesthésistes, de chirurgiens, d’infirmiers anesthésistes, d’infirmiers de bloc opératoire et de pharmaciens. En 2017, celui-ci a coédité un guide pratique “Développement durable au bloc opératoire” avec le comité pour le DD en santé, téléchargeable en ligne [5]. Des fiches pratiques sur des sujets tels que le recyclage des plastiques et du métal, la réduction de l’utilisation des gaz anesthésiques ou la limitation de l’exposition aux perturbateurs endocriniens sont venues compléter ce travail. Elles sont également disponibles sur Internet [6].

En 2020, avec des collègues anesthésistes américains, australiens et britanniques, nous avons publié une revue générale de la littérature dans le British Journal of Anaesthesia , dans laquelle nous présentions un état de l’art de la recherche en matière de DD dans le domaine de l’anesthésie-réanimation ainsi que des pistes de réflexion pour le futur [7]. Un focus a été réalisé sur la pollution par les gaz et les vapeurs anesthésiques et sur les progrès effectués dans la prévention de cette pollution. Le protoxyde d’azote est un polluant majeur, destructeur direct de la couche d’ozone. Sa durée de vie dans l’atmosphère est estimée à 114 ans [8]. Le potentiel de réchauffement du desflurane est vingt fois supérieur à celui du sévoflurane. Les agents halogénés ont une durée de vie dans l’atmosphère de 1,2 an pour le sévoflurane, de 3,6 ans pour l’isoflurane et de 10 ans pour le desflurane [8]. Il est possible de réduire la pollution engendrée par l’utilisation des agents inhalés en anesthésie en réduisant les débits de gaz frais et en utilisant des systèmes de recapture des gaz.

L’ACV est identifiée dans cette revue générale comme la méthode la plus intéressante pour comparer et opposer les empreintes écologiques des produits, des processus et des systèmes. Des ACV ont analysé l’empreinte carbone des dispositifs d’anesthésie réutilisables par rapport à ceux à usage unique (par exemple, les plateaux de médicaments et les lames de laryngoscopes), ainsi que celle du traitement d’un patient en soins intensifs souffrant d’un choc septique. Les notions d’éviter, réduire, réutiliser, recycler et retraiter ont ensuite été explorées. L’influence de la source d’énergie (renouvelable ou combustibles fossiles) et de l’efficacité énergétique sur l’empreinte écologique des soins de santé a aussi été soulignée.

Enfin à l’approche de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques qui s’est tenue à Glasgow (Écosse) en novembre 2021, nous avons réuni un comité international composé de 45 professionnels de l’anesthésie et experts reconnus dans le domaine du DD. Ce comité a travaillé sur un consensus en utilisant une méthode Delphi2modifiée afin de valider des principes pour une anesthésie-réanimation durable applicables dans le monde entier. Le comité en a ainsi validé sept primordiaux [9], selon lesquels les professionnels en anesthésie-réanimation devraient :

  • minimiser l’impact environnemental de leur pratique clinique ;

  • utiliser des médicaments et des équipements ayant un faible impact environnemental lorsque cela est médicalement acceptable ;

  • réduire au minimum la surconsommation et le gaspillage de médicaments, d’équipements, d’énergie et d’eau ;

  • intégrer les principes de DD dans la formation à l’anesthésie-réanimation ;

  • intégrer les principes de DD dans les programmes de recherche en anesthésie-réanimation et dans les actions d’amélioration de la qualité des soins ;

  • piloter les programmes de DD au sein de leurs établissements de santé ;

  • collaborer avec l’industrie en vue de faire progresser la thématique du DD en santé.*

En pratique

Plusieurs établissements de santé ont mis en œuvre des projets de DD dans les blocs opératoires. La démarche doit être multidisciplinaire, s’inscrire dans le cadre de la stratégie globale de l’établissement en la matière et être formalisée dans un plan d’objectifs et de moyens. En effet, ce sujet relève d’obligations réglementaires : responsabilité sociétale des entreprises, critères de DD dans la certification et, plus récemment, le Ségur de la santé avec la mesure 14 [10]. Le DD doit également être intégré au projet d’établissement.

Les axes d’amélioration pouvant être déclinés au sein du bloc opératoire sont, par exemple :

  • le tri, le recyclage, la valorisation et la réduction des déchets ;

  • la lutte contre la pollution (gaz et vapeurs anesthésiques, perturbateurs endocriniens, etc.) ; * les économies d’eau, d’énergie, de papier, de dispositifs médicaux, etc. ;

  • la lutte contre le gaspillage (tenues, dispositifs médicaux à usage unique, stérilisation, etc.) ;

  • une politique d’achats responsables en termes de lieux de production, de matériaux, d’emballages, etc. ;

  • les aspects sociétaux (QVT, lutte contre la pollution sonore, violence et conflits, etc.).

Des projets multidisciplinaires associant équipes anesthésique et chirurgicale, logistique et hygiène ont vu le jour, par exemple à l’Institut Curie avec l’appui des cadres de santé aussi bien du côté chirurgical qu’anesthésique. Un travail collaboratif mené sur l’évaluation de la part des déchets d’activités de soins à risques infectieux (Dasri) et de ceux assimilés aux ordures ménagères lors de chirurgies courantes (sénologie et oto-rhino-laryngologie [ORL]) a été primé lors du dernier congrès de la Sfar [11] en septembre 2021. Il permet d’envisager des pistes de réduction et de recyclage de ces déchets.

En effet, il a été démontré à cette occasion qu’il existe une contradiction entre la définition des déchets à risque infectieux du décret de 1994 [12] et la référence à un “risque psychoémotionnel” et à des “déchets souillés de sang ou d’autres liquides biologiques” du guide d’application sorti en 2009, qui induit que même en l’absence de risque infectieux véritable ceux-ci devraient être éliminés avec les Dasri. Ainsi, selon que l’on suit l’un ou l’autre texte officiel, on passe d’une part de 1 à 83 % de Dasri produits en chirurgie sénologique et de 4 à 77 % en chirurgie ORL. Rapporté au nombre de cas opérés par an, cela représente un surcoût de 10 000 euros pour le traitement de ces déchets, et de plus de 13 tonnes eqCO2 d’impact carbone. Une clarification de la Direction générale de l’offre de soins permettrait la réalisation d’importantes économies ainsi que la valorisation et/ou le recyclage des déchets d’activités de soins qui n’auraient pas rejoint la filière Dasri.

Un projet de DD au bloc opératoire doit mener à réduire les émissions de gaz à effet de serre, les coûts – voire à générer des bénéfices – et à améliorer la QVT ainsi que la qualité des soins prodigués aux patients. De cette manière, un cercle vertueux peut être mis en place, comme l’illustre le projet du centre hospitalier universitaire de Rennes (35) avec l’association Les P’tits Doudous [13].

Certains projets déclinés au bloc opératoire, bien que non conçus initialement dans un souci de DD, s’inscrivent très largement dans cet esprit. Tel est le cas de l’utilisation de l’hypnose, de plus en plus répandue lors des opérations, qui est un écoconcept en ce qu’elle épargne l’usage de médicaments tout en créant du lien avec le patient et en améliorant le travail des soignants. On peut aussi évoquer la mise en œuvre des projets “patient debout” consistant à faire arriver le malade à pied au bloc opératoire, qui contribuent à l’amélioration de la communication entre le soigné et le soignant, à une diminution des troubles musculo-squelettiques chez les brancardiers et à la valorisation du rôle du soignant, avec à la clé une plus grande efficience, source, elle aussi, d’économies pour l’hôpital.

Conclusion

La prise de conscience de l’importance du DD, illustrée par ces récentes initiatives, permet de mieux comprendre l’ampleur des actions qu’il est possible d’entreprendre au bloc opératoire et de l’amélioration que celles-ci peuvent apporter à l’avenir pour les patients, pour les soignants et pour les établissements de santé. Il est clair que l’investissement et l’implication de chacun sont capitaux pour réduire notre impact environnemental et laisser à nos descendants une planète vivante et vivable.

En matière de développement durable au bloc opératoire, peuvent être envisagés notamment la valorisation et la réduction des déchets via leur tri et leur recyclage ; la lutte contre la pollution liée aux gaz et aux vapeurs anesthésiques ou aux perturbateurs endocriniens ; ou des économies d’eau, d’énergie, de papier, de dispositifs médicaux, etc.

Déclaration de liens d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

Une première version de cet article est parue dans la revue Gestions hospitalières (n˚ 590, novembre 2019, p. 571-2). Pour la présente parution, l’auteur a remanié et actualisé son texte en tenant compte des avancées récentes.

1L‘analyse du cycle de vie est une méthode qui permet d’évaluer les impacts environnementaux associés à toutes les étapes de la vie d’un produit, “du berceau à la tombe”. 2Méthode visant à consulter un panel d’experts de façon itérative sur un sujet précis, avec un caractère prospectif important.

© 2022  Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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Références

[1] Ryan S., Sherman J. Sustainable anesthesia Anesth Analg 2012 ; 114 (5) : 921-923 [cross-ref]

[2] Vollmer M.K., Rhee T.S., Rigby M., et al. Modern inhalation anesthetics: potent greenhouse gases in the global atmosphere Geophys Res Lett 2015 ; 42 (5) : 1606-1611 [cross-ref]

[3] MacNeill A.J., Lillywhite R., Brown C.J. The impact of surgery on global climate: a carbon footprinting study of operating theatres in three health systems Lancet Planet Health 2017 ; 1 (9) : e381-e388 [4] Société française d’anesthésie et de réanimation. Le Congrès. Sfar Green. Septembre 2018. http://2018.sfar-lecongres.com/les-informations-general es-du-congres/sfar-green. [5] Société française d’anesthésie et de réanimation, Comité pour le développement durable en santé. Guide pratique. Développement durable au bloc opératoire. Enjeux. Bonnes pratiques. Réglementation. Septembre 2017. https://sfar.org/download/guide-pratique-sfar-du-developpement-durable-au-bloc-operatoire/?wpdmdl=31475&refresh=6228d7e5738821646843877. [6] Société française d’anesthésie et de réanimation. Fiches Sfar Green. https://sfar.org/comites/developpement-durable/fiches-pratiques/sfar-green/. [7] McGain F., Muret J., Lawson C., Sherman J.D. Environmental sustainability in anaesthesia and critical care Br J Anaesth 2020 ; 125 (5) : 680-692 [cross-ref] [8] Sherman J.D., Ryan S. Ecological responsibility in anesthesia practice Int Anesthesiol Clin 2010 ; 48 (3) : 139-151 [cross-ref] [9] White S.M., Shelton C.L., Gelb A.W., et al. Principles of environmentally-sustainable anaesthesia: a global consensus statement from the World Federation of Societies of Anaesthesiologists Anaesthesia 2022 ; 77 (2) : 201-212 [cross-ref] [10] Ministère des Solidarités et de la santé. Ségur de la santé, les conclusions. Juillet 2020. p 25. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/dossier_de_presse_-_conclusions_segur_de_la_sante.pdf. [11] Morin E, Muret J, Belluteau S, et al. Audit sur le tri des déchets au bloc opératoire. Octobre 2021. https://sfar.org/download/eleonore-morin/?wpdmdl=35682&refresh=623b0a4de19b31648036429. [12] Décret n° 97-1048 du 6 novembre 1997 relatif à l’élimination des déchets d’activités de soins à risques infectieux et assimilés et des pièces anatomiques et modifiant le Code de la santé publique (deuxième partie : Décrets en Conseil d’État). www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000569702/. [13] Laënnec B., Duault E. Des actions au profit des enfants opérés financées par le recyclage des métaux Oxymag 2022 ; 35 (184) : 28-30