Entomologie médicale : techniques élémentaires
France | 12 septembre 2022
Par Anne Claire Nonnotte
Nous vous proposons de découvrir un extrait de la nouvelle édition de l'ouvrage Parasitologie et mycologie médicales S’ouvre dans une nouvelle fenêtre
Entomologie médicale : techniques élémentaires
Ce chapitre peut intéresser les entomologistes médicaux amenés à faire des prélèvements sur le terrain ou les biologistes médicaux qui doivent identifier des arthropodes (insectes ou acariens) récupérés sur les patients tels que poux, morpions, tiques, larves de mouches myiasigènes, etc. Le biologiste peut aussi être confronté à l’identification d’arthropodes apportés par le patient ou de débris de toutes sortes présentés par celui-ci comme des restes d’arthropodes et qui sont rendus responsables de piqûres, de réactions allergiques ou autres nuisances. L’identification formelle sert à fournir ensuite un traitement adapté, à rassurer le patient ou à l’orienter vers une autre prise en charge.
Prélèvements entomologiques
En entomologie, le prélèvement est l’étape indispensable. Il permet d’affirmer avec certitude la présence de l’insecte ou de l’acarien puis de l’identifier. Il est adapté à l’arthropode cible à recueillir. Le prélèvement « non ciblé » est possible mais hasardeux, donc peu sensible. Les prélèvements « ciblés » seront listés ci-dessous en fonction de l’arthropode en question. Cette liste n’est pas exhaustive ; seuls les principaux arthropodes d’intérêt médical seront exposés (pour plus de détails sur les poux, morpions, punaises, puces, asticots, tiques, sarcoptes et Demodex, se référer aux chapitres correspondants).
Prélèvements « non ciblés »
Arthropodes marcheurs
Aspirateur avec ou sans tissu de filtration
Aspirer, dans un domicile, un secteur (bas de plinthe, parquet, canapé, lit, etc.) est pertinent pour recueillir des insectes entiers non détectés préalablement et surtout mettre en évidence des micro-acariens, des nymphes, des larves, des œufs ou des parties d’insectes (mues, antennes, pattes, ailes, etc.). Ajouter un morceau de tissu blanc à mailles serrées à l’extrémité du tuyau permet de ne pas examiner le sac ou le bac d’aspiration, mais recueille moins d’éléments. Le morceau de tissu sera ensuite mis dans un récipient propre, puis examiné au laboratoire.
Balayage du sol
Avec un balai ou finement avec un pinceau, il est possible de détecter les mêmes éléments que précédemment.
Prélèvement à la pince
Il est parfois simple et aisé de prélever les arthropodes directement à la pince souple (dite « d’entomologie »).
Prélèvement aquatique
Pour les moustiques ou les simulies, il est possible de prélever l’eau contenant les larves pour une étude directe de celles-ci ou pour attendre l’éclosion des imagos après les avoir placés sous moustiquaire. Pour les simulies, les larves et les nymphes seront récoltées avec leurs supports (plantes aquatiques, bois morts immergés, terre, etc.) et étudiées à ces stades ou placées dans une colonne d’eau avec ébulleur pour obtenir les adultes dans une boîte piège placée sur le dispositif. Pour les moustiques, les larves et les nymphes mobiles dans l’eau peuvent être aspirées et identifiées à ce stade, ou laissées évoluer, comme indiqué précédemment, pour une identification au stade adulte.
Insectes volants
De nombreux pièges sont disponibles pour capturer les imagos, et certains pièges présentent une spécificité permettant de cibler des familles précises d’insectes.
Piège lumineux
Le modèle le plus classique est le piège lumineux dit « CDC Miniature Light Trap » qui capture préférentiellement les insectes à activité nocturne ou crépusculaire. Une lumière attire l’insecte, un petit ventilateur l’aspire, un filet en continuité de l’hélice capture l’insecte et le piège. À partir de ce concept, des dizaines de modifications ont été apportées : couleur de la lumière, type d’attractif (phéromones, odeurs, CO2, neige carbonique, etc.), d’aspiration, ou de capture (filet, récipient, cellophane adhésive, etc.). La forme globale varie également (taille, orientation du piège, etc.).
Drap éclairé
Un drap blanc tendu entre deux perches et éclairé par une lumière est attractif pour de nombreux arthropodes nocturnes. Là aussi, plusieurs variantes existent : taille du drap, couleur du drap ou de l’éclairage, etc.
Prélèvements « ciblés » par arthropodes
Moustiques, phlébotomes, culicoïdes
Adultes : le piège CDC, exposé ci-dessus, est le piège le plus communément utilisé. En fonction de l’arthropode ciblé, beaucoup de modifications ont été apportées.
Larves, nymphes, œufs : il faut s’adapter en fonction de l’arthropode visé : eau propre ou sale, terre humide ou sèche, ensoleillement ou ombrage, etc. Dans le cas des formes immatures, il n’existe pas de piège spécifique, la collecte se fera manuellement, généralement par aspiration directe ou filtration de l’eau pour les formes aquatiques.
Pyemotes
Adultes et larves vivent dans la poussière de bois des meubles piqués par des vers de bois (Anobium punctatum généralement). Il faut alors recueillir cette poussière par aspiration, balayage ou sur une grande feuille disposée sous le meuble. Par ailleurs, taper le meuble avec le poing permet d’obtenir une poussière de bois provenant directement des galeries des vers.
Sclérodermes
Les adultes solitaires s’observent souvent au sol ou tombés sur les meubles. Il est possible de les attraper directement avec les doigts gantés ou une pince, puis de les déposer dans un récipient hermétique.
Poux, morpions, punaises, puces, tiques, sarcoptes et Demodex
(Voir chapitres 40 à 44 et 46.)
Examen direct en entomologie
L’examen direct permet de trier, classer, organiser les différents arthropodes capturés et de les identifier au minimum au niveau de la classe, de l’ordre ou de la famille [1]. C’est à l’examen direct que seront également identifiés le stade, le sexe, le gorgement, la gravidité, etc., et que sera déterminé le montage ultérieur le mieux adapté au type d’arthropode et à son stade évolutif. L’examen direct doit être pratiqué dans l’idéal le plus précocement après la capture, avec le moins de transport possible.
Les outils doivent s’adapter à la situation et à l’objectif. Pour le repérage et l’observation, sont utiles :
sur le terrain ou dans la pièce de prélèvement : – une petite loupe de poche ×10 ou ×30 ; – une loupe binoculaire transportable ×5 à ×50 ; – un dermoscope ; – un éclairage performant.
au laboratoire (figure 2.1) : – une loupe binoculaire (minimum ×75) avec éclairage modifiable en orientation et en intensité et tube photographique si possible ; – un microscope : sans montage (qui permet d’observer l’arthropode en contre-jour) ; il n’est utile que pour de petits spécimens en dessous du millimètre.
Pour la manipulation et le montage, sont utiles :
une ou deux paires de pince Dumont n° 5, une pince entomologique (plus ou moins souple selon l’arthropode) ;
deux aiguilles « minuties » (insect-pins) 0,15 ou 0,2 mm montées sur des manches adaptés ou deux seringues avec aiguilles intradermiques ou à insuline ;
quelques verres de montre ou salières, des fioles Erlenmeyer, des béchers ;
un pinceau.
Planter l’arthropode sur une épingle est déjà un geste de « montage » et donc d’altération partielle. L’arthropode sera disséqué avec des aiguilles ou de fins scalpels pour l’appareil génital, l’estomac, les glandes salivaires, etc., à sec ou dans de l’eau physiologique.
Conservation, montage et coloration des arthropodes
Réactifs
Réactifs de conservation en milieu liquide
Éthanol 70° + 5 % de glycérol volume à volume (v à v).
Éthanol 90° ou 95° (8 parties) + eau (5 parties) + glycérol (1 partie).
92 % d’Éthanol 90° ou 95°+ 5 % de formol officinal [37 %] + 3 % de glycérol.
Réactifs de montage
Réactifs commercialisés
Résines de synthèse : différentes préparations commerciales sont disponibles.
Résine d’arbre (sapin baumier):Baume du Canada.
Réactifs préparés au laboratoire
Beaucoup des produits utilisés pour préparer ces réactifs sont toxiques. Ces préparations nécessitent une hotte chimique (encadrés 2.1 à 2.3)
Réactifs pour coloration
Il en existe plusieurs dont par exemple la solution de bleu de chlorazol B à 0,1 % dans du lactophénol, le noir chlorazol, la fuschine acide, etc.
Réactifs divers
Acide acétique, acide lactique 60 %, potasse 10 ou 20 %, xylène
Conservation des arthropodes
Le mieux est que l’arthropode arrive vivant au laboratoire dans un récipient fermé et sans liquide. Il est possible de le garder vivant à +4 °C quelques heures à quelques jours en ajoutant un morceau de papier-filtre ou de coton imbibé d’eau dans la boîte/tube pour éviter la déshydratation. L’emploi d’un liquide de conservation pour transporter le prélèvement est possible avec quelques inconvénients. Le plus employé est l’éthanol à 70° additionné ou non de 5 % de glycérol, mais il fait disparaître les ornementations colorées des mouches et des moustiques. La conservation en alcool à 95° assure également la conservation de l’ADN pour des techniques de biologie moléculaire qui pourraient être réalisées ultérieurement. Les arthropodes arrivent souvent dans un état de dessèchement plus ou moins avancé, parfois fragmentés ou écrasés ; dans ce cas, il faut les regonfler par une immersion dans l’acide acétique pur, ou dilué au demi pendant 12 heures, avant de pouvoir les observer à la loupe binoculaire en vue de leur identification. Toutefois, ce traitement rend les arthropodes fragiles et peut leur faire perdre leurs pattes, ailes, antennes, etc. Ils doivent donc être manipulés avec grande délicatesse.
Montage des arthropodes de petite taille
Cela concerne de petits insectes ou acariens (2 à 3 mm) : Pthirus pubis, Pediculus sp., Dermanyssus sp., larves de tiques, puces, etc.
Montage provisoire
Mettre l’arthropode au centre de la lame dans une goutte de lactophénol ou d’acide lactique (60 % v/v eau). Le recouvrir d’une lamelle et le chauffer sur une platine chauffante 20 à 45 minutes à 60 ou 70 °C (ou une nuit à température ambiante). Il est préférable lors du montage que les pièces buccales soient du côté de la lamelle et non de la lame pour une meilleure observation. La préparation peut se garder quelques semaines si l’acide lactique en excès est enlevé sur le bord de la lamelle et si on lute avec une résine de synthèse ou du vernis à ongles.
Montage aux résines de synthèse ou au baume du Canada
Une méthode rapide consiste à mettre l’arthropode dans un verre de montre pour le déshydrater 5 à 10 minutes dans l’éthanol absolu, puis 5 minutes au moins dans du xylène avant de le monter entre lame et lamelle avec un milieu de montage de type résines de synthèse ou baume du Canada. Il conviendra de bien positionner l’arthropode au centre d’une lame porte-objet, de mettre une bonne quantité de résines de synthèse ou de baume du Canada et de poser une lamelle dessus (privilégier l’utilisation de lamelles rondes), après avoir mis une goutte de produit de montage sur la face inférieure de la lamelle pour éviter les bulles d’air (double montage). Dans le cas des exemplaires entomologiques de petite taille, des lamelles rondes d’un diamètre de 12 mm sont recommandées. Positionner si nécessaire un poids de 10 à 15 g sur la lamelle pour aplatir et laisser sécher 24 heures. Ce type de montage permet une bonne conservation et est généralement suffisant pour l’identification. Pour une observation morphologique plus fine ou si les arthropodes ne sont pas suffisamment transparents, car gorgés de sang ou opaques (exemple des puces), il est nécessaire de détruire les tissus intérieurs (de les éclaircir), d’assouplir la cuticule des insectes et d’éventuellement colorer cette dernière. L’arthropode sera alors traité préalablement par une solution d’hydroxyde de potassium ou de sodium à 10 ou 20 % (une nuit à température ambiante) en perçant éventuellement l’abdomen ou l’opisthosoma avec une aiguille fine. Afin de neutraliser l’hydroxyde de potassium, l’échantillon doit être soigneusement rincé dans de l’eau distillée, puis transféré dans l’acide acétique à 10 % pendant 2 heures. L’insecte sera ensuite déshydraté dans des alcools de titre croissant (70°, 90°, 100°, soit 6 à 12 heures de bain), puis dans un bain d’essence de girofle jusqu’à ce qu’il tombe au fond, et enfin un passage rapide (2 à 3 minutes) dans un bain de xylène avant un montage au baume du Canada ou avec une résine synthétique. Il est possible de colorer les structures chitineuses avec des colorants comme le noir chlorazol ou le bleu chlorazol.
Montage à la gomme au chloral de Faure
Avant d’être mis dans la gomme, les arthropodes doivent être réhydratés si besoin dans une solution d’éthanol à 40° pendant 5 minutes. Une ou plusieurs gouttes de gomme sont mises au centre d’une lame. L’insecte y est déposé avec un pinceau (n° 1 ou 2) ou une pince Dumont, puis placé sur son flanc en l’enfonçant doucement dans la goutte avec une aiguille montée. Les antennes, les ailes, les pattes, etc., sont positionnées avant de poser une lamelle sur laquelle a été déposée une goutte de gomme. Une légère pression sur la lamelle favorise l’orientation du montage. Le séchage complet dure plusieurs semaines et peut être accéléré par un séjour dans une étuve à 35 ± 2 °C.
Montage des larves de diptères responsables de myiases
Afin de bloquer leur développement, les larves recueillies peuvent être conservées quelques jours à +4 °C dans une boîte de Petri, avec un coton humide. On peut aussi les mettre dans de l’éthanol à 35° (après dilution au ½ de l’alcool à 70°) tiédi puis faire des bains successifs d’alcool de degré croissant jusqu’à 70° afin d’éviter leur racornissement. En préalable au montage, la méthode recommandée est l’immersion dans l’eau très chaude, frémissante mais non bouillante, pendant 30 secondes. La larve est tuée, les phénomènes de dégradation sont bloqués et la larve peut être mesurée en extension. Cette technique permet aussi de bien observer les ornementations de la larve sous loupe binoculaire et de la conserver dans de l’alcool à 80° ou 70° + 5 % de glycérol si elle n’est pas montée immédiatement. Pour le montage, ouvrir la larve avec une pointe de scalpel sans léser ni l’extrémité antérieure (la plus fine avec les crochets buccaux), ni l’extrémité postérieure (avec la paire de stigmates respiratoires). Après cette incision, il est recommandé d’éclaircir les larves une nuit dans la potasse à 10 %, de les rincer à l’eau à trois ou quatre reprises, puis de les placer au moins une heure à une journée dans le liquide de Marc André afin de les éclaircir. Si de la biologie moléculaire est prévue, il conviendra de n’éclaircir que les deux extrémités. Le montage est alors possible directement dans la gomme au chloral de Faure. L’extrémité portant les plaques stigmatiques sera découpée et montée en vue apicale sous une lamelle. Le reste du corps est monté sous une autre lamelle de taille adaptée. Les crochets buccaux seront montés en vue latérale. En vue de la conservation du montage en collection, il faut privilégier un montage définitif après déshydratation avec rinçage à l’eau puis différents bains successifs dans l’éthanol à 70 %, à 95 % et absolu, chacun pendant 20 minutes. La déshydratation et l’éclaircissement seront terminés dans l’huile essentielle de clou de girofle pendant au moins une heure. Le montage après dissection sera fait dans le baume du Canada dilué dans du xylène ou dans une résine de synthèse.
Colorations
La solution de bleu de chlorazol à 0,1 % est ajoutée pour obtenir 5 % v à v dans la suspension de lactophénol contenant l’arthropode. D’autres colorants, tels que la fuschine acide ou le noir chlorazol, peuvent être utilisés.
Techniques de biologie moléculaire
Ces techniques peuvent être intéressantes sur des larves des premiers stades dont la morphologie est mal documentée dans la littérature [2]. Les extrémités céphalique et postérieure sont disséquées et traitées comme précédemment en vue de leur montage. L’extraction d’ADN est réalisée sur le reste du corps. L’identification est possible par amplification et séquençage du gène codant le cytochrome oxydase I (COI) ou pour la région ITS2 de l’ADN ribosomal. Si cette analyse n’est pas réalisée extemporanément, il est possible de conserver les larves à –80 °C ou dans l’éthanol à 95 % pour éviter la dénaturation de l’ADN.
Utilisation du MALDITOF pour l’identification d’arthropodes d’intérêt médical et vétérinaire
La spectrométrie de masse MALDI-TOF (matrix assisted laser desorption and ionization-Time of flight), largement développée au cours des cinq dernières années, est un outil de choix pour l’identification d’espèces de bactéries, de levures et de champignons filamenteux. Cette technique est désormais utilisée pour l’identification de parasites et d’arthropodes d’intérêt médical et vétérinaire, tels que les moustiques, les phlébotomes, les culicoïdes, les puces, les tiques, les glossines et les triatomes. Cette méthode simple, rapide et reproductible est basée sur l’utilisation d’empreintes protéiques constituées par le spectre de masse et sur un profilage protéique à la recherche de biomarqueurs [3]. Le MALDI-TOF peut être également utilisé pour identifier l’origine de repas sanguin, et la présence éventuelle d’agents pathogènes au sein du vecteur.
Références
[1] Mathison BA, Pritt BS. Laboratory identification of ectoparasites. Clin Microbiol Rev 2014 ; 27(1) : 48-67. [2] McDonagh LM, Stevens JR. The molecular systematics of blowflies and screwworm flies (Diptera : Calliphoridae) using 28S rRNA, COX1 and EF-1α : insights into the evolution of dipteran parasitism. Parasitology 2011 ; 138(13) : 1760-77. [3] Yssouf A, Almeras L, Raoult D, Parola P. Emerging tools for identification of arthropod vectors. Future Microbiol 2016 ; 11(4) : 549-66 Vous venez de découvrir le chapitre 2 de l'ouvrage Parasitologie et mycologie médicales S’ouvre dans une nouvelle fenêtre © 2022, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
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