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Épidémiologie et caractéristiques cliniques des agressions sexuelles

Paris | 16 janvier 2024

Couverture Baccino

Nous vous proposons ici de découvrir un extrait de l'ouvrage Médecine de la violence pour le praticien S’ouvre dans une nouvelle fenêtre

Épidémiologie et caractéristiques cliniques des agressions sexuelles sur mineur

Du fait des nombreuses difficultés liées à l'étude de ce fléau (variabilité des définitions générales autant que celle des sous-types, sous-signalement, etc.), une revue exhaustive de la littérature nous montre que de nombreuses inconnues et imprécisions demeurent.

Prévalence et âge à risque

Pour ce qui est des ASM avec contact physique, la prévalence, dans les pays où de telles études sont possibles, est de 2 % à 4 % pour les garçons de moins de 16 ans, de 4 % à 8 % pour les filles et de 3 % à 5 % pour les deux sexes confondus. L'âge à risque se situe autour de 10 ans. D'après l'enquête genevoise de Halperin en 1996 portant sur 1116 élèves de 15–16 ans par questionnaires anonymes, 6 % des filles et 1 % des garçons déclaraient avoir été victime d'une agression sexuelle avec pénétration, avant l'âge de 12 ans pour près de la moitié [5]. Dans un tiers des cas, l'auteur était un adolescent. L'enquête CSF ou « contexte de la sexualité » en France à l'initiative de l'Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS), menée par l'INSERM et l'INED en 2006 par téléphone auprès de 6824 femmes et 5540 hommes âgés de 18 à 69 ans, a montré que 8,8 % des femmes et 2,8 % des hommes interrogés déclarent avoir subi au moins un rapport ou une tentative de rapport sexuel forcé avant l'âge de 18 ans. Plus récemment, selon l'enquête de « l'Enfant Bleu » de novembre 2017 (sondage mené par Louis Harris Interactive), interrogés sur leur propre enfance, plus de deux Français sur dix (22 %) relatent des événements assimilables à de la maltraitance, avec 16 % de ces victimes auto-déclarées (soit 3,5 % des Français) qui témoignent d'une maltraitance de nature sexuelle (principalement des attouchements subis surtout par des jeunes filles) [6].

Données de l'examen somatique

Dans les séries les plus susceptibles d'avoir des cas graves (activité des UMJ), la mise en évidence d'anomalies anogénitales (pas toujours très spécifiques) représente moins de 20 % des cas, les infections sexuellement transmissibles (IST) étant quasi absentes. En fait, il semble que, d'un point de vue physique, il y ait deux types d'ASM : un, très rare, avec viol d'emblée, souvent accompagné de violences physiques majeures voire mortelles et un autre, progressif, répétitif, pouvant certes aller jusqu'au viol, mais sans violences physiques décelables.

Symptômes évocateurs

Aucune étude n'est disponible à cet égard, ce qui ne facilite pas le dépistage. Il est cependant raisonnable de considérer que l'enfant victime présente souvent une modification de son comportement : l'apparition d'un repli sur lui-même, une agressivité, une chute des résultats scolaires, l'apparition des conduites ordaliques chez l'adolescent, des mimes ou jeux à caractère sexuel chez l'enfant. Aucun signe très spécifique d'ASM donc… La médecine scolaire et le médecin traitant devraient, de ce fait, jouer un rôle important de prévention et de dépistage des violences sur mineurs, sexuelles ou autres.

Effets à long terme

Aucune étude prospective ne permet de dire si tel ou tel type d'ASM aura un retentissement psychologique et de quelle nature. Les conclusions des études rétrospectives montrant que tel ou tel groupe de patients (déprimés, prostitués, abuseurs sexuels, etc.) a une prévalence élevée d'ASM dans ses antécédents ne sont absolument pas significatives d'un lien quelconque de causalité tant les ASM sont fréquentes et leur taux de signalement faible. Il n'en demeure pas moins qu'il est certain qu'un inceste commis par le père biologique et subi pendant des années avec confusion totale des rôles intrafamiliaux va certainement avoir un retentissement pathologique. A contrario, personne ne sait quel va être le retentissement chez un enfant victime d'attouchements sexuels de la part d'un inconnu, à une seule reprise et sans violences physiques. On peut espérer que la résilience des individus permette à la plupart de ces victimes d'avoir une trajectoire de vie qui ne soit pas gravement perturbée. Là aussi, bien que les études prospectives soient impossibles, certains auteurs [2] indiquent (sans le démontrer, mais il semble raisonnable de le penser avec eux) que les ASM entraîneraient une fréquence élevée de troubles psychotraumatiques de type I ou II (TSPT et ESPT complexe), avec une évolution souvent prolongée émaillée de troubles et de complications graves (tentatives de suicide, conduites addictives, fugues, violences, marginalisation, difficultés scolaire) et, à l'âge adulte, des difficultés de couple et de parentalité.

Répétition

En l'absence de signalement, environ un tiers des ASM sont répétitives.

Particularités des agresseurs

Les ASM surviennent au sein de « la famille » dans 20 % des cas. Lorsqu'une personne est mise en cause, il s'agit du père une fois sur trois, et du beau-père une fois sur dix.

Signalement

Environ 10 % des cas sont signalés aux autorités judiciaires et/ou de santé, et les médecins ne sont responsables que de 10 % environ des signalements à l'autorité judiciaire, ce qui devrait les inciter à être très vigilants à cet égard. Les statistiques officielles de maltraitance infantile, les faits connus par les autorités, indiquent une fréquence dix fois plus faible que dans les études de prévalence précédemment citées. Ainsi, selon les données du bulletin 2013 de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), les faits constatés de violences sexuelles sur mineurs enregistrés par les services de police ou les unités de gendarmerie en France métropolitaine en 2011 s'élèvent à 13 470 (viols sur mineurs : 5423 ; harcèlements sexuels et autres ASM : 8047). Cela démontre bien que, dans la grande majorité des cas, la loi du silence règne en maître, laissant les auteurs agir dans une relative impunité. Certains pensent que la situation aurait évolué dans le bon sens grâce au #MeToo apparu en France en janvier 2021, avec pour conséquence que des milliers des victimes se sont révélées [7].

Place des ASM au sein des maltraitances à enfant

Selon l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (ODAS), pour l'année 2006, sur 19 000 signalements pour mauvais traitements, 4300 (soit 22 %) le sont au titre des abus sexuels (suspectés ou avérés). En 1998, pour 19 000 signalements (remarquable stabilité !), les ASM étaient de 5000, soit 26 %. Selon le rapport du Service national d'accueil téléphonique pour l'enfance en danger (SNATED ou 119 Allo enfance en danger) de 2013, sur 34 637 demandes d'aide, 17,5 % le sont au titre des mauvais traitements sexuels. Pour les UMJ du CHU de Montpellier, les ASM représentent un peu moins de 7 % des victimes vivantes examinées sur réquisition, pour un bassin de population qui est d'environ 700 000 personnes pour ce qui est des victimes d'agressions sexuelles

Évolution du phénomène dans le temps

Les rares études réalisées montrent que, si l'on rencontre actuellement plus d'ASM, cela n'est pas lié à une augmentation du nombre réel, mais à un plus fort pourcentage de cas signalés. La société en général et les adultes en contact avec les enfants sont devenus beaucoup plus sensibles à leurs paroles. Ce que nous voyons du phénomène ASM n'est que la partie émergée de l'iceberg. Il n'est pas besoin d'insister sur le fait que chaque cas est unique ; cependant, certaines caractéristiques se dégagent, qui permettent de décrire un ASM « typique » et de résumer en une phrase la plupart des facteurs de risque : il s'agit le plus souvent d'une fillette de 7 à 10 ans, victime d'attouchements des régions génitales avec possible introduction du doigt dans le vagin, agissements effectués à plusieurs reprises par son père, souvent dans le cadre d'un droit de visite après un divorce. L'examen général et génito-anal est normal. Ces faits ne seront pas signalés ou, s'ils le sont, ce sera des semaines voire des mois après (fig. 11.1).

Déclaration : 12 ans, non réglée, attouchements de la région anale et génitale répétitifs depuis plusieurs semaines à l'intérieur des sous-vêtements sans notion de pénétration (mais aucune certitude). Examen : hymen intact, semilunaire. Conclusion : sujet vierge, constatation compatible avec les dires… et peut être compatible aussi avec des attouchements avec pénétration digitale !

Vous venez de découvrir un extrait de l'ouvrage Médecine de la violence pour le praticien S’ouvre dans une nouvelle fenêtre

Coordinateur Éric Baccino Professeur des universités, faculté de médecine de Montpellier, chef du service de médecine légale, CHU Lapeyronie, Montpellier

Médecine de la violence pour le praticien S’ouvre dans une nouvelle fenêtre - Pour le praticien d'Éric Baccino. © 2023, Elsevier Masson SAS