Fragilité unguéale
21 septembre 2022
Par Anne Claire Nonnotte
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Fragilité unguéale
Brittle nails
R. Baran a, b, B. Richert b, c, ⁎
a Nail disease Center, Cannes, France b Service de dermatologie, CHU Brugmann – CHU Saint Pierre et Hôpital Universitaire des Enfants Reine Fabiola, Université Libre de Bruxelles, Bruxelles, Belgique c Groupe Ongle de la Société française de dermatologie, Paris, France
⁎Auteur correspondant.
Mots clés : Ongles, Fragilité unguéale, Onychoschizie, Biotine
Keywords : Nails, Brittle nails, Onychoschizia, Biotin
Introduction – épidémiologie
L’ongle est une structure kératinisée de 0,5–1mm d’épaisseur produite par l’épithélium germinatif de la matrice unguéale. Celle-ci kératinise sans formation de couche granuleuse et consiste en 3 couches distinctes :
l’ongle dorsal (0,08–0,1mm d’épaisseur) est engendré par la portion proximale de la matrice. Il est responsable de sa dureté et de son aspect glabre ;
l’ongle intermédiaire (0,3–0,5mm d’épaisseur) est le fruit de la matrice distale. Il est responsable de sa flexibilité ;
l’ongle ventral (0,06–0,08mm d’épaisseur) est produit par le lit unguéal. Il est nécessaire à l’adhérence de la tablette.
Les kératinocytes S’ouvre dans une nouvelle fenêtrede l’ongle sont constitués de 80–90 % de filaments de kératine dure de type capillaire, 10–20 % de filaments de kératine molle de type épithélial orientés dans des directions diverses. Dans la couche du milieu où prédominent les filaments d’α-kératine, leur orientation est perpendiculaire à celle de l’axe de la croissance. Les couches dorsales et ventrales sont composées de filaments de kératine de type épidermique dont l’orientation est parallèle et perpendiculaire à l’axe de croissance de l’ongle [1]. Cette orientation particulière offre à l’ongle sa résistance aux chocs en absorbant ceux-ci dans plusieurs directions. Si la solidité est la capacité que manifeste l’ongle à produire la rupture, la fragilité s’oppose à la dureté, une qualité qui diffère de la rigidité. Alors que la dureté unguéale est une qualité souhaitable, sa rigidité peut en faire un facteur aggravant [2].
Le soufre représente environ 10 % et le calcium jusqu’à 0,2 % du poids de l’ongle. Les ongles sains contiennent près de 5 % de lipides comblant certaines dilatations ampullaires (desmosomes particuliers de la tablette dorsale) et des espaces intercellulaires de l’ongle ventral. Ces lipides, en particulier les acylcéramides couplés aux ponts disulfures de cystine et aux desmosomes, sont considérés comme « cément » intercellulaire et principaux contributeurs à la dureté unguéale. Les ongles normaux contiennent 50 % de lipides et le cholestérol intra-unguéal diminue avec l’âge, plus spécialement chez les femmes post-ménopausées, ce qui suggère l’importance du rôle joué par les lipides dans le développement du syndrome de fragilité unguéale.
Les séquences répétées « hydratation – dessiccation » ont toutes les chances de disloquer les lamelles de lipides intercellulaires. Il en est de même pour l’exposition professionnelle à de nombreuses substances chimiques. L’utilisation excessive de multiples cosmétiques unguéaux et le contact professionnel d’une grande variété de solutions et de solvants sont susceptibles d’entraîner une déshydratation progressive de l’ongle. Enfin, chez l’homme âgé, on observe un ralentissement de la croissance de l’ongle alors que chez la femme on constate une diminution progressive de son contenu lipidique.
La fragilité unguéale est un sujet d’insatisfaction pour 20 % de la population féminine en particulier, tout spécialement au-delà de la cinquantaine [2]. On parle habituellement de fragilité unguéale (terme relativement vague) devant des ongles mous, cassants ou friables et, en dehors de toute étiologie reconnue, de « syndrome de fragilité unguéale idiopathique ».
Présentations cliniques
L’interrogatoire doit s’enquérir de la coexistence d’une fragilité des ongles digitaux et de ceux des orteils.
L’examen local permet de reconnaître le caractère isolé ou non de la fragilité unguéale des doigts avec une atteinte maximale des index et du médius, plus discrète des pouces, exceptionnelle des auriculaires.
La fragilité unguéale comporte plusieurs volets dont les synonymes ne facilitent pas toujours la compréhension :
l’onychorrhexie traduit une fragilité unguéale anormale s’accompagnant de la présence de petits sillons superficiels parallèles creusés dans la partie superficielle de la tablette ;
une fissuration isolée longitudinale de la tablette (Figure 1) ;
une fissuration multiple en dents de peigne ou en créneaux de château-fort (Figure 2) peut engendrer des fragments distaux, parfois triangulaires se détachant facilement du bord libre ;
un dédoublement lamellaire transversal de la tablette distale ou onychoschizie (Figure 3) ;
une fracture d’un bord latéral, voire une fissuration transversale peuvent emporter une partie distale de la tablette non loin de son bord libre (Figure 4) ;
l’usure des ongles, qui apparaissent brillants, comme polis, sur la partie médiane bombée de l’ongle, par friction répétée sur une surface (peau dans le prurit, matériaux divers rencontrés dans la profession par exemple). Elle ne touche habituellement qu’une seule main ;
les « granulations de kératine », (Figure 5) confinées à la surface de la tablette, se présentent sous forme de plages rugueuses blanchâtres évoquant une onychomycose superficielle.
Étiologies
La fragilité unguéale a deux origines : une forme locale, dite également idiopathique, de très loin la plus fréquente, et la forme secondaire, qu’il ne faut pas ignorer.
Forme locale
Les causes locales sont responsables de la majorité des cas de fragilité unguéale où les microtraumatismes répétés viennent en tête, ainsi qu’une hydratation excessive (plus de 18 %) et la manipulation d’agents chimiques divers. Il est important de noter que l’ongle devient cassant au-dessous de 16 % et mou au-delà de 25 % [1, 2]. L’immersion des doigts dans une eau savonneuse avant la manucure couplée aux méfaits de la lime mal utilisée, lorsqu’elle affine le bord libre en biseau, est une cause trés fréquente.
L’usage du triclosan S’ouvre dans une nouvelle fenêtre, antiseptique agressif pour la lame unguéale, est à proscrire. Le lavage des mains, très largement excessif, couplé à l’utilisation des gels hydro-alcooliques dans la cadre de la pandémie de COVID-19 est actuellement une cause très largement majoritaire des patients consultant pour une fragilité unguéale [3].
Les vernis classiques peuvent entraîner des altérations de surface, appelées granulation de kératine, lors de l’application de couches successives sans ablation des couches précédentes (« retouches »). Les vernis gels provoquent des dégâts plus importants car leur suppression exige une immersion dans l’acétone pendant 20mn suivie d’un grattage ou d’un fraisage pour éliminer tout résidu. Les séquelles traumatiques ou chirurgicales peuvent réduire la longueur de la matrice avec pour conséquence un amincissement de la tablette.
Une origine psychique n’est pas rare, les TOC générant souvent des altérations de surface induites par les différents outils utilisés par le patient. Le diagnostic est parfois délicat mais l’onychoscopie est utile en révélant des « lignes en vagues » assez caractéristiques.
Formes secondaires
Onychomycoses à type de leuconychomycose superficielle
Les onychomycoses à type de leuconychomycose superficielle entraînent également des granulations de kératine, avec aspect crayeux et friable de la surface de la tablette unguéale. Le prélèvement par curetage confirme le diagnostic.
Grandes dermatoses classiques
Les grandes dermatoses classiques telles que l’eczéma, le psoriasis, la pelade, le lichen plan et la maladie de Darier sont souvent responsables de fragilité unguéale, ainsi que d’autres affections congénitales ou héréditaires.
Causes générales
Parmi les maladies systémiques on citera : l’anémie hypochrome, diminution du fer sérique ou du coefficient de saturation de la sidérophiline, un trouble du métabolisme de l’arginine d’origine enzymatique qui associe des ongles cassants à une alopécie diffuse (Shelley et Rownsley), les causes médicamenteuses, en particulier les nouvelles thérapies ciblées (Figure 6), l’ibritinib, les intoxications (arsenic par exemple), la GVHD (Graft versus Host Disease), les troubles circulatoires périphériques, l’amylose, l’hypothyroïdie, l’acrokératose paranéoplasique, des maladies infectieuses à retentissement général, enfin certaines carences vitaminiques (A, B6, C…) et les rhumatismes chroniques déformants.
Prise en charge
Rechercher une cause locale avant tout.
Numération et formule sanguines.
La biopsie de l’appareil unguéal à la recherche d’un lichen plan ou d’un psoriasis, est rarement nécessaire, sauf en cas de présentation inhabituelle.
Quelle que soit la cause, une protection locale s’impose de façon permanente avec des gants de fil ou de coton à l’intérieur de gants de plastique ou de vinyle pour tous les travaux ménagers y compris l’épluchage des légumes, des fruits, la manipulation de viande ou de poisson et les shampoings.
Les ongles devront être conservés courts.
La toilette des mains exige l’utilisation de lotions nettoyantes qu’on essuie directement avec une serviette éponge, en l’absence complète de contact avec l’eau ou de savon (Cétaphil lotion nettoyante®).
Traitement
Le traitement de toute fragilité unguéale, d’origine locale comme systémique, consiste en premier lieu à réduire les causes locales (voir prise en charge).
La fragilité unguéale d’origine systémique sera corrigée essentiellement par le traitement de l’affection précipitante.
On peut offrir au patient des compléments par voie orale et des soins locaux pour lui permettre d’améliorer la condition de ses ongles.
Parmi les vitamines dont l’efficacité a été vérifiée la biotine (5–10mg/j au long cours) vient en tête. Une association de silicate d’arginine et de biotinate de magnésium augmenterait la vitesse de croissance unguéale.
La cystine a toujours des supporters. Il en est de même du zinc [2]. Récemment on a montré que le vernis à l’hydroxypropyl chitosan et le polyuréthane à 16 % pourraient jouer un rôle protecteur [1]. Un nouveau vernis au silanediol et au Pistacia lentiscus semble prometteur [4]. Enfin, pour les fractures unguéales, on recommandera l’application de pansements unguéaux en papier de soie ou fibre de verre [6, 2, 5].
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
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Références
[1] Geizhlas S., Lipner S. Brittle nails Advances in nail disease and management Cham: Springer (2021). p. 101–111. [2] Arora P. Brittle Nails Textbook of Onychology New Delhi: Evangel (2021). p. 420–429. [3] Wollina U., Kanitakis J., Baran R. Nails and COVID-19 – A comprehensive review of clinical findings and treatment Dermatol Ther 2021 ; 34 : e15100 [4] Chessa M.A., Iorizzo M., Richert B., et al. Pathogenesis, clinical signs and treatment recommendations in brittle nails: a review Dermatol Ther (Heidelb) 2020 ; 10 : 15-27 [cross-ref] [5] Nanda S., Bansal S. Nail care and nail cosmetics Nail disorders, a comprehensive approach Boca Raton: CRC Press (2019). p. 487–496. [6] Schoon D., Baran R. Cosmetics for abnormal and pathological nails Textbook of cosmetic dermatology Boca Raton: CRC Press (2017). p. 276–286.