Grossesse et exposition médicale
4 septembre 2023
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Grossesse et exposition médicale
À retenir
Les effets malformatifs en cas d'exposition en début de grossesse sont de nature déterministe, ils n'apparaissent qu'au-dessus d'un seuil. L'incidence spontanée des malformations est élevée, 3 % des grossesses à terme, et il s'y ajoute un risque spontané de retard mental de proportion équivalente. Le risque malformatif d'une exposition n'est à considérer que pendant la période d'organogenèse, augmentée de la phase de migration neuronale pour le cerveau. Il faut mémoriser ces phases de sensibilité différente :
J1 à J8 : tout ou rien;
J9 à S9 : sensibilité maximale mais seulement à partir d'un seuil de 200 mGy ;
S9 à S15 : seul persiste un risque de perturbation de la migration à partir d'un seuil de 300 mGy ;
S 15 à S25 : diminution possible du QI au-dessus de 100 mGy.
En radiodiagnostic, ces seuils ne seront pratiquement jamais atteints et l'interruption médicale de grossesse ne sera donc pas justifiée dans la quasitotalité des cas. Le risque cancérogène, de nature stochastique, est théoriquement augmenté par toute exposition in utero. Il doit être présenté en tenant compte du risque spontané de cancer et leucémie entre 0 et 15 ans et sous la forme positive : «la probabilité pour votre enfant de ne pas avoir de cancer était de 997,5/1000, elle est passée à 997/1000». L'exposition des professionnelles en cours de grossesse a fait l'objet d'une analyse et de recommandations très précises par la CIPR. Il n'y a pas lieu de retirer systématiquement une femme enceinte d'un poste exposé au rayonnement si l'on peut s'assurer que la dose reçue par l'enfant du fait de cette activité reste inférieure à la dose «public» de 1 mGy, ce qui est pratiquement toujours le cas. Néanmoins, à la demande de la professionnelle, le médecin peut demander un changement de poste «hors rayonnement» sans avoir à justifier sa décision.
L'exposition aux RX d'une femme enceinte, patiente ou professionnelle engendre très souvent une inquiétude disproportionnée au risque et des conduites inadaptées. La plus extrême de ces conduites aboutira à une interruption de grossesse demandée par une patiente, sinon préconisée par un médecin, pour une exposition en réalité sans risque pour l'enfant à naître. Parfois, au nom d'un principe de précaution dévoyé, on pourra priver une femme enceinte du bénéfice d'un examen diagnostique qui n'aurait eu aucun effet sur l'enfant à naître, au risque de retarder un diagnostic et de laisser évoluer une affection qui ne pourra manquer de retentir sur l'enfant qu'elle porte. Pour les femmes professionnellement exposées, la «mise hors rayons» désorganise parfois le fonctionnement de petites structures et peut engendrer une discrimination à l'embauche et au travail. Ce chapitre envisage les ordres de grandeur de l'exposition en radiodiagnostic, la physiopathologie des risques encourus par l'enfant à naître en fonction de la période de la grossesse, puis la conduite à tenir dans les différentes situations d'exposition, fondée sur les recommandations de la Commission internationale de protection radiologique (CIPR 84).
Doses délivrées par l'exposition médicale
En radiodiagnostic
Radiologie conventionnelle
Le tableau 7.1 donne quelques exemples de doses délivrées par des examens courants, pouvant intéresser, au moins partiellement, l'abdomen d'une femme enceinte. Ces valeurs sont des moyennes pour des installations standard; on doit toujours rechercher l'optimisation, c'est-à-dire l'obtention de l'information au prix de l'exposition la plus faible en utilisant toutes les ressources de son installation (Figure 7.1).
Tomodensitométrie (TDM)
Les doses délivrées au volume exploré en TDM sont en règle plus importantes et plus homogènes qu'en radiographie conventionnelle, en raison de la rotation du tube autour du patient. La dose délivrée doit être appréciée dans le volume entier. Les résultats des publications de dosimétrie du scanner présentent aussi une grande variabilité, moins dispersés cependant que ceux de la radiologie conventionnelle. Ici encore, nous fournissons un ordre de grandeur de la dose délivrée au volume exploré par chaque type d'exploration (Tableau 7.2). Là encore, il s'agit de doses moyennes, très largement abaissables en utilisant les ressources des installations numériques actuelles (Figure 7.2). L'avènement des scanners ultrarapides, multicoupes en acquisition hélicoïdale, a fait disparaître un frein naturel à l'exposition qui était le facteur temps; une exploration du thorax et de l'abdomen peut être effectuée aujourd'hui en 5 secondes et il n'est pas rare de voir des examens ayant comporté trois passages sur le même volume, délivrant ainsi à ce volume des doses supérieures à 60 mGy. En ce qui concerne l'exposition utérine, il faut noter que le scanner, utilisant un faisceau étroitement collimaté, ne délivre de dose significative que lorsque le volume exploré contient l'utérus. Ainsi, un scanner de la tête ou du cou ne délivre pas de dose significative à l'utérus, un scanner thoracique tel qu'il peut être pratiqué pour recherche d'une embolie pulmonaire chez une femme enceinte, délivre, en fin de grossesse, moins de 0,2 mGy à l'utérus. En revanche, si le volume exploré contient l'utérus, l'intégralité de la dose sera délivrée à l'embryon ou au fœtus. Par exemple, pour un scanner pelvien qui délivre 25 mGy au volume, la dose efficace reçue par l'enfant in utero sera de 25 mSv. Si l'examen comporte trois séries, la dose totale sera de 75 mSv.
En médecine nucléaire
En médecine nucléaire, les doses reçues par l'enfant in utero sont différentes en début et en fin de grossesse. Le tableau 7.3 montre que pour la plupart des examens, la dose reçue à l'organisme entier reste faible, inférieure à 5 mSv mais que le réel problème se situe à la thyroïde en cas d'administration d'iode 131. La glande thyroïde est fonctionnelle après la 8e semaine suivant la conception. Une scintigraphie à l'iode 131 réalisée de la 9e semaine au 9e mois induirait une insuffisance thyroïdienne aux conséquences très graves sur le fœtus.
Pour la médecine nucléaire se pose en outre le problème de l'exposition des personnes de l'entourage, donc éventuellement d'une femme enceinte, lorsque le patient n'est plus hospitalisé. En fait, le calcul montre qu'une personne se tenant en permanence à 50 cm d'un patient ayant reçu une dose thérapeutique pour cancer de la thyroïde recevrait une dose totale, jusqu'à décroissance complète (10 semaines), un peu inférieure à 7 mGy. Il est donc très improbable que les conditions de proximité avec une femme enceinte soient telles que la dose reçue par l'enfant in utero puisse atteindre la limite (arbitraire) de 1 mSv fixée pour le public. Néanmoins, pour éviter toute exposition inutile, on recommande à ces personnes d'éviter un séjour prolongé à proximité des femmes enceintes et des enfants.
En radiothérapie
La survenue d'un cancer au cours de la grossesse est une éventualité rare mais non exceptionnelle. La fréquence est d'environ 1 pour 1 000 grossesses, ce qui amène à discuter une éventuelle radiothérapie chez plusieurs centaines de femmes enceintes chaque année en France. Pour les champs de traitement éloignés du pelvis (tête, cou, membre), les doses reçues par l'enfant sont relativement faibles. Elles sont beaucoup plus élevées lorsque le pelvis – ou l'abdomen en fin de grossesse – se trouve en bordure du champ d'irradiation, particulièrement lorsqu'on utilise le rayonnement du cobalt 60, moins bien délimité que celui des accélérateurs. À titre d'exemple, l'exposition fœtale totale due au rayonnement diffusé sera de 30 mGy environ lors de l'irradiation d'une tumeur cérébrale de la mère mais elle pourra atteindre, pour certaines parties du fœtus, 0,5 à 1 Gy lors de traitement d'une maladie de Hodgkin. À l'extrême, les doses délivrées à l'utérus pour le traitement d'un cancer du col sont telles qu'elles pourront entraîner la mort fœtale.
Effets des rayonnements sur la grossesse
Ces effets sont de deux types : un risque malformatif et l'induction de cancer à long terme
Effets malformatifs (tératogenèse)
Trois notions très importantes sont à retenir d'emblée :
ce sont des effets déterministes, qui procèdent de mécanismes de mort cellulaire et qui n'apparaissent qu'au-dessus d'un seuil ;
la sensibilité de l'enfant en formation n'est pas constante au cours de la grossesse ;
l'incidence spontanée de malformations est élevée, 3 % des grossesses. Le retard mental, associé ou non à un syndrome malformatif, a la même incidence de 3 % et ces deux risques sont cumulatifs, pour un risque global de 6 % environ.
Effets potentiels d'une exposition en fonction du stade de la grossesse (Figure 7.3)
Avant l'implantation (J8 ou une semaine post-conception)
Au stade de pré-implantation, l'œuf est au stade de morula. Chacune des cellules qui le constituent est capable de produire un embryon normal. Si une ou plusieurs d'entre elles sont tuées, la multiplication des autres permet de compenser. L'effet d'une exposition obéit donc à la loi du tout ou rien : si toutes les cellules ont été lésées la grossesse s'arrête et n'est même pas décelée (pas de retard de règles). Si les lésions ne portent que sur une partie des cellules, la grossesse se poursuit normalement.
Pendant l'organogenèse (du 9e jour au début de la 9e semaine post-conception)
C'est pendant cette période que la radiosensibilité est la plus forte, particulièrement entre la 3e et la 5e semaine post-conception. Les cellules sont différenciées et se divisent rapidement. La mort d'un groupe de cellules peut occasionner à ce stade l'arrêt de développement, partiel ou total, d'un organe ou d'un membre, engendrant une malformation majeure. Il s'agit d'un risque déterministe qui n'apparaît qu'au-dessus d'un seuil, que la plupart des auteurs situent aux environs de 200 mGy.
Au cours de la maturation fœtale (de la 9e semaine au 9e mois)
En règle générale, les organes sont formés et la mort d'un groupe de cellules ne peut plus causer qu'une malformation mineure ou partielle d'un organe. Une exception importante est le cerveau, qui connaît, jusqu'à la 15e semaine une phase de développement cruciale, celle de la migration neuronale. À partir d'une couche germinative située en profondeur, près des ventricules cérébraux, les neurones migrent vers la superficie pour s'organiser en couches dans le cortex. De nombreux facteurs extrinsèques, dont l'exposition aux rayonnements ionisants, comportent à ce stade un risque de «maldéveloppement» cérébral, se traduisant par un retard mental, associé ou non à une diminution du périmètre crânien. Ce risque de maldéveloppement a un seuil de 300 mGy au moins (CIPR 103, 2007). On estime cependant que des diminutions du QI peuvent apparaître au-dessus de 100 mGy, de la 15e à la 25e SA, avec un risque estimé à 0,01 % par mGy. Rappelons qu'un retard mental (QI < 70) est observé spontanément chez 3 % des enfants.
Effets cancérogènes (carcinogenèse)
À la différence des effets tératogènes, qui sont de type déterministe, liés à la mort cellulaire, les effets cancérogènes sont liés à des modifications non létales (mortelles) de la cellule. Il s'agit ici d'un risque stochastique (aléatoire), qui augmente avec la dose reçue, et pour lequel il n'y a, théoriquement, pas de seuil. L'incidence spontanée des cancers (et leucémies) de l'enfant entre 0 et 15 ans est de deux à trois pour mille. À Hiroshima et Nagasaki, il n'a pas été observé d'augmentation significative des affections cancéreuses chez les enfants dont les mères ont été exposées au rayonnement initial de l'explosion. Dans d'autres études, en revanche, une augmentation statistique du nombre des cancers et notamment des leucémies de l'enfance a été constatée après des expositions in utero de l'ordre de 10 mGy. Les études les plus récentes, extrapolant à partir de fortes doses, estiment l'augmentation du risque à environ 0,05 % pour 10 mGy reçus in utero. Si l'on se réfère au risque spontané de 0,25 % (2,5/1000), une dose de 10 mGy reçue in utero ferait donc passer ce risque à 0,3 % (3/1000). Il faut rappeler que ce mode de calcul par extrapolation de l'effet des fortes doses aux faibles doses, sans tenir compte du débit de dose, ne repose sur aucune preuve scientifique et ne prend pas en compte les possibilités de réparation des dommages du matériel génétique. C'est une estimation délibérément pessimiste, qui a pour principal intérêt de donner la certitude de ne pas sousestimer le risque. Il ne s'agit donc pas d'une probabilité, mais d'une limite supérieure du risque, le risque réel se situant quelque part entre 0 et cette limite supérieure. Quoi qu'il en soit, l'incertitude sur le risque cancérogène est la raison principale pour éviter, dans la mesure du possible, toute exposition in utero et, quand cette exposition est justifiée médicalement, pour la limiter à la dose la plus faible possible compatible avec le résultat diagnostique ou thérapeutique recherché.
Guide de radioprotection en milieu médical Principes et mise en pratique
Les auteurs
Yves-Sébastien Cordoliani Professeur agrégé du Val-de-Grâce, ancien chef de service de radiologie et imagerie médicale de l'hôpital du Val-de-Grâce Jean-François Chateil Professeur des universités, praticien hospitalier, ancien chef du service d'imagerie anténatale de l'enfant et de la femme, CHU de Bordeaux Hubert Ducou le Pointe Professeur des universités, praticien hospitalier, chef du service de radiologie et imagerie médicale de l'hôpital d'enfants Armand-Trousseau, APHP, Sorbonne Université, Paris
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Guide de radioprotection en milieu médical. S’ouvre dans une nouvelle fenêtre Principes et mise en pratique, d'Yves-Sébastien Cordoliani. © 2023 Elsevier Masson SAS