Le guide pratique infirmier en psychiatrie
15 février 2025
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Plan de l'ouvrage
Partie I Prérequis concernant la santé mentale Section A Éléments d’introduction Section B Les mécanismes psychopathologiques selon les principaux modèles d’analyse des troubles psychiques Section C Structures de personnalité et troubles de la personnalité Section D Sémiologie psychiatrique Section E Éléments thérapeutiques en santé mentale Partie II Pathologies de l’adulte et prise en soins spécifique Section F Les névroses Section G Les psychoses Section H L’organisation limite (ou astructuration limite) Section I Les pathologies relevant de diverses structures Partie III Pathologies de l’enfant et prise en soins spécifique Section J Éléments d’introduction Section K Les pathologies de la petite enfance Section L Les pathologies de l’enfant de 4 à 12 ans Section M Pathologies de l’adolescent
Nous vous invitons à lire le chapitre 32 État maniaque/épisode maniaque de la Section I Les pathologies relevant de diverses structures.
Chapitre 32 État maniaque/épisode maniaque
Définition
L’épisode maniaque se caractérise par la présence d’une humeur expansive, persistante avec une augmentation anormale de l’activité, persistant presque tous les jours ou au moins 4 jours.
L’épisode maniaque constitue une urgence psychiatrique du fait d’un risque de mise en danger de la personne par elle-même.
Symptômes
Au cours de la période de perturbation de l’humeur, la personne peut exprimer un certain nombre de symptômes de façon plus ou moins forte, l’impact sur la vie sociale et professionnelle étant le plus souvent très marqué (quand les symptômes sont importants).
Tableau 32.1.
Symptômes | Manifestations spécifiques | |
---|---|---|
1 | Humeur euphorique, expansive ou irritable durant une période nettement délimitée, marquant un changement notable avec le comportement habituel | Enthousiasme sans limite, sensation d’être au sommet du monde, théâtralité |
2 | Augmentation de l’estime de soi/idées de grandeur | Confiance en soi exagérée, mégalomanie |
3 | Réduction du besoin de sommeil/ absence de sommeil | Avec sensation de se sentir reposé et plein d’énergie |
4 | Désir constant de parler (logorrhée) | Discours rapide, permanent, bruyant, calembours, plaisanteries, impertinences |
5 | Fuite des idées | Discours désorganisé, sauts du coq à l’âne |
6 | Distractibilité | Attention trop facilement attirée par les stimuli extérieurs, avec incapacité à censurer les stimuli externes de moindre importance |
7 | Hyperactivité orientée vers un but (social, professionnel, sexuel) ou agitation psychomotrice | Engagement dans de multiples activités, activité stérile |
8 | Activités à potentiel élevé de conséquences dommageables | Vente impulsive de biens, activités sexuelles inconséquentes, achats compulsifs, dons irréfléchis… |
À noter L’épisode maniaque peut avoir des caractéristiques psychotiques : présence de délire (à thème d’idées de grandeur, d’invulnérabilité, de persécution) ou d’hallucinations.
Comprendre le processus psychopathologique à l’œuvre chez la personne en épisode maniaque
Selon le modèle analytique, l’épisode maniaque constituerait une défense contre la dépression, l’hyperactivité et l’euphorie servant à masquer ou compenser des sentiments douloureux, permettant de nier une expérience de perte ressentie comme insupportable. L’épisode maniaque pourrait également représenter une régression à un stade plus primitif de développement psychique où prévalaient toute-puissance et absence de différenciation entre soi et l’autre. En recourant à ces mécanismes de défense primitifs, l’épisode maniaque constituerait donc une tentative de régler des conflits inconscients. Des perturbations dans la dynamique d’attachement pourraient également entrer en ligne de compte, des expériences d’attachement insécurisant ou traumatisant pourraient générer des tentatives de surcompensation à travers des comportements maniaques.
Les sciences cognitives, y compris la neuropsychologie, abordent la manie principalement sous l’angle des processus de pensée et des structures cérébrales. Selon ces perspectives, les causes de la manie semblent liées à des dysfonctionnements neurobiologiques avec anomalies dans certaines régions du cerveau liées au dysfonctionnement de neurotransmetteurs (dopamine, sérotonine, noradrénaline). Par ailleurs, des facteurs de stress environnementaux en tant que déclencheurs ont également été mis en évidence (chocs émotionnels). Les schémas de pensée s’exprimant chez la personne en épisode maniaque sont ceux de droits personnels, de manque de contrôle de soi et de dominance.
Accompagnement thérapeutique de la personne en épisode maniaque
Identification des diagnostics infirmiers
Les diagnostics infirmiers se concentrent sur les aspects comportementaux et émotionnels significatifs du trouble et de leurs conséquences.
Tableau 32.2.
Diagnostics infirmiers | Caractéristiques |
---|---|
Contrôle émotionnel instable | Risque de passage à l’acte, de crise clastique, de crise de colère si contrarié dans ses souhaits Euphorie, attitude mégalomaniaque, etc. |
Comportements à risque | Activités sexuelles hasardeuses, vente ou achats inconsidérés, blessures, mises en danger… |
Isolement social | Rejet social dû à l’intensité de la personne dans ses interactions |
Déficit de soins personnels | L’hyperactivité et la distraction peuvent générer une négligence des activités de soins quotidiens, des repas, etc. |
Altération du sommeil | Perte du besoin de dormir |
Non-respect du traitement | La personne ne reconnaît pas la nécessité de prendre un traitement, car elle se sent bien telle qu’elle est |
Attitudes à développer face à la personne en épisode maniaque
Tableau 32.3.
Mots clés de l’accompagnement de la personne en épisode maniaque Contenance Calme Protection Mise en mots du vécu en post-crise
La contenance doit souvent passer par un isolement sensoriel (isolement thérapeutique) afin d’éviter les stimuli externes que la personne n’arrive pas à gérer, réagissant à tout, la mise en place d’un traitement sédatif, en injectable la plupart du temps du fait de la non-compliance aux soins.
Le calme des soignants est essentiel pour ne pas en ajouter à la montée en pression.
La protection est opérante par le biais de mesures spécifiques : hospitalisation sous contrainte, isolement, mesures de protection administratives (tutelle).
Une fois la personne plus calme, il est important de prendre des temps d’écoute afin qu’elle pose son vécu émotionnel de crise, dont elle se souvient parfaitement la plupart du temps.
Répondre aux besoins psychologiques de la personne en épisode maniaque
La personne histrionique présente trois besoins psychologiques essentiels : un besoin de contenance et de mise en sécurité, un besoin de verbalisation et de mise en sens du vécu (soutien émotionnel) et un besoin d’apprentissage de la gestion de soi dans la maladie. Dans les cas de rejet familial, apparaît également un besoin de renouer des liens apaisés avec la famille.
Tableau 32.4.
Besoins psychologiques | Actions relationnelles durant la phase aiguë |
---|---|
Besoin de contenance et de mise en sécurité | Interventions à visée de pare-excitation Les actions de pare-excitation sont de deux ordres et sont réalisées de façon concomitante : – Mise en place d’un cadre protecteur : l’état d’agitation aigu nécessite un isolement thérapeutique d’urgence avec une surveillance intensive des états psychique et physiologique : tension artérielle, état de conscience, température, diurèse. → Il permet un arrêt des stimulations externes et a un fort rôle contenant – Mise en place d’un traitement neuroleptique injectable à visée de pare-excitation |
Actions relationnelles en post-crise | |
---|---|
Besoin de verbalisation et de mise en sens du vécu Soutien émotionnel | – Entretiens d’aide thérapeutiques → En post-crise, la personne a besoin de verbaliser son vécu. Les entretiens l’aident à formuler son ressenti, préciser ses pensées (étayage sur la pensée qui diminue son état d’angoisse et de mal-être interne) |
Besoin d’apprentissage de la gestion de soi dans sa maladie | – Expliquer à la personne sa maladie, et la nécessité pour elle d’avoir une bonne hygiène de vie : rythme de vie régulier, évitement de situations de stress, sport, sorties au soleil (rôle sur la thymie en prévention des phases dépressives) ; de repérer les signes avant-coureurs de la crise maniaque (insomnie + agitation) et de consulter en urgence s’ils apparaissent – Aider au renforcement de ses routines de vie, encourageant et soutenant la personne dans le maintien de routines régulières (sommeil, repas, activités) qui vont contribuer à stabiliser son humeur – Apprentissage de méthodes de gestion de stress |
Besoin de renouer des liens apaisés avec sa famille | – Régulièrement, il y a rupture de relation avec la famille, du fait de celle-ci, les comportements exaltés de la personne lors d’épisodes maniaques récurrents n’étant plus tolérés. Il s’agit alors d’aider la famille à renouer avec leur parent, des liens gérables pour elle. Un temps d’écoute des souffrances des proches peut être nécessaire |
La difficulté de la relation soignante avec la personne en épisode maniaque La relation avec la personne est très compliquée :
parce qu’elle est hors d’atteinte d’un point de vue cognitif, incapable d’entendre un quelconque argument ;
parce qu’elle est non compliante aux soins qui lui sont nécessaires et que le recours à la contrainte est quasi systématique.
Actions à éviter
Laisser la personne déambuler dans le service, livrée à elle-même : il y a potentialisation de l’agitation (par toutes les stimulations externes qu’elle reçoit) et elle risque d’affoler les autres patients.
Trop parler, essayer de la raisonner : elle est hors d’atteinte relationnellement. Lors de la mise en chambre d’isolement qu’elle conteste, dire simplement : « Vous êtes malade, vous nécessitez des soins et de la protection. »
Dire des paroles désobligeantes (parfois la personne, désinhibée, nous attaque rudement, nous insulte). Une fois revenue de son état maniaque, elle se souvient souvent de tout ce qui lui a été dit.
Traitement médicamenteux
Des neuroleptiques sont dispensés en injectable et en début de traitement, du fait de la non-compliance : loxapine (Loxapac®), cyamémazine (Tercian®). Par ailleurs, un traitement du trouble bipolaire combine généralement des médicaments stabilisateurs de l’humeur tel le lithium.
Évolution du trouble
Le début des troubles se situe souvent vers les 30 ans mais la pathologie peut intervenir à tous les âges de la vie, y compris à des âges tardifs (60 ou 70 ans).
Les épisodes maniaques débutent de façon soudaine, le plus souvent, avec une aggravation rapide de la symptomatologie.
Ils durent de quelques semaines à plusieurs mois.
Dans presque la moitié des cas, un épisode dépressif précède ou suit directement l’épisode maniaque, sans phase de rémission symptomatique.
Les complications sont le plus souvent liées aux comportements « débordants » de la personne : pertes financières (dépenses faramineuses, vente de biens de façon inconsidérée, etc.), prise de distance des proches (cette pathologie est très usante nerveusement et affectivement pour l’entourage), perte du travail.
L’apparition tardive du trouble doit faire rechercher la présence d’une pathologie somatique éventuelle.
Après un premier accès maniaque, il y a récidive dans plus de 90 % des cas.
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Exemple d’accompagnement d’une personne en épisode maniaque aigu
M. L., 45 ans, a été conduit aux urgences par la police qui l’a trouvé errant sur la voie publique, dans un fort état d’agitation, à demi-nu, en plein hiver. Un diagnostic d’état maniaque est posé par le médecin des urgences qui demande un transfert immédiat en service de psychiatrie et fait un certificat demandant le placement de M. L. en SPDTU (soins psychiatriques à la demande d’un tiers en urgence).
À son arrivée dans le service, celui-ci est accompagné par deux agents de sécurité qui le maintiennent pour contenir son agitation qui est extrême. Il est vêtu de façon débraillée, chante à tue-tête, passe de l’euphorie à l’agressivité verbale, prenant tout le monde à partie. Il parle sans cesse, saute du coq à l’âne, fait des jeux de mots, hurle qu’il veut qu’on le lâche « pour pouvoir aller marcher sur la gouttière du toit comme un chat », affirme qu’il ne prendra aucun médicament, etc. Le psychiatre de garde est présent. Il demande une mise en chambre d’isolement immédiate et prescrit un traitement à base de neuroleptiques en injectable à visée de sédation de l’agitation.
M. L. est accompagné de force vers la chambre d’isolement, contenu par le personnel de sécurité qui a été appelé en renfort.
Le personnel de sécurité joue un rôle de pare-excitation, empêchant le patient de mettre en acte ses pulsions devenues incontrôlables. Il assure la sécurité du patient, du soignant et garantit la sécurité de la relation soignant-soigné.
Fixant Marc, l’infirmier qui tient le plateau contenant sa future injection, M. L. hurle : « Vous êtes un nazi ! Je refuse toute expérimentation sur mon corps ! Barrez-vous ! » Tout en continuant à l’accompagner vers la chambre d’isolement, alors qu’il est fermement maintenu par les agents de sécurité, Marc lui répond simplement et très calmement : « Je m’appelle Marc, je suis infirmier. Vous êtes malade et avez besoin de soins. » M. L. réitère ses accusations, insulte Marc, mais celui-ci s’abstient de répondre, restant très calme et présent dans le regard.
Mettre une personne en isolement thérapeutique dans la contrainte est toujours un acte difficile à réaliser pour la personne qui subit ce soin et pour ceux qui le dispensent. Il est donc important de remettre cet acte dans une dynamique de sens : la mise en isolement est un soin et non une punition ou un enfermement abusif dans un contexte de contrainte exercée sur autrui.
Une fois M. L. déshabillé (contre sa volonté) et mis en pyjama, Marc fait l’injection, M. L étant contenu par quatre personnes. Celui-ci réitère ses accusations et Marc lui répète que son état nécessite des soins et qu’il est là pour l’aider.
Le traitement injectable fait effet rapidement et M. L. s’endort. L’équipe soignante met alors en place une surveillance intensive : relevé des paramètres, évaluation de l’état somatique de la personne (visuellement à travers la vitre de la chambre et en entrant dans celle-ci au minimum trois fois par jour), surveillance des selles et de la diurèse, surveillance des apports hydriques et alimentaires. L’état d’agitation de M. L. diminue.
Après la sortie d’isolement, Marc propose à M. L. de le voir en entretien. Il accueille son vécu, sa souffrance, et l’aide à mettre des mots et du sens sur ce qu’il vient de traverser.
Le guide pratique infirmier en psychiatrie © 2024 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés, y compris ceux relatifs à la fouille de textes et de données, à l’entraînement de l’intelligence artificielle et aux technologies similaires.
Auteurs
Solange Langenfeld Serranelli, auteur principal de l’ouvrage, est Directrice de l’organisme de formation Compétences Formations, formatrice en soins infirmiers dans les hôpitaux et Infirmière de secteur psychiatrique.
Jacky Merkling, auteur de la partie pédopsychiatrie, est cadre supérieur de santé, formateur en Institut de Formation des Cadres de Santé (IFCS) et consultant en formation continue.
Aurélien Cornil, auteur des chapitres concernant les troubles des conduites alimentaires et les troubles liés à une substance et troubles addictifs, est Docteur en psychologie, psychologue clinicien et chargé de cours à l’Université de Liège.
Le guide pratique infirmier en psychiatrie ISBN 9782294779688 2e édition, 2024