Comment je fais un scanner simple énergie pour embolie pulmonaire aiguë (EPA) ?
France | 4 juin 2019
Par Anne-Claire Nonnotte
Comment je fais un scanner simple énergie pour embolie pulmonaire aiguë (EPA) ?
How to do a single-energy CT scan for acute pulmonary embolism (APE) ?
P. Felloni S. Khung M. Rémy-Jardin
Service d'imagerie thoracique, hôpital Calmette, boulevard Jules-Leclercq, 59037 Lille cedex, France
Auteur correspondant : M. Rémy-Jardin, Service d'imagerie thoracique, hôpital Calmette, boulevard Jules- Leclercq, 59037 Lille cedex, France.
RÉSUMÉ
La réussite d'une angioscanographie simple énergie pour recherche d'EPA utilise un très grand nombre de paramètres, tous d'égale importance. Depuis l'introduction du mode d'acquisition spiralée (hélicoïdale), ils se sont perfectionnés au point d'en faire maintenant un examen fiable, aux échecs peu fréquents à la condition d'une technique rigoureuse.
© 2018 Société française de radiologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
SUMMARY
When chest CT angiography is indicated for acute pulmonary embolism, the scanning protocol of single-energy acquisitions has to be chosen with great interest in parameters ensuring artifactfree images and optimal opacification of all thoracic circulations. Since the introduction of multidetector-row CT, technological advances have made possible to reach a diagnostic image quality in the vast majority of patients. © 2018 Société française de radiologie. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
La fréquence du dépistage de l'EPA a changé depuis l'avènement du scanner : on en trouve moins puisqu'on en recherche plus souvent, et on en trouve plus auxquelles on ne s'attendait pas. La prévalence varie d'un centre à l'autre, mais a globalement chuté de- puis l'utilisation de l'angioscanographie comme outil diagnostique de référence. Elle est actuel- lement de l'ordre de 15 à 20 %, chiffre modulé selon le recrutement de chaque centre radio- logique. L'objectif de ce document concerne la prise en charge d'un patient adulte adressé pour suspicion d'embolie pulmonaire aiguë. Conformément au titre de cette rubrique, seule les techniques d'acquisition, d'injection et de reconstruction seront traitées à la lumière des données de la littérature et de notre expé- rience clinique au quotidien [1–4].
EXAMINER ATTENTIVEMENT LA DEMANDE
On peut y trouver des informations qui vont conditionner la technique ou l'analyse de l'examen :
état cardiaque et respiratoire ;
antécédent thromboembolique ;
fonction rénale ;
tolérance iodée des examens antérieurs.
PRENDRE EN COMPTE LE PATIENT DANS SA GLOBALITÉ
Il faut évaluer sa condition respiratoire et son morphotype qui peuvent influer la qualité ou la technique d'acquisition. Une radiographie thoracique récente, sinon le mode radio systématiquement acquis avant l'angioscanographie, vont contribuer au choix des paramètres d'acquisition en intégrant le morphotype du patient, l'existence d'une maladie préexistante ou la présence de signes nouvellement apparus. La voie veineuse, centrale ou périphérique, sa fragilité selon l'âge du patient et les traitements en cours, la fonction rénale, les performances du scanner ainsi que la notion d'hypertension pulmonaire vont conditionner la quantité de produit de contraste, le débit d'injection et la concentration iodée choisie. L'objectif est d'obtenir une atténuation optimale de tous les compartiments vasculaires du thorax (Fig. 1). Il est, de plus, nécessaire d'envisager en 2017 deux situations selon que le radiologue dispose de la scanographie simple ou double énergie.
ANGIOSCANOGRAPHIE SIMPLE ÉNERGIE
Apnée ou pas ?
La recommandation classique pour un scanner thoracique reste l'acquisition en fin d'apnée inspiratoire ; cette recommandation reste d'actualité pour toute recherche d'EPA et sera modulée en fonction de l'existence d'une douleur thoracique. Les performances en résolution temporelle des scanners les plus récents ont fait entrevoir l'acquisition de la hauteur thoracique en respiration indifférente tout en conservant une qualité image diagnostique. L'apnée inspiratoire peut être responsable d'une interruption du bolus de produit de contraste au cours d'une manoeuvre de Valsalva involontaire ; une façon simple de l'éviter est de ne pas suggérer au patient de « bloquer » la respiration, situation souvent associée au Valsalva. Si cette interruption du contraste s'est produite, il faut envisager une 2e acquisition avec nouveau bolus de produit de contraste en demandant une apnée inspiratoire moins profonde ; ce deuxième examen sera obtenu avec un kilovoltage plus bas et/ou en augmentant la concentration iodée pour assurer sa réussite (Fig. 2). L'acquisition en respiration indifférente évite ce risque, mais elle a de nombreux inconvénients. En effet, la symptomatologie clinique faisant suspecter une embolie pulmonaire n'a rien de spécifique ; aussi, l'angioscanner initialement réalisé pour recherche d'EPA peut, in fine, découvrir une autre cause aux symptômes du patient imposant une qualité optimale pour tout examen. Rappelons que les normes jusqu'à présent établies pour l'analyse morphologique du poumon, des axes bronchiques et artériels sont basées sur l'apnée inspiratoire et qu'elles sont grandement modifiées sur des examens acquis à faible ampliation avec leurs risques de faux positifs lésionnels.
Produit de contraste
Pour un adulte de 70–80 kilos, 80 mL d'un produit à 300 mg/mL soit 24 g d'iode représente la quantité habituellement injectée. L'évolution de la technologie TDM vers des durées d'acquisition très courtes a vu diminuer le volume administré aux alentours de 50 mL. Le débit d'injection est le plus souvent de 4 mL/s pour une voie veineuse de bon diamètre ; il peut être diminué en cas d'utilisation d'une voie veineuse très distale, comme par exem- ple au dos de la main. Le monitorage du rehaussement iodé pour déclencher l'acquisition est fortement conseillé car il est le garant d'une acquisition au temps de rehaussement optimal de la circulation pulmonaire. Deux options sont possibles selon l'endroit où sera positionnée la région d'intérêt : tronc pulmo- naire ou aorte ascendante tel qu'abordé ci-après. Le rinçage des vaisseaux parcourus par le bolus iodé par du sérum phy- siologique est recommandé. Il minimise les artefacts iodés résiduels dans la veine cave supérieure et ses afférences sans toutefois les éliminer complètement.
Acquisition craniocaudale ou caudocraniale
Les deux options sont possibles et tout à fait indifférentes chez les patients pouvant maintenir une apnée de 5 à 10 secondes. Pour les patients dyspnéiques qui risquent de ne pouvoir assurer une immobilité stricte du thorax, il est préférable de réaliser une acquisition caudocraniale. En effet, l'apnée sera toujours tenue en début d'acquisition donc les lobes inférieurs, siège préférentiel des embols cruoriques, seront toujours interprétables. En outre, l'ampliation thoracique des sommets étant moindre qu'aux bases, une apnée interrompue dans les lobes supérieurs sera source d'artefacts moins gênants que dans les bases.
Paramètres d'acquisition
La diversification des équipements scanographiques chez un même constructeur et d'un constructeur à l'autre ne permet pas de conseiller des paramètres d'acquisition applicables à chaque machine. L'objectif est donc de proposer des grands principes d'acquisition qui doivent ensuite être adaptés par l'opérateur aux spécificités de son propre équipement. Ainsi, la recherche d'une EPA impose le choix de la collimation la plus fine et de reconstructions de coupes millimétriques. Il est actuellement bien établi qu'une angioscanographie à bas kilovoltage, choisi en fonction du morphotype du patient, est une option très efficace pour assurer un rehaussement optimal de l'iode dans le compartiment vasculaire. Chez les patients dont l'indice de masse corporelle est normal ou faible, le choix se porte le plus souvent entre 80 et 100 kV, réservant les acquisitions à plus haut kilovoltage aux patients en surpoids et/ou obèses. Acquérir une angioscanographie thoracique au temps de recirculation est actuellement discuté dans un but de réduction des artefacts de durcissement du rayonnement autour de la veine cave supérieure renfermant un produit de contraste très concentré. Cette option n'est cependant pas conseillée pour le diagnostic d'embolie pulmonaire sauf si le morphotype du patient et les capacités du couple tube-générateur permettent d'utiliser des bas kilovoltages, de l'ordre de 70 kV qui autorisent des rehaussements diagnostiques dans les artères pulmonaires. Ce protocole a beaucoup d'avantage lorsqu'une EPA est suspectée chez un patient adressé d'un milieu d'oncologie. En effet, le temps de recirculation égalise un contraste élevé dans les quatre compartiments vasculaires du thorax :
veine cave supérieure et ses afférences ;
artères pulmonaires centrales et périphériques ;
veines pulmonaires et atrium gauche ;
aorte et ses branches.
Il peut être étendu à l'hépatographie portale et à l'étude de l'angiogénèse tumorale dans une population dont la fréquence des embolies pulmonaires asymptomatiques est 4 à 6 fois plus élevée. Le choix du temps de rotation pour l'angioscanographie thoracique doit toujours s'orienter vers le temps de rotation le plus court possible sur la machine dont on dispose. Il permet la plus grande rapidité d'acquisition de la hauteur thoracique, donc le temps d'apnée le plus court. Il réduit par ailleurs les artefacts de mouvement chez les patients tachycardes. Enfin, il est recommandé d'acquérir tout le volume pulmonaire en activant le système de modulation automatique du milliampérage qui fait partie de l'arsenal actuel d'optimisation des doses d'irradiation délivrées en TDM.
Où mettre le ROI ?
La plupart des radiologues placent le ROI dans le tronc artériel pulmonaire et déclenchent l'acquisition à 100–150 UH de rehaussement. Il y a ensuite un temps de latence entre le rehaussement observé dans le tronc pulmonaire et le début de l'acquisition cranio-caudale (ou caudo-craniale) qui varie selon les machines. Le ROI aortique laisse plus de temps aux cavités cardiaques droites de mélanger le sang opacifié de la veine cave supérieure et celui non opacifié de la veine cave inférieure. Ce délai combiné à une acquisition caudo-craniale atténue l'excès de produit de contraste dans l'atrium droit, le durcissement consécutif du rayonnement, et permet très souvent la recherche d'un thrombus dans le coeur droit, sans avoir recours à une 2e acquisition. La Fig. 1 illustre l'intérêt d'une qualité optimale d'opacification vasculaire, garant d'une identification aisée des caillots endoluminaux.
Volume injecté, lieu et débit d'injection
Le choix de ces paramètres va dépendre de la voie veineuse et de la machine utilisée. Comme rappelé plus haut, le volume habituellement injecté de 70–80 mL d'un produit concentré à 300 mg/mL, mais le volume minimum peut descendre à 20 mL. Le débit d'injection le plus habituel est de 4 mL/s avec une injection au pli du coude. Le produit de contraste est le plus souvent propulsé par un bolus de 30 à 50 mL de sérum physiologique, dont le double effet est de tirer bénéfice de la totalité de la colonne iodée et de réduire les artefacts veineux systémiques. Ces recommandations peuvent être modifiées par différentes conditions hémodynamiques. Si l'acquisition est réalisée en respiration indifférente, les résistances vasculaires pulmonaires sont basses ; il est alors possible d'administrer un produit plus concentré et/ou d'augmenter le débit d'injection. Le bolus de produit de contraste peut être dévié vers l'atrium gauche au travers d'un foramen ovale perméable au cours d'une manoeuvre de Valsalva ; comme discuté précédemment, la deuxième injection utilisera alors un produit plus concentré. Si le patient est connu pour hypertension pulmonaire ou dysfonction du coeur droit, il faudra être attentif à baisser le volume total administré et le débit d'injection pour assurer une bonne tolérance de l'examen. L'existence d'un épanchement pleural ou d'une condensation pulmonaire massive peuvent augmenter unilatéralement les résistances vasculaires pulmonaires et rendre le flux vasculaire pulmonaire asymétrique. C'est dans ces circonstances qu'un ROI dans l'aorte ascendante sera le garant d'une angioscanographie globalement réussie. Une voie veineuse centrale peut être utilisée, si elle n'est pas en position ectopique. Il faut également s'assurer du débit maximal autorisé par la voie centrale. En position orthotopique, rappelons qu'une voie veineuse centrale raccourcit le délai entre le début de l'injection et le déclenchement de l'acquisition. En cas de contre-indication absolue à l'injection de produit de contraste, il est recommandé de faire l'acquisition du thorax sans injection. Elle peut révéler l'hyperdensité de caillots récents très proximaux, des séquelles thromboemboliques ou des diagnostics alternatifs.
Collimation et épaisseur de coupes reconstruites
La nécessité d'étudier les artères pulmonaires centrales, mais également les plus périphériques justifie d'étudier la circulation pulmonaire en coupes millimétriques. Ces dernières sont également indispensables à l'analyse des autres compartiments anatomiques du thorax non seulement à la recherche de diagnostics alternatifs, mais également parce qu'une EPA est à rechercher dans un contexte d'exacerbation de maladies pulmonaires préalablement connues telles qu'une BPCO ou une maladie infiltrante diffuse. Enfin, rappelons qu'il n'est pas rare de diagnostiquer une EPA sur un terrain de thromboembolie chronique méconnue nécessitant également la meilleure résolution spatiale.
Dosimétrie
L'angioscanographie pour recherche d'embolie pulmonaire aiguë obéit aux niveaux de référence diagnostique. La dose d'irradiation varie énormément avec la sophistication de l'équipement. L'introduction des reconstructions itératives effondre les doses dans des proportions spectaculaires de 50 à 70 % selon les techniques et les constructeurs.
Cas particulier de la femme enceinte
L'augmentation du volume sanguin circulant et l'hyperdébit cardiaque sont autant de facteurs conduisant à une angioscanographie de qualité moyenne. Pour éviter ces écueils, il est recommandé de travailler à bas kilovoltage, avec un produit à 350 mg d'iode/mL et un débit d'injection augmenté (4 mL/s). La hauteur du thorax balayé peut exclure les apex et les culde- sacs postérieurs. Enfin, il est recommandé d'acquérir l'examen en apnée après un mouvement respiratoire de faible ampliation.
Point à retenir
La réalisation d'un angioscanner pour EPA est toujours évolutive. Chaque progrès technique contribue à son amélioration
Cas particulier de la double énergie
La pratique de l'angioscanographie double énergie modifie profondément l'usage des paramètres d'acquisition, d'injection et de reconstruction ci-dessus abordés. Même pour celui qui ne dispose pas de cet équipement, la connaissance de ces modifications peut l'amener à perfectionner sa maîtrise de la simple énergie. Ce cas particulier sera abordé dans le chapitre suivant.
Déclaration de liens d'intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts.
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RÉFÉRENCES [1] Sista AK, Kuo WT, Schiebler M, Madoff DC. Stratification, imaging, and management of acute massive and submassive pulmonary embolism. Radiology 2017;284:5–24. [2] Rémy-Jardin M, Pistolesi M, Goodman LR, Gefter WB, Gottschalk A, Mayo JR, et al. Management of suspected acute pulmonary embolism in the era of CT angiography: a statement from the Fleischner Society. Radiology 2007;245:315–29. [3] Konstantinides SV, Torbicki A, Agnelli G, Danchin N, Fitzmaurice D, Humbert M, et al. 2014 ESC guidelines on the diagnosis and management of acute pulmonary embolism. Eur Heart J 2014; 35:3033–80. [4] Albrecht M, Bickford MW, Nance JW, Zhang L, De Cecco CN, Wichmann JL, et al. State-of-the-art pulmonary CT angiography for acute pulmonary embolism. AJR 2017;208:1–10.