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Influence des facteurs antinutritionnels et des techniques culinaires sur la biodisponibilité des nutriments

26 juin 2023

Par Anne Claire Nonnotte

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Nous vous proposons de découvrir un article de la revue Pratiques en Nutrition

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Influence des facteurs antinutritionnels et des techniques culinaires sur la biodisponibilité des nutriments

Influence of anti-nutritional factors and cooking techniques on the bioavailability of nutrients

Cindy Rojot : Diététicienne 7 rue Ernest-Cresson, 75014 Paris, France

Résumé

À l’éternelle question concernant l’effet de l’alimentation sur la santé s’ajoute désormais la problématique de la durabilité du régime alimentaire. Dans ce contexte, la notion de la biodisponibilité est devenue un sujet incontournable. Les recherches en sciences de la nutrition permettent de mieux comprendre l’effet de la physiologie digestive – et de ses variabilités interindividuelles – et celui de la matrice alimentaire sur la biodisponibilité des nutriments.

In addition to the eternal question of the effect of food on health, the issue of the sustainability of the diet has become an important one. In this context, the notion of bioavailability has become an inescapable subject. Research in nutritional sciences is leading to a better understanding of the effect of digestive physiology - and its inter-individual variability - and the effect of the food matrix on the bioavailability of nutrients.

Mots clés : antinutriment, biodisponibilité, facteur antinutritionnel, nutriment, technique culinaire

Keywords : antinutrient, antinutritional factor, bioavailability, cooking technique, nutrient

L’intérêt des consommateurs pour leur régime alimentaire est croissant. Les interrogations vis-à-vis de l’alimentation – ses effets sur la santé et sur l’environnement –, conduit de nombreuses personnes à modifier leurs habitudes, qu’elles concernent le choix des aliments ou les modes de préparation. L’essor de régimes, parfois restrictifs sur le plan énergétique et/ou vis-à-vis du panel d’aliments consommés, appelle les professionnels de la nutrition à s’intéresser aux alternatives diététiques pour répondre aux besoins nutritionnels individuels. Dans un régime végétarien, par exemple, la question des apports en fer, de son assimilation et de sa biodisponibilité se pose. L’analyse de la situation alimentaire de l’individu doit donner lieu à des recommandations diététiques adaptées.

La diététique a longtemps fondé son résonnement sur le concept de densité nutritionnelle et énergétique. Le calcul de la densité nutritionnelle repose sur le ratio de la teneur en un ou plusieurs nutriments sur l’apport en énergie. Il permet d’identifier les aliments qui sont riches en macronutriments et/ou micronutriments ; les effets de chaque nutriment sont examinés. L’intérêt est de permettre aux consommateurs de choisir une alimentation plus abondante en substances favorables à la santé. Néanmoins, le concept de densité nutritionnelle ne tient pas compte du coefficient d’utilisation digestive (CUD) des nutriments. Autrement dit, il se concentre sur la quantité apportée et non sur la quantité assimilée par l’organisme. Cette approche qui consiste à réduire la valeur nutritionnelle d’un aliment à sa teneur en nutriments et à considérer ces derniers isolément, s’appelle le réductionnisme nutritionnel [1]. Au-delà du CUD se pose la question de la part des nutriments absorbés qui sera potentiellement utilisable par l’organisme. La biodisponibilité se définit comme la proportion de nutriments d’un aliment ingéré qui est absorbée et qui peut donc être utilisée pour les fonctions physiologiques.

Rôle du système digestif dans la biodisponibilité

L’alimentation fournit à l’organisme les nutriments indispensables à une bonne santé. L’assimilation correspond à leur digestion et à leur absorption. Dès la mise en bouche, l’individu met en jeu des facteurs personnels qui agissent sur leur biodisponibilité.

En premier lieu, le système digestif se charge de digérer les aliments pour en libérer les nutriments. La mastication, la transformation mécanique et chimique du bol alimentaire par l’estomac, la vidange gastrique, l’activité du pancréas, du foie et de la vésicule biliaire sont autant de facteurs susceptibles, individuellement, de modifier la mise à disposition des nutriments dans l’intestin, qui amorce ensuite leur absorption. L’état de la muqueuse intestinale et son fonctionnement physiologique modulent leur passage dans le sang.

À ce stade, le rapport entre la quantité de nutriments apportés à l’intestin et celle qui se trouve absorbée est un paramètre qui impacte l’estimation de la biodisponibilité. Le CUD rend compte des quantités potentielles qui pénètrent dans la circulation sanguine. En revanche, il ne garantit pas l’utilisation, par l’organisme, de la quantité totale absorbée.

La physiologie digestive affecte la biodisponibilité des nutriments. Les caractéristiques physiologiques, voire génétiques de l’individu sont à prendre en compte, ainsi que son état nutritionnel. En outre, d’autres facteurs, propres à l’aliment, semblent intervenir dans la biodisponibilité, tels que l’effet de sa structure et les interactions entre ses composants.

Effet matrice et biodisponibilité

Les recherches actuelles menées en sciences des aliments s’intéressent aux interactions entre les composants d’un aliment et leur structure d’assemblage, c’est-à-dire à la matrice alimentaire [2].

Les composants alimentaires semblent être utilisés différemment selon qu’ils sont ingérés via des aliments “bruts” ou via des denrées produites par des procédés technologiques [3].

En conséquence, il faut tenir compte de la structure physique et des propriétés physico-chimiques de la matrice alimentaire. Elle a un effet sur la physiologie digestive et influence donc la biodisponibilité des nutriments [4].

Les bénéfices de l’alimentation sur la santé sont cependant certainement déterminés par l’ensemble du régime alimentaire.

Notion d’antinutriments

Certains aliments, dont la consommation est pourtant recommandée, contiennent des composants qui interfèrent avec les nutriments et limitent ainsi leur assimilation. Ce sont des antinutriments (Tableau 1).

Les lectines, les oxalates, les phytates, les tanins et les inhibiteurs d’enzymes font partie des antinutriments. Ils peuvent voir leur teneur réduite par des procédés de préparation et de transformation culinaires. Ils sont toutefois susceptibles d’avoir des effets favorables, à l’instar des tanins qui sont antioxydants par exemple. L’idée n’est donc pas de recommander de manière générale leur éviction, mais bien de considérer s’il pourrait être utile, pour un individu donné, de modifier ses habitudes de préparation en fonction d’un contexte qui lui est propre.

Les aliments riches en lectines sont soupçonnés d’induire une inflammation, une perméabilité intestinale et des problèmes d’absorption des nutriments dans la population générale. Les lectines sont principalement présentes dans les légumineuses, les céréales, les noix, les fruits et les légumes. Divers procédés, comme le trempage, la germination, la fermentation, l’ébullition et l’autoclavage, réduisent leur présence dans les aliments [5].

L’oxalate peut former des sels insolubles avec des minéraux, notamment le sodium, le potassium, le calcium, le fer et le magnésium. Il peut en outre être absorbé par la muqueuse intestinale s’il n’est pas lié à un minéral. On le retrouve dans de nombreux aliments comme les légumes, les légumineuses, les céréales complètes, les graines oléagineuses et le thé. Les méthodes de préparation culinaire utilisant l’humidité réduisent la teneur en oxalate car ce composé est soluble dans l’eau. Ainsi le trempage, l’ébullition et la cuisson vapeur sont des procédés qui neutralisent son effet antinutritionnel [6].

Les phytates chélatent les minéraux en se liant et en formant des composés non digérés par les enzymes humaines. Les céréales, les légumineuses, les noix et les graines en sont les sources principales. Les techniques culinaires telles que le trempage, la fermentation, la germination et la cuisson réduisent la teneur en phytates, ce qui augmente la disponibilité des minéraux [9, 7, 8].

Les tanins sont des composés polyphénoliques qui inhibent l’absorption de certains minéraux en formant des complexes avec eux. Ils sont principalement présents dans les fèves de cacao, le thé, le vin, les fruits, les noix, les graines, les légumineuses et les céréales. Ils seraient impliqués dans les anémies ferriprives.

La cuisson peut réduire la teneur en tanins des aliments. Il convient surtout d’éviter de consommer ces substances en même temps que des denrées sources de fer non héminique. Retirer la fine peau qui enveloppe les graines oléagineuses permet leur élimination.

Les inhibiteurs d’enzymes empêchent l’action de certaines enzymes digestives. Ainsi, ils limitent les nutriments libérés dans la lumière intestinale. On les trouve principalement dans les légumineuses et les graines oléagineuses. Le trempage, la cuisson et la germination réduisent la teneur des aliments en ces composants.

Techniques culinaires et biodisponibilité

Certaines techniques culinaires améliorent la biodisponibilité des nutriments.

Le trempage consiste à immerger les aliments dans de l’eau froide qui devra, ensuite, être jetée. Cette méthode permet d’initier le processus de germination. Souvent utilisée pour ramollir et diminuer le temps de cuisson des légumineuses, elle augmente la biodisponibilité des nutriments. Il est aussi possible de tremper les graines oléagineuses et les céréales pour améliorer leur profil nutritionnel. Le temps de trempage est variable selon l’aliment, entre deux (noix de cajou) et douze heures (légumineuses). En pratique, il convient, dans un récipient, de recouvrir les aliments de deux fois leur volume en eau. Si le trempage est long, l’eau peut être égouttée et renouvelée toutes les trois ou quatre heures, jusqu’à ce qu’elle devienne claire.

La germination est le processus par lequel le germe d’une graine initie son développement pour donner une plante. Cette activation de la graine, jusqu’alors en dormance, relance son activité enzymatique, ce qui contribue à augmenter la biodisponibilité de certains nutriments. La germination dure plusieurs jours, généralement entre trois et huit. Ce procédé dégrade des antinutriments et améliore la valeur nutritionnelle des aliments.

Le trempage et la germination réactivent le métabolisme des graines. Toutefois, les antinutriments sont généralement davantage réduits par la germination, car le processus prend plus de temps.

La fermentation est un processus de transformation réalisé par des micro-organismes. Elle réduit la teneur en lectines et en phytates des aliments. Elle les transforme et modifie leurs propriétés nutritionnelles. La fermentation alcoolique pour le pain et la fermentation lactique pour les yaourts sont les principales fermentations utilisées dans l’alimentation humaine. De nombreuses recettes permettent de mettre en œuvre cette technique à la maison, notamment les lactofermentations lors de la préparation de légumes en bocaux de type pickles par exemple.

La cuisson et l’ébullition sont des techniques classiques. Il est intéressant de rappeler aux personnes qui présentent des troubles digestifs après avoir consommé des légumineuses les bonnes pratiques de trempage et de cuisson à haute température qui permettent d’assurer une meilleure digestibilité de ces aliments.

Conclusion

Par des techniques simples à mettre en pratique, les consommateurs peuvent améliorer l’impact de leur alimentation sur la santé en accroissant la biodisponibilité de certains nutriments. Ces méthodes préservent mieux la matrice des aliments que certains procédés industriels.

Le trempage consiste à immerger les aliments dans de l’eau froide qui devra, ensuite, être jetée. Cette méthode permet d’initier le processus de germination. Souvent utilisée pour ramollir et diminuer le temps de cuisson des légumineuses, elle augmente la biodisponibilité des nutriments.

Immersing food in cold water

Immersing food in cold water

Déclaration de liens d’intérêts

L’autrice déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

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Références

[1] Scrinis G. Nutritionism: the science and politics of dietary advice New York: Columbia U (2013).

[2] Slattery M.L. Defining dietary consumption: is the sum greater than its parts? Am J Clin Nutr 2008 ; 88 (1) : 14-15 [cross-ref] [3] Jacobs D.R., Gross M.D., Tapsell L.C. Food synergy: an operational concept for understanding nutrition Amer J Clin Nutr 2009 ; 89 (5) : [1543S-8S]. [4] Fardet A., Souchon I., Dupont D. Structure des aliments et effets nutritionnels Versailles: Quae (2013). [5] Shi L., Arntfield S.D., Nickerson M. Changes in levels of phytic acid, lectins and oxalates during soaking and cooking of Canadian pulses Food Res Int 2018 ; 107 : 660-668 [cross-ref] [6] Chai W., Liebman M. Effect of different cooking methods on vegetable oxalate content J Agric Food Chem 2005 ; 53 (8) : 3027-3030 [cross-ref] [7] Lestienne I., Icard-Vernière C., Mouquet C., et al. Effects of soaking whole cereal and legume seeds on iron, zinc and phytate contents Food Chem 2005 ; 89 (3) : 421-425 [cross-ref] [8] Duhan A., Khetarpaul N., Bishnoi S. Changes in phytates and HCl extractability of calcium, phosphorus, and iron of soaked, dehulled, cooked, and sprouted pigeon pea cultivar (UPAS-120) Plant Foods Hum Nutr 2002 ; 57 (3–4) : 275-284 [cross-ref] [9] Urbano G., López-Jurado M., Aranda P., et al. The role of phytic acid in legumes: antinutrient or beneficial function? J Physiol Biochem 2000 ; 56 (3) : 283-294 [cross-ref]