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La biomécanique et cinématique de la cheville

France | 21 octobre 2015

Ceci est un extrait d'un chapitre de l’ouvrage la cheville instable

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La cheville est une articulation très stable dont le rôle principal est la transmission des mouvements et des forces pendant la marche dont elle est le deuxième pivot. Elle appartient au complexe articulaire de l’arrière-pied et du médio-pied.

Elle est fondamentale dans le maintien de l’équilibre corporel statique et dynamique. Durant certaines activités sportives, elle est extrêmement sollicitée et soumise à des charges très importantes (plusieurs fois le poids du corps).

Par ailleurs, elle présente beaucoup de variations anatomiques pour un même programme biomécanique et gestuel, qui peuvent expliquer en partie la richesse de sa pathologie.

Elle est ainsi confrontée à de multiples forces tridimensionnelles aussi bien internes (musculaires, capsuloligamentaires) qu’externes (poids du corps accéléré et décéléré face aux appuis de l’environnement qui génèrent la force de réaction contre laquelle le corps doit lutter). Les forces de cisaillement sont les plus nocives.

Pour la protection des structures anatomiques au sein de l’articulation, la somme des moments (forces × bras de levier) doit être nulle. Ainsi, lorsque la contrainte s’exerce, il doit y avoir un contrôle instantané des bras de levier et des appuis.

Cette problématique explique l’agencement des ligaments et des muscles en faisceaux multiples.

La cheville : une articulation particulière

Son cartilage est très résistant [1] plus que celui de la hanche ou du genou [2]. Il est plus riche en protéoglycanes ( glycosaminoglycanes) et en eau. Après un traumatisme, il induit une synthèse plus rapide des protéoglycanes [3]. Cela peut expliquer la longue tolérance de certaines arthroses et la rareté des arthroses primitives.

Que retenir de la biomécanique « normale » ?

La littérature est riche, mais beaucoup d’inconnues persistent en particulier en ce qui concerne le comportement en terrain irrégulier et lors de la pratique sportive. Il existe de nombreuses variations anatomiques avec répercussions sur la biomécanique fine des articulations [4–6] (voir chapitre 1).En effet, la cheville appartient au complexe articulaire de l’arrière-pied et du médio-pied, véritable nœud de transmission qui doit réagir instantanément en termes de mouvement, de stabilité et de force d’appui, cela grâce à une « architecture mosaïque » à géométrie variable en partie contrôlée par des ligaments mono- et bi-articulaires.

Le talus est variable dans sa forme

La forme « classique » du talus était décrite comme un tronc de cône à sommet médial selon Inman [7]. Dans des études récentes, seulement deux tiers des cas correspondent à la configuration classique, 19 % des talus sont de forme cylindrique et 15 % à cône inversé à sommet latéral [8].

La surface de contact est petite [9]

D’une superficie totale de 11 à 13 cm2 , elle varie en fonction de la position du pied :

  • Elle diminue dans la flexion plantaire en zone latérale, en charge [10] ;

  • Elle augmente dans la flexion dorsale [11]. L’articulation possède une géométrie adaptative [12]. Sous l’effet de la charge corporelle

  • La cheville devient plus stable, la surface en contact augmente (fig. 2.1) ;

  • La rotation diminue ; ! la fibula prend la charge

La cheville dans le cycle de marche et pendant la course (fig. 2.2)

Pour une marche normale, il est nécessaire de disposer de 10 à 15° de flexion dorsale et 15 à 20° de flexion plantaire.Le pied arrive au sol cheville à angle droit, le choc talonnier (1er pivot) qui dure 40 ms va provoquer, par le pied qui se plaque au sol, une première flexion plantaire de la cheville suivie par une flexion dorsale qui accompagne l’avancée tibiale (10 à 50 % du cycle de marche) pendant environ 300 ms.

La levée du talon fait passer la cheville de la flexion dorsale (10 à 15°) à la flexion plantaire (15 à 20°) en 80 ms (50 à 62 % du cycle de marche). Pendant la phase pendulaire (62 à 100 % du cycle de marche), la cheville revient vers la position neutre prête au prochain atterrissage (landing).

La cheville est très vulnérable au début de la phase portante, car elle dépend de l’angle de présentation au sol lors du choc talonnier et elle n’est pas protégée à ce moment-là par l’action musculaire. Elle est aussi très vulnérable à la fin de la phase portante avant le décollage des orteils, car elle est soumise à la rotation externe du membre inférieur engendrée et amplifiée par l’inversion active du pied nécessaire à la propulsion.

Un pied creux antéromédial, structurel ou dynamique, sera particulièrement déstabilisant à ce moment-là (fig. 2.3).

Pendant la course, le comportement du pied change, car il doit allonger ses bras de levier et dérouler plus vite ses appuis : ainsi, le contact avec le sol va se faire du talon directement sur l’avant-pied, sauf chez les sujets qui courent avec un contact initial sur le médio-pied ou l’avant-pied, ce qui diminue les contraintes sur les articulations d’amont.

Un pied creux antéromédial, structurel ou dynamique, sera particulièrement déstabilisant à ce moment-là (fig. 2.3). Pendant la course, le comportement du pied change, car il doit allonger ses bras de levier et dérouler plus vite ses appuis : ainsi, le contact avec le sol va se faire du

Notions de cinétique (fig. 2.4)

Les forces en jeu sont énormes allant de 4 à 5 fois le poids du corps pendant la marche et à plus de 12 fois le poids du corps en pratique sportive. Rappelons que 5000 pas/jour sont recommandés (OMS), que nous effectuons environs 1000 pas/km et que donc 5 millions de pas représentent moins de 3 ans d’activité !

Pendant la marche, le pied se comporte comme un levier interrésistant, dit du deuxième genre qui favorise le travail musculaire du triceps sural. Il y a pendant le passage du pas deux pics de charge importants, au moment du choc du talon et au moment du décollage des orteils (push off).

La réaction du sol (R) et la force musculaire (FM) en sont les premiers déterminants. Dans les modèles mécaniques simples, les contraintes en compression minimum sont évaluées à 3 à 5 fois le poids du corps.

Les stress en cisaillement s’inversent dans le sens sagittal : de direction postérieure au choc talonnier, ils s’inversent en direction antérieure à la fin du pas portant (0–62 % du cycle de marche) [12].

Sur des modèles mécaniques incluant plus de muscles et les articulations subtalaire et de Chopart, les charges se répartissent comme suit pendant la marche [13] :

  • Tibiotalaire × 3,9 poids du corps (2,9–4,7) ;

  • Subtalaire × 2,43 poids du corps (1,6–3,1) ;

  • Chopart × 2,8 poids du corps (2,3–3,4).

Récemment, des études sur cadavre ont permis de mettre en évidence la bascule des charges vers la zone anté- rolatérale à la fin de la phase portante.

Les pressions intraarticulaires augmentent graduellement et sont maximales après 70 % du cycle en phase portante [14]. Actuellement, les études en éléments finis apportent des indications intéressantes : les malléoles sont très peu chargées, au profit de l’interface talocrural ; les ligaments interviennent peu ; le plan profond du ligament deltoïdien a un rôle stabilisateur important [15].

Notions de cinématique

Pendant la marche, la cheville est le 2e pivot de mouvement dans le plan sagittal entre le talon (1er pivot) et l’avant-pied (3e et 4e pivots). L’amplitude fonctionnelle est toujours contenue dans le volant de l’amplitude maximum [16].

Étant donné la situation profonde du talus, l’exploration fine des mouvements articulaires est difficile et les moyens d’étude ont largement bénéficié des avancées technologiques :

  • Systèmes opto-électroniques : les résultats manquent toutefois de précision (1991–2005) ;

  • Techniques in vivo : avec implantation de marqueurs en tentalum et enregistrement radiologique stéréophotogramétrique ou RSA (1989) ; broches intracorticales : études dynamiques ++ (1997–2008) ;

  • IRM dynamique (2005–2010) ;

  • Scanner (2008–2009).

La cheville est une trochlée–arthrose dont l’emboîtement assure une excellente stabilité de forme.

La syndesmose tibiofibulaire et ses ligaments tibiofibulaires antérieur et postérieur assurent un système de serrage élastique du tenon talaire dans la mortaise tibiofibulaire permettant une parfaite congruence articulaire dans les mouvements. Le talus doit à la fois glisser et tourner lors des mouvements de flexion plantaire et dorsale.

Cela est permis par la taille en coin de sa surface postérolatérale [17]. La fibula guidée par la joue latérale du talus effectue des petits mouvements dans les trois dimensions (1 à 3° de RE, 1 à 2  mm en vertical et discrets déplacements médiolatéraux et antéropostérieurs). La rotation externe du talus associée à la flexion dorsale talocrurale est 3 à 5 fois plus importante (10°) que la rotation interne (2°) associée à la flexion plantaire. Cette rotation diminue fortement avec la charge [18].

L’axe de flexion–extension de la talocrurale a été l’objet de nombreux travaux et de controverses. Il a été décrit soit double, soit variable, soit unique. Cela peut s’expliquer par la forme du talus déjà évoquée qui entraîne des mouvements ellipsoïdes du tenon talaire, mais aussi par les conditions dynamiques et la charge (voir chapitre 1).

Par contre, l’articulation subtalaire présente des axes variables mobiles [19]. La position de verrouillage articulaire correspond à la flexion dorsale du pied sur la jambe (grimper, marcher en côte, soulever du poids). La cheville et le complexe articulaire sous-jacent constituent l’organe de transmission des rotations entre la jambe et le pied [20].

On peut comparer en mécanique le complexe articulaire de l’arrière-pied (subtalaire) et du médio-pied (Chopart) à un joint de « cardan homocinétique » (joint de Hooke), dont les trois arbres sont représentés par le tibia, le talus et l’os naviculaire.

L’obtention d’un homocinétisme, avec des joints en série, repose sur l’utilisation de deux joints de cardan en série avec trois arbres dont les angles sont identiques. Bien que la rotation de l’arbre intermédiaire soit irrégulière, celle de l’arbre de sortie est rigoureusement identique à celle de l’arbre d’entrée à tout instant. Les fluctuations de l’un sont compensées par celles de l’autre. La vitesse de rotation est alors indépendante de l’angle de flexion, ce qui n’est pas le cas dans un cardan simple [21].

Dans le membre inférieur, seulement des fragments de rotation dans les deux sens sont effectués. Ainsi, la transmission des mouvements globaux peut se faire grâce à des combinaisons de mouvements articulaires simultanés et combinés. La majorité des mouvements en inversion–éversion et abduction–adduction pendant la marche s’effectueraient dans l’articulation subtalaire [22].

Ce couplage des mouvements articulaires s’organise sur un mode contraint et permet la transmission précise de charges très importantes.

Lorsque l’on supprime la mobilité de la cheville par une arthrodèse, on engendre une perte de mobilité sagittale du pied de 70 %. Le sujet augmente de 3 % sa consommation en oxygène et perd 16 % en vitesse de marche [23] à la condition que la cheville soit « bien positionnée », c’est-à-dire compatible avec un déroulé du pas : à 90° ou inférieur à 5° d’équin ; 5° valgus ; 10 à 15° rotation externe.

La conséquence fonctionnelle est une hypersollicitation compensatoire de la subtalaire et du médio-pied.

Quel est le rôle des ligaments (fig. 2.5) ?

Anatomiquement, l’enveloppe capsuloligamentaire est surtout orientée pour un contrôle rotatoire (fibres « en éventail » multicouches). Il existe des fibres mono-articulaires fibulotalaires et tibiotalaires ainsi que des fibres bi-articulaires ; les fibres antérieures du ligament tibiocalacanéen médial et le ligament fibulocalcanéen latéral sont isométriques pendant les mouvements [24].

Certains ligaments ont un rôle indirect : !

  • Les ligaments interosseux talocalcanéens de « la haie du tarse » qui contrôlent la position du talus sur le calcanéus fixé au sol ;

  • Le système rétinaculaire qui fait de même, mais sous la dépendance de la contraction des muscles extenseurs des orteils surtout en phase pendulaire. La coopération interdépendante entre les surfaces articulaires (glissement, roulement, rotation) et les ligaments (relaxation–tension) est fondamentale pour un jeu articulaire harmonieux. À l’intérieur du volant de mobilité maximale, il y a peu de contribution des ligaments selon la charge et les mouvements [16] ; les ligaments contrôlent les positions extrêmes et selon une variabilité individuelle [25]. Les effets des paramètres dynamiques sont aussi importants à considérer : la laxité physiologique de la cheville varie en fonction de la position et de la direction de la force appliquée [26]. En fonction de la position du pied, les forces dans les ligaments varient [27, 28]. Étant donné la subtilité de ce fonctionnement fibreux, il est aisé de concevoir les différences potentielles entre les ténodèses qui ne pourront pas redonner un jeu normal et les réparations anatomiques plus proches de la physiologie [29].

Quel est le rôle des muscles ?

La description des contrôles musculaires sort du cadre strict de la cinématique. La cheville est contrôlée essentiellement par les muscles longs extrinsèques qui s’insèrent sur le squelette jambier et le fémur pour les gastrocnémiens. Indirectement, elle est aussi contrôlée par les muscles intrinsèques du pied qui relâchent ou raidissent les arches et les appuis des orteils faisant ainsi varier l’orientation de la lamina pedis (bloc calcanéopédieux) dont le faîte est le dôme talaire.Les muscles sont généralement décrits en chaîne ouverte avec une insertion proximale fixe qui, en contraction concentrique, provoque le mouvement du segment distal où ils se terminent.Cette description entraîne au niveau du pied une grande confusion. Il faut pour les muscles extrinsèques qui agissent sur le pied les décrire « à l’envers » et en chaîne fermée : c’est l’inversion de l’action musculaire en considérant que :

  • Le point fixe est distal ;

  • La plupart des muscles sont poly-articulaires et agissent sur plusieurs articulations à la fois ;

  • La contraction du corps musculaire proximal est le plus souvent excentrique afin de contrôler un mouvement (en stockant l’énergie dans sa composante élastique) ;

  • Le mouvement est provoqué par une force extérieure, la gravité ou une décélération ;

  • Le contrôle osseux se fait souvent au niveau d’un ou plusieurs os par effet de poulie, sans insertion vraie. Les actions musculaires [30] sont sous le contrôle de mécanorécepteurs spécifiques, situés dans toutes les structures anatomiques, qui les informent et les commandent en temps réel en fonction de la qualité du sol et de son relief, de la vitesse et de multiples autres facteurs tout en étant eux-mêmes sous le contrôle cortical. Les muscles qui contrôlent la mobilité et la puissance du 2 e pivot sont :

  • Le triceps sural : situé dans la loge dorsale, il produit « l’explosion propulsive » quand besoin est. Les muscles gastrocnémiens en font un muscle tri-articulaire si l’on prend en compte son action sur la subtalaire. En fonction de la position du calcanéus, il sera varisant ou valgisant pour le pied mais toujours fléchisseur plantaire ;

  • Le tibial antérieur qui est l’activateur antérieur du 2 e  pivot. D’abord freinateur de l’aplatissement du pied au sol, il devient tracteur en avant du tibia tout en creusant la voûte médiale du pied et en contrôlant la rotation interne de jambe ; il participe au rappel en flexion dorsale du pied en phase pendulaire ;

  • Plus accessoirement, le fléchisseur commun des orteils et le long fléchisseur de l’hallux : – le fléchisseur commun des orteils contribue d’abord au positionnement du talon dans l’espace puis au verrouillage de la position de l’arrière-pied, avant de contribuer au verrouillage de la colonne médiale. Nous le reverrons agir au moment de la propulsion, – le long fléchisseur de l’hallux présente des caractéristiques très particulières que nous reverrons lors de l’étude de l’avant-pied, – ces deux muscles synergiques agissent sur le calcanéus par leur action varisante lors de leur réflexion sous le sustentaculum tali. Les muscles qui assurent la stabilité de l’appui sont :

  • Le tibial postérieur (TP) : – il a un rôle essentiel dans le contrôle de l’éversion– inversion du pied. En synergie avec les fibulaires, avant le contact du talon au sol, il contribue pendant sa phase « concentrique en chaîne ouverte » au positionnement du talon dans l’espace. Dès le contact du talon avec le sol, il faut analyser son rôle différemment avant ou après que l’arche médiale a pris contact avec le sol. Lors du contact du talon avec le sol, une action concentrique du TP entraîne une supination du médio-pied par action directe sur ses insertions distales après réflexion sur la malléole médiale ; dès que l’arche médiale est au sol, lacontraction du TP agit sur la malléole médiale en empê- chant son abaissement tout en devenant la composante inférieure de l’arche médiale. Cette action doit absolument être équilibrée par une composante antérieure donnée par le muscle tibial antérieur (TA), – la capacité et la puissance d’inversion sont un élément fondamental pour la locomotion en terrains variés [30] ; !

  • Les muscles long et court fibulaires : – ils sont actifs de façon variable pendant la phase portante (10 à 50 %). Ils peuvent créer un mouvement de valgus–abduction du pied. Ils agissent tous les deux indirectement par leurs tendons qui se réfléchissent sur la malléole latérale, puis pour le long fibulaire sous la trochlée calcanéenne et sous le cuboïde avant d’aller se terminer en dedans sur le 1er métatarsien et pour le court fibulaire gagner directement son insertion sur la styloïde du 5e métatarsien, – avant le contact du talon avec le sol, l’action concentrique en chaîne ouverte de ces deux muscles contribue au bon positionnement de l’arrière-pied dans l’espace en synergie avec les muscles médiaux. Dès que le talon est au sol, ces muscles fonctionnent en excentrique et en chaîne fermée en retenant le mouvement de varus, – nous voyons bien dans cette description, combien il est difficile et artificiel de séparer l’arrière-pied du reste du pied et le choc talonnier du reste de la phase d’appui, car il est impossible de comprendre une partie du pied sans l’autre ou une phase d’appui sans celles qui la pré- cèdent ou la suivent, – lors de la course, il existe une pré-activation des fibulaires afin de préverrouiller le complexe articulaire pour l’atterrissage et lutter contre la contrainte varisante. Cette pré-activation peut devenir pathologique chez les sujets présentant une instabilité chronique et être la cause de nouveaux accidents [31] ;

  • Les extenseurs des orteils, en se réfléchissant sous le rétinaculum (ligament antérieur annulaire du cou-de-pied), créent à la fois une force valgisante, se transmettant à l’arrièrepied, et un effet de tiroir antérieur ;

  • Les muscles intrinsèques, en particulier l’abductor hallucis brevis et l’extensor digitorum brevis, en s’insérant sur le calcanéus, ont un rôle de contrôle et de serrage du pied à la fin de la phase portante. Les modalités d’action du contrôle neuromusculaire semblent favoriser la stabilité articulaire plutôt que la transmission d’une force si cette stabilité est compromise par une force extérieure (mauvais appui par exemple et esquive de l’entorse) [32].

Dynamique de la marche (fig. 2.6)

Forces pendant la marche

Il est plus facile de commencer la description de la mécanique du pied par celle des forces en présence, car ce sont elles qui ont façonné les formes. Il faut, pour chaque vecteur force, décrire son point d’application, sa direction, son amplitude et sa durée, afin de connaître les valeurs dérivées (accélération, quantité de mouvements, impulsion, vitesse).

Lors de l’appui au sol (stance phase), le pied est immobile, sans glissement, comme en témoignent les empreintes du pied faites, pendant la marche, sur du sable humide. Cette phase alterne avec la phase aérienne (swing phase), ce qui implique une succession d’accélérations positives et négatives qui s’explique par un ensemble de forces qui est « l’essence même » de la physiologie du pied.

La trajectoire de tout point de la plante du pied est une cycloïde droite, un peu plus aplatie que celle de la roue de Pascal. Cette période où le pied est au sol comporte plusieurs temps.

État initial du système

Nous exposons les forces en présence à l’interface pied–sol chez un sujet marchant depuis quelques pas, à sa vitesse physiologique sur un sol plat et dur avec une adhérence normale : il s’agit alors de la « marche confortable ». Selon le premier principe de Newton, le sujet va continuer sa course sans avoir besoin d’apport d’énergie autre que celle consommée par les frottements (dans lesquels nous incluons l’énergie dissipée dans les réactions chimiques des contractions musculaires).

Cela explique, conjointement avec les systèmes de récupération d’énergie mis en œuvre dans le pied et le membre inférieur, que la marche est en soit peu consommatrice et qu’il existe pour chaque individu une vitesse optimum de moindre consommation dite de rendement optimum. Outre ces forces de frottement, le sujet est soumis en permanence à la gravité qui l’attire vers le sol.

Pour compenser ces deux forces, le pied doit géné- rer une force oblique en haut et en avant. La composante verticale de cette force remonte le centre de gravité et la composante horizontale propulse le sujet en avant.

Contact du talon avec le sol

Le pied prend contact avec le sol par le talon (fig.  2.7). Pendant cette phase qui dure moins de 100  ms le pied s’arrête. C’est pour cette raison que certains auteurs parlent de freinage : ce mot semble inapproprié. Un véritable freinage correspond à la transformation de l’énergie cinétique du pied en chaleur, comme cela est le cas dans tous les systèmes de freinage.

Ce n’est pas le cas du pied, car il s’arrête brutalement par un choc élastique contre le sol, comme le montre la baropodométrie, où la force de réaction du sol est égale au minimum au poids du corps à la vitesse normale. En vertu du troisième principe de Newton, la quantité de mouvement du pied va être transmise de proche en proche à l’autre membre inférieur qui est en fin de phase propulsive, juste avant de quitter le sol.

Pendant la marche à vitesse stabilisée, le calcul montre que la somme des produits de la masse de chaque segment de membre par sa vitesse est une constante qui s’exprime par la formule :

(masse pied droit  ×  vitesse pied droit) + (masse jambe droit  ×  vitesse jambe droit) + (masse cuisse droit  ×  vitesse cuisse droit) + (masse pied gauche  ×  vitesse pied gauche) + (masse jambe gauche  ×  vitesse jambe gauche) + (masse cuisse gauche × vitesse cuisse gauche) = constante

Ce choc élastique du talon permet la conservation d’une grande partie de l’énergie cinétique et contribue à la faible dépense énergétique lors de la marche. Pour que cela soit possible, certaines conditions doivent être remplies :

  • Le sol (et donc la chaussure de protection) doit être suffisamment rigide et adhérent ;

  • La construction anatomique de l’arrière-pied doit constituer un corps suffisamment rigide ;

  • L’assemblage des membres inférieurs ainsi que leur « amarrage » au bassin et au rachis doivent être, eux aussi, à un certain moment, rigides ;

  • Les vibrations, gaspilleuses d’énergie et destructrices, doivent être le plus possible absentes de ce système. Pendant cette phase, le centre de gravité est situé en arrière du talon, entre les deux pieds qui sont toujours en contact avec le sol.

Appui plantaire complet

Durant cette phase qui dure environ 500  ms, où il n’y a toujours aucune production de force propulsive, le sujet continue sa progression en avant sur son élan (fig. 2.8).

Le deuxième pied a quitté le sol et l’ensemble du corps « bascule » en avant en pivotant autour de l’axe de la tibiotalaire (par simplification, nous considérons dans un premier temps que cet axe est dans un plan frontal et orthogonal au plan sagittal dans lequel se fait le mouvement). L’ensemble du pied va très rapidement prendre appui sur le sol par son côté latéral, puis l’appui va gagner les métatarsiens latéraux et enfin le 1er métatarsien (les orteils prennent contact avec le sol en même temps).

Le pied se « déroule » sur le sol comme le ferait une chenille d’engin agricole. Les caractéristiques de cette phase s’expliquent par un ensemble de facteurs situés au-dessus du pied et exposés ci-dessous.

Par ailleurs, le complexe « rachis–pelvis » doit avoir une certaine souplesse pour permettre le passage en avant de l’hémi-bassin controlatéral par un mouvement qui se fait dans un plan horizontal autour d’un axe vertical médian.

Notion de force et de baropodométrie

Membre posé au sol

L’articulation de la hanche doit être « débrayée », c’est-à- dire libre de mouvement en dehors de l’axe sagittal (verrouillé par les fessiers) pour éviter la bascule du bassin. La position du pied par rapport à la ligne de marche a été préparée par son positionnement dans l’espace pendant la phase aérienne et lors du contact talonnier.

Le genou est verrouillé en extension pour permettre la bascule du centre de gravité au-dessus du centre d’appui comme dans un pendule inversé.

La subtalaire et les articulations du médiopied s’adaptent à la forme du sol et se verrouillent très rapidement pour transformer le pied en un corps rigide.

Membre opposé

L’articulation de la hanche et du genou doit être « débrayée » afin de pouvoir passer en avant de l’autre membre inférieur par simple effet de pendule articulé et par la restitution de l’énergie emmagasinée dans les muscles sous forme d’énergie élastique.

La cheville, par le même mécanisme d’élasticité, passe d’une flexion dorsale de la tibiotalaire à un degré de flexion plantaire suffisant pour que le talon touche le sol en premier. Les orteils sont en légère flexion dorsale pour ne pas accrocher le sol au passage.

Pendant cette phase, le centre de gravité passe en avant de l’appui, ce qui va générer un petit déséquilibre et provoquer le soulèvement du talon et le début de la phase propulsive qui ne peut pas se faire tant que le centre de gravité n’est pas un peu en avant de la zone d’appui.

Phase propulsive

La propulsion se fait exclusivement par l’avant-pied et dure moins de 200 ms. Elle est provoquée par la contraction des muscles fléchisseurs plantaires de la cheville, le triceps sural étant le principal moteur de la propulsion (fig. 2.9).

La force est perpendiculaire au pied et donc oblique en haut et en avant (la force de réaction au sol étant donc oblique en bas et en arrière). La décomposition de cette force montre qu’elle présente une composante horizontale, orientée vers l’avant, qui propulse le corps en avant, et une composante verticale, vers le haut, qui remonte le centre de gravité.

Pour être efficace, cette force doit être appliquée au centre de gravité. L’avant-pied par réaction avec le sol génère une force orientée en haut et en avant qui remonte le centre de gravité et le propulse en avant. Cela nécessite que le membre inférieur soit rigide, genou verrouillé en extension, hanche et tibiotalaire verrouillées avec un comportement de charnière à axe horizontal, perpendiculaire au plan sagittal. Les métatarsophalangiennes, lieu même de l’application de la force, doivent également avoir un comportement de charnière.

La coordination des muscles agonistes et antagonistes (intrinsèques et extrinsèques) doit être extrêmement précise pour permettre une « rigidification » suffisante des métatarsophalangiennes et pour assurer la transmission des forces sans la bloquer. La phase propulsive proprement dite se termine lors du déverrouillage du genou, avant le décollage complet du pied (fig. 2.10).

La force propulsive, finissante, se transforme alors en une force qui projette le membre inférieur en avant, le membre inférieur controlatéral prenant ainsi le relais de l’appui.

La baropodométrie, par l’analyse de l’intégrale force/temps, montre qu’à vitesse stabilisée, l’essentiel de la propulsion se fait sur les métatarsiens médians et qu’il existe une répartition de l’appui entre les têtes métatarsiennes et les orteils.

Synthèse

Il n’est pas possible d’isoler le pied du reste du corps pendant la marche. La marche ne peut être harmonieuse et économe en énergie que si tout l’organisme se transforme en un oscillateur complexe avec un faible amortissement. Le balancement des bras en est l’illustration. Celui-ci est provoqué par la projection en avant de l’hémi-bassin qui fait entrer en oscillation le membre thoracique autour de la scapulo-humérale.

La fréquence de ce pendule dépend uniquement de sa longueur. Le calcul de la fréquence d’oscillation du membre thoracique fonction de la longueur du pendule (c’est-à-dire la distance entre le centre de rotation de l’épaule et le centre de gravité du membre thoracique) donne un chiffre très proche de la cadence du pas pour la vitesse de marche confortable.

Lorsque le sujet accélère, en augmentant la cadence du pas (et a fortiori quand il court), il doit diminuer la fréquence d’oscillation de son membre thoracique en fléchissant le coude, ce qui le raccourcit et permet l’augmentation de la fréquence du battement des bras.

Ce système complexe ne doit pas entrer en résonance, afin que les vibrations ne consomment pas trop d’énergie et ne détruisent pas tout ou partie du système.

Conclusion

Sur le plan biomécanique, la cheville est donc caractérisée par :

  • Un cartilage résistant qui subit des contraintes majeures pour une petite surface portante ;

  • Un appareil ligamentaire solide intervenant peu dans l’utilisation physiologique normale mais vulnérable dans les mouvements forcés étant donné les bras de levier importants. Sa défaillance chronique conduit à l’arthrose ;

  • Un fonctionnement en chaîne cinématique polyarticulaire sur le mode contraint qui permet des transferts et mouvements précis et puissants ;

  • Une fragilité vasculaire du talus et une faible enveloppe de parties molles ;

  • De nombreuses variations anatomiques individuelles. Pour toutes ces raisons, le futur de la biomécanique passera vraisemblablement par les outils de simulation alimentés par un « paramétrage » tiré des études anatomiques et des études d’imagerie dynamiques sophistiquées.

Références

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A propos des auteurs

Yves Tourné

MD, PhD, chirurgien orthopédiste, membre titulaire de la Société française de chirurgie orthopédique et traumatologique, ancien président de l’Association française de chirurgie du pied et de la cheville, secrétaire général de l’European Foot and Ankle Society, centre ostéo-articulaire des Cèdres, Parc Sud Galaxie – 5, rue des tropiques, 38130 Echirolles

Yves Tourné

Yves Tourné

Christian Mabit

MD, PhD, chirurgien orthopédiste, professeur des universités, membre titulaire de la Société française de chirurgie orthopédique et traumatologique, membre de l’Association française de chirurgie du pied et de la cheville, membre titulaire de la Société française d’arthroscopie, membre de l’European Society of Sports Traumatology, Knee Surgery and Arthroscopy, membre du Collège français des professeurs d’anatomie, chef du service de chirurgie orthopédique et traumatologique, CHU Dupuytren, 2, av. Martin Luther King. 87042, Limoges, laboratoire d’anatomie, faculté de médecine, 2, rue Dr Marcland, 87025 Limoges

Christian Mabit

Christian Mabit