La thérapie systémique brève
4 septembre 2019
Par Anne-Claire Nonnotte
Nous vous proposons de découvrir un extrait de l'ouvrage Thérapies brèves plurielles : principes et outils pratiques S’ouvre dans une nouvelle fenêtre
La thérapie systémique brève
par Y. Doutrugne
Principes des TSB
« Le père de la thérapie brève est Sigmund Freud. Il a guéri, en trois séances, un patient présentant un problème sexuel. » C’est ainsi que Nicholas Cummings commence, avec un certain humour, ses exposés… La notion de thérapie brève n’est pas notre propriété ni notre apanage : d’autres – avant nous et actuellement – utilisent ce concept sur d’autres bases, d’autres principes. Ce chapitre décrit les grandes lignes, les « fi ls rouges » de ce que nous appelons aujourd’hui thérapie brève : c’est notre modèle et il est évolutif. Mais qu’apporte la thérapie à l’art de guérir ? L’art de guérir se défi nit comme l’établissement d’un diagnostic et le choix d’un traitement. Celui-ci est le plus souvent mais non exclusivement médicamenteux. La thérapie va tenter d’y voir une interaction entre un problème (des faits qualifi és tels, sur base d’une souffrance), des ressources internes et externes de la personne, des exceptions à ce problème, et un objectif vu comme un état désiré, lequel permettra lui-même d’en désirer d’autres… En psychiatrie, par exemple et non exclusivement, nombreux sont les praticiens qui ajoutent la thérapie à leur pratique médicale traditionnelle.
Exemple
Un patient entré aux urgences psychiatriques d’un hôpital lorrain s’étonne, après trois séances de thérapie dans le service (dans le cadre d’une formation du personnel), que pour la première fois on lui parle de problème et de solution, alors qu’il en est à sa troisième hospitalisation pour tentative de suicide…
Une thérapie n’est pas une analyse
«La spéculation est un luxe. Tandis que l’action est une nécessité.» Henri Bergson
Tentons d’attribuer aux mots leur sens spécifique. Et distinguons d’abord les mots analyse, thérapie et intervention.
Analyse
Pour nous, analyser un processus ou une situation, c’est essayer de le comprendre : c’est une démarche intelligente ( intelligere : comprendre) qui donne sens. Différentes analyses pourront donner des différents sens. Par exemple, tel patient « phobique » découvrira au cours de sa psychanalyse la cause de son problème : il a désiré sa tante à l’âge de 7 ans. Par exemple, tel mari, en proie à des difficultés conjugales, découvrira au cours de son analyse systémique (son génogramme étudie sa famille sur plusieurs générations) comment il reproduit tel schéma familial. En analyse – quel que soit le type d’analyses – des faits anciens (petite enfance pour les uns, trois générations précédentes pour les autres…) seront recherchés. Leur authenticité historique est déjà contestable quand on connaît le peu de fiabilité et la manipulation inconsciente de notre mémoire autobiographique. Il s’agit d’hypothèses. Puis un lien va être établi entre ces faits et l’état actuel de la personne, une causalité linéaire tout aussi discutable : qui au monde peut certifi er de façon définitive la véracité de ce lien ? Ce lien est donc lui aussi une hypothèse. Combien – de chaque côté de la relation analytique – acceptent qu’il s’agisse d’hypothèses ou, comme le disait Thierry Melchior, de « cocréation de sens » ?
Thérapie
La thérapie, c’est le soin. Être thérapeute, c’est soigner. La thérapie nécessite une souffrance, l’analyse pas forcément : on peut parfaitement faire une analyse sans souffrir, alors qu’on ne soigne pas ceux qui vont bien… Pour nous, la connaissance du supposé pourquoi ancien n’est ni nécessaire ni suffi sante pour changer. Les hypothèses des analyses ont un côté déterministe. Peu importe qu’elles soient vraies ou fausses, la seule chose qui compte sera l’usage – utile ou destructeur – qui en sera fait. La plainte caractérise le début d’une intervention : quelqu’un se plaint, pas forcément celui que l’on désigne comme perturbé d’ailleurs. La psychologie, la psychiatrie, l’analyse et de nombreux courants thérapeutiques se référeront chacun à leur lecture propre : chaque courant a son langage, ses étiquettes. Le courant systémique, issu de Palo Alto, tentera d’éviter ce type d’étiquettes : il se voudra non normatif. Il quittera les classiques de la psychopathologie pour ne parler que de problèmes. La TOS (thérapie orientée vers les solutions) parlera de solutions, pas de problème. Cette distinction, nous le verrons, a d’importantes conséquences pratiques.
Intervention
Intervenir dans le cours d’un processus, c’est agir sur lui. Il n’est pas nécessaire d’être dans le soin pour intervenir dans un processus, pour en modifi er le cours. Dans le domaine social et en entreprise, des dysfonctionnements relationnels peuvent être aidés dans le cadre de ce modèle. C’est une méthode de résolution de problèmes (problem solving) qui peut être utile dans des problèmes d’équipe, d’association, de famille, etc.
Pourquoi ce distinguo ?
Pour que chacun clarifie ce qu’il fait, se positionne par rapport à la plainte et aux autres offres existantes pour y répondre.
Pour que celui qui consulte sache à qui il s’adresse et dans quel but : – Tel patient vient-il pour comprendre ou pour moins souffrir ? – Faut-il connaître les causes ? – Une prise de conscience est-elle nécessaire ? Que faut-il amener au conscient ? – La longueur est-elle indispensable ? Est-elle signe de qualité ? Une thérapie brève est-elle superficielle et donc synonyme de perte de temps ?
Pour que le consultant et le consulté soient bien sur la même longueur d’onde quant aux buts et moyens de leur travail commun : – Est-il normal que mon enfant n’aille pas mieux après 3 ans de consultations chez tel analyste ? – Pouvez-vous me faire de l’hypnose ? Je suis ravie de l’analyse que j’ai entreprise il y a x années mais je vais de plus en plus mal sur le plan anxieux et j’ai, entre-temps, triplé ma dose de médicaments… Les consultants apprécieraient une communication plus claire à ce sujet. Elle éviterait des quiproquos douloureux. Trop de patients se font aider sans trop savoir dans quelle voie ils s’engagent. Cela dit, il est heureux que chacun puisse trouver chez nous ce qu’il désire. Que celui qui désire comprendre puisse entreprendre une démarche de type analytique : psychanalyse, analyse systémique ou autre. Et que celui qui souhaite une thérapie, brève ou longue, puisse le faire aussi. Il est heureux, sur le marché aux fruits de la ville et quels que soient les fruits que je propose aux passants, que d’autres proposent d’autres fruits. Les pommes ne sont pas supérieures aux poires, pêches, bananes, groseilles ou abricots. Le règne de la pensée unique, fût-ce la mienne, serait à mon sens un désastre…
Exemple
Un psychologue de 30 ans consulte pour « faire de l’hypnose » : il trompe sa femme avec des prostituées et boit en cachette. Il a entrepris une psychanalyse qui, à ses dires, « patine » : il n’avance plus… Son souhait est de comprendre pourquoi il fait cela, pas de changer. Le changement viendra par surcroît et passe forcément, à ses yeux, par une compréhension des supposées causes passées de sa situation actuelle. Démarche parfaitement respectable mais à laquelle je suis incapable de répondre. Je lui ai proposé de consulter un hypnoanalyste, moi je pratique l’hypnothérapie.
A lire aussi : Compréhension globale du trouble de la personnalité borderline. S’ouvre dans une nouvelle fenêtreAvant d’aller plus loin dans le développement de la méthode psychothérapeutique du trouble borderline, essayons de comprendre ... En savoir plus S’ouvre dans une nouvelle fenêtre
La systémique
Une vision interactionnelle
En pratique, cela signifi e par exemple – pour le médecin généraliste que je suis que – quel que soit le type de plaintes amenées par le patient – physique (maux de dos, de tête, de ventre, etc.), émotionnelle (anxiété, tristesse, colère, etc.), comportementale (apathie, violence, boulimie, etc.), au-delà de l’approche médicale traditionnelle –, je me poserai inévitablement la question : « Qu’est-ce qui ne va pas dans ses interactions ? » Ce faisant, j’inclurai le patient dans les systèmes dans lesquels il évolue. Chacun de nous appartient à différents systèmes humains : par exemple, famille d’origine, famille actuelle, milieu de travail, club sportif, cercle artistique ou culturel, groupement philosophique, spirituel, syndical, politique, etc. Chacun de nous est à l’intersection de plusieurs de ces systèmes, qui sont autant de pétales dont l’ensemble forme une marguerite (figure 4.1).
Notre intervention devra tenir compte du fait que chaque pétale, chaque système a ses objectifs, ses lois et son éthique. C’est un cadre d’intervention différent du cadre voisin. Notre éthique devra s’adapter à chaque cadre de travail. Par ailleurs, les études sur la communication s’intéressant à l’interaction entre personnes, on peut déjà décrire ce type de boucles (figure 4.2) où A et B peuvent être des personnes ou des groupes :
A↔B
Il s’agit de situations où :
une personne est en interaction avec une personne ;
une personne est en interaction avec un groupe ;
un groupe est en interaction avec un groupe.
Par extrapolation, nous travaillerons aussi des situations où une personne est en interaction avec un événement de vie : par exemple, l’interaction entre le patient et un risque – la peur – et celle du patient en interaction avec une perte – la dépression. Ainsi, la notion de dépression réactionnelle de type linéaire « il déprime parce qu’il a été licencié » cédera-t-elle le pas à une idée plus circulaire : les nombreuses réactions possibles suite à une perte, lesquelles seront différentes interactions, comme dans le jeu de l’écharpe (cf . plus loin) (figure 4.1).
La cybernétique relationnelle
Bateson et son équipe ont appliqué les concepts de la cybernétique aux interactions humaines. En thérapie, notre lecture de la réalité se fera à travers « notre trou de la passoire » : la cybernétique dans les systèmes humains. Nous laisserons à de très bons ouvrages plus théoriques les discussions passionnantes sur ces thèmes : nous n’en retiendrons qu’un ensemble de données utiles à notre travail thérapeutique au quotidien.
Linéarité, circularité et ponctuation
«Si notre enfant fait des bêtises , c’est que nous l’avons mal élevé.» «S’il se suicide, ce sera ma faute.» Quelle est la structure de ce raisonnement ? Je débarque de l’avion de 16 h30 à Ouagadougou. Je suis le dix-septième passager à descendre la passerelle. Un sniper me tire une balle dans la tête : il s’était juré d’abattre le dix-septième et c’était moi ! Il semble y avoir une relation linéaire entre l’arme de l’agresseur et la tête de la victime : celle-ci semble, d’après les éléments dont nous disposons, être la «pure victime» de son agresseur. Suis-je « partie prenante » de mon problème ? Certains le diront parce que j’étais là… Mais il faut bien être quelque part ! En revanche, n’ayant pas eu l’occasion de répondre à mon agresseur, je peux qualifi er notre interaction de linéaire. Si en revanche, un agresseur m’accoste dans la rue et exige de moi quelque chose sous la menace d’une arme, ma réponse verbale et non verbale « ferme la boucle » de la circularité. Un bébé de 6 mois subit l’inceste de son beau-père : est-il « partie prenante » de son problème ? Il semble qu’il y ait dans ces deux exemples, d’une façon assez claire, un agresseur et une victime, et que l’on puisse écrire la relation linéaire suivante :
A →B
Il arrive donc que dans certaines circonstances, relativement rares, la relation puisse être qualifi ée de linéaire. Le plus souvent, les « retours » de B vers A créent assez vite une circularité qui convient mieux pour décrire nos interactions. Les termes « linéaire » et « circulaire » seront attachés à l’idée de causalité. On parlera soit de :
causalité linéaire, A cause B : A ⇒ B ;
causalité circulaire : À ⇔ B.
Les étapes de l’interaction peuvent s’écrire A → B, B → A, A → B, B → A, etc. La relation est décrite comme circulaire : où commence un cercle ? Les conséquences pratiques de cette façon de voir les choses sont importantes. Dans une interaction circulaire répétitive (dans le couple, dans la relation parent-enfant, etc.), il n’y a plus d’agresseur et d’agressé, de cause et de conséquence, de coupable et de victime. Il y a deux acteurs aux actions interconnectées qui se renvoient la balle : chacun peut à chaque instant modifi er le cours du jeu, de la relation. Chacun est moteur, co-auteur de la situation. Et donc moteur et co-auteur du problème dont – par ailleurs – il se plaint… Pas facile à accepter ! En thérapie, le patient a davantage tendance à se plaindre du comportement de l’autre que de décrier le sien ! Quand l’autre, étant ce qu’il est, a envers moi un comportement diffi cile à vivre pour moi, ma réponse permet-elle que ce comportement s’arrête ou qu’il continue ? Ma tentative de solution est mon problème. Ma nouvelle tentative de solution sera la solution si elle interrompt notre boucle répétitive. Quand mon problème se répète, c’est donc que le type de solutions que j’utilise est répétitivement inefficace. À moi de sortir de ce type de solutions. La ponctuation (figure 4.3), c’est une décision arbitraire d’interrompre la boucle de l’interaction circulaire pour la faire commencer ici ou là, et la transformer en une suite de linéarités successives de sens opposés. Elle attribue un début, une causalité, une responsabilité : comme disent les enfants : « c’est lui qui a commencé ! » L’intervenant dans un conflit – conjugal, parentsenfants, etc. – aura l’oreille attentive à ce genre de cadrage, d’attribution. Un dialogue typiquement ponctué serait : « Je déprime depuis qu’il boit. » (novembre 2004). – « Je bois depuis qu’elle m’a trompé. » (janvier 2004). – « Je l’ai trompé parce qu’il me frappait. » – Je la frappais parce que… Suivant que vous mettez un point de départ ici ou là – le mot ponctuation vient de ce point de départ – vous donnerez tort ou raison à l’un ou à l’autre. Chacun était libre à chaque étape de choisir parmi un ensemble de comportements possibles, la situation étant ce qu’elle est. La circularité permet de quitter le bac à sable du style « c’est lui qui a commencé » pour mieux comprendre, puis accepter l’idée suivante : Qu’ai-je fait qui a permis à l’autre de continuer ce jeu-là avec moi ? Que faire d’autre pour que cela s’arrête ? Un proverbe américain dit : « On ne peut pas danser le tango tout seul. » Nous parlons de tennis relationnel et disons : « On ne joue pas au tennis tout seul. » Il n’est déjà pas facile de faire la démarche d’une thérapie… mais si c’est pour découvrir assez vite que je suis l’acteur bien involontaire de mon propre malheur, ça devient très dur ! Le plus souvent, quand une interaction a l’occasion de se poursuivre, l’aller-retour de A vers B et de B vers A – À → B, B → A, A → B, B → A – construit des boucles relationnelles au cours desquelles chaque partenaire peut modifier, voire interrompre le jeu, à chaque fois que la balle est dans son camp. Au tennis relationnel, chaque action est suivie d’une réaction. Le jeu de l’écharpe, que nous décrirons plus loin, aide à faire comprendre au patient cette vision circulaire et ses implications.
Les lois des systèmes
Centrés sur notre objectif, nous n’en retiendrons que trois et ne parlerons que de ce qui nous semble avoir une réelle incidence sur notre travail quotidien : la totalité, l’homéostasie et l’équifinalité.
La totalité
Le tout est supérieur à la somme des parties. Quand les parties créent un système, il y a une qualité émergente. Une fleur est plus qu’un ensemble de pétales et de pistil ; un orchestre est plus qu’un ensemble de musiciens séparés ; une foule a un comportement différent de celui des individus qui la composent. Un couple est plus que les deux personnes qui le composent : créer le couple, c’est créer une troisième entité, le couple, qui s’ajoute aux deux premières, les personnes. Le couple pourrait disparaître, il subsisterait les deux personnes initiales. Une auto est plus que 12 457 pièces : les pièces ne roulent pas et ne transportent rien. On peut démonter l’auto en ses 12 457 pièces. Les systèmes « couple » et « auto » sont une qualité émergente par rapport aux deux personnes ou aux 12 457 pièces.
L’homéostasie
C’est la tendance à l’équilibre d’un système. Elle fait appel à la notion de feedback (FB) ou rétroaction. D’une manière simple, ce qui suffi t pour notre travail, prenons l’exemple d’un thermostat de chauffage (ou d’un climatiseur, d’un fer à repasser, etc. : c’est le même processus). Son rôle est de maintenir constante la température d’une pièce. Imaginons que nous le réglons sur 20 °C un froid matin d’hiver. La température intérieure est de 13 °C. Le thermostat envoie une information à la chaudière, laquelle amène progressivement la température à 21 °C. Le thermostat adresse alors à la chaudière une information : arrêter son travail. En raison du froid extérieur, la température redescend à 19 °C. Le thermostat donne alors l’ordre à la chaudière de reprendre son travail, etc. La température oscillera ainsi toujours autour de son point d’équilibre : 20 ± 1 °C. Cela grâce aux informations qui suivent l’action – les rétroactions ou feedbacks. Ces informations suivent l’action précédente et dirigent l’action suivante. La biologie et la vie en général fourmillent d’exemples différents car les systèmes qui n’ont pas cette tendance n’ont pas la vie longue… : température des mammifères, l’équilibriste et son balancier, l’accélérateur et le pied pour obtenir une vitesse constante, la concentration des ions dans le sang, etc. Si je dis : « Mon exposé est-il clair ? », « As-tu passé un bon week-end avec moi ? », « Trouves-tu que nous dépensons (travaillons, dormons, jouons, etc.) trop ? pas assez ? », je demande un feedback sur les actions qui précèdent pour mieux agir dans les actions qui suivent en préservant l’équilibre de notre système. Conséquence importante : dès qu’une modifi cation survient dans un système, le système tout entier en est affecté et réagit pour retrouver un nouvel équilibre. Par exemple, quand un membre du système change, les autres doivent en tenir compte. Par exemple, si Madame fait sa première attaque de panique dans une grande surface, Monsieur peut y réagir de différentes façons, plus ou moins aimables. Mais dans le plus aimable des cas (« Ce n’est rien ma chérie, je ferai les courses à ta place »), il s’adapte afi n que le système familial soit perturbé le moins possible. Au bureau, quand mon collègue en fait de moins en moins dans ce projet que nous portons 50-50, j’en fais davantage, pour pallier sa défaillance. Au total, le travail est fait, le système est en équilibre. Pour mon patron tout va bien : le travail est fait. Moi, j’accomplis 60 % du travail, puis 70… Dans notre pratique, ceci peut être illustré très simplement par des déplacements de symptôme dans le système :
le mari qui tombe sérieusement malade quand son épouse va le quitter ;
le petit frère qui fait de l’asthme quand le grand frère dépressif va mieux ;
l’époux qui devient impuissant quand la « frigidité » de l’épouse disparaît ;
quand maman a un nouveau compagnon, les deux aînées demandent un placement, fuguent, volent, etc.
Autre conséquence : quand nous travaillons avec une personne en thérapie, nous intervenons dans un système familial. Celui-ci devra s’adapter aux changements survenus au cours de la thérapie et évoluer vers un nouvel équilibre. Même si nous ne travaillons qu’avec une personne, nous modifions le système. Erickson disait : « Bien des gens ont changé que je n’ai jamais vus. » Et ceci est vrai pour chacun d’entre nous ! Bien sûr la personne était « malade » : en tout cas, elle se plaignait. Peutêtre était-elle le patient désigné ? Si l’intervention est effi cace, le système familial perdra une plainte mais devra retrouver un nouveau – et meilleur ? – équilibre. C’est le principe du funambule et de son balancier. L’inclinaison du balancier permet l’équilibre du funambule. Si nous intervenons « sauvagement » pour remettre le balancier à l’horizontale, nous risquons de déséquilibrer le système tout entier ! Il n’est pas nécessaire que le symptôme d’entrée soit un conflit pour que les jeux familiaux soient perturbés. Pensons, par exemple, une patiente « phobique » : tout son système s’organise, avec bienveillance ou pas, autour de ce symptôme envahissant. Si ce dernier disparaît, que vont faire les acteurs impliqués ? Que vont devenir les jeux de pouvoir ?
L’équifinalité (figure 4.4)
L’état actuel d’un système peut n’avoir qu’un rapport très lointain avec ses conditions initiales. Il est donc impossible de prévoir de façon déterministe comment un système va évoluer. Une vision déterministe – assez répandue – attribue aux premières années de la vie une infl uence déterminante sur la suite : celle-ci ne serait que la continuité du point de départ, sorte de compulsion de répétition assez fataliste du style : « Mêmes causes, mêmes effets. » Un patient m’a rapporté un jour les paroles de son médecin : « Vous avez été conditionné pour avoir peur : vous êtes construit comme ça ! » C’est une façon de voir qui, par son déterminisme fataliste, n’incite pas au changement et ne laisse pas présager de jours plus heureux… Le patient qui accepte cela dira : « C’est ma nature ! C’est mon caractère ! On ne se refait pas ! Je suis comme ça ! » Dans l’analyse systémique, le génogramme peut avoir le même effet pervers de déterminisme : comment pourrais-je modifi er ce qui est écrit depuis plusieurs générations ? Imaginons deux situations très différentes : les exemples a et b.
Exemples
Un homme n’est sérieux ni dans ses études, ni dans son travail, ni dans son couple, ni dans sa paternité. Il s’est marié à 23 ans, a divorcé à 30 et, à 32 ans, rencontre une autre femme. Il change alors du tout au tout, devient sérieux dans son travail, son couple et son rôle de père. Les gens diront : « Elle a su le prendre… » Une femme a toujours eu une vie sans problème : docile à l’école, au travail, dans son couple. Elle se marie avec Jacques à 23 ans et divorce à 30 car celui-ci était devenu alcoolique et violent. À 32 ans, elle rencontre François, homme chouette avec lequel elle entame une relation. Elle s’en sépare à 35 ans car il est devenu alcoolique et violent. À 38 ans, elle rencontre Pierre, chouette compagnon jusqu’à ses 41 ans, âge auquel elle s’en sépare… car il est devenu alcoolique et violent
Dans ce dernier cas, l’homme est à chaque fois complémentaire : il confi rme l’expérience de Madame. Il n’y a pas de changement 2, seulement des changements 1 : elle change d’homme. Plus ça change, plus c’est la même chose. Dans le premier cas, la deuxième partenaire rend inappropriées les réactions habituelles de Monsieur ; qui accepte, ce changement : il y a changement 2. Il y a « une fracture », un changement, dans ce qui semblait devoir être une ligne droite continue. Nous connaissons tous ces types de situations. C’est toujours pareil… sauf quand ça change ! Qui fait un changement 2, comment et pourquoi ? Ce sont nos interrogations fondamentales, à nous, thérapeutes ! Étiqueter quelqu’un, c’est dire qu’il a des attributs constants, non susceptibles d’évoluer. Comment viser le changement en partant sur de telles bases ? Dire : « C’est un homme de pouvoir, c’est un dépendant, un fi er, un agressif, un jaloux », c’est employer à chaque fois le verbe « être ». Ceci confirme qu’il s’agit de son « identité » : « Il est comme ça. » Nous pensons que ces comportements sont des émergences d’un système relationnel et non des attributs individuels. Il se comporte actuellement en jaloux, fier ou agressif. Il ne l’était pas forcément hier et ne le sera pas forcément demain. Il peut être jaloux dans ce contexte, pas forcément « toujours, partout, depuis toujours et pour toujours ! » Nous distinguons ainsi l’identité et le comportement. Il y a une erreur de niveau logique quand nous confondons comportement et identité. Un comportement ne peut être isolé de son contexte. C’est un comportement parmi tous ceux qui auraient pu se produire. Pourquoi est-ce celui-là qui se produit plutôt que les autres ? C’est-à-dire quelles sont les contraintes ou restrictions qui ont empêché les autres réalisations ? Ces contraintes ou restrictions, nous les appelons redondances.
A lire aussi : La thérapie des schémas. S’ouvre dans une nouvelle fenêtreLes "schémas" sont responsables de la mise en place de "stratégies" d'adaptation qui entraînent un style comportemental ... En savoir plus S’ouvre dans une nouvelle fenêtre
Ma fille qui ment reste ma fille : « Je condamne ton acte, pas toi ! Ne te remets pas en cause, remets en cause ton comportement. » Les patients eux-mêmes ne sont pas avares de cette erreur logique… Un jour, en prenant rendez-vous pour la première fois, une jeune femme me dit : « Je suis frigide » et, dès ce premier coup de téléphone, je lui réponds : « Vous vous comportez en “frigide” maintenant. » Quelques années plus tard, sur le faire-part de son deuxième mariage, elle avait ajouté à la main : « Maintenant, je sais que je ne suis pas frigide ! » Nul ne peut prévoir l’évolution d’un système seulement sur la base de ce qui précède, du passé, sans savoir comment il pourrait évoluer si le contexte changeait. D’où notre peu d’intérêt pour les hypothèses causales axées sur le passé, comme nous l’avons déjà mentionné. Imaginons des suites de nombres, par exemple : 10 – 20 – 30 – 40 –50 – 60 : quel est le nombre suivant ? On pense fatalement à 70… Hé bien, non ! C’est 100 ! Imaginons que la suite donnée est : 10 – 20 – 30 – 40 – 50 – 60 – 100 – 110 – 120 – 130 – 140, quel serait le nombre suivant ? C’est 272 ! Nous ne connaissons pas la règle mathématique qui dirige ces suites de nombres. Avec les connaissances très partielles que nous avons, nous imaginons pouvoir prédire ce qui va suivre… et souvent, ça marche, mais quand ça ne marche pas… Ainsi, dans notre vie, nous prévoyons si souvent « ce qui normalement va arriver »… alors que nous n’en connaissons que très peu les ressorts ! Que de peurs et de deuils aggravés par nos certitudes ! Que d’apprentissages à faire pour lâcher prise, lâcher nos soi-disant certitudes pour apprendre à naviguer sereinement dans plus de doutes et d’incertitudes. Un but possible dans le traitement des peurs est « d’apprendre à gérer l’imprévu et même le souhaiter ». Pour qu’un changement soit possible, il y a deux conditions :
un contexte de changement ;
que ce changement soit accepté.
Dans l’exemple a, cité plus haut, il existe un contexte de changement – condition numéro 1. Une femme apparaît dans la vie de cet homme et n’accepte pas ses comportements précédents et actuels : « Si tu veux vivre avec moi, il faudra que ça change ! » Et cet homme l’accepte – condition numéro 2. Il aurait pu s’enfuir à toutes jambes ! Dans l’exemple b, cité plus haut, il n’existe pas de contexte de changement : d’un homme à l’autre, plus ça change, plus c’est la même chose. Pour Erickson, être thérapeute, c’est être un contexte de changement. Quand nous intervenons, sommes-nous – ou non – un contexte de changement ? Faisons-nous partie du problème ou de la solution ? La crainte du thérapeute de proposer telle intervention paradoxale rend possible la continuité du paradoxe dans la vie du patient. Faire peur à un anxieux ou enfoncer un dépressif, comme nous le verrons en détail plus loin, ne fait pas partie de nos classiques en thérapie… Rassurer l’anxieux et « remonter » le dépressif, c’est une façon assez courante et d’apparent bon sens d’entrer dans leur scénario relationnel habituel. Le thérapeute qui agit ainsi fait partie du problème et non de la solution. Il n’est pas « thérapeute » au sens où Erickson l’entend puisqu’il fait partie du problème, pas de la solution.
© 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Vous venez de découvrir un extrait de l'ouvrage Thérapies brèves plurielles : principes et outils pratiques S’ouvre dans une nouvelle fenêtre
Yves Doutrelugne, médecin, thérapeute et formateur, ex-chargé de conférences à la Solvay Business School (SBS) de l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et à l’Université de Lille II.
Je découvre le livre S’ouvre dans une nouvelle fenêtre
Consultez l'ensemble des articles dans cette spécialité S’ouvre dans une nouvelle fenêtre