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Le billet de Julien : Naomi Musenga ou le syndrome Méditerranéen

16 mai 2018

Par Elsevier

Julien est un jeune IDE (diplômé en 2017) qui s’exprime chaque mois sur un sujet de son choix.

Ce mois-ci je voulais revenir sur un fait marquant qui nous a tous plus ou moins interpellés. Je parle de l’histoire de Naomi Musenga, la jeune femme de 22 ans qui a appelé le SAMU de Strasbourg un jour de décembre et s’est retrouvée face à des personnes qui n’ont pris en compte ni sa douleur, ni sa détresse. Elle est morte quelques heures plus tard à l’hôpital.

Edito Julien

Edito Julien

Depuis, le jeu médiatique nous offre pléthore de commentaires, pas forcément très fins ni très pertinents. C’est à croire que les plus sensés dans cette histoire restent les parents de la victime, qui eux- mêmes parlent bien d’une “chaîne de responsabilités” plus que de l’erreur d’opératrices mal intentionnées.

Les équipes sont fatiguées en effet, et le SAMU manque de moyens. Bien sûr la plate-forme est saturée d’appels, (plus de 30 millions par an, pour 1 million d’urgences qui auraient “réellement” besoin de passer par là) mais doit-on pour autant faire l’économie d’une autocritique soignante ? Il est effectivement trop facile de charger les seules personnes au bout du fil ce jour-là.

Pourquoi ?

Parce qu’on a un réel problème dans le soin avec ce que l’on appelle “le syndrome méditerranéen”.

Et je reste persuadé que si on n’en parle pas maintenant, on passe à côté du problème.

En général, personne n’aime être traité de raciste. Les gens se défendent, listent leurs ami.e.s de couleurs et de religions différentes d’eux et s’indignent de la critique. Ils ont raison pour la plupart. Moi non plus, je ne pense pas être raciste. Mais moi le premier je le suis sûrement sans le savoir… alors peut-être pas raciste, mais je ne suis clairement pas à l’aise avec l’interculturalité.

L’interculturalité. Non, ce n’est pas manger au kebab ou à l’indien. Ce n’est pas apprendre à faire des sushis ou mater des séries US. Et non, l’interculturalité, ce n’est pas avoir des photos de vacances avec le type sur le marché à Tunis qui a voulu échanger votre sœur contre un chameau (spoil : en vérité ils font semblant pour les touristes). En fait, l’interculturalité en gros, ce serait de comprendre les habitudes sociales des personnes qui n’ont pas la même culture que nous. Et en général on est très mauvais dans la santé sur le sujet.

Je n’ai pas d’explications sur le pourquoi. Peut-être parce que le brassage des cultures à travers le tourisme, l’art, le commerce ou même la diplomatie c’est déjà extrêmement difficile, alors imaginez seulement la difficulté quand il s’agit de voir ces personnes aux us et coutumes parfois si différentes, à moitié nues dans des lits d’hôpitaux pour qu’on leur dispense des soins, avec une intimité parfois proche de zéro…

Pour exemple, aux Etats-Unis, si vous êtes une femme enceinte, le seul fait d’être noire augmente le risque de décès durant l’accouchement. Le facteur de risque est multiplié par 3, voire 4. Les statistiques raciales ne font pas de doute sur le sujet aux U.S : en général, si vous êtes une femme noire et que vous rentrez dans un hôpital, vous avez moins de chances qu’une personne de type caucasien (un blanc quoi). Et là, vous allez me dire “oui, mais en France, ce n’est pas le cas, regardez, il n’y a pas de chiffres”.

En effet, en France, il n’y a pas de chiffres. On ne lira jamais « une femme noire a statistiquement moins de chances de survie à l’hôpital ». En vérité, on ne le sait pas. Car dans notre pays les statistiques raciales sont interdites. Nous sommes aveugles concernant cette problématique. Aveugles et sourds, car les communautés ne parlent pas de ces difficultés-là, le problème étant à mi-chemin entre la difficulté d’accès aux soins et l’hésitation à aller solliciter le système de santé. Du coup, l’absence de statistiques ne signifie pas qu’il n’y a pas de problème.

Mais le problème, c’est quoi ? C’est l’existence d’un syndrome, qui n’en est pas un réellement d’ailleurs, le syndrome méditerranéen. Pour faire court, on considère qu’il existe un certain type de la population, notamment maghrébine et latine, qui surjouerait culturellement la douleur. Quand vous acceptez le fait qu’une telle chose peut exister, vous acceptez de dire que la douleur n’est plus une question subjective propre à chacun, et vous considérez le fait qu’elle peut être liée à la culture. Le risque, au-delà du fait de passer à côté de quelque chose de grave, c’est de ne plus considérer le patient comme un sujet mais comme un objet, un produit de sa propre culture, et ça, c’est une immense connerie. Parce que l’on n’est ni anthropologues ni sociologues. On est soignants.

Alors en tant qu’étudiant.e.s je vous vois déjà venir : “non mais moi jamais ça m’arrivera t’inquiète”. Moi aussi je pensais ça.

Mais si je peux vous confier quelque chose, c’est que des Naomi Musenga j’aurais pu déjà en avoir 3 dans ma petite carrière. Les personnes en question ne seraient sûrement pas décédées dans tous les cas (et heureusement !), mais si à un moment j’avais écouté certains qui me disaient d’un air très condescendant “elle simule, mais c’est normal, c’est une demande d’attention”, je n’aurais pas appelé l’interne, je n’aurais pas donné des antalgiques, je n’aurais pas rappelé l’interne à je ne sais pas quelle heure de la nuit, et je n’aurais pas préparé la patiente pour aller au scanner. Et au final je n’aurais pas transmis au matin qu’elle avait une œsophagite aiguë ainsi que d’autres problèmes intestinaux.

Mais pour une patiente pour laquelle j’ai forcé les événements, combien de personnes pour lesquelles je suis passé à côté de l’histoire ? Je ne sais pas, mais c’est sûrement arrivé. Et aujourd’hui, globalement, rien n’est fait pour questionner en équipe cette notion, où que l’on se trouve.

Au final, je pense que l’on a un vrai travail à faire sur nos représentations et notre façon d’appréhender la douleur quand le patient la manifeste par des réactions qui ne correspondent pas à notre grille de lecture soignante.

On pourra trouver beaucoup d’excuses aux personnes qui ont eu Naomi au téléphone ou au contraire trouver ça impardonnable mais maintenant est-ce vraiment une priorité ? Je crois que ce qu’il faut retenir, c’est que l’on a tous le risque d’être un jour face à une Naomi, et ce jour-là, êtes-vous sûrs que vous ne passerez pas à côté de l’urgence ?

Julien 31ans, IDE diplômé en 2017 Master II en gestion et management Créateur du site www.wikifsi.com Twitter @Martinez_J_ S’ouvre dans une nouvelle fenêtre