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Le bruxisme dans le traité EMC de CK Now Médecine buccale

16 février 2022

Par Monique Remillieux

Photo by Annie Spratt on Unsplash

Nous vous invitons à découvrir un article de l'EMC Médecine buccale - Des bases à la pratique en odontologie et stomatologie consultable depuis la nouvelle plateforme CK Now  S’ouvre dans une nouvelle fenêtrepour les abonnés.

Le bruxisme

M.C. Carra

Maître de conférences des Universités, praticien hospitalier, docteur en chirurgie dentaire - Università degli Studi di Parma (Italie), diplôme de doctorat d'Université en Sciences biomédicales - Université de Montréal (Canada), Postgraduate européen en parodontologie et dentisterie implantaire - Université Paris Diderot (France)

Département de parodontologie, Hôpital Rothschild, AP-HP, 5, rue Santerre, 75012 Paris, FranceUFR d'odontologie, Université Paris Diderot, 5, rue Garancière, 75006 Paris, France

Résumé

Le bruxisme, l'activité de grincement et serrement des dents, est un problème bien connu par les chirurgiens-dentistes qui doivent gérer presque quotidiennement ses conséquences au niveau de la cavité orale et de l'appareil manducateur, telles que l'usure anormale des dents, la destruction de restaurations et prothèses, ainsi que la douleur craniofaciale. Le bruxisme du sommeil indique l'activité des muscles manducateurs de serrement et grincement qui se manifeste pendant le sommeil, et qui pourrait avoir une relation avec les troubles respiratoires obstructifs du sommeil et le reflux gastro-œsophagien lié au sommeil. Le bruxisme de l'éveil se manifeste comme des contractions toniques et continues des muscles masséters et temporaux lors d'un serrement léger des dents pendant l'éveil, ce qui est fortement influencé par les facteurs psychosociaux. Les deux formes du bruxisme sont considérées comme des comportements involontaires, inconscients et inadaptés dont l'approche comportementale représente le traitement de première intention. Cependant, aucun traitement (gouttière, orthèse ou médicament) s'est révélé efficace pour éliminer complètement l'activité motrice du bruxisme (pendant le sommeil ou l'éveil). L'objectif du traitement, le plus possible conservateur et non invasif, est donc celui de prévenir ou minimiser les conséquences du grincement et serrement des dents sur l'appareil manducateur tout en assurant un suivi dans le temps essentiel pour surveiller l'activité de bruxisme et l'éventuelle apparition d'autres pathologies concomitantes.

Mots-clés : Bruxisme, Bruxisme du sommeil, Bruxisme de l'éveil, Parafonction orale, Usure dentaire, Trouble du sommeil

Plan

Introduction

Bruxisme du sommeil

Épidémiologie du bruxisme du sommeilPhysiopathologie du bruxisme du sommeilLiens de comorbidité

Bruxisme de l'éveil

Épidémiologie du bruxisme de l'éveilPhysiopathologie et facteurs de risqueDiagnostic du bruxismeConséquences cliniques du bruxisme

Approches thérapeutiques

Approche comportementale au bruxismeUtilisation de gouttières et orthèsesPharmacothérapie

Bruxisme chez l'enfant

Particularités du bruxisme chez l'enfantPrise en charge du bruxisme chez l'enfant et l'adolescent

Conclusion

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Introduction

Le bruxisme, indiquant l'activité de grincement et serrement des dents, est un problème bien connu par les chirurgiens-dentistes qui doivent gérer presque quotidiennement ses conséquences au niveau de la cavité orale et de l'appareil manducateur, telles que l'usure anormale des dents, la destruction de restaurations et prothèses, ainsi que la douleur craniofaciale. Cependant, plusieurs aspects concernant le bruxisme restent inconnus ou controversés, à partir de l'étiologie jusqu'au traitement. À ce jour, on fait une distinction nette entre deux formes de bruxisme : le bruxisme du sommeil (BS) et le bruxisme de l'éveil (BE). Malgré similaires en termes d'activité musculaire, le BS et le BE sembleraient être deux entités séparées et non pas deux manifestations circadiennes de la même pathologie. Les études concernant la physiopathologie des bruxismes soutiennent cette hypothèse et amènent à considérer les bruxismes non plus comme une pathologie, un dysfonctionnement ou un trouble du sommeil mais plutôt comme un comportement inadapté, involontaire et inconscient. La plus grande différence entre le BS et le BE est que le patient peut prendre conscience de l'habitude de serrer les dents pendant l'éveil et arriver à la modifier, tandis qu'il est presque impossible de se rendre compte de grincer les dents et contrôler cette activité pendant le sommeil.

Par la suite, on va présenter les caractéristiques épidémiologiques, physiopathologiques et cliniques du BS et BE. Enfin, on traitera les particularités du bruxisme chez l'enfant et l'adolescent.

Bruxisme du sommeil

Le bruxisme du sommeil se définit comme une activité parafonctionnelle caractérisée par le grincement et serrement des dents pendant le sommeil.

Le BS est classifié parmi les troubles du sommeil en relation au mouvement dans la classification internationale des troubles du sommeil (ICSD-III, 2014) [1]. De fait, le mot « bruxisme » identifie les mouvements rythmiques des muscles manducateurs, masséters et temporaux, typiquement liés au serrement de la mâchoire ou au grincement des dents, qui se produisent de façon spontanée et involontaire lorsque l'individu est endormi [2]. Ces mouvements rythmiques ont été appelés « activité rythmique des muscles manducateurs » (ARMM), car ils présentent des caractéristiques spécifiques de fréquence et de durée qui permettent de différentier un épisode de BS d'autres mouvements non spécifiques qui peuvent être observés sur un tracé électromyographique des muscles masséters et temporaux lors d'un enregistrement du sommeil (par polysomnographie [PSG]) (Figure 1) [3]. Une ARMM sporadique peut être retrouvée chez une grande proportion de la population générale adulte (estimée près de 60 %), autant qu'elle est considérée comme un comportement physiologique pendant le sommeil. Cependant, si la fréquence, la durée et la force de contraction exercée par les muscles masséters et temporaux pendant le sommeil deviennent excessives, on parle de BS. Au fait, chez les individus avec BS, on observe au moins deux épisodes d'ARMM par heure de sommeil et une contraction musculaire d'environ 40 % supérieure [3, 4]. L'épisode d'ARMM peut durer de quelques à plusieurs secondes avec une fréquence qui est très variable entre les individus ; à ce jour, deux épisodes d'ARMM par heure de sommeil est considéré comme le seuil minimal pour définir le BS comme léger à modéré et quatre épisodes d'ARMM par heure de sommeil pour définir le BS comme sévère [5]. Cependant, la sévérité du bruxisme ne dépend pas seulement de l'indice d'ARMM (nombre d'épisodes par heure de sommeil) mais aussi par la présence de signes et symptômes cliniques aux niveaux de l'appareil manducateur [2].

Figure 1.

Un épisode d'activité rythmique des muscles manducateurs (ARMM) lors d'un enregistrement polysomnographique. On note sur l'électromyographie (EMG) des muscles masséters droit et gauche des bouffées (burst) d'activation qui ont une durée comprise entre 0,25 à 2 secondes (contraction phasique) et se suivent de façon symétrique.

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Épidémiologie du bruxisme du sommeil

Le BS est observé classiquement pendant l'enfance et l'adolescence, avec une prévalence globale située entre 12 % et 38 %, puis tend à diminuer avec l'âge. Chez la population générale adulte, la prévalence du BS est estimée à 7-8 % [6, 7, 8, 9]. Le BS est donc un trouble du sommeil (ou un comportement) très fréquent. Néanmoins, il faut considérer que la grande majorité des études épidémiologiques disponibles sont des enquêtes populationnelles basées sur des questionnaires (autoévaluation du bruxisme), dont la validité comme outils de diagnostic reste débattue en raison des nombreux facteurs de confusion. Par exemple, le bruit typique du BS produit par le grincement des dents ne se manifeste pas chez tous les individus « bruxeurs », ni forcément à tous les épisodes de BS (il est estimé que seulement 50-60 % des épisodes de BS sont associés à un grincement sonore). De plus, un édentement partiel ou le fait de dormir seul peuvent influencer la capacité d'apercevoir et donc de rapporter une activité de bruxisme durant le sommeil.

La prévalence du BS est augmentée en présence de certains facteurs de risque, tels que le tabac, l'alcool, le stress, ou d'autres pathologies du sommeil (par exemple l'insomnie, le syndrome des jambes sans repos, le ronflement ou l'apnée obstructive du sommeil) [9, 10, 11, 12, 13]. Il faut aussi souligner que le BS a été observé en comorbidité avec de nombreuses pathologies et en association avec la prise de nombreux médicaments chez les adultes et les enfants [5, 6, 10, 14, 15, 16, 17, 18, 19].

Physiopathologie du bruxisme du sommeil

Le BS peut se manifester dans tous les stades du sommeil non-REM et REM mais il est plus fréquent pendant les stades légers du sommeil non-REM (stades N1 et N2), pendant les changements de stade, et dans la période N2 qui précède le sommeil paradoxal. Dans la majorité de cas, l'épisode de BS est associé à un micro-éveil du sommeil au niveau cérébral, cependant l'individu continue à dormir et il est inconscient de son bruxisme. Les micro-éveils représentent un phénomène physiologique du sommeil qui se manifeste 6 à 14 fois par heure de sommeil en réponse à des stimuli externes ou internes afin de préserver l'homéostasie du sommeil. Ils représentent aussi un moment d'activation au niveau cérébral, autonomique, cardiaque et musculaire qui facilite tous types de mouvements, y compris ceux des muscles manducateurs. De fait, 60 à 80 % des épisodes d'ARMM surviennent en correspondance d'un micro-éveil et s'associent à une augmentation de l'activité du système nerveux sympathique, du rythme cardiaque [20] et de la pression artérielle systolique et diastolique [21]. En plus, même en absence de pathologies respiratoires liées au sommeil, l'épisode d'ARMM s'associe à une altération de l'amplitude respiratoire (inspiration/expiration) et à une hypoxie transitoire (réduction du taux d'oxygène jusqu'à 1-2 %) qui se rétablit dans les 7 à 9 secondes suivant l'ARMM [22, 23]. Dans 60 % de cas, l'épisode d'ARMM est suivi dans les 5 à 15 secondes par une déglutition [24].

Les adultes qui présentent du BS et qui sont en bonne santé (absence de pathologies systémiques, troubles du sommeil, prise de médicaments) ont une architecture du sommeil normale en termes de durée totale de sommeil, latence d'endormissement, efficacité du sommeil et répartition des différents stades du sommeil [2]. L'individu même qui grince les dents pendant le sommeil n'est pas vraiment dérangé par cette activité musculaire. Si des bruits de grincement sont associés, c'est souvent la personne qui dort à côté ou partage la chambre à coucher qui se plaint d'une mauvaise qualité du sommeil et pousse le « bruxeur » à consulter le chirurgien-dentiste. A contrario, si d'autres pathologies coexistent avec le BS, d'autres troubles du sommeil ou neurologiques, la qualité du sommeil peut être altérée et la fréquence du BS influencée.

Plusieurs neurotransmetteurs cérébraux, tels que l'épinéphrine, la norépinéphrine, la dopamine et la sérotonine, sembleraient potentiellement impliqués dans la genèse de ce mouvement rythmique pendant le sommeil, mais leur rôle n'a pas été défini avec précision [25, 26, 27]. Ce qu'il faut retenir c'est l'origine centrale et non périphérique (due à des interférences occlusales) du BS. À ce jour, aucune preuve scientifique existe pour formuler l'hypothèse d'un rôle étiologique des facteurs anatomiques, dentaires ou occlusaux. Ces idées désormais anciennes ont été délaissées au profit d'une étiologie multifactorielle répondant plutôt à un modèle d'épigénétique [28].

Le BS a un aspect persistant : plus de 86 % des adultes qui rapportent du BS ont été des enfants « bruxeurs ». Aucune tendance claire de la transmission génétique n'a été trouvée mais un polymorphisme du nucléotide HTR2A lié à la neurotransmission sérotonergique a été associé à un risque accru de BS [29]. D'autres études ont mis en évidence qu'il existe une concordance plus élevée de BS chez les jumeaux monozygotes que les dizygotes [30, 31, 32], et que 37 % de patients avec diagnostic certain de BS (par PSG) ont au moins un autre membre de la famille qui rapporte du BS (avec un risque relatif de 4,6) [33]. Cependant, les facteurs génétiques pourraient expliquer une portion importante (39 % chez les hommes et 53 % chez les femmes) de la variation phénotypique du BS mais pas la globalité [28, 33]. Donc, le modèle explicatif le plus probable est basé sur les interactions entre la prédisposition génétique au bruxisme et les facteurs environnementaux et comportementaux qui peuvent l'influencer et qui changent au fil du temps (et avec l'âge) (model épigénétique). Parmi ces derniers, on peut mentionner la qualité et la quantité du sommeil, le mode de vie, les addictions (par exemple tabac, drogues illicites), les habitudes alimentaires (par exemple alcool) et le stress psychosocial [34].

Les composantes psychosociales, comme le stress et l'anxiété, ont été souvent associées au BS. En se basant presque essentiellement sur des études qui utilisent des questionnaires, les individus avec BS sembleraient plus anxieux, stressés et préoccupés par leurs activités en raison de leur personnalité et capacité d'adaptation [35, 36, 37, 38]. Sûrement, le stress vécu pendant la journée peut avoir un impact sur le sommeil (qualité et durée) et en retour il peut donc avoir un impact sur l'activité de grincement et serrement des dents pendant le sommeil [2].

Liens de comorbidité

Les connaissances avancées sur la physiopathologie du BS sont essentiellement dues à de nombreuses études chez l'humain, qui ont utilisé la PSG comme outil de recherche pour étudier l'ARMM pendant le sommeil. À ce jour, on dispose d'une description détaillée de la survenue de cette activité musculaire et de la participation du système nerveux sympathique, cardiaque, cérébral, et respiratoire, mais, comme on a vu, l'étiologie n'est pas encore connue.

Dans ce contexte, l'hypothèse d'une relation entre le BS et la respiration, physiologique ou pathologique, et le reflux gastro-œsophagien (RGO) lié au sommeil est probable et représente les pistes les plus prometteuses dans ce domaine de recherche [39, 40].

BS et troubles respiratoires obstructifs du sommeil

Les troubles respiratoires obstructifs du sommeil (TROS) sont très fréquents dans la population générale adulte et ils incluent le ronflement, le syndrome de haute résistance des voies aériennes supérieures, et l'apnée et l'hypopnée obstructive du sommeil (AHOS). Plus de 30 % de la population adulte et 3 à 10 % des enfants ronflent. L'AHOS est ainsi diagnostiquée chez environ 10 % des adultes.

Une relation étroite a été observée entre le BS et les TROS. Cliniquement, le BS est reporté par 40 à 50 % des patients adultes et pédiatriques atteints de TROS, en particulier par les patients souffrant de ronflement ou d'AHOS [8, 18, 41, 42]. Les patients avec BS présentent très souvent des symptômes, tels que les céphalées matinales, qui s'associent à la fois au BS et aux TROS [5, 43]. Une diminution de la fréquence du BS a été rapportée après différents traitements pour l'AHOS, par exemple après amygdalectomie chez des enfants [44, 45], ou suite à la thérapie par pression positive continue chez un patient adulte [46]. En autres, les orthèses d'avancée mandibulaire (OAM) utilisées pour le traitement de l'AHOS se sont démontrées efficaces pour réduire le BS ainsi que l'intensité des maux de tête matinaux chez des populations de jeunes adultes et adolescents [43, 47, 48, 49].

Ces observations ont conduit les chercheurs à avancer des hypothèses sur la relation bruxisme-TROS, en suggérant que l'ARMM pourrait représenter une activité oro-motrice déclenchée suite à l'obstruction des voies aériennes supérieures qui pourrait contribuer à rétablir la perméabilité des voies aériennes supérieures et donc la reprise de la respiration [50, 51, 52, 53]. Globalement, la probabilité d'observer du BS est presque quatre fois plus élevée en présence d'AHOS, avec une fréquence des épisodes de BS qui semblerait corrélée à la fréquence d'AHOS, des micro-éveils et de la désaturation d'oxygène [50]. Les micro-éveils joueraient le rôle important « de médiateur », étant déclenchés suite à l'obstruction des voies aériennes et facilitant la survenue du BS [5, 39, 43]. En plus, chez les patients atteints d'AHOS, la majorité des épisodes de BS surviennent dans les 0 à 10 secondes qui suivent celui d'AHOS [52, 53], en supportant l'hypothèse d'une relation temporelle stricte entre le BS et la respiration.

BS et reflux gastro-œsophagien (RGO)

L'association entre le BS et le RGO a été rapportée il y a plus d'une décennie [54]. Les individus atteints de BS montrent une fréquence plus élevée et une durée plus longue d'épisodes de RGO durant le sommeil avec un pH inférieur à 4,0 et 5,0 par rapport aux individus sans BS. Il a été observé également que la grande majorité des épisodes de RGO surviennent presque simultanés avec l'épisode d'ARMM, en particulier lorsque le pH est inférieur à 3,0-4,0, et que presque tous les épisodes sont associés à la déglutition de la salive [54]. Cette première observation a été confirmée dans des études plus récentes qui ont toutes trouvé une association positive entre le RGO et le BS [16, 55, 56] ainsi qu'une induction de l'ARMM suite à l'acidification œsophagienne expérimentale avec des perfusions intra-œsophagiennes de 5 ml de solution acide [57]. De plus, des essais cliniques ont montré que l'administration d'inhibiteurs de la pompe à protons (par exemple rabéprazole, 10 mg) entraîne une réduction significative de la fréquence d'ARMM et des bruits de grincement des dents par rapport à un placebo [54, 56]. L'hypothèse derrière cette observation est que l'exposition au RGO et à l'acide œsophagien en général pourrait être le facteur déclencheur de l'activité de bruxisme pendant le sommeil. D'un point de vue clinique, la coexistence du RGO et du bruxisme peut avoir un impact délétère sur les surfaces dentaires, en combinant l'érosion acide à l'attrition mécanique [58, 59], ce qui peut nécessiter une approche multidisciplinaire dans les processus diagnostiques et thérapeutiques.

En alternative, l'ARMM pourrait avoir un rôle dans la lubrification de la cavité orale et de l'oropharynx pendant le sommeil, période durant laquelle le flux salivaire et le taux de déglutition sont physiologiquement réduits [60]. Cette activité serait donc évidemment augmentée en présence de pathologies, telles que les TROS ou le RGO, qui influencent la lubrification de l'oropharynx pendant le sommeil [40, 54].

Bruxisme de l'éveil

Le BE se manifeste comme des contractions toniques et continues des muscles masséters et temporaux lors d'un serrement léger et inconscient des dents pendant l'éveil.

Le BE est une parafonction très fréquente, mais les patients sont souvent surpris lorsqu'ils sont informés par leur dentiste, sur la base de signes et symptômes liés au bruxisme, qu'ils ont l'habitude de serrer les dents pendant les heures de la veille. En effet, il s'agit d'un comportement involontaire, inadapté et souvent inconscient qui n'est pas forcément aperçu par le patient ni par son entourage. Typiquement, le BE se produit sous la forme de serrement avec un contact entre les arcades dentaires en l'absence des bruits de grincement. Cette contraction musculaire peut perdurer pour plusieurs minutes, voire heures, surtout lorsque l'individu est concentré dans une tâche particulière (par exemple travailler à l'ordinateur, conduire).

Épidémiologie du bruxisme de l'éveil

Les études sur la prévalence du BE sont moins nombreuses que pour le BS surtout en raison de l'absence des critères de diagnostic objectifs et standardisés (dont on dispose pour le BS). La plupart des études se basent sur une autoévaluation du patient ou des questionnaires. On estime globalement que 21 à 36 % de la population générale adulte serrent les dents au cours de la journée [61]. Il semble y avoir une prépondérance féminine significative (ratio hommes/femmes entre 2 :3 et 1 :3) et une tendance à diminuer avec l'âge [62]. Un pic dans la prévalence de cette parafonction orale, atteignant 40 %, est reporté pendant l'adolescence [8, 63].

Si on considère des populations spécifiques de patients, la prévalence du BE est particulièrement élevée en cas d'affections neurologiques (par exemple maladie de Huntington, la dystonie orofaciale) ou de syndromes qui combinent des troubles du mouvement stéréotypé à des troubles cognitifs, notamment le syndrome de Rett (97 %), le syndrome de Down (42 %) et les troubles du spectre autistique (32 %) [64].

Physiopathologie et facteurs de risque

Le BE a très probablement une étiologie différente de celle du BS. Si le BS est considéré comme un mouvement rythmique des muscles manducateurs faisant partie des processus liés, influencés ou déclenchés par les micro-éveils ou autres phénomènes physiologiques ou pathologiques lors du sommeil, le BE semblerait essentiellement un comportement inadapté provoqué par plusieurs facteurs exogènes surtout de nature psychosociale [65]. Pendant l'éveil chez le sujet sain, on observe des contractions fonctionnelles et non fonctionnelles des muscles manducateurs avec une intensité qui correspond à environ 20 % du serrement volontaire maximal. Chez les « bruxeurs », certains facteurs exacerbent cette activité en rendant ces contractions de faible intensité beaucoup plus fréquentes et de plus longue durée [4]. Parmi ces facteurs, on peut mentionner le stress psychosocial, les émotions négatives, la charge mentale, l'anxiété et des comportements inadaptés (Figure 2). En effet, le BE se produit généralement lors de l'exécution d'une tâche qui nécessite une concentration ou pendant des périodes stressantes. Certains auteurs considèrent le BE comme une réaction transitoire au stress quotidien qui est finalement nécessaire pour compenser, réagir ou évacuer le stress (en anglais, coping) [2, 65, 67].

Figure 2.

Schéma représentant la physiopathologie du bruxisme de l'éveil (adapté de Palla, 2016 [65, 66]).

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Diagnostic du bruxisme

Le diagnostic du bruxisme, soit BS que BE, est essentiellement clinique. Il se base sur l'anamnèse médicale et dentaire du patient et l'histoire familiale, des questionnaires validés, et ensuite sur un examen clinique complet qui vise à mettre en évidence signes et symptômes évocateurs du bruxisme, tels qu'une usure anormale des dents, une hypertrophie des muscles manducateurs, ou une douleur ou fatigue musculaire à la palpation. Si les critères de diagnostic pour le BS ont été clairement définis et dans certains cas validés, on manque encore de critères objectifs pour le diagnostic du BE (Tableau 1).

Tableau 1.

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L'autoévaluation positive du patient (conscience de grincer ou serrer les dents pendant la veille ou le sommeil) combinée avec la présence de signes cliniques typiques de l'activité du bruxisme permet d'obtenir un diagnostic fiable dans la plupart des cas. Cependant, il reste très difficile de déterminer si le bruxisme est encore actuel ou pas, en raison de la grande variabilité dans ce comportement au cours du temps et de l'irréversibilité de certaines conséquences (par exemple usure dentaire).

Les questions à poser au patient et le plus souvent à ses proches (par exemple conjoint, parents) sont simples et visent à évaluer les signes et symptômes typiquement liés au bruxisme (par exemple douleur, usure) ainsi que l'historique dentaire et les traitements déjà mis en place (par exemple gouttière). Le patient ou ses proches rapporteraient le BS surtout si cette activité se manifeste avec les bruits typiques de grincement des dents. Mais pas tous les épisodes de bruxisme produisent des bruits ; le serrement de la mâchoire par exemple est complètement silencieux [2].

Pour poser un diagnostic certain de bruxisme, il serait donc nécessaire d'effectuer un enregistrement par électromyographie (EMG) des muscles masséters et/ou temporaux pendant le sommeil ou l'éveil. Plusieurs méthodes d'enregistrement EMG, simple ou sophistiqué, sont disponibles mais leur valeur diagnostique n'est pas toujours comparable [68].

La PSG effectuée dans un centre du sommeil avec des enregistrements audio et vidéo simultanés sous un éclairage infrarouge avec enregistrements EMG d'au moins un muscle masséter est sûrement l'instrument diagnostique le plus complet qui permet non seulement de poser le diagnostic de BS mais aussi d'exclure la présence éventuelle d'autres troubles du sommeil concomitants tels que l'apnée obstructive du sommeil, le syndrome des jambes sans repos, l'insomnie, ou l'épilepsie du sommeil [5]. Cependant, la PSG est un examen coûteux, qui nécessite un équipement spécifique et du personnel paramédical et médical spécialisé et entraîné. En raison d'un rapport coûts-bénéfices souvent défavorable, la PSG est indiquée chez le patient probablement « bruxeurs » seulement dans le cas où d'autres troubles du sommeil sont suspectés. Dans ce contexte, la prise en charge médicale est obligatoire et le chirurgien-dentiste a la responsabilité de dépister ces troubles et de référer le patient aux spécialistes de compétence (par exemple médecin du sommeil, pneumologue, otorhinolaryngologiste).

Plusieurs systèmes portatifs qui permettent l'enregistrement de l'activité EMG des muscles manducateurs sont disponibles sur le marché. La majorité est conçue pour un diagnostic simple et presque immédiat à l'aide d'algorithmes en théorie capables de détecter et compter les épisodes de bruxisme en les différentiant de toutes autres activités musculaires qui peuvent survenir pendant un enregistrement (par exemple mastication, déglutition, mouvements de la tête ou corporels). C'est donc très important lorsque l'on souhaite utiliser ces outils pour le diagnostic ou suivi du bruxisme, de se renseigner quant à leur validation versus un enregistrement gold standard (par exemple, la PSG) et leur fiabilité et valeur diagnostique [70].

Compte tenu la prévalence de comorbidités chez les patients rapportant du bruxisme, le dépistage d'autres troubles du sommeil, pathologies neurologiques, comportements nocifs (par exemple consommation excessive de café, d'alcool ou consommation de drogues) et prise de médicaments doit être presque systématiquement réalisé. Grâce à des questionnaires et une anamnèse exhaustive, le chirurgien-dentiste peut vite se rendre compte si le patient est à risque et s'il faut l'adresser pour une consultation médicale spécialisée ou si le bruxisme représente seulement une parafonction orale bien tolérée à suivre dans le temps pour en prévenir les conséquences au niveau de la cavité orale (heureusement, c'est le cas pour la majorité de patients « bruxeurs »).

Conséquences cliniques du bruxisme

Les multiples conséquences que le bruxisme peut avoir sur la cavité orale et l'appareil manducateur sont listées dans la Figure 3. Quant aux conséquences, il est très difficile de faire une distinction nette entre celles principalement liées au BS et celles relatives au BE. De fait, les deux formes du bruxisme peuvent amener aux mêmes conséquences cliniques, notamment : une usure anormale de dents, une hypertrophie des muscles masséters et temporaux, de la douleur orofaciale et des dysfonctionnements de l'appareil manducateur (DAM).

Figure 3.

Les conséquences possibles du bruxisme du sommeil et de l'éveil. Les flashs continus indiquent des conséquences fréquentes et les flashs discontinus indiquent des conséquences possibles dont le lien avec le bruxisme n'est pas prouvé. BE : bruxisme de l'éveil ; BS : bruxisme du sommeil ; ATM : articulation temporomandibulaire.

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Le signe pathognomonique du bruxisme et sa conséquence la plus fréquente est l'usure dentaire. Il s'agit d'une usure par attrition qui ne peut pas être expliquée par d'autres causes (diagnostic différentiel avec l'érosion ou autres formes de perte de substance dentaire). Cependant, les études ont montré qu'il est presque impossible de définir la fréquence ou la sévérité du bruxisme en se basant sur les seules caractéristiques de l'usure dentaire [71, 72, 73].

Quant à la douleur orofaciale et le DAM, le lien avec le bruxisme reste très controversé. Le dogme suivant lequel le bruxisme causerait la douleur en raison d'une surcharge des tissus musculosquelettiques avec un gradient « dose-réponse » (plus de bruxisme en termes d'intensité et durée amène à plus de douleur) n'est pas confirmé dans la littérature. Les mécanismes qui soutiennent le développement de la douleur orofaciale et de sa chronicisation sont très complexes et impliquent des facteurs biologiques, psychosociaux, et comportementaux, dont le bruxisme peut être mentionné comme un facteur contributeur. En général, la littérature montre une association entre le bruxisme autorapporté et les symptômes de DAM : les patients avec BS ont un risque accru de fatigue ou douleur musculaire [74, 75] et de céphalée de tension surtout au réveil [76]. De façon similaire, les patients qui rapportent du BE ont un risque de 4,5 fois plus élevé d'expérimenter des mouvements mandibulaires douloureux ou un blocage de l'articulation temporomandibulaire (ATM) [77]. Une fois la douleur installée, le BS et BE sont aussi des facteurs contributeurs dans sa chronicisation [78, 79, 80].

Peu de preuves scientifiques soutiennent l'association bruxisme et maladies parodontales. Il faut bien souligner que l'activité de bruxisme seule ne peut pas être la cause d'une perte d'attache parodontale (par exemple par trauma occlusale), mais il pourrait être considéré comme un facteur pronostique négatif pour les dents avec un parodonte réduit et en présence d'une inflammation gingivale importante [81, 82]. En outre, le bruxisme est un facteur de risque pour la pérennité de restaurations et prothèses dento-portées ou implanto-portées. Une plus haute incidence de complications biomécaniques est rapportée chez les patients « bruxeurs » ayant reçu des implants dentaires (risque augmenté d'environ 3 fois) [83, 84, 85]. Cependant, la littérature disponible ne fournit pas de preuves suffisantes pour parler d'une relation de cause-à-effet entre le bruxisme et l'échec implantaire.

Approches thérapeutiques

Le bruxisme est un phénomène moteur complexe, qui, pour être bien compris, doit être analysé dans le contexte spécifique du patient (par exemple présence de facteurs de risque, comorbidités). La connaissance de ces phénomènes par le chirurgien-dentiste est un prérequis pour un diagnostic différentiel correct et le choix de la meilleure approche thérapeutique. Un arbre décisionnel est proposé afin de guider la démarche diagnostique et l'attitude thérapeutique du chirurgien-dentiste face au patient atteint de BS ou de BE (Figure 4).

Figure 4.

Arbre décisionnel. Bruxisme. DAM : dysfonctionnement de l'appareil manducateur ; OAM : orthèse d'avancée mandibulaire ; SSRI : selective serotonin reuptake inhibitors (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine) ; TROS : trouble respiratoire obstructif du sommeil ; BS : bruxisme du sommeil ; BE : bruxisme de l'éveil.

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À ce jour, il n'existe aucun traitement capable de stopper le BS ou le BE. L'objectif du traitement est donc celui de prévenir ou minimiser les conséquences du grincement et serrement des dents sur l'appareil manducateur tout en assurant un suivi dans le temps essentiel pour surveiller l'activité de bruxisme et l'éventuelle apparition d'autres pathologies concomitantes. En général, l'approche thérapeutique doit être conservatrice, réversible et le moins invasive possible. Il est important de souligner qu'en absence de comorbidités et chez un patient qui ne se plaint pas de douleurs, le suivi est la meilleure option thérapeutique pour le BS et le BE. Dans cette situation clinique, l'habitude de grincer les dents pendant le sommeil ou de serrer les dents pendant l'éveil ne sont pas des dysfonctionnements, mais plutôt des comportements inadaptés qui ne doivent pas être traités ni considérés comme une maladie tant qu'ils n'augmentent pas le risque de conséquences préjudiciables pour la santé [65, 86].

Pour schématiser, les approches thérapeutiques pour le bruxisme peuvent être classées en [66] :

  • approche comportementale qui cible les aspects psychosociaux ;

  • approche dentaire réversible et non invasive ;

  • approche pharmacologique ;

  • réhabilitation occluso-fonctionnelle, si nécessaire ;

  • suivi et accompagnement à long terme.

Approche comportementale au bruxisme

La prise en charge de deux formes de bruxisme diffère essentiellement par la possibilité de la prise de conscience, et donc modification de ce comportement, en cas de BE [2]. Ainsi, la base du traitement du BE est la reconnaissance de l'habitude de serrer les dents pendant l'exécution de certaines tâches ou durant des moments spécifiques de la journée ainsi que la motivation de la part du patient de contrôler et éviter ce comportement (autocontrôle). Cela peut nécessiter des changements de style de vie et l'apprentissage à modifier des habitudes bien installées. Les techniques de relaxation, respiration, l'hypnose, le biofeedback et la thérapie comportementale et cognitive (TCC) peuvent être utiles à la fois pour contrôler le BE et surtout pour contrôler et réduire les facteurs émotionnels et le stress qui contribuent fortement à l'étiologie du BE [87]. Cette approche comportementale s'est montrée efficace aussi pour améliorer le BS, même si l'efficacité est modeste, temporaire et très variable d'un individu à l'autre. L'élimination de tous les facteurs de risque modifiables (par exemple alcool, tabac) et une bonne hygiène du sommeil peuvent aussi contribuer à réduire la fréquence du bruxisme.

Utilisation de gouttières et orthèses

L'utilisation d'un dispositif inter-occlusal, communément appelé gouttière occlusale, reste le traitement le plus fréquemment adopté pour prévenir les conséquences du bruxisme. La gouttière occlusale est utilisée depuis longtemps, en particulier pour le BS. L'effet sur la fréquence des épisodes d'ARMM est très variable : on peut observer une diminution, une augmentation ou aucun changement du BS suite à l'utilisation d'une gouttière occlusale pendant le sommeil. De plus, les effets semblent temporaires et plutôt liés à un effet placebo. Cependant, la valeur de protection des surfaces dentaires, de restaurations dentaires et des réhabilitations implanto-portées est indiscutable. La plupart du temps, il s'agit d'une gouttière de protection qui est réalisée à la mandibule, en résine dure, avec des surfaces occlusales planes et un recouvrement total de toute l'arcade [88].

Les orthèses d'avancée mandibulaire (OAM) sont utilisées couramment pour le traitement des TROS, notamment du ronflement ou de l'AHOS légère ou modérée. Avec des petites différences relatives à leur design, les OAM propulsent la mandibule dans une position avancée qui permet, en stabilisant ainsi les tissus mous et la langue aussi, d'augmenter le calibre des voies aériennes supérieures au niveau de l'oropharynx. Certaines études ont testé les OAM pour le traitement du BS [43, 47, 48]. Ces dispositifs, qui normalement recouvrent et lient les deux arcades dentaires, se sont révélés efficaces pour réduire le BS (d'environ 40-60 %), avec un effet augmenté en fonction du degré d'avancement mandibulaire. Les OAM seraient donc indiqués pour les patients souffrant de BS et ronflement ou AHOS au même temps.

Pharmacothérapie

À ce jour, aucun médicament est capable d'annuler l'activité d'ARMM pendant le sommeil ou prévenir le serrement de dents pendant l'éveil [89]. Le recours à la pharmacothérapie pour traiter le bruxisme est rarement justifié, compte tenu de l'absence de conséquences majeures du bruxisme sur la santé et de l'absence d'essais cliniques randomisés contrôlés conduits spécifiquement pour tester l'efficacité d'un médicament. De fait, on retrouve dans la littérature très peu d'études sur l'approche pharmacologique du bruxisme ; la plupart de ces études testent l'action de médicaments à l'origine prescrits pour des pathologies autres que le bruxisme, et se réfèrent à des échantillons de patients non supérieurs à 30.

En tenant compte du faible niveau de preuve, le clonazépam, une benzodiazépine à longue durée d'action ayant des propriétés anxiolytiques, myorelaxants et hypnotiques, réduit de 40 % l'activité de BS (1 mg, prise unique avant le coucher) [90, 91]. Les risques associés à ce médicament ne sont pas négligeables ; il peut provoquer une dépendance, de la fatigue, de la somnolence excessive et des troubles de la coordination. La clonidine, un agoniste des récepteurs alpha-2 adrénergiques, utilisée pour le traitement de l'hypertension artérielle, certaines pathologies douloureuses et troubles anxieuses, s'est démontrée efficace pour réduire d'environ 60 % l'indice d'ARMM après une prise unique de 0,3 mg [92]. Cependant, un bon pourcentage des patients « bruxeurs » dans l'étude en question a expérimenté une forte hypotension matinale rendant ce médicament difficile à prescrire pour le seul contrôle du bruxisme. Enfin, un récent essai clinique, encore une fois chez un petit groupe de patients « bruxeurs », a montré qu'un traitement de cinq jours avec rabéprazole (10 mg), un inhibiteur de la pompe à proton utilisé pour le RGO, peut réduire d'environ 20 % la fréquence des épisodes de BS [56]. Malgré des résultats significatifs d'un point de vue statistique, la pertinence clinique de ces chiffres reste controversée. En général, l'approche pharmacologique du bruxisme doit être réservée aux cas extrêmes et en stricte collaboration avec le médecin traitant.

Bruxisme chez l'enfant

Le nombre de publications concernant le bruxisme chez l'enfant a vu une augmentation exponentielle dans les dix dernières années. Ceci s'explique sans doute par l'importance de la prévalence du BS et BE parmi les enfants et les adolescents. Selon les études les plus récentes, la prévalence du BS atteint un pic de 40 % entre l'âge de 9 et 11 ans pour descendre à 14-10 % durant l'adolescence [8, 63, 93]. En plus, la prévalence du BS est augmentée chez des populations particulières de patients : elle est de 3 à 4 fois plus élevée chez les enfants et adolescents ayant un trouble psychologique concomitant et 1 à 2 fois plus élevée chez les adolescents avec des autres troubles du sommeil (par exemple, le somnambulisme, l'apnée obstructive du sommeil) [10, 67].

A contrario du BS, le BE semblerait avoir une prévalence qui augmente avec l'âge, estimée à 12 % chez les enfants de 7 à 17 ans et à 20-40 % chez les adolescents et jeunes adultes [5, 8, 67]. Cependant, il faut aussi considérer que le BS et le BE sont concomitants chez environ un tiers des adolescents ; ces deux activités sont le plus souvent confondues par le jeune patient ou ses parents.

Particularités du bruxisme chez l'enfant

Le sommeil a un rôle essentiel dans la croissance et le développement de l'enfant. Son homéostasie apparaît aussi influencer l'apparition du bruxisme. De fait, un manque du sommeil (< 8-10 h par nuit, en fonction de l'âge), un sommeil perturbé (bruits, lumière) ou la présence de troubles du sommeil augmentent le risque du BS [10] mais une mauvaise qualité du sommeil semblerait être associée aussi au BE [8]. Maintenir un rythme régulier dans le cycle veille-sommeil et une bonne hygiène du sommeil sont à la base du bien-être de l'individu et font essentiellement partie du style de vie. Chez les enfants et adolescents, le mode de vie est strictement dépendant de celui des parents et change progressivement avec l'âge. Les contraintes scolaires, les activités extrascolaires, les rapports avec les amis, les besoins de s'affranchir de l'encadrement familial vont inévitablement influencer les comportements diurnes et nocturnes de l'enfant et de l'adolescent et peuvent avoir un impact sur les composantes psychosociales (stress, anxiété) qui sont mises en relation avec le BS et le BE [94].

Par exemple, il a été observé que les enfants « bruxeurs » sont plus anxieux, névrotiques, stressés, et manifestent souvent des problèmes comportementaux type déficit d'attention et hyperactivité [11, 95]. L'évaluation du comportement et des éventuels problèmes comportementaux est assez complexe chez les enfants et encore plus chez les adolescents. Il faut évidemment bien interpréter ces études ; les enfants « bruxeurs » ne présentent pas tous des problèmes du comportement ; mais, probablement, les facteurs déclencheurs des troubles comportementaux sont aussi impliqués dans la genèse du bruxisme et il faudrait donc pouvoir les identifier pour les cibler dans sa prise en charge [8, 96].

Les addictions pourraient avoir également un impact sur le bruxisme. Parmi les addictions les plus fréquentes chez les enfants et les adolescents, on retrouve l'utilisation exagérée et inappropriée des ordinateurs, Smartphones et jeux vidéo. L'exposition aux nouvelles technologies et à l'internet commence très tôt en âge et s'intensifie lorsqu'on utilise ces technologies comme moyen de communication (particulièrement chez l'adolescent et le jeune adulte). Un usage excessif ou abusif peut avoir un fort impact sur le sommeil, surtout s'il se manifeste le soir proche de l'heure du coucher [97]. En plus, l'exposition à la lumière forte des écrans des tablettes et Smartphones peut modifier le rythme circadien en déterminant un retard de phase dans l'endormissement. Une étude longitudinale chez des enfants âgés de 8 à 16 ans a montré que la prévalence du BS augmente de 9 à 18 % avec l'exposition à l'internet et l'apparition d'une vraie cyberdépendance [98].

La consommation d'alcool et notamment du binge drinking , très populaire parmi les adolescents en France, augmenterait le risque du bruxisme de 1,2 fois [12]. Les enfants exposés au tabagisme passif ont un risque de bruxisme de trois fois plus élevé comparés aux enfants de parents non fumeurs, tandis qu'une amélioration du bruxisme est observée si les parents arrêtent de fumer en présence de leurs enfants [13].

Dernièrement, quelques études ont mis en évidence une association entre le BS et certaines habitudes alimentaires, notamment manquer le petit-déjeuner pourrait augmenter le risque du bruxisme de presque deux fois [12, 99].

Comme observé chez les adultes, il y a une forte association entre le BS et les TROS. On estime que les enfants avec BS ont un risque accru de respiration buccale (× 1,5 fois), de respiration bruyante pendant le sommeil (× 3,1 fois), de ronflement occasionnel (× 1,8 fois) ou de ronflement habituel (× 2,8 fois) [8, 11, 95]. L'apnée obstructive du sommeil est aussi 2 à 3 fois plus fréquente chez les enfants bruxeurs, et on estime qu'un enfant apnéique sur deux soit un « bruxeur ». D'autres pathologies du sommeil qui peuvent être en comorbidité avec le BS chez l'enfant sont : l'énurésie, la somniloquie, le somnambulisme, l'épilepsie, les mouvements périodiques des membres, l'insomnie [11].

Prise en charge du bruxisme chez l'enfant et l'adolescent

Les conséquences du bruxisme chez l'enfant et l'adolescent sont les même que chez les adultes mais la prise en charge peut être plus complexe chez le patient pédiatrique en raison des options thérapeutiques bien plus limitées et de la variable coopération des jeunes patients [100]. En manque d'études longitudinales ou d'essais cliniques randomisés de bonne qualité, les recommandations pour la prise en charge clinique du bruxisme chez les patients en croissance restent plutôt empiriques et reviennent aux principes d'un traitement non invasif et conservateur [101].

Comme décrit pour les adultes, si le bruxisme est concomitant à d'autres pathologies, troubles du sommeil ou du comportement, il faudra adresser le jeune patient au spécialiste de référence afin de mettre en place une prise en charge multidisciplinaire [43, 101]. Mais, une fois écartée la présence d'autres pathologies en comorbidité, il faudra intervenir seulement si l'activité de bruxisme pendant le sommeil ou l'éveil s'associe à des signes et symptômes qui nécessitent un traitement. La première chose à faire est de cibler les facteurs de risque modifiables identifiés : par exemple, le tabagisme passif, les mauvaises habitudes alimentaires (boissons acides, sucrés, soda qui participent à l'usure dentaire), une mauvaise hygiène du sommeil, le stress et l'anxiété. L'engagement des parents est essentiel pour réussir à modifier ces comportements chez l'enfant et l'adolescent. Un programme de suivi doit être mis en place pour surveiller l'évolution du bruxisme, et d'autres activités parafonctionnelles (par exemple manger les ongles), ainsi que les effets sur les dents et l'appareil manducateur afin de fournir une stratégie d'intervention au moment le plus approprié. En cas de symptômes gênants pour le jeune patient, de plaintes douloureuses ou d'altérations des structures dentaires liés au bruxisme, les options thérapeutiques possibles incluent : les TCC, le biofeedback, la relaxation, l'hypnose, l'hygiène du sommeil. Il reste plutôt anecdotique l'utilisation de gouttière de protection ou d'OAM chez les adolescents, qui doivent être considérées comme le dernier recours et seulement pour un traitement de courte durée. En fonction de l'âge du patient et en raison des conséquences potentielles sur le développement des structures craniofaciales et de l'occlusion, une évaluation orthodontique et orthognatique est recommandée.

Conclusion

Le terme « bruxisme » regroupe plusieurs activités motrices des muscles manducateurs typiquement de grincement (bruxisme du sommeil) et serrement (bruxisme de l'éveil) des dents. Ces comportements involontaires, inconscients et inadaptés ne sont pas toujours et forcément liés à des conséquences délétères sur la cavité orale et les éléments dentaires. L'approche thérapeutique est donc conservatrice et non invasive chez la majorité des patients. Cependant, les bruxismes, et en particulier le bruxisme du sommeil, peuvent se manifester en comorbidité avec d'autres troubles du sommeil, des conditions médicales et des pathologies neurologiques, et dans ces derniers cas un diagnostic différentiel et une approche thérapeutique multidisciplinaire s'avèrent nécessaires. Enfin, diagnostiquer le bruxisme chez les enfants est essentiel pour mieux traiter, prévenir ou gérer le bruxisme et ses conséquences chez l'adulte, en sachant que, dans la majorité des cas, un enfant « bruxeur » deviendra un adulte « bruxeur ».

Déclaration de liens d'intérêts

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Toute référence à cet article doit porter la mention : M.C. Carra. Le bruxisme. EMC - Médecine buccale 2018;13(6):1-10 [Article 28-184-C-10].