Les revues médicales françaises – des valeurs non-cachées
France | 13 septembre 2021
Malgré la globalisation de la recherche et la pression de publier en anglais, les revues françaises continuent à offrir une valeur éditoriale considérable.
Par Dr Freya Weise (traduit de l'anglais)
Les revues scientifiques qui continuent à publier les travaux de recherche et les articles scientifiques dans une langue nationale et non pas en anglais font certainement une contribution précieuse à la compréhension et l'application de la science et de la médecine dans leurs disciplines et communautés respectives. Mais cette contribution ne se reflète pas toujours dans la diffusion et les citations que reçoivent leurs articles. Cela soulève des questions importantes sur la manière de démontrer la véritable valeur des revues en langue française - et sur les modalités de reconnaissance des auteurs qui y publient leurs articles.
Respect des normes internationales
Selon Christophe Baudouin, Professeur d’opthalmologie à Paris et rédacteur en chef du Journal Français d’Ophtalmologie S’ouvre dans une nouvelle fenêtre, organe officiel de la Société Française d'Ophtalmologie S’ouvre dans une nouvelle fenêtre
Il y a des revues françaises de FMC qui publient des mises au point et des revues générales mais elles ne pratiquent pas le peer review. Elles acceptent ce qui arrive, elles paient les auteurs et ne contrôlent pas le contenu. En revanche, les articles que nous publions respectent les recommandations internationales pour garantir leur qualité. Tout ce que nous publions est évalué par les pairs et en publiant en français nous répondons à la demande de nos lecteurs.
Comme pour prouver sa valeur, le Journal Français d’Ophtalmologie qui publie des articles originaux de recherche, des revues générales de qualité, d’excellentes images, et des lettres à l’éditeur a vu les soumissions sur son site augmenter à presque 1000 en 2020. De plus, il est indexé dans Pubmed/Medline, dispose d’un CiteScore et d’un impact factor.
Christophe Baudouin, chef de service au Centre Hospitalier National des Quinze-Vingts S’ouvre dans une nouvelle fenêtreet Directeur de recherche à l’Institut de la Vision, poursuit :
Il reste tout de même un problème avec notre performance bibliométrique car nos articles ne sont pas aussi bien cités que des articles écrits en anglais de la même valeur. Nous pourrions rejoindre le grand nombre de revues d'ophtalmologie anglophones mais là encore, voulons-nous être utiles aux lecteurs et auteurs francophones ou allons-nous nous glisser dans le grand melting-pot anglophone ? Nous pensons qu'il est difficile de se battre avec les autres quand on n'a pas leurs armes. Comme le disait déjà Jules César, "Je préfère être le premier dans un village que le second à Rome".
Relier la recherche et la pratique médicale
Michel Gedda S’ouvre dans une nouvelle fenêtre, rédacteur en chef de Kinésithérapie, la revue S’ouvre dans une nouvelle fenêtre, aborde l’importance de la langue au sens large :
Par son historicité, par ses spécificités structurelles et par ses sonorités, la langue parlée façonne le cerveau de ses locuteurs, et influence leurs perceptions et participations au monde dans une affinité de disposition. Cette affinité est respectable, au même titre que toute différence doit être protégée.
Pour que la recherche soit mieux comprise, Michel Gedda, qui est également Directeur général des Instituts de formation en masso-kinésithérapie et ergothérapie de Berck-sur-Mer S’ouvre dans une nouvelle fenêtre, chercheur associé et chef de projets au service des Bonnes Pratiques Professionnelles de la Haute Autorité de la Santé (HAS) S’ouvre dans une nouvelle fenêtre, a traduit les dix principales lignes directrices du rapport EQUATOR S’ouvre dans une nouvelle fenêtre en français et formulé dix préconisations pour promouvoir la francophonie dans les communications en santé pour mieux soigner les patients.
Michel Gedda croit que l’usage de termes anglais (le “Franglais”) commence à menacer la qualité des échanges entre professionels de santé dans leur propre pays tout simplement parce que leur compétence linguistique est plus pauvre et moins précise en anglais qu’en français :
C’est maintenant reconnu : l’usage d’une seule langue pénalise les acteurs à tous les niveaux de consommation et de production sanitaires. Faciliter l’implémentation du savoir, imposer la diversité, exiger le respect de sa langue, c’est améliorer la qualité des soins – ne serait-ce par principe de réalité dans laquelle se confondent rayonnement de la langue et vivacité de ses locuteurs.
Le format de la revue est une autre preuve de l'importance accordée au lecteur. Malgré l'accès en ligne, "Kinésithérapie, la revue" distribue toujours un nombre important d'exemplaires imprimés avec 35 % de ses abonnés qui sont des étudiants et de jeunes professionnels qui apprécient ce format.
Donner une voix à la diversité dans la recherche
Comme nous le savons, l'anglais n'est pas la seule langue maternelle des chercheurs et des professionnels de santé. Au-delà de l'anglais, les langues les plus parlées dans le monde sont le chinois, l'espagnol, le portugais et le français, et ce dernier est la première ou la deuxième langue d'un certain nombre de populations dont la croissance est la plus rapide au monde : d'ici 2050, le français sera parlé par 85 % du continent africain.
Avec la pandémie de COVID-19, nous comprenons que le monde est global mais la capacité à communiquer et à agir efficacement dans son propre pays et dans sa communauté est également d'une importance capitale. Le maintien de revues médicales françaises ajoute de la diversité aux connaissances mondiales et diffuse les résultats de recherche essentiels entre les communautés. Par ailleurs, publier dans leur langue maternelle permet aux jeunes auteurs moins expérimentés de recevoir des avis de lectures importants de la part de leurs pairs et des rédacteurs dans leur langue maternelle ce qui les aide à progresser.
En tant qu'éditrice de revues de langue française, j'ai la chance de pouvoir constater de visu la valeur qu'elles apportent. Qu'elles vivent longtemps !
Un article de
Dr Freya Weise
En tant que Directrice éditoriale adjointe chez Elsevier Masson, le Dr Freya Weise est basée à Paris, où elle travaille avec les rédactions et sociétés savantes partenaires pour un portefeuille de revues scientifiques dans plusieurs spécialités médicales. Médecin de formation, elle a obtenu son doctorat en médecine à l'Université de Münster en Allemagne, avant de se tourner vers l'édition médicale. Arrivée chez Masson en 1996 et chez Elsevier depuis 2004, elle avait commencé sa carrière chez Spitta Verlag à Balingen en Allemagne, et Decker Periodicals à Hamilton au Canada.