Les troubles dys avant 7 ans
1 août 2022
Par Anne Claire Nonnotte
Nous vous proposons de découvrir un extrait de l'ouvrage Les Troubles dys avant 7 ans S’ouvre dans une nouvelle fenêtre
Inquiétude quant au calcul
Le bilan neuropsychologique (> 6 ans)
Nombre et calcul : aspects développementaux
Il faut savoir qu’il existe 3 codes pour les nombres : un code approximatif qui nous donne des intuitions sur les quantités en jeu (par exemple, 23 + 14 ne peut pas faire 67 car ce nombre est intuitivement trop loin de la somme approximative de 23 et 14), un code verbal (les noms de nombres, « un » « deux » « quatorze » « trente-quatre ») qui dépend donc du langage, et un code numérique basé sur les chiffres arabes et la base 10
Apprendre à compter, c’est créer une relation automatique et fluide entre ces 3 codes, ce qui permettra de se représenter mentalement et de manipuler des nombres exacts. Cet apprentissage prend plusieurs années.
Un sens approximatif des quantités dès la naissance
Un sens approximatif du nombre, c’est-à-dire l’évaluation rapide et intuitive des quantités (ou calcul approximatif) fait partie des connaissances-noyaux présentes dès la naissance et partagées avec les animaux. En effet, évaluer rapidement où se trouvent le plus de fruits ou le moins de prédateurs est une question vitale. Les nouveau-nés sont ainsi capables de s’orienter vers l’écran présentant le nombre d’objets correspondant au nombre de sons entendus ou de discriminer deux quantités dans un rapport de ½ à ⅓ (4 vs 12 par exemple). Cette représentation est précise pour les petits nombres (1, 2, 3) mais beaucoup moins pour les grands nombres. En d’autres termes, la différence entre 2 et 3 est beaucoup plus perceptible qu’entre 797 et 798. Par contre, dans un système numérique exact, la différence est constante (+1) entre chaque nombre successif. La notion d’unité y est donc cruciale. L’apprentissage du calcul exact nécessite de transformer la représentation initiale et naturelle logarithmique en représentation linéaire (figure 9.1). Cette transformation n’est pas simple car elle est basée sur un concept abstrait « plus 1 » qui va à l’encontre de notre système perceptif de base. Elle demande un enseignement explicite, et les adultes non éduqués n’ont pas une représentation linéaire des nombres.
Développement lent du comptage entre 2 et 4 ans
Le passage au nombre exact est aidé par l’apprentissage des noms de nombres. En effet, vers 2 ans, les enfants commencent à apprendre et à réciter la chaîne des noms de nombres (un, deux, trois, etc.), comme une comptine (code verbal), mais ils ne savent pas faire la relation entre les quantités et les noms de nombres qu’ils connaissent déjà. Ils n’ont pas compris la règle du comptage qui associe la progression de nom en nom de la « comptine » avec la progression à travers les objets du groupe à dénombrer, le dernier mot-nombre atteint correspondant à la valeur cardinale du groupe. L’acquisition de cette règle se fait très lentement entre 2 et 4 ans. Si au départ l’enfant comprend déjà « un » et apporte un seul objet, pour « deux », il apportera n’importe quel nombre d’objets et il lui faudra plusieurs mois pour associer au mot « deux » la quantité exacte de 2 objets (en général vers 2 ans), puis encore plusieurs mois pour comprendre « trois » (aux alentours de 3 ans). C’est généralement quand il comprend le sens de « quatre » vers 4 ans que le principe du comptage est compris et qu’il peut apporter le nombre correct d’objets au-delà de 4 s’il connaît la comptine jusqu’au nombre demandé. L’apprentissage S’ouvre dans une nouvelle fenêtre de la numération se poursuit sur plusieurs années en maternelle et primaire et les enfants ont beaucoup de mal à généraliser des petits nombres vers les grands nombres. Par exemple, la représentation peut être linéaire entre 0 et 10 mais toujours logarithmique entre 10 et 100, c’est-à-dire que les jeunes enfants ont du mal à comprendre qu’il y a la même différence (+1) entre 56 et 57 qu’entre 6 et 7. L’acquisition des symboles numériques et leurs combinaisons (quarante deux, 53), ainsi que la compréhension de la base 10 sont des étapes essentielles de cette progression. La régularité de la base 10 n’est malheureusement pas très claire dans les langues occidentales. Il n’est pas évident de comprendre que quatorze correspondent à 10 + 4 et se construit comme trente-quatre, quarante quatre, etc. Le français de France a même ajouté des difficultés supplémentaires par rapport à la Belgique ou à la Suisse avec soixante-dix au lieu de septante, etc. Ces irrégularités ont un coût bien démontré au moment de l’apprentissage.
La ligne numérique mentale (LNM)
Progressivement se met en place une ligne numérique mentale, linéaire, spatialisée, avec les petits nombres à gauche et les grands nombres à droite, qui permet un passage rapide et automatique des symboles vers les quantités exactes correspondantes et vice-versa. Les additions d’entiers correspondent à des déplacements vers la droite et les soustractions à des déplacements vers la gauche. C’est pourquoi les jeux de plateau (petits chevaux, jeu de l’oie, échelles et cascades, etc.), les activités de mesure avec la règle ou des barrettes de 10 et d’unités sont des activités essentielles pour familiariser les enfants avec les déplacements en plus, ou en moins, le long de la ligne numérique et faciliter leur compréhension des relations entre nombres.
Calcul exact et opérations numériques
En plus de dénombrer des quantités, il faut comprendre les opérations d’égalité entre ensembles, d’addition et de soustraction. Les enfants comprennent assez vite les égalités terme à terme : 6 poupées et 6 chapeaux, c’est pareil ! Il leur faut plus de temps pour comprendre que remplacer un chapeau par un autre chapeau ne change pas le nombre de chapeaux. Là encore, la notion d’unité qu’on ajoute, ou retranche, est le concept à acquérir. Au départ les opérations se font sur un ensemble d’objets ou sur les doigts. Les opérations sur les symboles sont plus complexes et nécessitent d’associer mentalement chaque nombre avec sa quantité. Cette opération s’automatise progressivement au cours du primaire. Le calcul est un processus très exigeant en termes d’attention, de fonctions exécutives et de mémoire de travail (MT). C’est pourquoi, les enfants comptent sur les doigts (d’où le terme digit en anglais, qui signifie chiffre et doigt). Cela est très utile pour soulager la mémoire de travail.
Le sillon intrapariétal inférieur au cœur des représentations numériques
La région cruciale pour le nombre se trouve dans les sillons pariétaux inférieurs gauche et droit (1 et 2 sur la figure 9.2). Cette localisation a d’abord été décrite chez l’adulte à la suite de lésions provoquant une acalculie acquise, puis des neurones répondant précisément à certaines quantités ont été enregistrés chez le singe macaque dans la même région confirmant son rôle dans le codage du nombre. Enfin, des enfants prématurés ayant des lésions de cette région sont plus souvent dyscalculiques que des enfants prématurés appariés mais sans lésion de cette région. Cette région est activée par les nombres, dits à l’oral ou écrits en mots ou en chiffres, et aussi par des points sur un dé ou par n’importe quelle quantité à dénombrer. Il est intéressant de noter que l’ensemble des concepts mathématiques (topologie, analyse, géométrie, algèbre), et pas seulement l’arithmétique, recycle cette région (voir la théorie du recyclage neuronal, p. XX). Du fait de la vascularisation cérébrale particulière chez les prématurés, ceux-ci sont très à risque de micro- ou macrolésions de la région pariétale inférieure. Ils ont donc un risque augmenté de dyscalculie.
Exploration et diagnostic d’une dyscalculie
Encore plus que pour les autres « dys » – car les confusions y sont plus fréquentes et plus « faciles » –, il convient de bien préciser :
ce qui est de l’ordre d’un symptôme (et il faut alors rechercher en amont la cause de ce symptôme) ;
et ce qui est de l’ordre d’un diagnostic (l’accès au mécanisme pathologique qui explique les difficultés en numération et calcul).
Élucider la cause responsable en amont des difficultés en numération et calcul S’ouvre dans une nouvelle fenêtrepermet d’apporter à l’enfant les aides ciblées et efficaces (et non des reprises à l’identique des acquis antérieurs)1 ou de conseiller des orientations scolaires pertinentes.
Diagnostic : le bilan mathématique
Le bilan spécifique – différents bilans existent2, dont le choix revient au professionnel qui effectue le test – n’intervient qu’après que les échelles de Wechsler ont montré des scores dans la norme aux épreuves d’intelligence générale (par exemple, « similitudes » et/ou « matrices ».
Aucun professionnel de santé n’est initialement formé spécifiquement à ces bilans, ces troubles ou leur remédiation. D’une façon générale les neuropsychologues et quelques orthophonistes qui ont participé à une formation récente (ces dix dernières années) sur le sujet sont les plus à même d’effectuer ces bilans et la rééducation.
Le bilan, étalonné, doit permettre d’évaluer l’intensité du trouble, en précisant l’écart à la norme, le décalage d’avec les acquis attendus à son âge, son niveau de « facteur g » et son niveau scolaire.
Quels sont les secteurs plus ou moins impactés ou préservés ?
Positionnement de nombres sur une échelle analogique (représentation analogique du nombre, sens du nombre).
Estimations de quantités.
Comparaison de quantités, de nombres (oraux, écrits).
Connaissances : vocabulaire, numération, opérations arithmétiques.
Calcul mental.
Compréhension : du système numérique oral, chiffré ; de la base 10 ; du passage d’un code à l’autre.
Compréhension de la signification des opérations ; résolution de petits problèmes.
Quel est le diagnostic évoqué ?
C’est-à-dire le mécanisme cognitif dont la défaillance ou le dysfonctionnement est responsable des symptômes : logique (intelligence générale), fonctions visuospatiales, langage, MT et fonctions exécutives, MLT, ou « sens du nombre » ?
Le trouble est-il isolé ou associé à un autre dys ?
L’appellation « troubles logico-mathématiques » ne correspond pas à une « dyscalculie3 » (dys = intelligence préservée), puisqu’il s’agit d’un « retard » d’acquisition des opérations logiques (lesquelles définissent l’intelligence générale et l’intelligence fluide). Les difficultés mathématiques sont donc secondaires à une déficience mentale « discrète » ou un niveau intellectuel « à la limite inférieure » de la norme (voir note 29, p. 51).
Le « sens du nombre » est une capacité innée, dont disposent tous les bébés « neurotypiques », qui leur permet d’estimer et comparer deux collections si elles diffèrent suffisamment (la plus petite vs la plus « grosse »). Avec l’âge et les apprentissages, cette capacité prend la forme d’une « ligne numérique mentale » (LNM) sur laquelle s’organisent progressivement les nombres en fonction de leur taille, de leur magnitude, situés d’autant plus à gauche qu’ils sont plus petits et d’autant plus à droite qu’ils sont plus grands (figure 9.1).1 Voir Mazeau M. Apprendre à compter : pas si simple ! Paris : Tom Pousse ; 2021. 2 Par exemple : Zaréki, Tedi-maths, Numérical…
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Les auteurs
Michèle Mazeau est Médecin de rééducation, spécialisée dans le diagnostic, la prise en charge et l’aide à la scolarisation des enfants avec troubles neurodéveloppementaux spécifiques, (« dys »).
Ghislaine Dehaene-Lambertz est Pédiatre, Directrice de Recherche CNRS, spécialisée dans l’étude du développement des fonctions cognitives de l’enfant et directrice de l’équipe de Neuro-imagerie du développement INSERM-CEA du centre de recherche Neurospin de Paris-Saclay (91).
Hervé Glasel est Neuropsychologue, spécialiste du développement de l’enfant et de l’adolescent et fondateur du Centre de Référence pour l’Évaluation Neuropsychologique de l’Enfant (CERENE), à Paris et à Lyon
Caroline Huron est Psychiatre, experte de la dyspraxie, chargée de recherche Inserm dans le colaboratoire du Learning Planet Institute et présidente fondatrice de l’association « Le Cartable Fantastique »
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