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Du vertige à la chute, l'enquête tous azimuts

France | 6 septembre 2021

Par Anne Claire Nonnotte

Du vertige à la chute, l-enquête tous azimuts

Du vertige à la chute, l-enquête tous azimuts

Nous vous proposons de découvrir l'introduction de l'ouvrage  Troubles de l'équilibre : aspects sensoriels S’ouvre dans une nouvelle fenêtre

Cet ouvrage a l'ambition d'éclairer le lecteur sur les mécanismes des troubles de l'équilibre, avec l'objectif principal de l'aider à les traiter ou à les prévenir, et disons tout de suite que l'équilibre est envisagé ici au sens large comme l'état de stabilité du corps tant dans une posture statique immobile que dans le mouvement le plus complexe. Le lecteur ne trouvera donc pas ici, ou seulement esquissés, tous les détails sur les multiples pathologies possiblement en cause, leurs modalités diagnostiques et leurs traitements propres. Car connaître la ou les maladies en cause est évidemment nécessaire mais très insuffisant pour comprendre un trouble de l'équilibre.

Troubles de l-équilibre - aspects sensoriels

Troubles de l-équilibre - aspects sensoriels

Il faut analyser par quels désordres de la physiologie l'équilibre est perturbé, ce qui passe par l'étude de toutes les composantes nécessaires à celui-ci, et elles peuvent être nombreuses, en tenant compte du terrain, c'est-à-dire de la nature du sujet qui subit ce trouble et de la manière dont il le subit. Et l'on ne doit tenir pour responsable un seul défaut d'entrée sensorielle sans s'interroger sur la qualité des autres et sur la façon dont le système nerveux traite ces informations. Les trois grandes questions à se poser devant un patient présentant des troubles de l'équilibre sont : les voies sensorielles sont-elles efficientes ? L'appareil moteur musculo-squelettique est-il efficient ? Le cerveau est-il capable d'analyser, de choisir les bonnes informations, les meilleures stratégies pour planifier et contrôler la tâche à effectuer ?

Nous voulons dans cet ouvrage mettre l'accent sur le rôle clé que jouent les afférences sensorielles en tant que fonctions de perception. Il est évident qu'un trouble élémentaire de la motricité, comme la paralysie d'un muscle, a un retentissement sur l'équilibre. Son diagnostic porte en soi les éléments physiopathologiques et la conduite thérapeutique. De même pour ne pas y revenir, rappelons que toute douleur aiguë peut entraîner la chute par inhibition réflexe de l'appareil moteur et qu'une inégalité de longueur des membres inférieurs, certaines ankyloses articulaires, des troubles de la statique podale ou rachidienne ont évidemment un retentissement sur la posture et possiblement sur l'équilibre. Nous ne traiterons pas ces questions ici. Les troubles moteurs seront étudiés dans cet ouvrage lorsqu'ils sont associés à d'autres déficiences, comme chez le patient hémiplégique après accident vasculaire cérébral ou dans la maladie de Parkinson. Car il ne s'agit alors pas seulement d'un trouble de l'effecteur mais d'un trouble de la commande cérébrale auquel s'associent plusieurs déficiences complexes retentissant sur l'équilibration, portant notamment sur la perception de la verticale ou l'organisation des schémas anticipateurs, qu'il est nécessaire de décrypter avant de proposer un traitement spécifique.

Il me paraît utile dans cette introduction de tenter une présentation globale des mécanismes de l'équilibration, forcément très insuffisante, tout en situant le sens de nombreux termes employés dans ce domaine. Le terme « afférences sensorielles » sera employé ici pour désigner toutes les informations provenant au système nerveux central à partir des organes des sens. Car il y a une petite ambiguïté dans les termes « sensitif » et « sensoriel ». Les dictionnaires de la langue française ne distinguent pas clairement ces termes qui se rapportent tous deux aux organes des sens. S'il est classique de dire que nous en avons cinq, la vue, l'ouïe, le toucher, le goût et l'odorat, cette liste est bien pauvre et ne rend pas compte de la grande variété et de l'importance de toutes les informations provenant des « sens », utilisées par le système nerveux central pour l'équilibration et la motricité. En médecine, le terme « sensitif » est employé pour désigner les informations véhiculées par les nerfs périphériques : la sensibilité dite extéroceptive tactile (également parfois appelée « haptique »), thermique et douloureuse, la sensibilité dite profonde, incluant la proprioception proprement dite (sens kinesthésique ou arthrokinétique) et la sensibilité viscérale (également douloureuse…). On parle de nerf sensitif et de neurone sensitif centripète dont le noyau se situe dans la corne postérieure de la moelle épinière. Le terme « sensoriel », lui, désigne ce qui concerne les sens, tous les sens. Ainsi lorsque l'on parle d'entrées, de signaux, d'afférences ou d'informations sensorielles, tous les sens sont bien inclus, ce qui ne serait pas le cas si l'on parlait d'entrées sensitives. L'équilibre est un état qui résulte de l'action de forces qui s'annulent. En médecine, lorsque l'on emploie le terme « équilibre » sans autre précision, c'est pour désigner l'équilibre du système musculo-squelettique dans une posture. L'équilibre du corps est atteint lorsque les forces de celui-ci annulent celle de la gravité, force élémentaire sans laquelle nous n'aurions pas à écrire ce livre. Car, comme le rappelle Christine Assaiante (voir chapitre 13), la gravité est un paradoxe pour le contrôle moteur puisqu'elle est le principal agent perturbateur de notre équilibre, mais aussi un référentiel stable sur lequel se base le système nerveux central pour contrôler de façon harmonieuse la plupart de nos actions. La physiologie de l'homme est ainsi faite pour permettre la station debout et donc lutter contre la gravité, afin d'éviter le déséquilibre, voire la chute. La chute peut être définie comme étant le contact involontaire avec le sol ou, dans une définition plus exigeante parfois aussi employée en gériatrie, le contact involontaire avec un support comme une table, une chaise, un mur, qu'il a fallu toucher pour rattraper son équilibre. La posture est aussi un mot qui a plusieurs sens, employé ici pour désigner une attitude. L'homme est la seule espèce bipodale permanente. Sa posture fondamentale qui nécessite l'équilibre est la position debout, éventuellement les positions accroupie et assise qui requièrent des compétences similaires. Dans le maintien statique d'une posture donnée, l'équilibre postural, ou équilibre statique, est atteint lorsque la projection au sol du centre de masse peut être maintenue à l'intérieur de la surface d'appui. L'enregistrement instrumental de la posture est basé sur l'analyse des oscillations du sujet et des mouvements de son centre de masse. Mais le maintien de l'équilibre ne se réduit pas au modèle du pendule inversé, situation d'oscillations du corps autour des chevilles comme observée sur plateforme [1] ou dans un autobus, car, ainsi que Jean Massion l'a formulé, le corps doit être considéré comme une superposition de modules articulés depuis les pieds (base de support) jusqu'à la tête [2]. L'équilibration est l'aptitude à tenir son équilibre dans la position choisie en dépit de circonstances contraires. Ces circonstances peuvent être d'origine interne, ce sont les mouvements déclenchés par le sujet, ou externe, imposées au sujet. Les processus d'équilibration concernent le maintien d'une posture statique ou dynamique. L'équilibration dynamique relève de mécanismes neurophysiologiques différents selon que l'on parle d'équilibre dynamique actif, d'origine interne, qu'André Thomas appelait « équilibration-action » [3], ou que l'on parle d'équilibre dynamique passif, c'est à- dire en réponse à une stimulation extérieure, équilibration-réaction. Dans un processus actif, les mécanismes comportent une anticipation du déséquilibre. Dans un processus externe en équilibration- réaction, il peut y avoir une partie d'anticipation, mais pas toujours. L'état d'équilibre, état de non-chute, peut donc être l'immobilité statique complète mais aussi un état de mouvement stable dont le plus habituel est la marche. À la marche, le centre des pressions n'est pas aligné avec la surface d'appui, il oscille entre les deux pieds et n'est jamais superposé à la sole plantaire. Car stabilité ne veut pas dire immobilité. La stabilité est la capacité d'un système à revenir à sa position initiale. Le ludion, ce petit bonhomme lesté, bouge, oscille pendant très longtemps et il est stable, il ne va pas tomber. Dans la marche, on est en équilibre mais c'est un équilibre mouvant. L'initiation elle-même de la marche mérite un intérêt particulier. Car dans l'initiation de celle-ci, le corps se comporte comme un pendule inversé et c'est la projection du centre de gravité en avant de la surface d'appui qui est le premier mouvement de la marche [4]. Il y a une mise en danger volontaire qui doit être contrôlée, marcher c'est en accepter le risque. Et sa dimension psychique n'est jamais loin. Une autre notion importante est que la posture, c'est-à-dire cette attitude maintenue, précède et accompagne le mouvement. Nikolaï Bernstein disait que la posture consiste à se tenir prêt pour l'action [5], et, pour Jean Massion, l'une des tâches les plus importantes du système nerveux consiste à coordonner posture et mouvement [2]. Il ne peut pas y avoir de mouvement efficace si la posture de départ n'est pas stable. Un bon exemple est le patient présentant un syndrome cérébelleux : il a déjà du mal à tenir la posture statique du tronc en position assise, il perd toute force dans le mouvement. Lancer un ballon, un javelot, ou courir nécessite la capacité de maintien de la posture. Simon Bouiss et a proposé le concept de capacités posturo-cinétiques, avec cette idée qu'il y a bien un couple posture-mouvement qui dépend de la configuration posturale du sujet quand il doit faire ce mouvement, du contexte environnemental et enfin de l'état fonctionnel de l'ensemble du système postural [6]. Il y a une étroite interrelation entre le système musculosquelettique et l'environnement par les forces résultant de l'un sur l'autre [2]. Ce sont là des notions assez intuitives. Ce qui l'est moins est que la posture est également indispensable à la perception. Là encore, le sujet cérébelleux est en double peine : par le tremblement du chef, il met en difficulté ses vestibules et sa perception visuelle, par sa dysmétrie, il met en difficulté sa sensation tactile et proprioceptive. En fait, il est dans une certaine incapacité de perception.

Le contrôle postural a donc trois rôles : assurer l'équilibre, garantir une base stabilisée pour l'action, et enfin permettre l'élaboration des représentations spatiales. Il est aussi possible, comme le propose Bernard Amblard, de résumer l'équilibration à deux principales composantes nécessaires : la première est la capacité de l'orientation antigravitaire du tronc et de la tête, qui passe par celle de percevoir le vecteur gravitaire, la verticale, avec le rôle majeur mais non exclusif du système vestibulaire. La seconde est la capacité de stabiliser la posture en minimisant les oscillations : les informations somesthésiques ont là le rôle principal et à un moindre degré les informations vestibulaires et visuelles [7]. L'orientation du corps à l'opposé du vecteur gravitaire pour maintenir la posture debout ou assise nécessite une représentation de la verticale gravitaire par le sujet, que l'on appelle la « verticale subjective ». Ceci devrait être la première question posée devant un patient présentant un trouble de l'équilibre : Quelle perception a-t-il de la verticale gravitaire ? Recherche de l'étiologie, traitement et rééducation en dépendront. La verticale visuelle subjective désigne la perception que l'on a par la vue de la verticalité de l'environnement (murs, portes, lignes tracées…), la verticale posturale subjective désigne la perception que l'on a de sa posture, assise ou debout, par rapport à la gravité. La principale information que le cerveau a du vecteur gravitaire vient des vestibules par les otolithes utriculaires, organe spécifiquement dédié à cette fonction, fonctionnel dès la naissance. Les autres sources d'information, notamment visuelles, ne sont que complémentaires, acquises par l'expérience. La vision nous a appris que la croissance des arbres suit le sens du vecteur gravitaire en sens inverse et que, sauf facétie particulière d'un architecte, les murs des maisons sont verticaux. Nous avons appris par la proprioception et le tact plantaire à détecter l'horizontalité du sol. Il existe toutefois un autre « organe » dont la fonction innée est également la perception de la verticalité : les gravicepteurs viscéraux. Les expériences de Horst Mittelstaedt les ont démontrés chez l'homme après qu'ils ont été observés chez l'animal. Ses observations chez le paraplégique blessé médullaire ont montré leur innervation par les métamères T11 et T12 et celles chez le néphrectomisé le rôle clé des reins [8]. Leur rôle paraît déterminant pour la perception de verticalité du tronc. Il n'est pas difficile d'imaginer les conséquences d'une perception erronée de la verticale gravitaire, principalement due à une asymétrie des informations et/ou de leur traitement central, secondaire à une lésion qui peut se situer à un niveau quelconque depuis le capteur jusqu'au cortex cérébral. Le chapitre 1 de l'équipe de Dominic Pérennou qui a récemment fait avancer la connaissance en ce domaine explicite toutes ces notions.

L'équilibration mobilise une association de processus complexes que l'on peut classer en trois niveaux : les processus réflexes, les processus automatiques et les processus volontaires qui évidemment déclenchent, complètent, adaptent le mouvement, et intègrent eux-mêmes des automatismes.

Un réflexe est défini par une réaction motrice involontaire, à très courte latence, toujours identique à une stimulation donnée. Le réflexe myotatique, contraction du muscle en réponse à son étirement, est l'un des principaux d'entre eux qui permet l'ajustement postural rapide par celui du tonus des muscles antigravitaires. Lorsqu'il est exagéré dans les atteintes neurologiques, le classique syndrome pyramidal, ce sont les muscles érecteurs des membres inférieurs et du tronc qui sont le plus toniques et se renforcent avec l'orthostatisme. Mais ce réflexe est, isolément, de faible valeur fonctionnelle et doit être régulé. Il l'est notamment par la formation réticulée (l'éveil), avec les faisceaux réticulo-spinaux médians activateurs, latéraux inhibiteurs et par les vestibules, avec les faisceaux vestibulo-spinaux. D'autres réflexes dits toniques sont présents dès la naissance et disparaissent ensuite, intégrés dans des répertoires sensori-moteurs plus élaborés : le réflexe tonique labyrinthique qui répartit le tonus entre les hémicorps et augmente le tonus du côté où la tête est inclinée, ou encore le réflexe tonique du cou qui entraîne l'augmentation du tonus des muscles extenseurs du côté de la rotation de la tête. Ces réflexes ne s'observent plus chez l'adulte en dehors de situations très pathologiques comme les traumatismes crâniens sévères. Enfin certains réflexes principalement observés chez l'animal pourraient aussi jouer un rôle comme la réaction de support positif : le simple contact du coussin plantaire déclenche une cocontraction des muscles de la patte pour stabiliser les articulations. Les automatismes se distinguent par leur complexité et par leur mise en jeu qui peut être volontaire. Ils comportent notamment les ajustements posturaux et les synergies musculaires. Quelle que soit la source de déséquilibre, les ajustements posturaux nécessaires pour le corriger sont mis en jeu grâce aux informations sensorielles issues des systèmes vestibulaire, visuel et proprioceptif. Ces ajustements posturaux dépendent des paramètres de la tâche motrice à effectuer. Ils sont acquis par l'apprentissage, le nouveau-né n'en a aucun. Ils sont heureusement capables d'adaptation toute la vie par l'entraînement. Le mouvement étant source de déséquilibre, les ajustements posturaux nécessaires à ce mouvement doivent être autant que possible anticipés. Ainsi lorsque l'on se penche en avant pour attraper une charge, les premiers muscles qui s'activent sont les triceps suraux, les fessiers et les spinaux. Ils se contractent avant que le tronc ne s'incline en avant, ce sont bien des processus anticipés : les ajustements posturaux anticipés (APA). Les APA sont spécifiques du mouvement projeté. Le cerveau a programmé des ajustements anticipateurs en fonction de son expérience. C'est toute l'importance de l'apprentissage et du développement chez l'enfant, puisque le cerveau va ainsi apprendre des combinaisons motrices de base, enregistrées dans des répertoires moteurs que l'on met en route automatiquement. Ils ont un rôle de stabilisation posturale et de création de force propulsive. Ces ajustements posturaux ont été construits sur la base de la représentation, ou modèle interne, de l'action que l'on va faire. Les APA ne sont pas innés. Ils commencent à se construire à l'âge de 2 ans, avec une lente maturation jusqu'à l'adolescence (voir chapitre 13). Au niveau cérébral, ils sont construits notamment dans l'aire motrice supplémentaire, située dans le lobe frontal, et les noyaux gris centraux y jouent un rôle important. La perturbation de ces APA est un des signes précoces de la maladie de Parkinson. Les synergies motrices sont des combinaisons motrices, des unités fonctionnelles construites en grande partie par l'apprentissage. Elles permettent la coordination entre les membres ou entre certains muscles afin qu'une seule commande les mette en jeu. L'organisation en synergie simplifie le contrôle en évitant d'avoir à tenir compte de tous les éléments séparément. Le mouvement est organisé à partir d'un répertoire de synergies dans lequel le système nerveux puise pour utiliser la plus adaptée au mouvement prévu. Ainsi les synergies axiales décrites par Joseph Babinski ont pour rôle de maintenir la projection du centre de gravité dans la base de sustentation [9].

La stabilisation posturale est donc le moyen et la finalité de l'équilibration. Pour contrôler l'équilibre, il peut être nécessaire de changer automatiquement de géométrie corporelle : on parle de stratégie posturale. Il peut s'agir de la simple raideur musculaire des antagonistes de la jambe, d'une stratégie dite de cheville où le sujet oscille comme un pendule inversé, d'une stratégie d'élargissement de la base de support en mettant un pied en avant ou de côté, ou encore d'une stratégie de flexion de hanches ou de genoux consistant à abaisser le centre de gravité. Ces différentes stratégies doivent pouvoir être combinées ou utilisées selon les besoins et l'on sait que le vieillissement altère cette capacité à choisir et à changer de stratégie. L'automatisation de la stabilité posturale n'est pas acquise avant l'âge de 10 ans. Comme le rappelle Bernard Amblard, il convient de distinguer deux types différents de stratégies motrices dédiées au contrôle postural : les stratégies de stabilisations segmentaires au service de l'immobilisation du référentiel sensoriel porté par le segment stabilisé, et les stratégies multisegmentaires de rééquilibration qui ont pour objectif d'éviter la chute [7]. Ainsi, une pièce maîtresse de l'organisation de l'équilibre est la stabilisation de la tête par rapport au référentiel gravitaire. Le cerveau utilise la perception de la gravité par les otolithes, pour stabiliser la tête et lui donner un rôle de plateforme mobile comme référentiel à tous les mouvements. Les travaux de Lewis Nashner [1] ont montré que la tête peut être stabilisée par rapport à l'espace ou par rapport au tronc. Cette capacité de stabiliser la tête sur l'espace n'est pas innée et n'est acquise que progressivement chez l'enfant vers l'âge de 7 ans, lui permettant ainsi d'augmenter ses performances sans mettre en danger l'équilibre par un excès d'oscillation. Car c'est la stratégie la plus efficace pour l'adaptation de la motricité à l'environnement. Mais dans certaines circonstances, le cerveau peut avoir à choisir un autre référentiel postural en fonction de la tâche et du contexte : c'est l'exemple du garçon de café dont le segment corporel de référence devient la main et l'horizontalité du plateau chargé. Les relations entre les informations proprioceptives, notamment cervicales, et les informations vestibulaires sont cruciales. Enfin, la stabilisation du regard est également indispensable. Elle est à la fois résultante de la posture et un moyen essentiel du contrôle de celle-ci. Elle passe par deux réflexes principaux : le réflexe vestibulo-oculaire qui permet la stabilité du regard lors des mouvements de la tête ou du corps et le réflexe visuo-oculomoteur qui permet le maintien de la direction du regard lors du défilement d'un panorama (nystagmus optocinétique). Les liens entre l'oculomotricité et les complexes nucléaires vestibulaires, et de ceux-ci avec la proprioception, sont essentiels comme le montrent notamment les travaux de Zoï Kapoula (voir chapitre 8).

Ainsi pour rappel, la perception stabilise la posture et la posture stabilise la perception. Les afférences sensorielles ont donc un double rôle : (i) elles contribuent à la représentation du corps en lui-même et à sa position dans l'espace, et (ii) elles servent à ajuster le mouvement à son but, par leur rôle de détecteurs d'erreurs en réafférentation et de comparateurs avec les hypothèses faites préalablement au mouvement par le système nerveux central. Ainsi les afférences sensorielles doivent renseigner sur le vecteur gravitaire, l'environnement, le support et le positionnement des segments corporels les uns par rapport aux autres. L'appareil vestibulaire renseigne sur le vecteur gravitaire, l'accélération, la vitesse, l'orientation de la tête par rapport à la gravité. Les gravicepteurs somesthésiques que nous avons évoqués renseignent également sur le vecteur gravitaire. La vision renseigne sur la position et les mouvements du corps dans l'espace ou de l'espace par rapport à lui, quelle que soit leur vitesse ; elle contribue à déterminer la verticalité, mais par apprentissage. Ces systèmes sont largement décrits dans cet ouvrage. D'autres signaux sensitifs sont essentiels. Les mécanorécepteurs plantaires renseignent sur la position du corps par rapport au support et à son horizontalité. Les capteurs cutanés renseignent sur l'environnement et la position du corps par rapport à celui-ci, et le cerveau est capable d'utiliser des outils pour accroître son espace de palpation : de l'utilisation d'une simple canne chez l'aveugle à la perception de l'environnement au travers de tous les outils et supports d'assise comme le démontrent Jean Paysant et Alessandro Farnè (chapitre 12). La proprioception est impliquée dans le calcul de la position et de l'inertie des différents segments corporels. Elles permettent ainsi de construire les représentations de la géométrie et de la dynamique corporelles et, par rapport à celles-ci, de préciser l'espace personnel et l'espace extrapersonnel. À part le système otolithique fonctionnel dès la naissance, c'est l'apprentissage qui permet la construction d'un « dictionnaire des sensations » dans lequel le système nerveux puise pour y comparer ses perceptions [5].

Mais si l'équilibre relève en grande partie de processus réactionnels, c'est aussi et peut-être surtout un processus proactif par lequel le cerveau programme le mouvement, sur la base d'une modélisation du futur selon l'expression de Bernstein [5], et vérifie les hypothèses qu'il a faites en écoutant ses capteurs pendant la réalisation du mouvement [10]. Le cerveau est un simulateur biologique qui prédit en puisant dans sa mémoire et en faisant des hypothèses, il peut donc se tromper. On voit toute l'importance de la richesse de cette mémoire (spatiale, gestuelle…). Les sens doivent donc être vus comme des systèmes actifs et non comme de simples éléments transmetteurs passifs. La différence entre l'appareil photo et l'oeil humain, c'est que l'appareil photo capte tout sans faire de différences. L'oeil humain en se portant sur une scène a déjà fait des choix en s'intéressant à certains éléments de celle-ci et il aura fait les ajustements relatifs à ces choix que l'appareil n'a pas faits. Le cerveau va chercher des informations. James Gibson [11] a proposé d'appeler les organes de sensibilité des « systèmes perceptuels » et non pas des systèmes sensitifs ou sensoriels, pour bien mettre l'accent sur le fait que ce sont des outils de perception et non pas seulement des transmetteurs de l'état de l'environnement. Le cerveau a donc besoin d'une perception multisensorielle, et des convergences se produisent à tous les niveaux du système nerveux : les noyaux vestibulaires, la moelle épinière, le cervelet, le colliculus supérieur, le thalamus et les aires corticales, en particulier le cortex pariéto-occipital droit. Ces convergences permettent la coopération constante entre les différents systèmes perceptuels.

Plusieurs structures centrales jouent un rôle d'intégration des informations sensorielles, ellesmêmes connectées entre elles en réseau. Ainsi les complexes nucléaires vestibulaires reçoivent les informations labyrinthiques mais aussi visuelles et proprioceptives spinales. Ils sont en relation avec le cervelet, le colliculus supérieur, les noyaux gris centraux, et projettent leurs informations vers le cortex, notamment celui dit « vestibulaire », controlatéral via le thalamus. Le cortex vestibulaire lui-même dit pariéto-insulaire, situé à la partie supérieure du lobe temporal dans l'insula et à la partie inférieure du lobe pariétal, reçoit les informations labyrinthiques mais aussi visuelles et proprioceptives. Et c'est l'hémisphère droit chez le droitier qui, recevant également les informations du cortex vestibulaire controlatéral via le corps calleux, est dévolu à l'analyse de la position du corps par rapport à l'espace et à la gravité. La jonction temporo-pariétale droite joue ainsi un rôle majeur d'intégration plurimodale. Inversement, le cortex lui-même projette des informations visuelles et somesthésiques sur les complexes nucléaires vestibulaires. Outre ces voies sensorielles qui nous intéresseront plus dans cet ouvrage, il faut citer deux circuits ascendants particuliers. La voie cérébellothalamo- corticale (aire 4 ou cortex moteur primaire) est essentielle dans l'apprentissage moteur et la construction des synergies posturales. La voie pallido-thalamo-corticale (aire motrice supplémentaire et oculomotrice frontale) intervient dans la planification, la préparation du mouvement et donc les APA.

Ainsi le système nerveux central reçoit en permanence une quantité d'informations qu'il doit analyser et comparer. Il doit surtout faire des choix, pondérer ces entrées en fonction de la tâche à accomplir, des choix préalables à celle-ci, parmi les différentes sources d'information pour choisir les plus sensibles, rapidement et aisément, disponibles. Il doit aussi, en cas de conflit sensoriel, c'est-à-dire d'informations contradictoires entre deux sources, faire le choix de la source qui est probablement la plus efficiente à cet instant. Ces choix devraient idéalement dépendre des besoins contextuels. Or il se trouve qu'ils sont parfois, souvent chez certains, stéréotypés, c'est-à-dire que le système nerveux central tend à écouter, à utiliser plus volontiers telle source par rapport aux autres. C'est ce que l'on appelle le « style perceptif » qui comporte aussi un versant moteur définissant le style perceptivo-moteur (voir chapitre 14). Cette préférence du système nerveux central à utiliser plus volontiers telle information sensorielle et telle synergie musculaire peut être efficace tant qu'elle n'est pas exclusive. Mais s'il y a une stabilité du comportement quel que soit le contexte, cet état dit de dépendance est alors contre-productif du point de vue de l'adaptation posturale. Le plus fréquent de ces comportements semble être celui de dépendance visuelle. Le dépister est crucial pour la rééducation car il n'y a pas de réelle hiérarchie entre les afférences sensorielles, tout n'est que rapport au contexte et à la tâche envisagée. Le système nerveux central doit en permanence faire les bons choix, ce qui devrait supposer aussi la capacité de conserver le champ de ces choix le plus large possible. Et donc, comme le propose Alain Berthoz, « il faut inverser le sens dans lequel on étudie les sens, partir du but que poursuit l'organisme et comprendre comment le cerveau va interroger les capteurs ». La perception est loin d'être une simple interprétation des messages sensoriels, elle est contrainte par l'action. La sensibilité elle même des capteurs est modulée par le cerveau qui affecte un statut à l'information sensorielle en fonction de son estimation de l'état général du corps [10, 11]. La littérature concernant notre sujet est particulièrement vaste et nous prions le lecteur de ne pas nous tenir rigueur des choix ou des oublis qui ont été faits dans la rédaction de cet ouvrage. Comment tout de même ne pas saluer ici Adolfo Bronstein, Marco Schieppati, Thomas Brandt, Marianne Dieterich, Jean-Pierre Roll, Pierre- Marie Gagey, Michel Lacour, parmi tous ceux dont le lecteur retrouvera les travaux dans cet ouvrage.

Ainsi, dans cette enquête minutieuse traquant les mécanismes du déséquilibre et du risque de la chute, le triptyque qui doit nous guider est le suivant :

  • comprendre les mécanismes expliquant la chute ;

  • prédire chez un sujet donné le risque qui est le sien ;

  • prévenir ce risque par la réduction de tous les facteurs identifiés.

Pour comprendre les causes d'une chute, comme nous l'avons dit, l'analyse complète des mécanismes en jeu impose de ne pas se contenter d'un diagnostic de maladie, mais d'inclure l'analyse des mécanismes de réaction du sujet à cette maladie, de tenir compte de ses aptitudes, de son style propre et des déficiences éventuellement associées. Cela nous renvoie aux trois grandes questions posées au préalable de cette introduction. Et comprendre la physiologie d'un trouble de l'équilibre, c'est aussi s'interroger sur l'état habituel de la personne, sa physiologie naturelle, antérieure à la maladie déclenchant le trouble de l'équilibre : personnalité, psychisme, profession, activité physique, sportive et ludique, environnement habituel, en bref, tout ce qui a construit l'équilibre dans lequel il était avant l'événement déclenchant. Équilibre physique, équilibre psychique, équilibre social. Ses capacités de guérison ou de compensation, voire de résilience, en seront mieux comprises et utilisées. Car l'intérêt que l'on porte à comprendre un trouble de l'équilibre serait très incomplet s'il ne prenait en compte la dimension psychique. On peut le dire, un trouble de l'équilibre est déstabilisant, à tout point de vue notamment psychique. S'il peut arriver qu'un trouble psychique induise un trouble de l'équilibre, il est beaucoup plus constant qu'un trouble de l'équilibre physique induise une déstabilisation psychique. J'ai le souvenir de ce kinésithérapeute spécialisé en rééducation vestibulaire qui devint profondément dépressif à la suite d'un traumatisme crânien léger, incapable de supporter cette sensation vertigineuse qui, pendant son travail, le renvoyait soudain à questionner sa propre action, sa propre efficacité envers ses patients. La perte brutale de confiance en son corps qui ne répond pas, le caractère souvent impromptu, parfois imprévisible, du déséquilibre, induisent un état d'insécurité particulièrement fragilisant. La sensation que la tête fuit, ne tient plus, n'est plus la sienne est une expérience violente. Alors, ne plus bouger pour ne plus subir ces sensations, particulièrement lors des atteintes vestibulaires, ne plus bouger, fixer la tête sur les épaules, ne plus oser regarder de côté ou en haut, produit immanquablement deux effets délétères : le premier est la perte de confiance en soi, le doute, l'angoisse qui précèdent la dépression, et le second, conséquence de la réduction d'activités, est l'aggravation du déséquilibre physique et du risque de chutes. Pour prédire le risque de chute d'un sujet donné, il faut donc avoir compris les mécanismes propres à celui-ci. Aucune échelle, aucun score ne permet de prédire le risque d'un sujet donné. Tout au plus, permettent-ils de le classer dans la catégorie des sujets « à risque ». Une fois bien analysés tous les déterminants déficitaires pouvant expliquer la chute, de la perception erronée de la verticale gravitaire à une asymétrie sensorielle par exemple, il faut absolument faire une place à part et prépondérante à la conscience qu'en a le sujet et à sa tendance à prendre des risques. Enfin, prévenir le risque devient envisageable quand la liste des cibles déficitaires est clairement élaborée, des déficiences motrices ou sensorielles aux déficiences comportementales en passant par les déficiences du traitement central des informations. Prévenir peut passer par les traitements médicamenteux, voire chirurgicaux, de la maladie causale, par l'adaptation de l'environnement, mais le plus souvent les traitements préventifs doivent être rééducatifs dans toutes les dimensions sensorielles, motrices, cognitives et psychocomportementales. Avec toujours la même démarche en rééducation : quel en est l'objectif ? Celui-ci passe-t-il par la guérison de la déficience constatée ou par des compensations qu'il faut développer en raison d'une déficience durable ? La rééducation avec toutes les immenses possibilités que doivent maîtriser les rééducateurs est le moyen d'atteindre ces objectifs.

Tout le talent du rééducateur doit être de personnaliser les techniques de rééducation en les adaptant aux mécanismes du déséquilibre, propres à chaque sujet, en en comprenant toutes les dimensions, physiques et psychiques. Et, en dehors de toute pathologie, finissons sur l'importance de l'entretien physique personnel. Car si les capteurs sensoriels perdent de l'efficacité avec le temps, la capacité du système nerveux à traiter les signaux, à programmer, à anticiper, à réagir, s'altère d'autant plus qu'elle n'est pas sollicitée. Les systèmes cognitifs ne s'usent que si l'on ne s'en sert pas… C'est pourquoi cet ouvrage se termine avec le Tai Chi, dont Luce Condamine fait une présentation experte entre équilibre physique et équilibre psychique. Bien sûr il s'agit d'un choix partial entre de nombreuses autres activités utiles à l'équilibre, physiques, cognitives et ludiques.

Troubles de l’équilibre : aspects sensoriels, de la physiologie à la rééducation © 2021, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Vous venez de lire l'introduction de l'ouvrage Troubles de l’équilibre : aspects sensoriels, de la physiologie à la rééducation S’ouvre dans une nouvelle fenêtre Par Alain Yelnik Spécialiste en médecine physique et de réadaptation, professeur des universités, chef du service de MPR, GHU AP-HP Nord, Hôpital Lariboisière – Fernand-Widal, Université de Paris, Centre Borelli, UMR 9010

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