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Moins de jouets pour plus de jeux

15 juin 2022

Par Anne Claire Nonnotte

Moins de jouets pour plus de jeux

Moins de jouets pour plus de jeux

Nous vous proposons de découvrir un article des Métiers de la Petite enfanceS’ouvre dans une nouvelle fenêtre

Métiers de la Petite enfance

Métiers de la Petite enfance

Moins de jouets pour plus de jeux

Élise Mareuil : Éducatrice de jeunes enfants, responsable pédagogique, formatrice c/o Métiers de la petite enfance, 65 rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux cedex, France

Résumé

Si les enfants jouent régulièrement avec des jouets, cette activité n’implique pas nécessairement des objets manufacturés. Il est possible de leur en proposer des modalités bien plus riches, justement parce qu’elles ne reposent sur aucun artefact conçu pour être ludique. Intégrer dans sa pratique professionnelle des moments avec moins de jouets s’avère souvent synonyme d’émerveillement et d’ouverture de multiples possibilités d’exploration.

Mots clés : curiosité, exploration, jeu, jouet, liberté ludique

Jouer ne veut pas forcément dire jouets ! Loin de ne passer que par du matériel manufacturé pensé par l’adulte, le jeu du jeune enfant peut prendre toute son ampleur à travers l’utilisation d’objets initialement conçus pour d’autres activités. De nombreuses pédagogies actives, dont l’approche Reggio Emilia, se détachent du jouet pour mener une réflexion sur l’acte même de jouer. L’idée n’est évidemment pas de supprimer en permanence tous les objets ludiques, mais de réfléchir à d’autres activités à proposer aux enfants, à de nouvelles perspectives qui laisseraient plus de place à l’imagination, à la spontanéité et à la créativité.

Découvrir le monde en jouant

Le tout-petit a besoin d’explorer son environnement avec ses cinq sens, avec son corps, sans que cela ne passe forcément par un objet en plastique dit éducatif qui bipe et qui clignote. L’enfant est un petit scientifique qui apprend par tâtonnements expérimentaux, fait des découvertes par essais-erreurs. Il est donc essentiel de favoriser son exploration libre en réfléchissant en amont à l’environnement le plus adapté à ses recherches ludiques, sans tenter forcément de répondre à la question, récurrente : quel jouet à quel âge ? Car, au fond, qu’est-ce que jouer si ce n’est une activité choisie spontanément par l’enfant, de façon créative et sans objectif précis autre que le plaisir et l’exploration (sensorielle, motrice, créatrice, expérimentale, etc.) ?

Selon le pédiatre et psychanalyste Donald W. Winnicott, le tout-petit joue en premier lieu par plaisir, puis pour exprimer de l’agressivité, maîtriser son angoisse, accroître son expérience et établir des contacts sociaux [1]. Le jeu autonome et actif se révèle donc absolument essentiel à son développement harmonieux. Respecter son activité spontanée et lui permettre d’aller là où le mène sa curiosité naturelle est fondamental.

Quel cadre sécurisé et sécurisant les professionnels peuvent-ils proposer à l’enfant pour le rendre pleinement acteur de ses découvertes ? D’après le psychosociologue Jean Epstein, « un enfant ne joue pas pour apprendre, il apprend parce qu’il joue » [2]. Cette affirmation nous oblige à réfléchir à la définition même de ces fameux jouets soi-disant éducatifs et à l’utilisation que nous en faisons. Comme l’expose André Stern dans Jouer [3], il n’est pas possible de séparer le jeu des notions de plaisir et d’apprentissage dans la petite enfance, les trois étant intimement liés. Ainsi, il n’y a pas d’un côté le jeu libre et de l’autre le jeu éducatif. Pour le tout-petit, tout est jeu !

Se passer de jouets manufacturés

Divers courants de pensée s’interrogent actuellement sur les jeux que l’on trouve dans la majorité des commerces : sont-ils réellement adaptés aux plus jeunes ? Ne seraient-ils pas trop excitants ? Quelle est leur richesse sensorielle, relationnelle et imaginative ?

Elsa Job-Pigeard, orthophoniste, rappelle que l’enfant peut utiliser tous types d’objets de manière ludique : éléments naturels, carton, tissus, etc. [4]. Cela lui ouvre une multitude de possibilités. Il peut les transformer, les adapter selon son imagination, sa créativité et sa spontanéité : un morceau de carton devient un château, une cabane, un cheval ou un bus. Au contraire, certains jouets manufacturés enferment dans une fonction, voire plusieurs, et s’avèrent totalement inadaptés à l’enfant (mots dits en anglais, chiffres ou formes trop nombreux, etc., tout cela dans un même objet qui émet des bips sonores sans discontinuer).

Et si nous pensions l’activité ludique en termes de variété des explorations permises plutôt que de quantité de jouets ? Il est grand temps de faire confiance à l’enfant pour construire ses jeux librement. « Depuis quelques années, le temps de jeu libre fond comme neige au soleil. C’est le triste constat que nous faisons [en tant que] professionnels de l’enfance » [4] Elsa Job-Pigeard s’interroge : le jeu libre est-il menacé par les jouets eux-mêmes ? Elle va même plus loin en établissant un lien entre objets ludiques manufacturés et malbouffe. La nourriture surindustrialisée peut être définie par ses qualités nutritives pauvres, les risques qu’elle engendre pour la santé, son caractère addictif et son impact négatif sur l’environnement. La pertinence du parallèle avec la plupart des jouets présents dans les rayons des magasins, vendus à grand renfort de marketing dit éducatif, est flagrante. L’objectif mis en avant par les commerçants n’est pas le plaisir de jouer mais l’atteinte de toute une liste (mensongère) de performances. Jamais, parmi les arguments cités quant à l’intérêt de ces objets ne sont évoqués la créativité, l’imagination, la sensorialité ou tout simplement le plaisir, pourtant fondateurs de la notion de jeu.

Dans le même ordre d’idées, Sophie Marinopoulos, psychanalyste, évoque dans son rapport “Une stratégie nationale pour la santé culturelle” [5] la « malnutrition culturelle » dont souffre la société. Elle y précise combien l’éveil culturel et artistique est essentiel à la bonne structuration des « ressources cognitives, langagières, relationnelles, empathiques, émotionnelles » . Et note que « les enfants de notre culture, qui échappent à la famine, nos enfants bien nourris, présentent des signes de malnutrition culturelle : appauvrissement du langage, faible sécurité interne, perte d’estime de soi, baisse de la résistance à la frustration, excitabilité relationnelle, manque d’expériences sécurisantes … » [5].

Ces différents éléments font écho au jeu symbolique, dont le psychologue suisse Jean Piaget souligne l’importance pour le développement de l’enfant. Ces jeux d’imitation, de faire semblant, dépendent entièrement de la capacité imaginative du tout-petit. Or, comment se détacher du réel, se représenter un château à la place d’un carton, si l’on ne rencontre que des jeux ultraréalistes ou d’une pauvreté créative désarmante ? Qu’inventer à partir d’un jouet en plastique dont l’usage se limite souvent à appuyer sur un bouton pour émettre un son ou de la lumière ? Comment le transformer en autre chose ? Quelle « vitalité découvreuse » , selon l’expression de Frédérique Dupin, pédagogue fondatrice du centre d’expérimentation et de ressources artistiques et culturelles Petit Pois, cela peut-il déclencher chez l’enfant [6] ?

Conclusion

Au lieu de parler de jouets, il serait temps que nous commencions à considérer l’activité ludique du tout-petit comme un terrain à explorer, un lieu riche en hypothèses à mettre en œuvre, en objets à détourner et en opportunités de mise en lien, de relations, d’émerveillement.

Recentrons-nous sur du matériel simple mais à haut potentiel : un bâton qui se transforme en épée ou en crayon, une boîte qui se mue en bateau ou en berceau, une pomme de pin qui devient un personnage ou une voiture ; et réfléchissons à du matériel et à un environnement qui invitent l’enfant à jouer, à imaginer, à créer.

Moins de jouets pour plus de jeux

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Déclaration de liens d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

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© 2022  Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Métiers de la petite enfanceS’ouvre dans une nouvelle fenêtre Volume 28, numéro 305 (mai 2022)

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Références

[1] Winnicott D.W. Pourquoi les enfants jouent-ils ? In: Les objets transitionnels Paris: Payot (2017). [2] Epstein J., Radiguet C. L’explorateur nu. Plaisir du jeu. Découverte du monde Paris: Éditions universitaires (1999). [3] Stern A. Jouer. Faisons confiance à nos enfants Arles: Actes Sud (2017). [4] Job-Pigeard E. Jouets industriels: la malbouffe du cerveau ? 3 juin 2019. ?p=1758. [5] Marinopoulos S. Une stratégie nationale pour la santé culturelle. Promouvoir et pérenniser l’éveil culturel et artistique de l’enfant de la naissance à 3 ans dans le lien à son parent (ECA-LEP). Janvier 2019. 194000584.pdf. [6] Dupin F. La vitalité découvreuse ! 26 mars 2020. petit-pois-accompagne-la-vitalit%26eacute;-d%26eacute;couvreuse-des-petits-et-des-grands.