Neuromodulation en neurologie et en psychiatrie
8 mars 2023
Par Anne Claire Nonnotte
Nous vous proposons de découvrir un extrait de l'ouvrage Neuromodulation en neurologie et en psychiatrie S’ouvre dans une nouvelle fenêtre
Migraine
Notions de physiologie et d'imagerie
La migraine est parmi les affections les plus répandues dans le monde car elle affecte spécifiquement plus d'un milliard de personnes, avec un impact individuel et sociétal élevé [1]. Une meilleure compréhension des mécanismes physiopathologiques S’ouvre dans une nouvelle fenêtre nous a permis une plus grande prise de conscience de la complexité de cette maladie. La physiopathologie de la migraine implique un réseau considérable de voies neuronales cérébrales. L'aura migraineuse est généralement considérée comme étant due à une vague de dépression corticale propagée (DCP), émanant du cortex visuel occipital. Des travaux sur des modèles animaux de migraine suggèrent que la DCP peut provoquer des céphalées migraineuses par des mécanismes périphériques ou centraux, ou les deux [2]. D'une théorie vasculaire, le domaine est passé aux théories neuronales impliquant le SNC ou périphérique, ou les deux.
Le système trigéminovasculaire est l'un des acteurs clés dans l'expression de la migraine S’ouvre dans une nouvelle fenêtre. Il est constitué d'axones périphériques du ganglion trijumeau qui atteignent les méninges et les artères intracrâniennes et convergent centralement dans le complexe trigéminocervical (CTC) libérant, entre autres transmetteurs, le peptide lié au gène de la calcitonine (CGRP). Le CTC comprend le noyau caudal du trijumeau ainsi que la corne dorsale des segments C1-C2 de la moelle spinale. On pense que son activation conduit à la cascade d'événements entraînant la douleur migraineuse en raison de sa connexion directe avec des centres cérébraux clés tels que les noyaux diencéphaliques et du tronc cérébral [3]. Les études d'imagerie cérébrale ont suggéré l'implication des régions du tronc cérébral, telles que la substance grise périaqueducale et le pont dorsolatéral, qui sont considérés comme le «générateur de migraine», avec un rôle majeur dans le déclenchement des crises. Bien que la validité de la théorie des générateurs du tronc cérébral ait été largement débattue ces dernières années, le rôle des noyaux du tronc cérébral dans la modulation de la transmission trigéminovasculaire de la douleur et les réponses autonomes dans la migraine sont bien établis.
De nombreuses recherches se sont concentrées sur des structures cérébrales spécifiques considérées comme étant à la base de la douleur, le principal symptôme de la migraine. Dans la migraine, ont été observées des modifications micro/macro structurelles, des altérations du métabolisme cérébral dans les zones de traitement de la douleur qui forment la «matrice de la douleur» (figures 9.1 et 9.2) [4]. Avec ces progrès et compte tenu de la variété des phases qui se chevauchent et qui constituent la crise de migraine, il est devenu clair que le concept d'un «générateur unique de migraine» ne peut plus être valable (figure 9.3) [5]. Il est aujourd'hui largement admis que la migraine doit être considérée comme un trouble complexe du réseau cérébral avec une base génétique solide qui implique de multiples régions corticales, sous-corticales et du tronc cérébral pour expliquer la douleur et la large constellation de symptômes caractérisant la crise [6]. En outre, il existe des preuves montrant que les médicaments antimigraineux tels que les triptans, les dérivés de l'ergot et les nouveaux antagonistes des récepteurs du CGRP peuvent moduler spécifiquement l'activité du CTC, ce qui pourrait expliquer leur effet sur la migraine [7].
Il a été démontré qu'il se produit une activation de l'hypothalamus au début de la phase prodromale et plusieurs études de TEP ont soutenu cette hypothèse [8]. Récemment, Schulte et May ont réalisé une étude dans laquelle un patient migraineux a subi une neuro-imagerie fonctionnelle pendant 30 jours consécutifs [9]. Au cours des 24 heures précédant la crise ainsi que tout au long de la phase critique, une connectivité fonctionnelle altérée entre l'hypothalamus et les zones du générateur du tronc cérébral a été trouvée, conduisant les auteurs à émettre l'hypothèse que ce changement de réseau pourrait être le véritable moteur des crises. L'implication clé de l'hypothalamus dans la migraine explique les symptômes qui commencent dans les premiers stades ictaux et durent tout au long de la crise (changements d'humeur, bâillement et fatigue). Des études électrophysiologiques ont montré une activité corticale altérée dans les phases ictale et pré-ictale, en particulier dans le cortex occipital. Pourtant, l'interaction du cortex visuel avec l'hypothalamus et d'autres structures cérébrales au cours de l'évolution de la crise de migraine n'est pas encore entièrement comprise [10]. Le thalamus est une station relais nociceptive, une zone centrale pour le traitement et l'intégration des stimuli de la douleur. Sa connexion à une grande variété de zones corticales telles que les régions somatosensorielle, motrice, visuelle, auditive, olfactive et limbique peut expliquer une partie de la complexité des caractéristiques de la migraine. La transmission thalamocorticale est constamment modulée par différentes voies impliquées dans les réponses cognitives, émotionnelles et autonomes. Plusieurs études ont rapporté des altérations structurelles et fonctionnelles thalamiques chez les migraineux au cours de la phase critique et intercritique, qui peuvent être détectées dès l'âge pédiatrique et pourraient influencer le déclenchement de la crise migraineuse. De plus, le thalamus s'est avéré être une zone pivot pour le développement de l'hypersensibilité sensorielle aux stimuli visuels et de l'allodynie mécanique [11].
Plusieurs thérapies aiguës et préventives de la migraine agissent de manière centrale par la modulation des neurones thalamiques. L'efficacité de la sTMS dans le traitement de la migraine avec et sans aura pourrait être liée non seulement à sa capacité à bloquer la DCP mais aussi à sa modulation de l'activité thalamocorticale [12]. De nombreux changements dans la structure et la fonction des zones corticales clés ont été rapportés au cours des dernières années chez les patients migraineux avec et sans aura. Plus précisément, des changements corticaux dans la période critique et intercritique ont été mis en évidence dans des régions normalement associées au traitement de la douleur, telles que les cortex insulaire, somatosensoriel, préfrontal et cingulaire [13]. Un grand nombre de preuves ont mis en évidence une sensibilité accrue aux différents stimuli sensoriels chez les migraineux pendant la crise et dans la phase intercritique, avec une réduction de la réponse physiologique commune connue sous le nom d'accoutumance.
De récentes études d'association à l'échelle du génome ont identifié 13 variants de gènes de susceptibilité chez les patients migraineux qui sont principalement impliqués dans la neurotransmission glutamatergique et la plasticité synaptique, et dont l'altération peut donc être considérée comme un mécanisme clé sous-jacent à une excitabilité corticale anormale [14].
Enfin, les résultats positifs de l'utilisation de nouvelles approches thérapeutiques capables de moduler l'activité neuronale dans le cortex confirment également la possibilité d'une réponse corticale anormale dans la migraine. Au cours des deux dernières décennies, nos connaissances sur la biologie de la migraine se sont considérablement améliorées, avec une série d'études scientifiques fondamentales et d'imagerie. Avec les techniques d'IRM structurelle et de diffusion, quelques études antérieures ont démontré que la migraine entraîne une réduction du volume de la substance grise et une perturbation de l'intégrité microstructurale de la substance blanche [15]. Toutes ces études ont démontré que la migraine entraîne des changements progressifs des structures et des fonctions cérébrales chez les patients.
La migraine chronique (MC) est associée à des altérations locales et à distance de la connectivité fonctionnelle dans les régions impliquées dans l'intégration multisensorielle, le traitement affectif et cognitif, et la modulation de la douleur. De plus, la densité de connectivité fonctionnelle locale dans plusieurs régions du cerveau, telles que le gyrus temporal supérieur gauche et le CCA dorsal, s'est avérée corrélée à la fréquence des céphalées ou à l'intensité de la douleur [16]. L'identification des mécanismes (avec l'aide de l'IRMf) qui conduisent à une hypersensibilité sensorielle et qui déclenchent les crises en réponse à des stimuli sensoriels pourrait aider à mieux comprendre le dysfonctionnement neuronal dans cette maladie. Récemment, Wang et al. ont développé une méthode d'homogénéité de la connectivité fonctionnelle du cerveau entier qui fournit une nouvelle approche pour localiser exactement l'anomalie fonctionnelle correspondante [17]. Il est probable que ces dysfonctionnements contribuent à l'apparition de la migraine (figure 9.4) [18]. Les anomalies fonctionnelles et de connectivité ne se limitent pas seulement à la SG, mais elles sont associées à des anomalies dans les faisceaux de fibres de la SB [19]. Ces découvertes fournissent de nouvelles informations sur la base neurale de la pathologie de la migraine et seront bénéfiques pour le diagnostic et le traitement de ce trouble. Toutes ces avancées récentes dans notre compréhension de la physiopathologie de la migraine ont permis le développement de traitements pharmacologiques et non pharmacologiques qui offrent l'avantage de cibler des mécanismes connus pour être actifs, conduisant à une meilleure prise en charge des patients.
Point sur le traitement médicamenteux
Depuis l'aire de triptans, d'autres avancées thérapeutiques pour traiter la crise migraineuse sont apparues : les gépants (antagonistes des récepteurs peptidiques liés au gène de la calcitonine), les ditans (agonistes des récepteurs de la sérotonine [5-HT] 1F), et la toxine botulinique. Bien que divers traitements médicamenteux soient actuellement disponibles pour traiter la migraine aiguë, ils sont inefficaces dans plus de 30 % des crises et peuvent avoir des effets indésirables immédiats ou à distance. Cela est également vrai pour le traitement de la crise de migraine avec les triptans. L'efficacité des traitements antimigraineux préventifs n'est pas meilleure. Au bout de 2 mois, 50 % des patients qui souffrent de MC arrêtent ces traitements [20]. Les anticorps monoclonaux récemment développés bloquant la neurotransmission du CGRP dans la partie périphérique du CTC ont suscité de nouveaux espoirs [21]. La migraine a été conceptualisée comme un continuum allant de migraine épisodique (ME) à la MC [22]. Chaque année, environ 3 % des personnes souffrant de ME évoluent vers une MC [23].
La MC est définie par la classification actuelle de l'International Headache Society des céphalées (ICHD-3) comme une céphalée [24] :
survenant ≥ 15 jours/mois;
pendant > 3 mois;
avec des caractéristiques de migraine ≥ 8 jours/ mois.
Le défi consiste à soulager les symptômes migraineux d'une crise en cours d'une part et à réduire l'utilisation aiguë de médicaments d'autre part. Par rapport à la ME, la MC est moins fréquente mais associée à une plus grande incapacité liée aux céphalées, à un impact plus important sur le fonctionnement physique, social et professionnel, et à une moins bonne qualité de vie liée à la santé. Les patients atteints de MC ont également une incidence accrue de troubles psychiatriques et d'autres comorbidités. Les traitements de la MC visent principalement à réduire le taux de migraines mensuelles et à diminuer l'invalidité associée à la migraine, sans abuser des médicaments aigus. L'utilisation excessive de médicaments oraux est connue pour entraîner des céphalées par abus de médicaments, un diagnostic courant chez les patients atteints de MC.
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Les auteurs
Mihaela Bustuchina˘ Vlaicu Service de neurochirurgie, hôpitaux universitaires de la Pitié Salpêtrière - Charles Foix, Paris; IMRB - INSERM, U0955, neuropsychiatrie translationnelle ; neurologue, praticien hospitalier, PhD
Andrei Vlaicu Service de psychiatrie, centre hospitalier de la Haute-Marne André Breton, Saint Dizier; psychiatre, praticien hospitalier
Neuromodulation en neurologie et en psychiatrie S’ouvre dans une nouvelle fenêtre, de Mihaela Bustuchină Vlaicu, avec la collaboration d'Andrei Vlaicu. © 2023, Elsevier Masson SAS
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Neuropsychopharmacologie S’ouvre dans une nouvelle fenêtre, par la Société française de pharmacologie (SFPT) et le Collège national de pharmacologie médicale (CNPM), coordonné par R. Bordet, L. Carton, J. Deguil et Th. Dondaine, 2019, 304 pages. Traité de psychopharmacologie clinique S’ouvre dans une nouvelle fenêtre, par A.F. Schatzberg et Ch. DeBattista, traduit par J. Benyaya, 2018, 496 pages.
Références
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