Neurovision chez l'enfant et troubles des apprentissages
23 mai 2024
L'impact des troubles de la neurovision sur les apprentissages chez l'enfant.
Table des matières de l'ouvrage
I. Qu'est-ce que la vision ?
1. Les voies de la rétine au cerveau - 2. Les voies cérébrales - 3. Du cerveau aux muscles oculomoteurs - 4. Développement de la vision - 5. Rôle de l'attention et des fonctions exécutives - 6. Synthèse
II. Comment explore-t-on la vision et la neurovision ?
7. Explorer la vision - 8. Explorer la neurovision - 9. Synthèse
III.Place des fonctions neurovisuelles dans les apprentissages scolaires
10. Neurovision et langage écrit - 11. Neurovision, espace et geste - 12. Neurovision et mathématiques - 13. Synthèse - Diagnostics et prise en soins de ces troubles
IV Annexes.
1. Bilans : tableaux récapitulatifs 2. Quelques cas cliniques
Découvrez les introductions de chacune des trois parties de l'ouvrage.
Partie I Qu’est-ce que la vision ?
Les voies visuelles parcourent dans le cerveau un très long trajet d’une grande complexité. Ce n’est pas le cas des autres sensorialités (ouïe, goût et odorat), dont les récepteurs sont habituellement proches de leurs aires cérébrales de traitement. On peut voir dans cette particularité des voies visuelles – elles parcourent dans le cerveau le plus long trajet possible, depuis sa partie la plus antérieure jusqu’à sa partie la plus postérieure – un effet de l’évolution. Initialement simple capteur de lumière dans les espèces primitives – indispensable pour prendre en compte le rythme nycthéméral auquel tout organisme vivant est soumis –, l’oeil s’est peu à peu complexifié pour devenir cet analyseur optique très élaboré dont nous disposons. Ainsi, les yeux de la plupart des mammifères sont disposés latéralement (ce qui leur octroie un grand champ visuel, près de 300°), et ce n’est qu’à partir de l’embranchement des primates (il y a environ 60 millions d’années) que l’évolution aboutit à des yeux situés à l’avant, déterminant ce que nous appelons la face, le visage. Si l’on y perd en champ visuel – et donc en capacité à détecter des prédateurs dans notre dos –, on y gagne à la fois en précision (en acuité visuelle, la fovéa, petite partie où l’on voit net, se développant sur le plan de la phylogenèse en même temps que l’avancement des yeux sur l’avant) et en vision du relief. Ce mouvement évolutif des yeux vers l’avant s’accompagne aussi d’un éloignement de plus en plus important des zones corticales qui leur sont reliées. Si cela peut être une richesse, puisque de nombreux traitements se développent et se conjuguent tout au long de ces voies, c’est aussi un inconvénient : on comprend bien que plus ce trajet est long, plus il est vulnérable, ce qui rend compte de l’implication des voies visuelles dans une grande partie des apprentissages.
Partie II Comment explore-t-on la vision et la neurovision ?
Il est capital de repérer les signes d’appel qui doivent conduire à recommander (ou prescrire ou effectuer) précocement un bilan visuel et/ou neurovisuel.
Pourquoi demander un bilan neurovisuel ?
Le plus souvent, ce sont des difficultés d’apprentissage qui orientent l’enfant vers une orthoptiste pour la réalisation d’un bilan neurovisuel. Rappelons que ce dernier ne pourra être interprété valablement que s’il est mis en relation avec l’ensemble des données sur le fonctionnement cognitif de l’enfant (voir figure 6.1). Dans ce cadre de troubles d’apprentissage, il est indispensable de s’enquérir du cursus scolaire : retard, difficultés notées par les parents et/ou les enseignants, maintien dans telle ou telle classe, rééducations ou adaptations éventuellement déjà mises en place et avec quel résultat, etc. Disposer du livret scolaire et de quelques cahiers de l’enfant permet d’avoir une vue d’ensemble de l’histoire, de l’enfant, des déficits éventuels dont il souffre et de leurs répercussions, tant scolaires que personnelles et sociales. Dans certaines circonstances – que l’on doit explicitement rechercher lors de l’anamnèse si l’on voit l’enfant à l’âge scolaire –, le bilan visuel/neurovisuel doit être systématique :
naissance prématurée (surtout si survenue avant la 32e semaine d’aménorrhée). La grande prématurité entraîne, en effet, désormais plus rarement une leucomalacie étendue avec troubles moteurs (ex. : diplégie) et, encore souvent, des troubles des apprentissages. L’imagerie par résonance magnétique (IRM), le plus souvent normale, ne doit pas leurrer. Volpe1 a montré que ces troubles sont en lien avec l’atteinte d’un type particulier de neurones (dits neurones « subplate ») qui guident les neurones corticaux vers leur cible sous-corticale ;
tout événement neurologique survenu dans la période périnatale (accident vasculaire cérébral ou AVC, anoxie, épilepsie, traumatisme crânien, etc.) ;
toute lésion neurologique survenant au cours de la première année (AVC, tumeurs cérébrales, traumatisme crânien, accident d’anesthésie lors d’une intervention chirurgicale, méningite et méningo-encéphalite, épilepsie, etc.) : en effet, tout antécédent de cérébro-lésion précoce constitue un risque important, et tout particulièrement les lésions survenant dans des zones pouvant léser préférentiellement les voies d’analyse du message visuel (ex. : prématurité) ou survenant à des périodes où la fonction visuelle est particulièrement sensible (épilepsies de la première année, dont le syndrome de West) lors de la myélinisation des voies optiques ;
les pathologies neuropédiatriques dégénératives ou syndromiques d’origine génétique : de mieux en mieux connues, elles comportent des pathologies neurovisuelles qui doivent être mises en évidence ;
tout retard d’acquisition de la fonction visuelle : même si cette dernière paraît au fil du temps avoir totalement récupéré, cette situation justifie un bilan neurovisuel.
L’origine embryologique commune de l’œil et du cerveau explique la fréquence des atteintes cérébrales et visuelles associées.
Signes d’appel
Indépendamment de ces circonstances, ou de surcroît, certains signes cliniques doivent alerter2 :
absence de fixation et de sourire-réponse (> 6–8 semaines) ;
absence de poursuite oculaire (incapacité à suivre une cible mobile) après 4 mois ;
retard d’acquisition de la préhension des objets (> 4–6 mois) ;
photophobie : l’enfant cligne ou ferme les yeux, fuit les fenêtres, les endroits ensoleillés, les lumières, ou au contraire fixation compulsive de la lumière ;
strabisme précoce (> 6 mois), nystagmus congénital, torticolis ;
regard fixe ou qui semble toujours regarder « à côté » ;
plaintes au sujet de céphalées.
Certains signes évoquent un trouble de la réfraction ou une pathologie du globe oculaire :
yeux rouges et/ou larmoyants ;
clignement fréquent des paupières.
Comportement de l’enfant
L’observation de l’enfant et/ou certaines interrogations ou remarques des proches (parents, nourrice, crèche) doivent alerter :
il ne marque pas d’intérêt pour les stimuli visuels (jouets, images, télévision…) et/ou pour le lointain ;
il s’approche systématiquement de l’item – image, petit jouet – ou le porte à proximité de son visage ;
dans la déambulation, il n’évite pas les obstacles.
Certains comportements évoquent des atteintes neurovisuelles assez spécifiques :
en lien avec la voie ventrale :
l’enfant prend et manipule un objet après l’autre jusqu’à ce que la reconnaissance tactile lui permette de repérer l’objet convoité,
il panique devant des visages inconnus ou des visages familiers modifiés (lunettes, coiffure, etc.),
il ne reconnaît pas ou mal les animaux (vivants ou jouets), alors qu’il les identifie par leur cri,
il se perd dans des endroits connus conduisant l’entourage à des stratégies de marquage,
il reconnaît peu et mal les images surtout si elles sont épurées et loin des images prototypiques (voir figure 8.13), et ne s’intéresse pas aux images mobiles des écrans ;
en lien avec la voie dorsale :
trouble de la coordination œil/déplacement (vision de la 3e dimension, appréciation des distances, des hauteurs relatives, de l’orientation relative du corps et du support…) : l’enfant panique ou refuse de descendre les pentes, de sauter d’un petit mur, d’utiliser les escalators, de marcher sur les sols structurés type tapis ou certains carrelages, il tâte du pied le bord du trottoir,
trouble de la coordination œil–main, repéré par une mauvaise prise manuelle des objets,
trouble de l’attention visuelle et de la stratégie du regard : il ne trouve pas un jouet dans une caisse, il est perdu dans un lieu chargé en informations visuelles, il ne retrouve pas une personne familière dans la foule, il ne peut pas parler et marcher simultanément (il s’arrête de marcher pour répondre à son interlocuteur) ;
atteinte de la perception du mouvement : il change de comportement en voiture en fonction des modifications de vitesse de celle-ci ou en cas de fort trafic, il panique devant de petits animaux surgissant brusquement.
Questionnaires
Pour repérer plus aisément ces comportements évocateurs de troubles neurovisuels, on dispose actuellement de questionnaires validés. Proposés aux proches de l’enfant (parents, enseignants, aidants), ils ne sont pas destinés à faire le diagnostic mais permettent un repérage des troubles, orientent vers une ou plusieurs pistes qui devront être ensuite confirmées ou infirmées par des bilans ciblés. Citons :
l’inventaire des aptitudes visuelles (cerebral visual impairment ou CVI), mis au point par l’équipe de Gordon Dutton, il en existe une grille pour les 4–8 ans et une pour les 9–12 ans3 ;
un nouvel outil élaboré dans le cadre du projet européen Erasmus (CVI 2015–2018)4.
1. Volpe JJ. Subplates neurons-missing link in the brain injury of the premature infant ? Pediatrics 1996 ; 97 (1) : 112-3.
2. Une check-list très complète détaille les signes observables en classe (en anglais). Voir à ce sujet : Schneck CM. Visual Perception. In : Schneck CM. Occupational therapy for children. 6th ed. Mosby ; 2013.
3. Voir le site Ulster University Vision Resources : http://biomed.science.ulster.ac.uk/research-institute/ulster-vision-resource.resources/ressources-for-professionals/cvi-assessement/ S’ouvre dans une nouvelle fenêtre.
4. Voir le site ENVITER : https://enviter.eu.
Les conditions d’un examen profitable
Quels que soient le soin et la rigueur avec lesquels sont conduits les examens visuels et neurovisuels, il faut être très conscient qu’aucun test – si pertinent et si bien étalonné soit-il – ne peut être interprété isolément (voir figure 6.1).
En effet, quel que soit son intitulé, chaque épreuve, chaque exploration sollicite un éventail de fonctions sensorielles, motrices, cognitives et comportementales (participation ou non de l’enfant, acceptation de l’examen, etc.). C’est la prise en compte de l’ensemble de ces éléments qui permet d’en tirer une conclusion valide.
Seule une collaboration étroite entre les différents professionnels (ophtalmologiste, orthoptiste, ergothérapeute, orthophoniste, psychomotricien, neuropsychologue, médecin), d’où émerge une synthèse cohérente des différents bilans spécialisés, permet de comprendre les difficultés auxquelles se heurte l’enfant et donc, de tenter d’y remédier au mieux.
Dans cet état d’esprit, il est très important que chacun ne propose que les examens et bilans qui sont strictement de son ressort, afin de ne pas déflorer des épreuves susceptibles de faire partie intégrante d’autres bilans. Les effets « test-retest » peuvent être importants et fausser les interprétations ultérieures : soit du fait d’un apprentissage implicite de la consigne, de la stratégie attendue ou de la réponse, soit du fait de l’anticipation d’un échec et d’une aversion à l’épreuve. On pense ici à des épreuves souvent présentées successivement par de nombreux professionnels du fait de leur facilité d’accès au matériel et/ou leur rapidité de passation (épreuves de barrage, figure de Rey, etc.), ce qui en interdit ensuite toute interprétation.
Les épreuves doivent en effet :
constituer un problème nouveau pour l’enfant, puisque ce que l’on observe c’est son adaptation au matériel et à la consigne ;
être présentées rigoureusement telles que prévues par le protocole : présentation du matériel, délivrance de la consigne, temps imparti, etc. Seul le respect méticuleux du protocole de passation donne sens à la cotation, à l’utilisation des normes pour l’âge considéré ;
toujours être analysées dans leurs différentes composantes, au-delà de la finalité affichée de l’épreuve (son nom) : par exemple, l’échec à une épreuve dite « d’attention visuelle » peut être dû à de multiples raisons autres que l’attention (oculomotricité, compréhension de la consigne, dysgraphie, gnosies visuelles, etc.) ; l’échec à une épreuve nommée « closure de forme » peut être dû à des troubles de fonctions exécutives ou des troubles attentionnels, et ne pas refléter alors un trouble spécifique de la sphère visuelle, etc.
En outre, pour juger de la performance de l’enfant, il est indispensable de connaître la chronologie du développement des fonctions concernées et de disposer de repères fiables.
Si le score obtenu (en note standard, rapportée à l’âge de l’enfant) est nécessaire pour juger de l’écart à la norme, il n’est pas suffisant car il ne dit rien des mécanismes à l’origine du trouble : les notes standard doivent donc être interprétées en fonction de l’ensemble du (des) bilan(s) proposé(s).
Exemple : épreuve de copie de figures
Ce test cherche à évaluer l’efficacité des traitements visuo-spatiaux de l’enfant, qui se traduiront par une reproduction exacte ou non du modèle (taille, orientation, disposition relative des différents éléments).
Mais il requiert également des capacités graphiques (practo-motrices), une planification de l’organisation du regard spécifique à la tâche de copie, des capacités attentionnelles et exécutives globales, un niveau d’intelligence général (facteur g) en lien avec les éléments à copier (intersections, obliques…) et la complexité de la figure (analyse de l’organisation générale du modèle), et une certaine rapidité (d’observation, de réalisation graphique) quand l’épreuve est chronométrée.
L’échec peut donc être lié certes à un déficit des traitements visuo-practo-spatiaux, mais aussi à bien d’autres troubles (lenteur, faible niveau intellectuel, impulsivité et TDAH, dysgraphie, etc.) : il faut confronter l’ensemble de ces données pour interpréter le score obtenu et conclure.
Chaque épreuve doit donc être interprétée en lien étroit avec ce que l’on connaît de l’enfant (anamnèse, famille, cursus scolaire, etc.), de ses motivations et de sa personnalité, du fonctionnement ou du dysfonctionnement de l’ensemble des capacités impliquées dans les tâches évaluées.
Partie III Place des fonctions neurovisuelles dans les apprentissages scolaires
« Les difficultés neurovisuelles de Dorian ne purent jamais être totalement prises en compte. Aucune mauvaise volonté de la part de l’institutrice, mais une incapacité à mesurer combien ces difficultés empoisonnaient le quotidien de l’enfant en gênant en permanence la prise d’informations. »
Extrait du compte rendu d’une réunion de classe où s’est décidée l’orientation de l’enfant vers une ULIS
Dans cette troisième partie, nous décrivons le rôle des fonctions neurovisuelles dans les apprentissages scolaires fondamentaux. Nous partons de l’analyse des contraintes visuelles sous-jacentes à ces apprentissages – langage écrit (lecture et orthographe), praxies et graphisme, mathématiques – pour en comprendre l’impact et proposer les stratégies d’intervention les plus pertinentes en cas de défaillance.
Les atteintes sévères de la voie dorsale (syndrome de Balint et dérivés) et/ou les atteintes de la voie ventrale (cécité cérébrale, agnosies visuelles), compromettant gravement les apprentissages et l’ensemble du développement de l’enfant, sont seulement évoquées.
Nous considérons surtout ici les atteintes modérées de la voie dorsale et/ou de la voie ventrale, génératrices de troubles « DYS ».
En effet, l’ensemble des fonctions visuelles et neurovisuelles est impliqué dans tous les apprentissages, qu’il s’agisse d’identifier les éléments de son environnement ou les lettres et les chiffres (voies ventrales, voir figure ci-dessous), ou encore de situer certains éléments les uns par rapport aux autres, d’apprécier leur taille et leur orientation (régions pariétales postérieures, voies dorsales).
Les voies ventrales (reconnaissance visuelle) et dorsales (fonction visuo-motrice, fonction visuo-spatiale, regard, attention visuelle, voir figure 6.1) interviennent dans tous les apprentissages scolaires – lire, écrire, compter (voir figure ci-dessous) –, mais leur importance est souvent méconnue parce que :
d’une part, ces fonctions ne font pas l’objet d’un enseignement explicite : elles sont donc plus ou moins « masquées », se développant à bas bruit, implicitement, au fil des apprentissages scolaires en cours ;
d’autre part, ce sont habituellement des dysfonctionnements subtils qui perturbent ces apprentissages scolaires extrêmement exigeants, générant un trouble DYS dont la racine n’apparaît que si on la recherche.
Comprendre comment ces fonctions soutiennent, permettent et infiltrent ces apprentissages est donc fondamental.
La mise en évidence de troubles neurovisuels au décours de l’exploration d’un trouble DYS réclame donc une attitude volontariste qui repose sur deux piliers :
l’utilisation de tests étalonnés dans le domaine visuel-neurovisuel (voir partie II) afin de mesurer l’écart à la norme et l’impact du trouble dans la vie et la scolarité de l’enfant ;
l’analyse de la nature des erreurs ou imprécisions de l’enfant (analyse qualitative), que ce soit lors des exercices scolaires ou durant les épreuves de bilans étalonnés concernant l’ensemble des fonctions cognitives.
L’analyse des déficits dans les différents domaines des apprentissages scolaires sera abordée selon une logique clinique, en partant des observations et des bilans effectués par les professionnels spécialistes de chaque domaine (orthophonistes, ergothérapeutes, orthoptistes, psychomotriciens, neuropsychologues).
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Neurovision chez l'enfant et troubles des apprentissages Michèle Mazeau, Hélène Dalens ISBN 9782294786525 2024