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Obésité amaigrissement vie sociale

France | 29 mars 2022

Par Anne-Claire Nonnotte

Obésité amaigrissement vie sociale

Obésité amaigrissement vie sociale

Nous vous proposons de découvrir un extrait de l'ouvrage L'Obésité chirurgicale S’ouvre dans une nouvelle fenêtre

« Toute vie créatrice exige qu’on renaisse différent de soi-même. » W. B. Yeats

L'Obésité chirurgicale

L'Obésité chirurgicale

Obésité, amaigrissement et vie sociale

Décider de bénéficier d’une chirurgie bariatrique, c’est faire le choix d’un amaigrissement rapide et conséquent dont on peut penser qu’il se réalisera à coup sûr, du moins les premières années. C’est indiquer aussi à son entourage que la souffrance induite par son obésité est sûrement plus importante qu’on a bien voulu le dire pendant longtemps. C’est signaler également qu’on aspire à une vie différente et qu’il est temps de changer le cours des choses. Certes, l’amaigrissement massif entraîne une amélioration de la qualité de vie sur de nombreux points. Mais il induit également des changements notables susceptibles de bouleverser le cours d’une existence. L’équilibre des couples comme celui des familles est souvent mis à l’épreuve [115]. Soumis à des perturbations qu’il convient d’analyser, ces turbulences peuvent survenir de façon passagère, mais aussi se développer dans le temps. Parfois douloureusement vécues, celles-ci méritent d’être prévenues et accompagnées, ce qui amènera naturellement à aborder le rôle des associations de patients obèses.

Le couple à l’épreuve

Quand on examine de près l’évolution de ces couples, on constate que les conséquences liées à l’amaigrissement d’un des deux conjoints dépendent de la place que l’obésité prenait jusqu’alors dans la vie commune. En résumé, que l’obésité de l’un était un des éléments structurant la relation entre les deux. Ce constat permet d’anticiper les réactions éventuelles du partenaire non demandeur d’intervention, aux changements initiés par celui (ou celle) initialement obèse. Et inversement. Dans ce domaine si réservé, l’objectif est avant tout la prévention. Et l’expérience prouve qu’elle est souvent possible pour peu qu’on veuille bien y consacrer un peu de temps. Pour plus de clarté, il est nécessaire d’envisager la situation des couples avant et après l’intervention.

Les couples avant l’intervention

Il existe schématiquement trois types de couples chez les demandeurs de chirurgie bariatrique.

Les couples où les deux membres sont obèses

Il s’agit généralement de couples qui aiment à se retrouver, entre autres, autour d’une bonne table. Pour eux, les repas et autres douceurs alimentaires sont source de plaisirs partagés et ainsi, plus facilement déculpabilisés. Est-ce que l’habitude de manger pour affronter leurs états d’âme pénibles constitue une même façon de se défendre par rapport aux difficultés de leur vie ? On peut l’imaginer. Dans ce contexte, si l’un des partenaires décide de maigrir et donc de cesser ces retrouvailles autour de la nourriture, c’est souvent parce que les souffrances dues à son obésité deviennent telles que le plaisir de manger ne les compense plus. Le problème se déplace alors sur l’autre, sur celui qui ne cherche pas à maigrir et qui peut interpréter cette démarche de manière différente. Il (elle) pourra se sentir « lâché(e) » avec l’abandon de ce mode de vie partagé. Mais aussi se sentir remis(e) en question par son partenaire à un moment auquel il (elle) ne s’était pas préparé(e). Ce cas de figure peut pousser le conjoint non demandeur à faire évoluer ses pratiques alimentaires afin de rester en phase avec son partenaire. Il peut également assumer sa situation et ne pas vouloir la modifier tout en restant soutenant. Enfin, il peut aussi refuser cette décision qu’il n’approuve pas et s’efforcer de la mettre en échec de différentes façons (tentation alimentaire, distanciation affective, moqueries et même menaces).

Les couples qui se sont formés alors que l’un des deux était déjà obèse

Ce sont des couples où le seul membre obèse a été rencontré et accepté comme tel par son partenaire. On imagine que l’obésité, dans ses aspects esthétiques mais également à travers ses conduites alimentaires, a sans doute contribué au choix amoureux. Deux situations peuvent alors se présenter. Soit le partenaire mince a choisi l’autre avec son obésité mais en exprimant dès le début de la rencontre, ou plus tard, l’espoir d’une perte de poids. On peut alors penser qu’il va soutenir son conjoint lors de la prise en charge bariatrique. Soit le partenaire mince n’a jamais formulé de remarque ou de demande de perte pondérale de la part du conjoint obèse. Son attitude peut être alors plus ambiguë, indiquant la possibilité chez lui d’un besoin de l’autre dans son obésité. C’est très souvent dans ce contexte qu’un amaigrissement massif pourra conduire à de vives tensions dans le couple. Enfin, il existe des situations où le partenaire mince devient avec le temps méprisant, voire insultant, face à l’obésité de son conjoint. Il y a ici un manque d’amour évident présageant fortement, chez le demandeur de chirurgie bariatrique, une décision secrète de maigrir pour, entre autres choses, quitter cet état de désamour.

Les couples où l’un des deux a grossi après la rencontre amoureuse

Ce cas est fréquent. Les raisons de la prise de poids sont diverses. Celle-ci peut se manifester rapidement après la mise en ménage même si elle survient, le plus souvent, après les grossesses. Là aussi, deux situations s’affrontent. Soit le conjoint mince n’accepte pas la prise de poids de l’autre et souhaite, d’une façon plus ou moins implicite, qu’il mincisse. Il s’agit souvent de couples en difficulté : le conjoint mince ressent une forme de déception face à celui qu’il avait choisi tandis que ce dernier devra assumer, en plus de son obésité, l’éloignement amoureux de son partenaire. Parfois, il est déjà trop tard pour sauver ces couples : une fois mince, le partenaire ex-obèse s’éloignera à son tour à moins que ce ne soit le conjoint mince qui n’arrive pas à se remettre de sa déception ou de sa perte d’élan amoureux. Inversement, lorsque le partenaire mince soutient fortement la démarche d’amaigrissement de son conjoint et qu’ils en font un projet de couple, une nouvelle dynamique relationnelle peut s’installer entre eux et renforcer des liens qui étaient en train de se distendre. Soit le conjoint mince n’a jamais rien dit, reproché ni demandé à son partenaire grossissant. Ce dernier lui est généralement reconnaissant de son silence et l’interprète comme un soutien. Il ne perçoit pas alors que ce conjoint silencieux peut très bien s’être satisfait de cette prise de poids et pourrait très mal supporter son épanouissement à venir.

Les couples après l’intervention

L’amaigrissement massif et rapide tel qu’on le rencontre en chirurgie bariatrique entraîne inévitablement une cascade de changements qui peuvent ébranler le couple. Ainsi, maigrir, ou même seulement décider de maigrir, modifie l’humeur. Prendre la décision de bénéficier d’une chirurgie bariatrique, rencontrer le chirurgien, obtenir un avis favorable, fixer une date… apportent au patient une excitation et une joie de vivre qui peuvent prendre tout à coup beaucoup de place dans une maison. Certains conjoints peuvent se sentir, consciemment ou non, jaloux de ce que vit leur partenaire. Et cette jalousie peut se muer en agressivité contre ce qui rend celui-ci tellement joyeux. Or, plus le patient va avancer dans son amaigrissement, plus ses changements d’humeur vont se manifester. Chaque kilo perdu (chaque centaine de grammes pour certains) peut entraîner une joie immense et une satisfaction pour le reste de la journée. La pesée est fréquente et le calcul du poids perdu devient parfois obsessionnel. Certains en arrivent à ne plus parler que de cela, ce qui peut agacer l’entourage, surtout lorsqu’il n’était pas demandeur de ce changement. À force d’être tout pour soi, on finit par ne plus rien être pour l’autre. Un conjoint qui devient subitement heureux grâce à un événement sans rapport avec son partenaire lui renvoie l’idée qu’il n’a pas su le combler. Et ce dernier peut alors être tenté, lui aussi, de vivre des événements forts en dehors du couple ou bien de faire émerger des sentiments d’envie, d’abandon, de colère, de rejet… Sous l’effet de cette humeur transformée, les patients en cours d’amaigrissement vont avoir tendance à changer. Et cela se voit. Changement d’allure, d’habitudes, de projets, parfois même de travail ou d’amis… Des femmes jusque-là introverties et repliées sur leur foyer se mettent à sortir de chez elles, à faire du sport, du shopping… D’autres s’autorisent à porter des vêtements valorisants, ce qui n’est pas toujours apprécié de conjoints angoissés à l’idée de vivre désormais avec une femme redevenue désirable. Ce que certains traduisent par : « Je suis fier d’elle à la maison… mais jaloux dans la rue ! » Si l’entourage est défavorable à cette prise en charge de l’obésité, il risque fort de mal accueillir ces changements et d’essayer de les saboter. Après avoir été la « bonne grosse, rigolote et inoffensive » du groupe, on peut devenir, après avoir maigri, une nouvelle rivale affichant aux yeux de tous sa capacité à se reprendre en main. En un mot, à devenir une concurrente. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre des remarques telles que : « Arrête de maigrir ! », c’est-à-dire « Arrête de devenir dangereuse ! » ou bien « Arrête de me montrer que je ne suis pas capable d’en faire autant ! ». La transition peut s’avérer délicate. C’est souvent pendant cette période que de nombreux patients s’interrogent alors sur leur fonctionnement alimentaire, sur l’image de leur corps, sur ce qu’ils vont faire de leur vie de non-obèse… C’est à ce moment-là qu’ils ont le plus besoin de soutien et de réconfort de la part de leurs proches. C’est à ce moment-là aussi qu’ils sont le plus susceptibles de rechuter. Ainsi, maigrir beaucoup induit des changements de vie importants. Le patient qui s’engage dans cette voie insiste souvent sur le fait que c’est une décision de soi pour soi. Pourtant, si l’on maigrit pour soi, on vit aussi avec les autres. On ne peut donc pas sous-estimer l’importance de ces interactions au sein des couples. C’est pourquoi une analyse précise de chaque cas particulier est nécessaire dans l’évaluation préopératoire en cherchant à savoir, sans être intrusif, si le conjoint est informé de la démarche entreprise et s’il en est partie prenante. Dans le cas contraire, on pourra lui proposer de participer à une réunion d’information et/ou de venir à une consultation ultérieure. Et si le problème semble persister, il sera judicieux de le signaler au psychologue qui devra vérifier si cette situation n’est pas révélatrice d’un conflit sous-jacent plus sérieux. Chaque fois que possible, il faudra essayer d’inclure dans le projet au minimum le partenaire et, au mieux, les enfants.

La famille : du soutien au rejet

Les repas comme l’éducation des enfants sont deux des grands marqueurs de la vie familiale. Il se trouve que la majorité des patients sollicitant une chirurgie bariatrique sont des femmes. Il se trouve aussi qu’encore maintenant, ce sont souvent elles qui préparent les repas et prennent soin des enfants. On imagine donc aisément que la réalisation d’une telle chirurgie chez une mère de famille va avoir des répercussions notables sur l’ensemble de la maisonnée. Ainsi, la patiente récemment opérée va être obligée de modifier, d’une façon ou d’une autre, sa façon de cuisiner comme celle de manger. Certaines recettes vont être abandonnées ; d’autres adaptées. Son rythme d’ingestion va être plus lent et elle va rapidement se retrouver décalée par rapport aux autres. Au pire, l’apparition de nausées ou de vomissements la forcera à quitter la table. Ces difficultés peuvent être l’occasion de conforter la solidarité familiale ; le soutien du conjoint et l’implication des enfants être à l’origine d’initiatives inattendues ; la pertinence des habitudes alimentaires réévaluée ; l’importance des repas collectifs réaffirmée ; les achats de nourriture modifiés. Il est fréquent alors d’apprendre que, dans le sillage de l’opérée, toute la famille a commencé à perdre du poids ! Et que tous s’en portent très bien ! Ce qui est certainement le meilleur gage d’une pérennisation du résultat obtenu chez la patiente. Inversement, ces désagréments peuvent alimenter des remarques derrière lesquelles se cache le ressentiment de ceux qui critiquaient depuis le début le projet. Ces manifestations agressives peuvent se doubler de phénomènes de tentation qui sont autant d’essais de torpillage. Et à l’extrême, la patiente se retrouvera, plus ou moins temporairement, mise à l’écart du cercle familial. Cette éventualité est rare. Mais elle s’est déjà vue. Enfin, on ne peut passer sous silence les réactions des enfants face aux changements qui affectent leurs parents. Comment rester insensible à la détresse du bambin qui, séparé de sa mère pendant plusieurs semaines, sera incapable de la reconnaître fortement amaigrie à son retour de réanimation et partira se réfugier dans les bras de sa grand-mère en criant : « Ce n’est pas ma maman ! » ? Ou celui-là en âge d’écrire qui consignera, à la dernière page de son cahier d’école, sa terreur de voir son père mourir puisqu’il ne cesse de maigrir et qu’il est donc sûrement malade. Sans parler de l’attitude délibérément malveillante de l’adolescente qui, ayant soudain perdu son statut privilégié de jeune fille de la famille, fait face à une mère qui retrouve progressivement la place de femme qu’elle peinait à incarner du fait d’une obésité mal vécue ? Mais comment aussi ne pas mentionner les nombreuses fois où les enfants, régulièrement tenus au courant des objectifs et de l’évolution du projet en cours, sont par leur présence affectueuse et spontanée le meilleur soutien de leurs parents ? Toutes ces considérations doivent être prises en compte. Il est donc nécessaire d’informer, encore et toujours, les conjoints et éventuellement les enfants, sur l’existence même de ces problèmes relationnels en démontant leurs mécanismes et en suscitant le témoignage d’anciens opérés. « Je crois que dire une chose, c’est lui garder toute sa vertu et lui ôter son pouvoir terrifiant », nous dit Fernando Pessoa. Et terrifiante, en effet, peut être la situation de certains patients qui, ayant tant investi dans leur projet de vie, réalisent rapidement que tous leurs efforts vont les couper de leur milieu naturel. De cela il est rarement question quand on s’intéresse à l’évaluation de la qualité de vie. Or, nous existons aussi au travers du regard des autres. Et l’utopie, la vraie, serait d’imaginer pouvoir s’en passer. Que l’entourage ne soit pas prêt à accepter les conséquences d’un choix qui l’englobe et qui n’est pas le sien, et voilà le patient sommé de composer avec cette contrainte extérieure qu’il n’avait pas anticipée. La recherche de reconnaissance qu’il espérait obtenir de ce projet de vie va, en fait, contribuer à modifier ce dernier. Autant qu’il en soit averti.

Les associations de patients obèses : qui aide qui ?

De nombreuses associations de patients obèses se sont constituées dans le cadre de la chirurgie bariatrique. Et ce mouvement qui, à ses débuts, était spontané s’est rapidement institutionnalisé jusqu’à être reconnu aujourd’hui comme partie intégrante du parcours de soins. C’est bien Cependant, comme les équipes multidisciplinaires dont elles font souvent partie, ces associations ne sont pas à l’abri de phénomènes de groupe. Il faut garder à l’esprit que la dynamique personnelle des patients experts membres du bureau n’est pas forcément superposable à celle des membres participants en général. Il n’est pas neutre qu’un patient opéré demande à intégrer le bureau de l’une d’elles. Comment expliquer une telle motivation après avoir fait un tel parcours ? Et pourquoi revenir de son plein gré dans cette atmosphère médicalisée qui, pour la plupart, ramène à une période de leur vie qu’ils pourraient vouloir oublier ? Quelles que soient leurs motivations profondes, on constate que la grande majorité d’entre eux sont animés d’un réel esprit de service. Leur engagement sur le long terme le confirme. Leurs témoignages n’en sont que plus précieux. En outre, certains conviennent aisément que cette démarche leur permet aussi de se rassurer. Et qu’elle constitue pour eux un lien avec l’équipe multidisciplinaire qu’ils ont plaisir à retrouver. A contrario, d’autres peuvent avoir tendance à s’approprier l’association à laquelle ils vont finir par s’identifier. Quels qu’en soient les ressorts psychologiques, cette attitude n’est pas nécessairement l’expression d’une volonté d’emprise sur le groupe. Elle peut simplement refléter les difficultés personnelles de quelques uns qui, en accaparant le projet associatif, trouvent là une tribune pour conseiller aux autres de faire ce dont ils sont eux-mêmes incapables… ce qui constitue une façon d’entretenir leur rêve par procuration. Plus généralement, des dérives à type d’euphorie collective, d’emballements verbaux ou de surenchères peuvent survenir et parasiter le discours des soignants. Il faut donc rester vigilant même si l’atmosphère habituelle de ces réunions est sereine et bon enfant. Il est donc important que les responsables associatifs soient conscients de la possibilité toujours présente de ces dérapages. Ils éviteront bien des problèmes en travaillant en partenariat étroit avec les soignants pour développer, à leur façon, leur mission d’éducation et de soutien. L’information délivrée à travers leurs récits et leurs réflexions doit être de qualité dans le cadre d’une communication maîtrisée. C’est pourquoi la participation d’un soignant référent à ces réunions est vivement recommandée.

Jean-François Lopez est chirurgien viscéral et digestif. Dès le début de sa formation, il s’est intéressé à l’obésité chirurgicale. Après 30 ans de pratique clinique, il est actuellement chirurgien-conseil pour un cabinet d’assurance.

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