Les algues, un atout dans le cadre d’une alimentation variée
12 janvier 2021
Par Anne Claire Nonnotte
Nous vous proposons de découvrir un article de la revue Actualités Pharmaceutiques S’ouvre dans une nouvelle fenêtre Les algues, un atout dans le cadre d’une alimentation variée
Algae, an asset as part of a varied diet
Françoise Marre-Fournier : Maître de conférences des universités Service de biochimie, Faculté de pharmacie, 2 rue du Docteur-Marcland, 87025 Limoges cedex, France
Résumé
Les données nutritionnelles et relatives à la sécurité sanitaire concernant les algues sont encourageantes dans l’optique d’une intégration à une alimentation équilibrée, comme source non conventionnelle de protéines. Alors que la consommation de viande transformée et la surconsommation de viande rouge sont néfastes pour la santé et l’environnement, et que certains pays en développement pourraient être confrontés à une pénurie alimentaire, ces nouveaux aliments semblent constituer un élément de réponse.
Mots clés : algue, alimentation végétalienne, alimentation végétarienne, protéine
Keywords : algae, protein, vegan diet, vegetarian diet
Algae, an asset as part of a varied diet
Nutritional and food safety data on algae are encouraging from the perspective of integration into a balanced diet as an unconventional source of protein. At a time when consumption of processed meat and over-consumption of red meat are harmful to health and the environment, and some developing countries may face food shortages, these new foods appear to be part of the answer.
Dans les sociétés occidentales, les algues et leurs composants sont aujourd’hui utilisés dans de nombreux domaines, comme les secteurs pharmaceutiques, agroalimentaires et cosmétiques, mais aussi dans la gastronomie. Ce regain d’intérêt est stimulé par les recherches scientifiques qui mettent en avant leurs propriétés particulières1 , par l’essor des nouveaux régimes alimentaires, par la popularité dont bénéficient les restaurants japonais, par la tendance healthy food et l’engouement pour la complémentation alimentaire. Bien qu’elle bénéficie d’une bonne image dans la population, la consommation d’algues n’est pas encore démocratisée, mais pourrait le devenir [1].
Les algues ne sont toutefois pas les denrées alimentaires supernutritives et révolutionnaires décrites dans certains journaux, mais des aliments présentant des qualités et des défauts sur le plan strictement nutritif. À la lumière des différentes études publiées, elles peuvent être définies comme des sources de protéines qu’il est intéressant d’intégrer dans des régimes alimentaires équilibrés.
Il est nécessaire d’être informé et de pouvoir renseigner les personnes qui souhaitent manger sainement au sujet des risques et des bénéfices de la consommation d’algues, aliments au sujet desquels les connaissances scientifiques et fiables sont relativement nouvelles2 .
Composition nutritionnelle
L’étude de la composition nutritionnelle des algues apporte des éléments de réponse concernant la vigilance qu’il convient d’adopter vis-à-vis des informations dispensées aux consommateurs.
Sources de protéines
L’extrême variabilité de la teneur en protéines des algues et la pluralité des facteurs qui l’influencent constituent un défi dans l’élaboration de denrées alguées aux concentrations protéiques optimisées pour le secteur agroalimentaire [2].
Leur composition en protéines (Tableau 1) [3] et en acides aminés est très intéressante en quantité, certes variable, mais également en qualité (digestibilité et apport en acides aminés) ; elle est en général comparable à celle du soja. Au centre du problème de la digestibilité des algues se trouvent les concentrations en fibres, en particulier les chaînes de polysaccharides lignifiées contenues dans leurs parois cellulaires, ainsi que les composés phénoliques formant parfois des complexes insolubles avec les protéines. Les études, peu nombreuses à ce sujet, ont tendance à montrer que les algues non traitées ont une digestibilité plus faible que celles ayant bénéficié d’un traitement permettant la rupture de la paroi cellulosique [4]. Le microbiote intestinal joue un rôle capital dans la digestion, notamment des polysaccharides, et aurait, par conséquent, une incidence dans celle des protéines contenues dans les algues. Des bactéries qui se développent sur les algues auraient transmis une partie de leur génome aux bactéries du microbiote de certaines populations (dont les Japonais), qui serait capable de synthétiser des enzymes dégradant les fibres de ces aliments, ce qui améliorerait leur digestion [5]. Les recherches permettent de décrire les algues comme de bons compléments au sein d’une alimentation déjà variée. Elles ne peuvent en aucun cas constituer la source principale de protéines puisqu’on en mange rarement plus d’une dizaine de grammes par jour. Leur forte teneur en iode et leurs propriétés organoleptiques (goût puissant) ne favorisent pas leur consommation en grande quantité. Elles doivent plutôt être considérées comme un végétal occasionnel, pouvant compléter modestement un apport protéique déjà assuré par ailleurs. En outre, lorsqu’elles se présentent sous forme réhydratée, leur teneur en protéines chute drastiquement [6].
Sources de micronutriments
Certaines macro-algues (dulse et ulves notamment) (Figure 1) contiennent de la vitamine B12 dont la biodisponibilité est encore discutée. Par conséquent, il faut déconseiller aux végétaliens d’arrêter leur supplémentation au profit d’une consommation d’algues régulière. En effet, si cette dernière n’est pas incompatible avec la supplémentation en vitamine B12, elle ne la remplace pas. Enfin, il peut leur être rappelé de veiller à suivre régulièrement le dosage d’acide méthyl-malonique dans leurs urines, marqueur d’une hypo- ou d’une hypervitaminose B12 [7, 8].
Figure 1
Sécurité alimentaire
Les algues sont sensibles à la qualité de l’eau et sont susceptibles de contenir des métaux lourds, ce qui a pour conséquence que les aliments en renfermant ne sont pas sans risque du point de vue sanitaire. Il faut donc veiller à la qualité de l’environnement dans lequel elles prolifèrent. En France, la majorité des algues consommées poussent sur le littoral breton où il existe des zones protégées et non polluées. De même, les taux de métaux lourds contenus dans les algues nori provenant du Japon sont généralement contrôlés, elles sont donc considérées comme sans danger pour la santé.
Utilisations et restrictions
Les algues ont pour principaux avantages de contenir beaucoup de fibres et des antioxydants, mais aussi de procurer un sentiment de satiété.
Pathologies cardio-vasculaires et diabète
Les algues pourraient être mises à profit chez des patients souffrant de problèmes de santé, les pathologies cardio-vasculaires et le diabète principalement. En effet, certains de leurs composés bioactifs (en particulier les fibres et les polyphénols) produisent des effets physiologiques limitant le développement du diabète de type 2. Tous les mécanismes n’ont pas été mis au jour, mais les fibres diminueraient l’index glycémique du bol alimentaire, tandis que les polyphénols, aux propriétés antioxydantes, freineraient la dégénérescence des cellules pancréatiques liée à l’âge [9, 10].
Dans le cadre de rappels hygiéno-diététiques, il est donc possible de conseiller l’introduction des algues, fraîches ou cuites, en petite quantité, en salade ou en soupe par exemple. En revanche, les sushis doivent être consommés plus occasionnellement par les personnes souffrant de diabète, car ils ont un index glycémique moyen et peuvent donc engendrer un pic de glycémie [11].
Diversification
La consommation des algues pourrait contribuer plus généralement à diversifier l’alimentation et à compléter l’apport en fibres, en protéines et en minéraux. Leur richesse en iode appelle à la vigilance ; le wakamé doit être consommé avec parcimonie et sera proscrit chez les personnes souffrant de pathologies thyroïdiennes.
Cas particuliers
La spiruline et la chlorelle appartiennent à la famille des algues. Leurs atouts sont souvent vantés. Il importe de savoir en conseiller une consommation raisonnée.
Spiruline
La spiruline est souvent considérée comme un superaliment ou un complément alimentaire miracle. Il convient pourtant de donner des conseils concernant sa consommation.
La traçabilité de la spiruline proposée à l’officine doit être assurée, car des doses non négligeables de métaux lourds ou de toxines bactériennes modifient totalement la balance bénéfice-risque. Or, les produits disponibles viennent généralement de l’étranger (Mongolie, Taïwan, Chine, etc.) et peuvent contenir des traces de métaux lourds. Conditionnés en gélules ou en comprimés, ils apportent moins d’un gramme de spiruline par prise.
La spiruline produite en France est contrôlée régulièrement. Cependant, elle est essentiellement présentée sous forme de paillettes et la méthode de séchage peut dénaturer un peu la composition [12]. En outre, la production française n’est pas distribuée en pharmacie, ce qui est regrettable, mais c’est le parti pris par la Fédération des spiruliniers de France.
Aucune posologie n’est précisément définie et la spiruline peut être prise durant quelques mois ou au long cours. D’après l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, il est prudent de conseiller un apport de 1 à 2 g par jour au commencement d’une cure [13].
Les effets indésirables rapportés dans la population française sont plutôt anecdotiques, il semblerait que les principaux risques soient liés à une hypersensibilité ou à des intolérances digestives [13]. La consommation de spiruline est déconseillée aux personnes allergiques, ainsi qu’aux patients atteints de phénylcétonurie ou présentant une vulnérabilité musculaire ou hépatique.
La complémentation alimentaire à base de spiruline peut bénéficier à certaines populations dont les sportifs (complément protéique), mais les patients atteints d’hypertension artérielle ou d’hypercholestérolémie doivent être considérés comme les cibles privilégiées. En effet, des propriétés antihypertensives et hypolipémiantes [14], corrélées à la découverte récente de certains peptides bioactifs présents dans la spiruline [15], ont été mises en évidence. Les personnes âgées anémiées pourraient également bénéficier d’un apport complémentaire [16]. Le manque d’informations concernant la supplémentation de la femme enceinte et des patients atteints de pathologies liées à l’immunité engage à la prudence.
Enfin, il importe de rappeler aux populations végétaliennes consommant de la spiruline qu’elle contient bien de la vitamine B12, mais sous forme inactive, et qu’une complémentation vitaminique demeure nécessaire [17].
Chorelle
La chlorelle est une microalgue ( Figure 2) essentiellement considérée comme un complément alimentaire à cause de sa forte concentration en vitamines et en nutriments. Sa surconsommation peut donc être contre-productive.
Figure 2
Cette microalgue semble fournir des protéines de qualité supérieure à celles de la spiruline d’un point de vue nutritionnel. Toutefois, le manque de documentation et la traçabilité quasi inexistante ne permettent pas d’en conseiller l’usage, même si la population japonaise est supplémentée en chlorelle via des produits de consommation courante. Les effets indésirables, également peu documentés, et les possibles interactions avec certains médicaments doivent engager à la prudence.
Conclusion
Les algues pourraient devenir une alternative à la viande, dès lors qu’elles sont associées à d’autres végétaux riches en protéines, comme les pois, le soja ou le quinoa. En outre, les peptides bioactifs aux propriétés diverses (antimicrobiennes, anti-inflammatoires, antihypertensives, etc.) qui entrent dans leur composition pourraient être à l’origine de nouvelles thérapies ciblées [18].
Points à retenir
* Les algues constituent des sources anecdotiques de protéines. * Elles ne remplacent pas la supplémentation en vitamine B12 dans les alimentations végétaliennes. * Elles doivent respecter les normes sanitaires. * Elles peuvent apporter des composés bioactifs favorables au contrôle de pathologies cardio-vasculaires et métaboliques. * La dispensation des compléments alimentaires à base de spiruline ne peut se dispenser de conseils associés. Déclaration de liens d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
Vous venez de découvrir un article de la revue Actualités Pharmaceutiques S’ouvre dans une nouvelle fenêtre
Je découvre la revue S’ouvre dans une nouvelle fenêtre
Découvrez l'ensemble des articles dans cette spécialité S’ouvre dans une nouvelle fenêtre
© 2020 Publié par Elsevier Masson SAS
Références
En savoir plus
[1] Lesueur M, Le Bras Q, Comparini C. La consommation des algues alimentaires en France. Synthèse de résultats. Cellule Étude et Transfert. [Rapport de recherche] Agrocampus ouest; 2015. 6 p. (hal-01344029). https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01344029/document. [2] Marsham S., Scott G.W., Tobin M.L. Comparison of nutritive chemistry of a range of temperate seaweeds Food Chem 2007 ; 100 (4) : 1331-1336 [3] Fleurence J. Les algues sont une source de protéines intéressantes. Lanutrition.fr. 2017. www.lanutrition.fr/interviews/les-algues-sont-une-sourc e-de-proteines-interessantes. [4] Mouritsen O.G., Dawczynski C., Duelund L., et al. On the human consumption of the red seaweed dulse (Palmaria palmata [L.] Weber & Mohr) J Appl Phycol 2013 ; 25 (6) : 1777-1791 [5] Hehemann J.H., Kelly A.G., Pudlo N.A., Martens E.C., Boraston A.B. Bacteria of the human gut microbiome catabolize red seaweed glycans with carbohydrate-active enzyme updates from extrinsic microbes Proc Natl Acad Sci U S A 2012 ; 109 (48) : 19786-19791 [6] Watanabe F., Yabuta Y., Bito T., Teng F. Vitamin B12-containing plant food sources for vegetarians Nutrients 2014 ; 6 (5) : 1861-1873 [7] Schwarz J.Dschietzig T., Schwarz J., et al. The influence of a whole food vegan diet with Nori algae and wild mushrooms on selected blood parameters Clin Lab 2014 ; 60 (12) : 2039-2050 [8] Purdy C. Facing explosive obesity, China is telling citizens to cut back on meat and eggs. 27 mai 2016. https://qz.com/694100/facing-explosive-obesity-china-is-telling-citizens-to-cut-back-on-meat-and-eggs/. [9] Lee H.J., Kim H.C., Vitek L., Nam C.M. Algae consumption and risk of type 2 diabetes: Korean national health and nutrition examination survey in 2005 J Nutr Sci Vitaminol (Tokyo) 2010 ; 56 (1) : 13-18 [10] Sharifuddin Y., Chin Y.X., Lim P.E., Phang S.M. Potential bioactive compounds from seaweed for diabetes management Mar Drugs 2015 ; 13 (8) : 5447-5491 [11] Sugiyama M., Tang A.C., Wakaki Y., Koyama W. Glycemic index of single and mixed meal foods among common Japanese foods with white rice as a reference food Eur J Clin Nutr 2003 ; 57 (6) : 743-752 [12] Fédération des spiruliniers de France. Communiqué FSF suite à l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. 30 novembre 2017. www.spiruliniersdefrance.fr/spip.php?article584. [13] Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. Compléments alimentaires à base de spiruline : privilégier les circuits d’approvisionnement les mieux contrôlés. 30 novembre 2017. www.anses.fr/fr/content/compl%C3%A9ments-alimentaires-% C3%A0-base-de-spiruline-privil%C3%A9gier-les-circuits-d %E2%80%99approvisionnement. [14] Barry M., Ouedraogo M., Sourabie S., Guissou I.P. Intérêt thérapeutique de la spiruline chez l’Homme : revue générale Int J Biol Chem Sci 2014 ; 8 (6) : 2740-2749 [15] Ovando C.A., de Carvalho J.C., de Melo Pereira G.V., et al. Functional properties and health benefits of bioactive peptides derived from Spirulina: a review Food Rev Int 2018 ; 34 (1) : 34-51 [16] Selmi C., Leung P.S.C., Fischer L., et al. The effects of Spirulina on anemia and immune function in senior citizens Cell Mol Immunol 2011 ; 8 (3) : 248-254 [17] Watanabe F., Takenaka S., Kirraka-Katsura H., Ebara S., Miyamoto E. Characterization and bioavailability of vitamin B12-compounds from edible algae J Nutr Sci Vitaminol (Tokyo) 2002 ; 48 (5) : 325-331 [18] Agence française de sécurité sanitaire des aliments. Apport en protéines : consommation, qualité, besoins et recommandations. 2007. www.anses.fr/fr/system/files/NUT-Ra-Proteines.pdf.1 On peut même parler d’outils techniques pour l’industrie, cela concerne des additifs alimentaires, des excipients de l’industrie cosmétique (comme les gélifiants ou les colorants) ou les compléments alimentaires protéiques de l’élevage industriel. 2 Ce texte est issu de la thèse pour le diplôme d’État de docteur en pharmacie de Lior Féry, soutenue le 17 mai 2019 à la faculté de pharmacie de Limoges (87).