Pharmacologie du système noradrénergique
14 août 2023
Un panorama des médicaments du système nerveux
Nous vous proposons de découvrir le chapitre 6 Pharmacologie du système noradrénergique de l'ouvrage Neuropsychopharmacologie S’ouvre dans une nouvelle fenêtre La noradrénaline ou norépinéphrine est un neuromédiateur dont l’action a d’abord été caractérisée au niveau périphérique, en particulier pour ses effets cardiovasculaires (pression artérielle, contraction myocardique, fréquence cardiaque) ou bronchiques. C’est le neuromédiateur principal impliqué dans les réactions de stress et de fuite. Néanmoins, la noradrénaline est également synthétisée au niveau central et y régule les mécanismes du stress et de son corollaire que sont la vigilance et l’attention.
Mais c’est aussi un neurotransmetteur qui module les fonctions thymiques et cognitives, en conditions physiologiques mais aussi physiopathologiques, diverses pathologies étant sous-tendues par un défi cit en noradrénaline. Sa modulation pharmacologique a principalement pour objectif son activation dans des circonstances pathologiques diverses. L’effet psychostimulant qui en résulte est, de manière paradoxale, aussi bien mis à profi t pour améliorer l’humeur d’un patient déprimé que pour diminuer une hyperactivité résultant d’un trouble attentionnel.
Synthèse, recapture et catabolisme
La L-tyrosine est à l’origine de la synthèse de la noradrénaline et se trouve captée par des neurones dédiés, après avoir franchi la barrière hématoencéphalique. La première étape est l’hydroxylation de la L-tyrosine en L-Dopa, par la tyrosine hydroxylase . Comme pour la synthèse de la dopamine, c’est l’étape limitante de la synthèse (figure 6.1). La L-Dopa est ensuite transformée en dopamine par la dopa-décarboxylase. Les neurones noradrénergiques ont la particularité d’être équipés en dopamine β -hydroxylase, au sein des vésicules, qui transforme la dopamine en noradrénaline, après avoir été captée au niveau vésiculaire. En tant que catécholamines, la dopamine et la noradrénaline sont très proches en terme de synthèse. La dégradation enzymatique emprunte deux voies : la voie de la monoamine oxydase A et la voie de la catéchol-O-méthyltransférase, qui interagissent. Il en résulte différents métabolites : l’acide homovanillique (HVA), l’acide vanillymandélique (VMA), la 3-méthoxy-4-hydroxyphényléthanol (MHPE) et le 3-méthoxy-4-hydroxyphényléthylène glycol (MHPG). Cette dégradation se fait dans la fente synaptique ou dans les mitochondries, respectivement pour la COMT et pour la MAO-A . Pour une part, la dégradation est précédée par une recapture, assurée par un transporteur sélectif de la noradrénaline (NET) qui est constitué de douze acides aminés, de manière assez similaire aux autres neurotransmetteurs.
Distribution anatomique
Les neurones noradrénergiques centraux sont localisés dans sept noyaux (A1-A7), au niveau du pont et du bulbe. Le noyau le plus important est le locus coeruleus (A6) qui est situé à la partie dorsale du pont et dont les efférences se projettent vers les noyaux du raphé, le thalamus, l’hypothalamus, l’amygdale, le néocortex, l’hippocampe et le cervelet, via la voie ascendante dorsale. Les neurones de ce noyau se projettent également vers le système sympathique périphérique, en particulier vasomoteur. Les neurones du groupe A1, du bulbe rachidien, complètent cette innervation vasomotrice sympathique. Les neurones des noyaux A2 (noyau du faisceau solitaire), A3, A4 et A7, se projettent vers les noyaux du nerf vague, du nerf glossopharyngien, de l’hypothalamus. La noradrénaline exerce essentiellement ses rôles centraux via l’activité des neurones du locus coeruleus (figure 6.2).
Les récepteurs
La noradrénaline exerce ses effets centraux via quatre récepteurs couplés à des protéines G : le récepteur α -1, le récepteur α -2, le récepteur β -1 et le récepteur β -2. Ces récepteurs sont à la fois pré- et post-synaptiques (figure 6.3). Les récepteurs α 1-adrénergiques sont couplés à une protéine Gq et régulent la phospholi pase C. Les récepteurs α -2 couplés à une protéine Gi inhibent l’adénylate cyclase. Les récepteurs β - adrénergiques couplés à une protéine Gs sont associés à une stimulation de l’adénylate-cyclase et de la PKA ainsi que de la protéine kinase ERK (extracellular signal-regulated protein kinase) via les protéines B-raf et Rap-1. Les récepteurs présynaptiques exercent, une fois stimulés, un rétrocontrôle négatif sur la libération de noradrénaline. Via ses récepteurs centraux, la noradrénaline module d’autres neurotransmetteurs, notamment le GABA, la sérotonine, le glutamate. Les interactions avec le glutamate expliquent la régulation par la noradrénaline du processus de potentialisation à long terme, notamment au niveau hippocampique.
Rôles fonctionnels
Les fonctions centrales de la noradrénaline s’expliquent essentiellement par les projections du locus coeruleus. Les neurones noradrénergiques du locus coeruleus ont une décharge tonique (continue) durant l’éveil, ils diminuent leur activité au cours du sommeil lent et sont silencieux pendant le sommeil paradoxal. Ceci explique la contribution de la noradrénaline dans la vigilance et l’éveil, principalement par la stimulation des récepteurs α -1 et β -adrénergiques. La noradrénaline est impliquée dans les phénomènes de stress mais aussi de récompense. Néanmoins, ce rôle est rendu complexe en raison d’une courbe de réponse en U inversé :
il existe une concentration cérébrale optimale pour laquelle le sujet est dans un état d’alerte qui lui permet une réponse adaptée à son environnement ;
lorsque les concentrations sont trop faibles, le sujet n’est pas suffi samment en alerte, en partie en raison d’un état de vigilance altéré ;
lorsque les concentration sont trop importantes, l’amygdale est trop activée, générant un état de stress qui peut en partie se manifester par des signes périphériques d’activation du système sympathique, mais aussi par une perturbation de la fonction thymique et de l’impulsivité. La noradrénaline est très impliquée dans la régulation des fonctions cognitives.
Il s’agit d’abord des processus attentionnels qui sont couplés, pour tout ou partie, avec le cycle veille-sommeil . Mais la noradrénaline intervient également dans les processus de fl exibilité comportementale, dans la mémoire de travail ou dans la mémoire à long terme. Cette dernière est régulée par le phénomène de potentialisation à long terme qui est modulée directement ou indirectement par la noradrénaline. La noradrénaline participe au contrôle nociceptif, avec la sérotonine, en bloquant la transmission de l’information nociceptive au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière.
Dysfonctionnements et pathologies
La noradrénaline est rarement impliquée isolément dans les différentes pathologies, mais intervient en complétant les tableaux symptomatiques à travers trois fonctions principales : le stress, l’humeur et la cognition. Le rôle dans les troubles de l’humeur a été très tôt reconnu en parallèle de celui de la sérotonine, en particulier en raison du lien privilégié qui existe entre stress chronique et genèse de la perturbation des fonctions thymiques. Une dégénérescence du locus coeruleus a été mise en évidence dans la maladie d’Alzheimer , permettant de rendre compte à la fois d’une partie des troubles cognitifs, mais aussi des complications neuropsychiatriques qui émaillent l’évolution de la maladie. Au cours de la maladie de Parkinson , l’accumulation d’ α -synucléine dans le locus coeruleus semble précéder la dégénérescence de la substance noire, pouvant rendre compte de la dépression prodromale parfois observée dans cette maladie. À un stade plus avancé, le défi cit noradrénergique résultant de la perte neuronale dans le locus coeruleus peut rendre compte des troubles moteurs axiaux qui surviennent en cours d’évolution et qui résistent au traitement dopaminergique. Les symptômes positifs et négatifs de la schizophrénie pourraient en partie être liés à une dysrégulation du système noradrénergique comme le montre :
l’aggravation des symptômes positifs par des médicaments ou des substances qui activent la transmission noradrénergique, par exemple dans le cortex préfrontal ;
l’amélioration sous l’effet d’un blocage direct ou indirect de la transmission dopaminergique ;
l’implication du système noradrénergique dépendant du locus coeruleus dans le phénomène de sursaut expérimentalement induit (pre-pulse inhibition).
Le déficit de la transmission noradrénergique dans le cortex préfrontal est en cause dans la perte de régulation de l’impulsivité, dans les troubles attentionnels et dans l’hyperactivité qui en découle au cours du trouble de défi cit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH ). La noradrénaline participe à la physiopathologie de la douleur, par défaut de contrôle descendant.
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Modulation pharmacologique
Elle peut être pré- ou post-synaptique, même s’il est parfois diffi cile de faire la part des choses concernant la modulation directe dans la mesure où les différents sous-types de récepteurs sont à la fois exprimés au niveau pré- et post-synaptiques (figure 6.4).
Modulation pharmacologique présynaptique
Modulation présynaptique activatrice
Ce sont les amphétamines qui se sont les premières révélées capables de stimuler la neurotransmission noradrénergique par leur double propriété d’inhiber le transport vésiculaire de la noradrénaline et d’inverser le fonctionnement du système de recapture, par un changement de conductance ionique conduisant à un relargage massif du neurotransmetteur. Les cathinones synthétiques, comme la méphédrone ou le MDMA , exercent un effet similaire expliquant leurs effets psychostimulants de type amphétaminique. De nombreux médicaments activent la transmission noradrénergique par le biais d’une inhibition de la recapture de la noradrénaline. Les inhibiteurs agissant préférentiellement sur ce système de recapture sont rares : désipramine, atomoxétine, réboxetine, nisoxétine. La plupart des inhibiteurs de la recapture de la noradrénaline sont associés à une inhibition d’un autre système de recapture. Il peut s’agir de la recapture de la sérotonine : antidépresseurs tricycliques (clomipramine , etc.), antidépresseurs inhibiteurs mixtes de type venlafaxine ou duloxétine , des analgésiques comme le tramadol ou tapentadol. Il peut s’agir d’un mécanisme mixte associant noradrénaline et dopamine : méthylphénidate , modafinil , nomifensine. Il peut exister des inhibiteurs triples comme l’indatraline ou le mazindol. Le deuxième mécanisme est enzymatique par inhibition de la monoamine oxydase A (moclobémide , iproniazide ) ou de la COMT. Une troisième voie est liée au blocage du récepteur α 2-adrénergique par des antagonistes (mirtazapine , miansérine ), qui lève le rétrocontrôle exercé sur la libération de noradrénaline. Tous ces médicaments sont essentiellement des stimulants de l’humeur et de la motivation, expliquant leur utilisation comme antidépresseurs. Le méthylphénidate ou le modafi nil permettent de restaurer des concentrations synaptiques en noradrénaline dans le cortex préfrontal provoquant une meilleure focalisation attentionnelle qui fait régresser l’hyperactivité. Le modafi nil stimule l’éveil chez les patients narcoleptiques.
Modulation présynaptique inhibitrice
La réserpine provoque une inhibition de la transmission noradrénergique par le blocage de la mise en vésicule de la noradrénaline, mais sans modifi - cation du sens de fonctionnement du système de recapture. L’autre voie est la modulation agoniste des récepteurs présynaptiques de type α 2, ce qui stimule le rétrocontrôle négatif : c’est le cas de la guanfacine ou de la clonidine. Cependant, ce mécanisme d’action ne résume pas celui de la guanfacine , qui exerce également un effet sur les récepteurs imidazoliniques, permettant de comprendre l’effet paradoxal de la guanfacine, qui exerce un effet sur le TDAH dans lequel existe un défi cit noradrénergique.
Modulation pharmacologique postsynaptique
S’il existe de nombreux produits modulant les récepteurs α -1 ou β en périphérie, les produits exerçant un effet central sont peu nombreux, car il est parfois difficile de distinguer les effets présynaptique et post-synaptique, qui sont pourtant opposés. Parmi les médicaments exerçant un effet agoniste α -1, on peut citer la mirtazapine qui, grâce à l’augmentation des concentrations de noradrénaline, peut exercer un effet stimulant de la transmission sérotoninergique via celle des récepteurs α -1. De nombreux antipsychotiques, notamment de la première génération, sont des antagonistes α -1, même si l’effet central semble moins contributif que l’effet périphérique responsable d’une baisse de la pression artérielle. Expérimentalement, l’antagonisme des récepteurs β -adrénergiques par un médicament comme le propranolol provoque des effets négatifs sur la mémoire, notamment à cause de l’inhibition du processus de potentialisation à long terme.
En conclusion
Bien que moins ubiquiste dans sa distribution que d’autres systèmes de neurotransmission, il n’en demeure pas moins que la noradrénaline exerce des fonctions importantes sur la vigilance, la mémoire, l’impulsivité, l’humeur. Le mécanisme pharmacologique prépondérant est l’inhibition de la recapture de la noradrénaline, qu’elle soit préférentielle ou mixte, utilisée dans de nombreuses conditions pathologiques, notamment la dépression, la douleur neurogène ou le TDAH. Il ne faut pas perdre de vue que la prescription de ces médicaments s’accompagne également d’effets indésirables périphériques.
À retenir
La noradrénaline est un dérivé de la dopamine, ces deux transmetteurs appartenant à la famille des catécholamines.
L’inhibition de la transmission noradrénergique au niveau présynaptique se fait par l’inhibition de la recapture ou par le blocage des enzymes de dégradation (MAO-A, COMT).
Les quatre types de récepteurs sont exprimés tant au niveau pré- que post-synaptique.
Le locus coeruleus est le principal noyau de neurones noradrénergiques qui se projettent vers le lobe frontal, l’hippocampe, l’amygdale expliquant notamment les effets sur la mémoire, l’attention et le stress.
La principale modulation pharmacologique repose sur l’inhibition du système de recapture, qui est alors utilisée dans la dépression, le TDAH, l’analgésie.
Pour en savoir plus
Berridge CW , Schmeichel BE , España RA . « Noradrenergic Modulation of Wakefulness/Arousal » . Sleep Medicine Reviews 2012 ; 16 : 187 – 97 . Borodovitsyna O , Flamini M , Chandler D . « Noradrenergic Modulation of Cognition in Health and Disease » . Neural Plasticity 2017 ; 6031478 . Article ID . Flavin SA , Winder DG . « Noradrenergic Control of the Bed Nucleus of the Stria Terminalis in Stress and Reward » . Neuropharmacology 2013 ; 70 : 324 – 30 . Purper-Ouakil D , Lepagnol-Bestel AM , Grosbellet E , Gorwood P , Simonneau M . « Neurobiologie du trouble défi cit de l’attention/hyperactivité » . Médecine/ Sciences 2010 ; 26 : 487 – 96 . O’Dell TJ , Connor SA , Guglietta R , Nguyen PV . « b-Adrenergic receptor signaling and modulation of long-term potentiation in the mammalian hippocampus » . Learning and Memory 2015 ; 22 : 461 – 71 .
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Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique Collège National de Pharmacologie Médicale
Coordonné par :
Régis Bordet Pharmacologue et neurologue, Professeur de Pharmacologie Médicale à la Faculté de Médecine de l’Université de Lille, chef du service de pharmacologie médicale du CHU de Lille et directeur de l’UMR INSERM U1171
Louise Carton Pharmacologue, psychiatre, addictologue et assistante hospitalo-universitaire à la Faculté de Médecine de l’Université de Lille et au CHU de Lille
Julie Deguil Neurobiologiste et neuropharmacologue, Maître de Conférence de Pharmacologie à la faculté de Médecine de l’Université de Lille
Thibaut Dondaine Neuropsychologue au CHU de Lille