Physiopathologie du diabète : l’analyse du Pr André Grimaldi
28 février 2023
Par Monique Remillieux
Le défi de l'épidémie du diabète de type 2
Nous vous invitons à lire l'analyse de l'ouvrage Physiopathologie du diabète S’ouvre dans une nouvelle fenêtre par le Pr André Grimaldi, pour la revue Médecine des maladies métaboliques S’ouvre dans une nouvelle fenêtre.
Table des matières
C'est quoi le diabète aujourd'hui ?
Trois mille ans d'histoire de diabète
Glycémie et énergie cellulaire, le cœur du sujet
Quelles sont les raisons de l'hyperglycémie chronique ?
5. Le diabète, c'est dû à quoi ?
Le diabète, c'est dangereux. Pourquoi ?
Riposter à la maladie. Comment ?
Les nouvelles armes pour le diabétique du futur
Une analyse d'André Grimaldi
Professeur émérite de diabétologie, Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), CHU Pitié Salpêtrière, Service de diabétologie ; Université Paris 6, Paris, France.
On connait le diabète depuis 3000 ans, mais la diabétologie comme discipline clinique est vraiment née en 1922 avec le premier traitement par injections d’insuline d’un enfant, Léonard Thompson, en train de mourir d’acidocétose. Dans son livre « Physiopathologie du diabète. Mécanismes d’une pandémie silencieuse » paru aux éditions Elsevier-Masson, le professeur de physiologie Bernard Portha rapporte un siècle d’histoire de la diabétologie. Il fait le point actuel des connaissances à la fois biologiques et cliniques, jusqu’aux avancées les plus récentes concernant le métabolisme énergétique, les mécanismes de sécrétion et d’action de l’insuline, la physiopathologie du diabète de type 1 (DT1) et du diabète de type 2 (DT2) et des diabètes du 3e type, la part du déficit insulino-sécrétoire et celle de l‘insulinorésistance, le rôle de la génétique et celui de l’environnement. En même temps, Bernard Portha nous raconte l’histoire du progrès des connaissances et des découvertes thérapeutiques, il explique le mode d’action des différents médicaments, et trace les voies de la recherche fondamentale et de la recherche clinique désormais étroitement liées. Il s’agit de mieux comprendre pour agir plus efficacement. La lecture de « Physiopathologie du diabète », véritable encyclopédie moderne enrichie de rappels historiques rend à la fois plus modeste et plus intelligent. Elle donne envie de participer à l’écriture de la suite de cette aventure scientifique et humaine.
On sait aujourd’hui que le DT1 est la cicatrice métabolique d’une maladie auto-immune. Mais, on ne sait toujours pas le prévenir grâce à une immunothérapie sans risque. Et on ne connait pas les facteurs environnementaux déclenchant le processus auto-immun. Qu’est ce qui explique que l’incidence du DT1 augmente, en particulier chez les petits enfants de moins de 5 ans ? Par contre, on sait de mieux en mieux mimer l’insulinosécrétion physiologique grâce aux progrès biotechnologiques permettant d’adapter le débit de perfusion des pompes externes à insuline aux variations du taux de glucose interstitiel mesuré en continu. On s’approche du pancréas artificiel. D’ores et déjà, on peut éviter les complications de la « triopathie » diabétique touchant l’œil, les reins et les pieds, dont la survenue était autrefois quasi-inexorable. Cependant, tant que la boucle de régulation glucose-insuline ne sera pas « fermée », tant que persistera un risque d’hyper- ou d’hypoglycémie, le patient devra apprendre à mesurer pour décider. Grâce aux progrès des dernières années, les outils sont de plus en plus précis et faciles à manier. En conséquence, les décisions sont de plus en plus efficaces. L’apprentissage n’en reste pas moins indispensable et « l’acceptation de la maladie » en demeure le préalable incontournable. Paradoxalement, plus on arrive, grâce aux progrès thérapeutiques, à copier l’homéostasie biologique perdue, plus les soignants doivent aider le patient à maintenir son « homéostasie émotionnelle », c’est-à-dire l’évitement de l’anxio-dépression, sans avoir besoin de recourir au déni, au clivage ou à la dénégation, sans céder aux recettes de la pensée magique et aux pratiques addictives ou s’adonner à des conduites à risque. Ce processus de résilience suppose que le patient arrive à remanier son « identité narrative » pour faire une place à la maladie (ni l’exclure, ni lui donner toute la place) tout en gardant sa joie de vivre.
On sait aujourd’hui que le DT2 est une maladie hétérogène associant de façon variable une résistance à l’action de l’insuline et une déficience de la sécrétion d’insuline qui s’aggrave au fil des ans. D’abord relative, elle devient absolue. Même si la physiopathologie met en exergue le défaut génétique d’adaptation de la capacité insulino-sécrétoire à la demande accrue d’insuline provoquée par l’insulinorésistance, l’évolution de la pandémie de DT2 s’explique fondamentalement par « l’épidémie d’insulinorésistance ». Celle-ci a aussi une composante génétique, mais elle est essentiellement d’origine comportementale : diminution de l’activité physique, sédentarisation, « MacDonisation » de l’alimentation et « CocaColisation » de la boisson. Elle touche l‘ensemble de la planète, mais tout particulièrement les pays connaissant des changements rapides du mode de vie suivant l’urbanisation et l’industrialisation agro-alimentaire. Les indiens Pima vivant en Arizona (États-Unis) sur les rives de la rivière Gila paient un lourd tribut. À l’âge de 35 ans, 75 % sont obèses et 50 % ont un DT2. On sait que ce n’était pas le cas avant la seconde guerre mondiale, et ce n’est toujours pas le cas des indiens des tribus Pima mexicaines partageant le même patrimoine génétique mais ayant gardé leur mode de vie ancestrale. En réalité, les gènes « d’épargne » qui favorisaient la survie en période d’insuffisance d’apports caloriques et d’activité physique importante sont devenus des gènes de susceptibilité en période de sédentarité et d’apports caloriques excessifs. C’est la même hypothèse qui prévaut pour expliquer pourquoi l’hypotrophie fœtale est un facteur de risque de survenue d’obésité à l’âge adulte. Quoi qu’il en soit, le traitement pharmacologique du DT2 a fait de très grands progrès puisqu’en 25 ans, nous sommes passés de trois classes thérapeutiques (la metformine, les sulfamides hypoglycémiants et l’insuline) à huit classes de médicaments, dont deux classes favorisent la perte de poids et ont démontré un bénéfice cardiaque et rénal, indépendant de l’amélioration de l’équilibre glycémique. La chirurgie bariatrique a même montré que la perte de poids massive permettait d’obtenir une rémission prolongée du diabète et une réduction de la mortalité. Pourtant, l’épidémie de DT2 continue à se développer, touchant 500 millions de personnes dans le monde, posant un problème, humain, social et économique. Il est difficile et peut être dangereux de penser que la solution viendra seulement des progrès pharmacologiques ou chirurgicaux : l’homme chimiquement ou anatomiquement modifié. Je me souviens d’une petite étude pilote randomisée portant sur la prévention du DT2 chez 95 indiens Pima obèses non diabétiques, publiée en 1998 dans la revue anglaise Diabetic Medicine [1]. Les auteurs avaient cherché à évaluer le bénéfice d’une éducation active structurée prolongée sur la prise de poids et les données biologiques métaboliques des patients. Quarante- huit patients constituant le groupe « PIMA Action » bénéficièrent d’un « coaching » par des diététiciennes et des moniteurs pour favoriser les changements qualitatifs d’alimentation et l’augmentation de l’activité physique. Les 47 patients du groupe contrôle reçurent une information standard sur la diététique et l’activité physique recommandées, mais de façon à bénéficier d’un temps comparable de « prise en charge » par rapport aux patients du groupe « PIMA Action » ; ils furent invités à participer à des conférences et à des activités célébrant la culture Pima ancestrale. Ils formèrent le groupe « PIMA Pride », la fierté PIMA. Au bout d’un an, c’est le groupe PIMA Action, et non le groupe PIMA Pride, qui avait pris le plus de poids et détérioré le plus la tolérance au glucose. Bien sûr, il ne s’agit que d’une étude pilote portant sur un tout petit nombre de personnes, mais on peut néanmoins supposer qu’il existe une relation inverse entre, d’une part, la culture renforçant l’identité narrative et la confiance en soi et, d’autre part, la consommation alimentaire compensant les insuffisances ou les frustrations du moi. L’obésité se développe moins rapidement dans les pays de vieilles cultures que dans les contrées connaissant des bouleversements rapides du mode de vie. De même, on sait que les enfants qui lisent sont moins sujets au surpoids que les enfants qui regardent passivement les écrans.
L’épidémie du DT2 est peut-être un modèle pour réfléchir aux grands défis de notre monde post-moderne. Sa maîtrise de la nature a libéré l’être humain de ses contraintes environnementales jusqu’à ce que l’excès de la consommation et le toujours plus de la production, se retournent contre lui, entraînant sa déculturation, perturbant sa qualité de vie, et allant jusqu’à menacer sa survie. Comme le rappelle magistralement Bernard Portha dans ce grand livre, la solution de sagesse et de raison serait de combiner le progrès scientifique et technologique et les changements de modes de développement économique et de comportements quotidiens, assumant individuellement et collectivement l’autolimitation, faisant le choix de la tempérance et renonçant à l’Hubris (démesure).
Déclaration de liens d’intérêts
André Grimaldi déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
Référence
1. Venkat Narayan KM, Hoskin M, Kozak D, et al. Randomized clinical trial of lifestyle interventions in Pima Indians: a pilot study. Diabet Med 1998; 15:66-72.
© 2022 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
Physiopathologie du diabète Mécanismes d'une pandémie silencieuse Bernard Portha ISBN 9782294780257 2022
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