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Prévenir les violences sexuelles dans le sport

27 mai 2024

Olivier Coste

L'ouvrage pratique Violences sexuelles et sports S’ouvre dans une nouvelle fenêtre apporte des outils et informations sur le sujet aux professionnels de santé et intervenants du monde sportif.

Découvrez la table des matières et le chapitre 1.

Si la lecture de ce livre peut contribuer à ce qu’une joueuse de football, un jeune nageur ou une judokate où qu’ils soient, n’aient plus à craindre un baiser forcé, une caresse génitale, des sextos ou des dick pics non souhaités, si la lecture de ce livre leur permet, si elles ou ils y sont soumis, de savoir vers qui se tourner pour en parler en toute confiance, si la lecture de ce livre permet à celles et ceux qui reçoivent leur parole de bien les écouter et de les accompagner efficacement, alors nous aurons atteint notre objectif. (extrait du chapitre 1)

Table des matières

Partie 1. Introduction 1. Comprendre les violences sexuelles pour agir 2. Lettre ouverte. Révolte ou révolution ?

Partie 2. Définition et mécanismes 3. Le concept de genre pour comprendre les violences sexuelles 4. Différents types de violences en sport 5. Les violences interpersonnelles faites aux jeunes enfants et adolescents dans le sport : définitions et prévalences 6. L’importance et les défis de mener des recherches sur les violences en sport 7. Les violences sexistes et sexuelles : quel contour pénal ? Réflexions autour de quelques infractions 8. Les violences croisées : exemple des troubles des conduites alimentaires 9. Modèle conceptuel bio-psycho-social des violences dans le sport selon le CIO : pour mieux comprendre, détecter et agir 10. Notes sur le caractère systémique de l’emprise sportive 11. Cyberharcèlement : une violence à ne pas négliger 12. Violences sexuelles : ce que le cas de l’Église pourrait apprendre au monde du sport 13. Pédophilie et pédocriminalité : arrêtons la confusion 14. Lecture psychopathologique des violences sexuelles à partir du film Slalom 15. Les auteurs de violences sexuelles dans le sport : regard de soignants 16. Une santé physique et mentale en péril

Partie 3 Accueil, écoute et signalement 17. « Je te crois » : conséquences institutionnelles d’une énonciation 18. Le rôle de l’entourage dans l’accueil de la parole et l’accompagnement du sportif 19. On en parle : les médecins au centre du dépistage 20. Les violences sous écoute pour un meilleur accompagnement 21. La consultation médicolégale dans le cadre de la procédure judiciaire 22. Pour une obligation de signalement par les professionnels de santé 23. Démarches de signalement et procédure pénale 24. Écriture d’un signalement ou d’une information préoccupante 25. Décrypter et démystifier l’article 40 du code de procédure pénale 26. Exemple de travail pluridisciplinaire : prise en charge et soutien dans le cadre d’une affaire de violences dans le sport

Partie 4 Formation et prévention 27. La lutte contre les violences sexuelles dans le sport en France depuis 2020. Traitement des signalements et contrôle d’honorabilité 28. Que se passe-t-il ailleurs ? 29. Abus dans le sport, trajectoire pour un sport sain et sûr : l’expérience safeguarding suisse 30. L’expérience de Sport’Aide : vers une approche écologique des violences dans le monde du sport 31. De la nécessité d’un plan d’action global, articulé et pérenne pour lutter contre les violences de genre 32. La posture professionnelle : un travail essentiel en formation 33. La BOAT® en terrain inconnu : les règles du JE(U) 34. Pour une éthique des soins 35. L’approche des violences lors du suivi médical des sportifs de haut niveau : place du bilan psychologique 36. L’intérêt d’une approche plurielle en prévention 37. De la maltraitance pédagogique à une autre pédagogie 38. Une culture de l’intelligence collective au service de la prévention des violences dans le sport 39. L’indispensable consentement : une notion incontournable en prévention 40. Slalom : un outil de sensibilisation aux multiples facettes 41. Le trailer Slalom : un support puissant de prévention 42. Le trailer Slalom : un rythme effréné et des séquences fortes 43. Le flag system : un outil haut en couleur 44. Un outil d’autoévaluation du bien-être et des violences, adapté au monde du sport et du parasport : le Réglo’sport 45. Mémo de Vie, une plateforme pour sauvegarder documents et témoignages 46. Des ressources à la rescousse des victimes et des agresseurs 47. Et après, la réparation des corps

Partie 5 Conclusions 48. Lettre ouverte : pour un pacte de confiance. Message aux parents d’enfants sportifs 49. Pour en finir avec les violences ? 50. Trois rapports pour réformer le sport

chapitre 1

Comprendre les violences sexuelles pour agir

Philippe Liotard et Olivier Coste

« Mon Dieu, que vont penser les femmes qui ont vraiment subi des agressions sexuelles ? » demandait le 25 août 2023 en assemblée générale, Luis Rubiales, le président de la Fédération espagnole de football, afin de justifier son refus de démissionner. Ce faisant, il tentait de se disculper du baiser qu’il avait imposé publiquement à Jenni Hermoso, la capitaine de l’équipe d’Espagne qui venait cinq jours plus tôt de remporter la Coupe du monde de football femmes. Selon lui, ce baiser n’était pas volé, il résultait d’une joie partagée dont on sait bien qu’elle inviterait à rapprocher les corps. En disant cela, il fournit un argument qui pourrait s’entendre, à condition de suivre son raisonnement et de ne pas être soi-même en mesure de caractériser ce qu’est une violence sexuelle. Et force est de constater qu’il a été suivi, du moins dans un premier temps, avant que ses soutiens ne le lâchent l’un après l’autre, au fur et à mesure des condamnations de son comportement par la Fédération internationale de football association (FIFA) ou par le gouvernement espagnol, avant son inculpation par le parquet espagnol pour agression sexuelle. Sous l’effet d’un vaste mouvement international faisant de lui la figure de l’agresseur sexuel, il a finalement démissionné deux semaines plus tard.

Cet épisode a alimenté les débats de la fin de l’été 2023. À lui seul, il pourrait servir de fil rouge à cet ouvrage. D’abord, parce qu’il permet de se demander de quoi l’on parle lorsque l’on parle d’agression sexuelle, mais aussi d’outrage sexiste, de viol, de bizutage ou encore, plus largement, de violences de genre. Ensuite, parce qu’il pose la question de la réception de ces violences, de leur prise au sérieux, des conditions d’accueil d’une parole, des modalités institutionnelles de l’accompagnement des personnes qui les ont subies mais aussi de la transformation de l’institution elle-même. Ce que dévoile le baiser forcé de Rubiales (qui agit alors en tant que président de la Fédération espagnole de football), c’est la nécessité de changer la culture institutionnelle, de la faire évoluer dans le sens du respect des personnes, ce qui suppose de bousculer les hiérarchies instituées qui perpétuent un modèle de masculinité oppressif et d’appeler un chat un chat et un baiser forcé une agression sexuelle. Ceci ouvre à la prévention, à la production de prises de conscience collectives. Pour cela, les outils sont aujourd’hui nombreux dont plusieurs seront exposés dans cet ouvrage.

En tentant d’atténuer l’orage qui s’est abattu sur lui, Rubiales a au contraire révélé bien au-delà de l’Espagne, d’une part que ces violences étaient systémiques au sein de la fédération, comme l’ont révélé de nombreuses joueuses, et d’autre part que les violences sexistes ou sexuelles s’inscrivent dans une série d’expériences communes, vécues par les femmes. Ce partage d’expériences constitue ce que la sociologue britannique Liz Kelly nomme, dès 1987, le continuum de la violence sexuelle. Elle note notamment que « certaines formes de violence sexuelle rencontrées par la plupart des femmes au cours de leur vie, sont aussi celles qu’elles risquent de subir le plus fréquemment. Les plus communes sont aussi les plus susceptibles d’être définies par les hommes comme des comportements acceptables, par exemple le fait de considérer le harcèlement sexuel comme “un petit jeu” ou “juste une blague”, et elles ont moins de chances d’être définies légalement comme des délits ». Par ailleurs Liz Kelly met en lien l’hétérosexualité et le viol, non pas comme une condition nécessaire mais, là encore, comme un continuum en spirale, qui distend et va jusqu’à casser le ressort du consentement sans lequel aucune relation ne peut se comprendre comme une relation acceptable [1]. Ce continuum dont le point d’orgue se situe dans un rapport sexuel forcé se développe avec pressions, insistance, intimidation, chantage, menace, contrainte, surprise, violence. Et s’il est perçu et analysé, au moins rétrospectivement par les femmes qui l’ont expérimenté, les auteurs, quant à eux, semblent peu conscients du mécanisme ou, s’ils le sont, bénéficient d’une tolérance qu’ils ne se privent pas de mobiliser. Tout ceci est remarquablement illustré par la formule de Rubiales, « Mon Dieu, que vont penser les femmes qui ont vraiment subi des agressions sexuelles ? ». Déni, atténuation, confusion, sous-estimation de la gravité des faits, se combinent à la dépréciation voire à la mise en cause des victimes des agressions, a fortiori si elles dénoncent ce qu’elles vivent, fort justement, comme une agression.

Il y a maintenant plus d’un quart de siècle que la question des violences sexuelles dans le sport a été posée en France. Depuis, et au fur et à mesure de l’éveil des consciences et de l’élévation des vigilances collectives, les violences sexistes, homophobes, inter- et transphobes ont également été dénoncées et font l’objet de tentatives visant à les combattre et d’éviter les souffrances qui en résultent.

Dans cet ouvrage, nous ne traiterons pas de l’ensemble des violences de genre. Nous nous centrerons principalement sur les violences sexistes, c’est-à-dire celles que subissent les femmes en tant qu’elles sont des femmes et les violences sexuelles qui, nous le verrons, se déclinent dans le Code pénal de différentes manières et qui peuvent toucher les femmes comme les hommes et, bien sûr, les enfants des deux sexes. Pour cela, nous avons accueilli des textes produits par des acteurs et des actrices de divers horizons : celui de la recherche, des pratiques cliniques, du journalisme, des institutions, du mouvement sportif lui-même ou encore des personnes concernées. Il en résulte un kaléidoscope de théories, de regards et d’objets, mais aussi de pratiques et d’actions. Comme tout kaléidoscope, il produit des éclairages variant selon l’angle et l’ordre des lectures, selon l’environnement et le questionnement qui mène à sa consultation.

La première partie de l’ouvrage vise à lever les confusions et à répondre à une question simple : de quoi parle-t-on quand on parle de violences sexistes et sexuelles ? Cette partie cerne les violences. Elle les décrit à la fois dans ce qui les distingue et ce qui les lie. Elle recourt à un concept qui permet d’en expliquer les mécanismes, le concept de genre (conçu comme système ou régime) et qui infléchit, colore et normalise « le corps, la sexualité et les rapports sociaux, considérés à la fois comme domaines d’enquête sur les rapports de genre et comme catégories d’analyse de ces rapports [2] ». Cette approche nourrit la cohérence de l’ouvrage. Les pratiques sportives, notamment celles qui se sont instituées au sein de fédérations comme celles qui se développent dans le champ des espaces sportifs commerciaux entretiennent un rapport au corps spécifique, construit sur des représentations normées du féminin et du masculin. Ce rapport au corps valorise la performance physique et se situe dans une esthétique qui entretient, renforce ou bouscule les stéréotypes de genre. Par ailleurs, comme l’a montré Alexie Geers [3], le corps des femmes subit une sexualisation de la féminité entretenue par les médias (presse, télévision, cinéma, publicités) y compris (surtout) lorsqu’il s’agit du corps des sportives. Ceci a été mis en avant dès les années 1980 aux États-Unis, avant que des travaux en langue française sur la médiatisation des sportives ne le soulignent à leur tour, de Catherine Louveau à Sandy Montañola en passant par Frédéric Baillette, Lucie Schoch, Christine Mennesson, Mélie Fraysse et bien d’autres encore. Dans ce cadre, penser les violences suppose de les distinguer, de les situer dans leur contexte, de penser leur articulation et de saisir en quoi elles se construisent dans une représentation dominante de la sexualité et de la place à laquelle chacune et chacun sont assignés. Leur dénonciation est désormais acquise. Leur compréhension est essentielle pour agir.

La deuxième partie de l’ouvrage se centre sur l’accueil de la parole, l’écoute, l’accompagnement, l’orientation des personnes qui ont vécu des violences. Elle déroule les conséquences organisationnelles d’une phrase simple dans sa formulation, « je te crois », qui, une fois adressée à la personne qui vient se confier sur une violence, impose une attitude, une éthique et un fonctionnement. L’attitude consiste à ne mettre aucunement en cause la parole. L’éthique, en tant que recherche du bien agir, mobilise le respect de la personne et la confidentialité de la parole déposée. Le fonctionnement suppose une organisation articulée entre différentes actrices et acteurs afin d’assurer la continuité de la prise en compte des violences, depuis l’écoute, jusqu’aux éventuelles sanctions, en passant par l’accompagnement des personnes ayant signalé les violences. Nous développerons ainsi le rôle de l’entourage, celui des médecins, des dispositifs d’écoute. Nous clarifierons les étapes du signalement, en tentant, toujours, de ne pas oublier que la priorité reste la personne qui fait le signalement, sa mise en sécurité, sa protection et son accompagnement.

La troisième partie, enfin, déploie des exemples d’actions et de prévention qui tous peuvent, d’une manière ou d’une autre, prendre place dans un large plan d’action pour l’égalité, incluant un axe fort sur les violences de genre. Un cadre national est posé dès février 2020, au sein du ministère des Sports, où en juin 2020 est nommée une déléguée ministérielle à la lutte contre les violences dans le sport, notamment sexuelles, qui va devenir directrice des sports tout en conservant sa délégation. Une telle nomination atteste d’un engagement inédit sur la question, 2020 opérant une bascule sur ce point. Ce livre l’illustre en présentant de nombreuses actions qui participent à la structuration de la lutte contre les violences de genre ou qui illustrent les impulsions du ministère des Sports en direction des organisations sportives (contrôle d’honorabilité, obligation de formation, etc.). Mais ce qui marque surtout la spécificité de cette troisième partie, c’est la grande diversité des outils et des initiatives qui ne se réduisent pas à ceux du ministère chargé des Sports, et c’est heureux car cela traduit une appropriation étendue et créative des enjeux de la lutte contre les violences par diverses instances, à tous les niveaux (local, régional, national, international) et dans plusieurs domaines.

La palette est variée, depuis un outil d’autoévaluation visant à estimer si ce que l’on vit est acceptable, inquiétant, voire dangereux, jusqu’à l’usage de la fiction afin de restituer les logiques relationnelles menant aux violences sexuelles mais aussi aux maltraitances et au harcèlement moral, ou encore l’utilisation d’un dessin animé conçu par la police britannique pour sensibiliser au consentement, en passant par des outils, programmes ou structures créés au Québec, en Belgique, en Suisse, ou dans l’hexagone par des services hospitaliers ou des associations d’aides aux victimes… Nous disposons aujourd’hui d’une multitude de ressources fines, explicites, efficaces, ouvrant à la fois à la compréhension des mécanismes conduisant aux violences et à celles des attitudes et actions permettant de les éviter. Le livre illustre la force et la diversité des actions de prévention et la multiplicité des outils de prises de conscience qui permettent de mobiliser et de transformer les collectifs, les professions et l’ensemble des actrices et des acteurs de l’environnement sportif, pour permettre à tous et à toutes d’agir selon son niveau et dans son périmètre propre, dans le souci toujours du respect et de la protection des personnes.

Si la lecture de ce livre peut contribuer à ce qu’une joueuse de football, un jeune nageur ou une judokate où qu’ils soient, n’aient plus à craindre un baiser forcé, une caresse génitale, des sextos ou des dick pics non souhaités, si la lecture de ce livre leur permet, si elles ou ils y sont soumis, de savoir vers qui se tourner pour en parler en toute confiance, si la lecture de ce livre permet à celles et ceux qui reçoivent leur parole de bien les écouter et de les accompagner efficacement, alors nous aurons atteint notre objectif.

Références [1] Kelly L, Marion Tillous M. Le continuum de la violence sexuelle. Cahiers du Genre 2019 ; 66 : 17‒36. [2] Rennes J. Encyclopédie critique du genre. Paris : La Découverte, 2016. [3] Geers A. D’un corps de classe à un corps de genre. Les stars, modèles de féminité dans Marie-Claire. Études photographiques 2015 ; 32 : 4‒19.

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Violences sexuelles et sport L'essentiel pour agir Olivier Coste, Philippe Liotard ISBN 9782294778797 2024