Prise en charge des réactions dites « allergiques » aux tatouages
France | 1 décembre 2016
Mise au point Par Anne Claire Nonnotte
Réactions dites « allergiques » aux tatouages: prise en charge et algorithme thérapeutique
Tattoo skin reactions: Management and treatment algorithm
Résumé
Les réactions dites « allergiques » à une encre/une couleur sont la principale complication actuelle sur tatouage, qui poussent un individu tatoué à consulter. Cependant, le médecin est souvent désarmé ou perplexe quant à la manière de prendre en charge ce type de complication. Pour aider le clinicien dans sa pratique quotidienne, nous proposons une mise à jour de la prise en charge des réactions allergiques sur tatouage ainsi qu’une échelle thérapeutique et un algorithme décisionnel.
N. Kluger Department of dermatology, university of Helsinki, skin and allergies hospital, Helsinki university central hospital, Meilahdentie 2, PO 160 00029, HUS, Finlande
Mots clés: Tatouage; Allergie; Hypersensibilité; Encre; Traitement
Summary
So-called ‘‘allergic’’ reactions to ink or colouring agents constitute the main current complication associated with tattoos that lead individuals to consult. However, general practitioners are frequently at a loss about how to manage such complications. In order to assist clinicians in their daily practice, we propose an update of the modes of managing allergic reactions to tattoos, and we offer a therapeutic scale and a decision-making algorithm.
Keywords: Tattooing; Allergy; Hypersensitivity; Ink; Treatment
Selon la littérature récente, les complications des tatouages concernent de 2 % [1] à plus de 20 % des sujets tatoués [2,3]. Cette extrême variabilité est expliquée parles limites méthodologiques des études publiées, qui sont presque exclusivement des études rétrospectives basées sur les dires des patients, en l’absence d’examen clinique et de définition précise des signes et symptômes rapportés. En Allemagne, 6 % d’une cohorte de 3411 tatoués interrogés sur Internet rapportent des « problèmes de peau persistant sur les zones tatouées » [4]. À Central Park (New York, États-Unis), 6 % (18/300) des tatoués interrogés rapportent une réaction chronique durant depuis plus de quatre mois sur une couleur spécifique du tatouage [5]. Nous avons même trouvé un chiffre proche parmi les tatoueurs français, puisque 8 % d’entre eux (34/402) signalent l’existence d’une « allergie » sur au moins un de leurs propres tatouages [6]. Si l’on s’intéresse à des symptômes plus mineurs, tels un prurit récidivant ou une réaction photo-induite (avec tuméfaction et prurit), ce chiffre augmente encore [2,3,6]. Il ne fait pas de doute que tout médecin peut être un jour confronté (si ce n’est déjà arrivé) à la gestion d’une réaction à un tatouage.
Les réactions dites « allergiques » à une encre ou une couleur sont de loin les principales complications qui peuvent amener un patient à consulter pour son tatouage. Cependant, le médecin est souvent désarmé quant à la manière de prendre en charge ce type de complication.
Définition d’une réaction « allergique » au tatouage
Il n’existe pas de définition consensuelle de ce qu’est une réaction « allergique » ou d’« hypersensibilité » à une encre ou une couleur de tatouage. Elle pourrait être définie empiriquement ainsi:
une réaction chronique et constante
restreinte à un ou des tatouages
limitée à une couleur
survenant dans des délais variables, d’immédiatement après la réalisation du tatouage jusqu’à de nombreuses années plus tard
caractérisée cliniquement par une tuméfaction touchant une partie de cette couleur ou sa totalité, réalisant une infiltration diffuse permanente
très souvent associée à un prurit, parfois invalidant; la réaction est en revanche rarement douloureuse
Les aspects histologiques de telles réactions ont été développés en détail dans d’autres articles [7,8]. Brièvement, on trouve principalement, sous un épiderme hyper kératosique, un infiltrat inflammatoire constitué de lymphocytes T CD3+, de macrophages et de cellules de Langerhans [8]. Le pathologiste distingue classiquement les réactions lympho-histiocytaire, lichénoïde, d’hyperplasie lymphoïde chronique (ou pseudo lymphome habituellement T ou mixte T et B), granulomateuse à corps étranger et sarcoïdosique. Des « combinaisons » histopathologiques sont possibles, comme la présence d’une réaction lichénoïde de surface doublée d’une hyperplasie lymphoïde [9] ou d’une réaction granulomateuse [8] plus profondément dans le derme. Enfin, des réactions à type d’hyperplasie pseudo-épithéliomateuse ont été rapportées, principalement sur la couleur rouge [10]. Il est vraisemblable que toutes ces réactions sont des variations d’un même spectre pathologique. Cependant, contrairement à d’autres auteurs [8], il nous semble important de continuer à distinguer ces différents« patterns » histologiques pour des raisons diagnostiques et thérapeutiques.
Le prurit nu et permanent sur tatouage existe, mais est exceptionnel en pratique, alors qu’un prurit transitoire est fréquent [6]. Les réactions photo-induites lors d’expositions solaires se manifestent par un prurit ou une tuméfaction. Habituellement mineures et rarement handicapantes [2], elles sont également fréquemment rapportées par les tatoués. Elles pourraient cependant impliquer des mécanismes différents, de type photo-toxique, comme la production d’espèces réactives de l’oxygène induite par les rayons ultraviolets (UV) avec les encres noires [2]. En l’état actuel des connaissances, ces symptômes n’entrent pas dans les critères de réactions « allergiques » chroniques à une encre.
Bien que les mécanismes physiopathologiques précis ne soient pas encore clairement établis, on suspecte un mécanisme « immuno-allergique », qui reste difficile à démontrer. Les tests épicutanés (patch-tests) ne reproduisent pas le tatouage et il est admis actuellement qu’ils sont inutiles devant une réaction sur tatouage, tant leur rentabilité est mauvaise et leur interprétation impossible dans l’ignorance des composantes de l’encre [11]. La pratique d’une intra-dermoréaction avec l’encre suspectée s’apparente à un nouveau tatouage qui, s’il s’accompagne d’une réaction, ne fera que confirmer un phénomène déjà observé sans en révéler plus sur son mécanisme, et dans le cas contraire ne pourra pas infirmer la responsabilité de l’encre incriminée, en l’absence de standardisation et de validation d’un tel test.
Historiquement, les réactions sur tatouages étaient associées à des sels métalliques comme le sulfure de mercure(rouge), le chrome (vert) ou le cobalt (bleu) [12]. La présence de lymphocytes T et de cellules de Langerhans dans les infiltrats [8] et des cas de récidives sur de nouveaux tatouages chez des sujets ayant déjà présenté des symptômes sur un tatouage précédent, ou les cas de réactions induites lors de patch-tests [13], plaident pour un mécanisme « immuno-allergique ». Enfin, le terme de réaction« allergique » est parlant pour le patient, qui comprend immédiatement la problématique.
Actuellement, on suppose que l’allergène n’est pas présent dans l’encre, mais apparaîtrait in situ dans la peau après le tatouage [8], par le biais de métabolismes enzymatiques locaux, de phénomènes d’hapténisation des protéines tissulaires, et de l’exposition chronique aux UV. La Fig. 1 résume le processus physiopathologique tel qu’il est actuellement envisagé.
Les réactions sur tatouage, comme toute dermatose chronique, ont un impact sur la qualité de vie, principalement en raison du prurit local qui peut devenir invalidant[14] ou de l’aspect totalement inesthétique de la réaction. Les patients qui se présentent en consultation de ville ou hospitalière pour la prise en charge d’une réaction sur tatouage souffrent réellement et cet aspect ne doit pas être négligé. De plus, pour assurer la prise en charge optimale du patient tatoué, une attitude neutre et sans jugement est indispensable.
Figure 1. Mécanismes physiopathogéniques supposés d’une réaction sur tatouage. A. Le tatouage une fois cicatrisé, les pigments sont déposés dans le derme réticulaire et papillaire avec une disposition principalement péricapillaire, entre les faisceaux de collagène ou incorporés dans les macrophages. B. Avec le temps, le colorant est exposé aux ultraviolets, au métabolisme tissulaire local, ou au faisceaulaser en cas de détatouage. C. Apparition au bout d’un certain délai de produits de dégradation constituant de possibles allergènes dans la peau. Recrutement de cellules histiocytaires impliquées dans l’immunité contre les allergènes chimiques (reconnaissance, internalisation et migration vers les ganglions lymphatiques). D. Après une ré-exposition environnementale à ce même allergène (ou un allergène croisé) via divers événements (nouveau tatouage, patch-test, allergène alimentaire, etc.), recrutement des cellules de Langerhans et des lymphocytes T et réaction sur tatouage. Ici, 18 mois séparent les deux photos de tatouage.
Diagnostic
Diagnostic clinique
Le diagnostic de réaction allergique est rapidement évoqué cliniquement devant une tatouage dont une des couleurs,habituellement le rouge ou ses dérivés (rose, pourpre, violet), est le siège, soit d’une infiltration diffuse, en plaque,parfois finement squameuse en surface et parfois scléreuse à la palpation, bien délimitée, ne débordant pas au-delà des tracés du tatouage ; soit de papules ou de nodules multiples mais isolés les uns des autres. Le prurit peut être intense,responsable d’excoriations en coup d’ongle sur le tatouage et ses alentours (Fig. 2). L’éruption elle-même ne déborde en aucun cas des tracés du tatouage. En cas d’hyperplasie pseudo-épithéliomateuse, la réaction peut être si importante que le tatouage est méconnaissable et en impose pour un processus carcinomateux ou un kératoacanthome.
Détail intéressant, mais peu évoqué dans la littérature, les réactions sur tatouage touchent bien souvent des zones colorées de petite ou moyenne taille; et nous n’avons jamais rencontré à ce jour de cas de réaction de tatouage sur un dos « entier » par exemple.
En revanche, la présence de vésicules, de pustules ou de pus ne correspond pas à une réaction allergique et doit faire évoquer une infection à pyogènes ou à mycobactéries. Dans ce contexte, le délai de survenue est également important. En principe, un tatouage cicatrise normalement en quelques semaines. Toute réaction ou « retard de cicatrisation » qui perdure sur un tatouage un mois à un mois et demi après sa réalisation doit faire évoquer une complication quelle qu’elle soit. En cas de réaction au décours du tatouage, une infection doit être évoquée et éliminée avant de porter un diagnostic d’allergie, même si la réaction est restreinte à une couleur. En effet, il ne faut pas oublier que l’artiste tatoue couleur par couleur. Si une erreur d’hygiène survient lors du tatouage par le rouge par exemple, alors seule cette zone sera le siège d’une « réaction »(Fig. 3).
La biopsie au punch de 3 ou 4 mm, voire au bistouri en cas de réaction pseudo-épithéliomateuse, reste à nos yeux indispensable. Elle doit être réalisée dès la première consultation. Les raisons sont multiples. La première est qu’il n’existe pas de véritable corrélation clinico-pathologique: personne ne peut dire si une réaction estlichénoïde, granulomateuse ou pseudo lymphomateuse « au coup d’œil » même s’il semble cependant par expérience que les sarcoïdoses sur tatouage se présentent plutôt sous la forme de papulo-nodules épars sur la surface tatouée. Toute réaction lichénoïde sur tatouage doit faire rechercher cliniquement un lichen plan (réseau lichénien buccal et génital) et toute réaction granulomateuse doit faire rechercher une sarcoïdose systémique. La biopsie incitera aussi le patient à se soumettre à un suivi. Enfin, quelques cas de régression spontanée de réactions granulomateuses dans le mois suivant la biopsie ont été décrits [15,16], ce qui peut rendre la biopsie d’une certaine façon « thérapeutique ».
Dermatoscopie
À notre connaissance, il n’existe pas à ce jour de publications sur les aspects dermatoscopiques des réactions sur tatouage. Cela n’est guère étonnant, car dans notre expérience, elle est difficile d’interprétation, pour ne pas dire quasiment impossible dans cette indication. En effet, dans un tatouage professionnel, les pigments étant agglomérés de façon très compacte dans le derme et les réactions survenant le plus souvent sur de véritables plages de couleur rouge ou noire, les structures sont difficilement identifiables (Fig. 4). La dermatoscopie garde cependant un intérêt encas de lésions à distance du tatouage ou si les traits du tatouage sont légers et fins. Ainsi, une dermatose chronique avec phénomène de Koebner peut tout à fait être identifiée à la dermatoscopie (visualisation des stries de Wickham lors d’un lichen plan par exemple).
Microscopie confocale
Quelques rares publications font état de la possible application de la microscopie confoncale (MC) dans les tatouages, sur un nombre très limité de patients [17,18]. Pour certains, les pigments de tatouage peuvent être visibles par MC[17], alors que pour d’autres, ils ne le sont pas en l’absence d’inflammation [18]. Guichard et al. suggèrent que l’on peut identifier des signes microscopiques subtils d’inflammation alors que le tatouage est cliniquement normal [18]. À ce jour, la place de la MC dans les réactions sur tatouage est loin d’être établie.
Échographie cutanée
L’échographie cutanée à 20 MHz d’une réaction sur tatouage confirme un épaississement localisé du derme, avec une différence notable d’échogénicité en comparaison avec la peau normale. Elle mesure l’épaisseur et la profondeur de la réaction inflammatoire, mais ne permet pas d’en distinguer les différentes formes histologiques (pseudo lymphome, granulome) et ne remplace donc pas la biopsie. Elle pourrait avoir un intérêt dans le suivi thérapeutique [19].
Traitement
La prise en charge sera fonction de l’importance de la réaction locale, de son impact sur la qualité de vie, de la demande et des attentes du patient. En ce sens, le Dermatology Life Quality Index (DLQI) et un score d’intensité du prurit peuvent être utiles pour évaluer le retentissement de la réaction. Il nous semble important de « traiter fort » d’emblée (« hit hard, hit early ») pour éviter le nomadisme médical, le moindre défaut d’efficacité pouvant inciter le patient à consulter un autre médecin. Il est important aussi d’expliquer le concept de cette allergie particulière : l’allergène est « dans la peau », la réaction ne devrait s’arrêter que « lorsque ce dernier a été éliminé par l’organisme » et elle contre-indique tout nouveau tatouage avec la même couleur. Il faut expliquer le traitement, ses objectifs (amélioration du prurit, puis aplanissement des lésions) et l’importance du suivi. Même s’il existe des cas de rémission spontanée, parfois après la biopsie, ils sont rares et restent imprévisibles.
Traitements locaux
Le traitement de première intention est une cortico thérapie locale de forte ou de très forte activité d’emblée, type clobétasol propionate, plutôt qu’une corticothérapie modérée vouée à l’échec et qui risque de favoriser le nomadisme du patient. Elle est appliquée quotidiennement le soir au moins le premier mois, éventuellement de façon biquotidienne initialement, sous occlusion si besoin, et au long cours, avec un protocole de décroissance ou en continu. Il convient de se donner trois mois de recul pour en juger l’efficacité (Fig. 5). Les emplâtres (bêtaméthasone valérate) ont été également utilisés [20]. En cas de récidive à l’arrêt, un traitement d’entretien peut être proposé (application deux fois par semaine, etc.).
Figure 5. A. Réaction allergique prurigineuse sur le rouge d’un tatouage évoluant depuis 18 mois et jamais traité. B. Nette amélioration à 2 mois de traitement par pommade de dipropionate de bêtaméthasone 0,05 %. L’efficacité sur le prurit était rapportée dès la premièresemaine [52].
En cas d’échec, on pourra proposer un inhibiteur de la calcineurine (tacrolimus) hors autorisation de mise sur le marché (AMM). Son efficacité a été rapportée dans quelques cas isolés à la concentration de 0,1 %, en une ou deux applications par jour pendant trois mois [21,22]. Une sarcoïdose cutanée a également été traitée avec efficacité par tacrolimus [23]. Il est important de tenir compte de l’importance de l’hyperkératose épidermique. En cas d’épiderme très épaissi, on peut s’attendre à un échec de la corticothérapie locale et du tacrolimus.
Les infiltrations locales de corticoïdes peuvent être également utilisées en première ou seconde intention, par exemple, triamcinolone à la dilution de 1:1 avec de la lidocaïne [24—26]. Le nombre et la fréquence des injections sont fonction des habitudes de l’opérateur, et les résultats variables.
La chirurgie
Une exérèse chirurgicale de la réaction in toto est tout à fait envisageable en cas de petit tatouage, de réaction limitée à une seule zone et sur une zone de laxité adéquate [27]. L’exérèse peut emporter le tatouage dans sa totalité ou seulement les parties concernées par la réaction. En cas de réaction verruqueuse avec une hyperplasie pseudo-carcinomateuse importante, l’exérèse est indispensable car il s’agit là à la fois de traiter une lésion dont la résistance aux traitements locaux ne fait aucun doute, mais aussi d’éliminer formellement le diagnostic de carcinome épidermoïde ou de kératoacanthome [10,28,29] (Fig. 6).
En cas de réaction chronique, le « shaving » au dermatome est utilisé en première intention par certaines équipes qui ont accès à cette technique, avec une très bonne efficacité [30,31]. Le shaving, de 0,25 à 1 mm d’épaisseur, est effectué essentiellement sur les zones enflammées, sous contrôle visuel jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de pigment visible dans le derme. Le pigment résiduel est expulsé lors des soins locaux par alginates. Dans la majeure partie des cas, le shaving est réalisé en une seule intervention, en ambulatoire sous anesthésie locale. Les soins locaux peuvent durer jusqu’à deux mois et un deuxième passage est parfois nécessaire en cas de récidive des symptômes.
Les risques sont les troubles pigmentaires et les cicatrices hypertrophiques, qui surviennent dans 25 à 31 % des cas [30].
Les lasers
Les craintes entourant l’utilisation de lasers sur un tatouage siège d’une réaction allergique reposent, à notre connaissance, sur la base d’un seul cas clinique, rapporté en 1997 [32]. Il s’agissait d’une jeune femme de 19 ans avec une réaction sur un tatouage jaune et vert récent. La réaction n’avait pas fait l’objet d’une biopsie. L’auteur rapportait une réaction retardée survenue 3 à 4 semaines après traitement du tatouage par laser CO2, sous la forme d’un eczéma progressant vers une urticaire généralisée. Une résolution spontanée était rapportée trois mois plus tard. Aucune exploration allergologique n’avait été réalisée. À notre connaissance, aucun autre cas de ce type n’a été rapporté. Cependant, des réactions aiguës et retardées, locales ou généralisées, observées après des séances de détatouage sur des tatouages « sains » indemnes de toute réaction préalable [33, 34], alimentent une certaine confusion.
Plusieurs publications ont rapporté l’efficacité et l’innocuité du laser Q-switched Nd:Yag 532 nm pour des réactions à des tatouages rouges [35—38]. La plus grande série comprend sept patients avec une réaction lichénoïde ou granulomateuse au rouge ; Anthony et Harland ont utilisé pour les traiter un laser Nd:Yag 532 nm avec un faisceau de 2—3 mm de diamètre, un pulse de 20 ns et une fluence croissance de 1,4 à 6,4 J/cm2. Les traitements avaient lieu toutes les six semaines, avec application de propionate de clobétasol entre les séances [37]. Un cas de pseudo lymphome sur le bleu-vert a été également traité avec succès par des séances mensuelles de laser QS Nd:Yag 1064 nm avec une puissance croissante (3 à 12 J, spot de 4 mm) [39]. L’efficacité du traitement laser est évaluée sur l’amélioration du prurit, l’aplanissement des lésions infiltrées et l’éclaircissement de la zone traitée. Selon les cas, six à dix séances sont nécessaires, à raison d’une séance toutes les 6 à 12 semaines. Une zone test est nécessaire ; entre les séances, l’application de dermocorticoïdes de très forte activité [37] ou l’infiltration de corticoïdes [39] « en couverture » semblent raisonnables. Aucune réaction d’hypersensibilité de type I n’a été signalée parmi les cas traités.
Ibrahimi et al. ont rapporté l’efficacité du laser ablatif fractionné Erbium:YAG 2940 nm seul ou en association avec les lasers Nd:YAG 1064 et 582 nm chez deux patients présentant des réactions prurigineuses, sur le marron pour le premier et sur le rouge et le noir pour le second [40].Les séances étaient espacées de un à deux mois. En mode ablatif fractionné, le laser Erbium pénétrait à une profondeur croissante de 400 à 1200 m, avec une densité de 10 à 20 % et un spot de 5 mm. Les paramètres des lasers Nd:YAG étaient une fluence de 5 J/cm2, une fréquence de 10 Hz et un spot de 3—4 mm. Un des patients était traité sous couvert d’une corticothérapie orale à raison de 70 mg/j de prednisone (1 mg/kg) à dose décroissante. Malheureusement, dans les deux cas, aucune biopsie n’a été réalisée.
L’efficacité du laser ablatif CO2 sur les réactions au tatouage a été signalée dès les années 1990 [41, 42].
Beaucoup plus récemment, Fusade et al. ont rapporté l’efficacité du laser ablatif CO2 sur des hyperplasies lymphoïdes chroniques sur le rouge, le mauve et le bleu chez six patients, sous-couvert d’une corticothérapie locale débutée deux semaines auparavant. Le laser CO2 était pratiqué sur un mode défocalisé continu entre 8 et 10 watts, avec 2 à 3 passages pour mettre à nu le derme moyen. Le pigment résiduel est alors vaporisé en pulses focalisés de 0,1 s et 3 à 5 watts. Au décours de la cicatrisation, une disparition des symptômes et la normalisation clinique signaient la guérison (Fig. 7) [43].
Malgré les réticences initiales, les lasers ablatifs ou pigmentaires ont une efficacité certaine et une innocuité dans la prise en charge des réactions sur tatouage, pour peu que:
Le détatouage soit fait par un médecin entraîné
Sous-couvert d’une corticothérapie locale
Et avec soins rigoureux effectués jusqu’à cicatrisation complète pour obtenir de bons résultats cosmétiques.
Des études avec une méthodologie de bonne qualité et un nombre suffisant de patients, un diagnostic clinique et histologique robuste seraient souhaitables pour mieux préciser les protocoles thérapeutiques.
Autres traitements systémiques
La question de traiter une réaction sur tatouage par un traitement systémique doit être discutée au cas par cas.
Un patient avec une sarcoïdose systémique ou un lichen plan cutané peut évidemment bénéficier des traitements systémiques « classiques ». Les patients présentant des réactions lichénoïdes généralisées allant au-delà du tatouage peuvent être traités par une corticothérapie orale de 0,5 à1 mg/kg/j de prednisone en cures courtes [44, 45]. La photothérapie est également envisageable.
La réponse est moins claire s’il s’agit de réactions cutanées isolées sur tatouage. Il convient de réserver ces traitements aux cas d’échec des traitements locaux ou en association, après discussion avec le patient de la balance bénéfice-risque. L’efficacité de ces traitements n’a été évaluée qu’à travers quelques observations cliniques isolées, sans qu’on puisse toujours éliminer une résolution spontanée de la réaction. Ainsi, l’hydroxychloroquine à la dose de 200 mg/j pendant deux mois permettait de traiter efficacement une hyperplasie lymphoïde sur tatouage, sans récidive un an après [20]. Schumann et al. ont expérimenté avec efficacité la combinaison hydroxchloroquine 150 mg/jet infiltration de corticoïdes sur une réaction granulomateuse sarcoïdosique. Cependant, la lecture du cas pose la question d’une possible sarcoïdose systémique (fièvre, arthralgies, lymphadénopathie) [25]. L’hydroxychloroquinea été essayée dans un cas de réaction lichénoïde disséminée, sans qu’on sache si le traitement a été efficace [45].
L’allopurinol, un inhibiteur de la xanthine oxydase, a fait preuve de son efficacité dans quelques cas de réactions granulomateuses non sarcoïdosiques sur tatouages à la dose de 300 à 600 mg/j en cures courtes de deux mois [46—48].
Cependant, dans un cas, l’efficacité n’était que suspensive avec récidive à l’arrêt [47] et dans un autre, il avait été associé à une corticothérapie à 0,5 mg/kg/j de prednisone [48]. La diminution de la production de radicaux libres induite par l’allopurinol expliquerait son efficacité dans les granulomes. Le risque de syndrome de Stevens-Johnson et de Lyell est à mettre en balance.
Les cyclines ont été utilisées une seule fois à notre connaissance, chez un patient avec une sarcoïdose cutanée sur tatouage, par analogie avec leur efficacité sur la sarcoïdose cutanée. Les lésions ont été très rapidement améliorées par la minocycline (100 mg × 2/j), dans la semaine suivant la première prise du traitement [49]. À notre connaissance, aucun autre cas de traitement par cyclines n’a été décrit. En théorie, tous les traitements, hors AMM qui ont fait preuve d’une efficacité dans les granulomes à corps étrangers ou sarcoïdosiques sont des candidats potentiels (colchicine, imiquimod 5 %. . .).
En conclusion, la prise en charge des réactions chroniques allergiques sur tatouage reste un défi thérapeutique pour le dermatologue. Sous l’impulsion du Conseil de l’Europe, la production des encres de tatouage s’est améliorée et les encres sont plus sûres qu’avant [50]. Cependant, tout est loin d’être parfait. Dans l’attente de la production d’encres de tatouage « parfaites » et testées pour la peau humaine, pour mieux comprendre les causes de ces réactions, il est important de continuer à déclarer tout cas d’effet indésirable, en France à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ASNM) [51]. Pour aider le clinicien dans sa pratique quotidienne, nous proposons une échelle thérapeutique (Fig. 8) et un algorithme décisionnel(Fig. 9).
Remerciements
L’auteur remercie les dermatologues privés et hospitaliers pour avoir partagé leurs photos pour cet article, ainsi que le Dr Mahtab Samimi pour ses conseils concernant l’algorithme décisionnel.
Déclaration de liens d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
Cet article est extrait des Annales de Dermatologie et de Vénéréologie S’ouvre dans une nouvelle fenêtre(Vol 143 – N° 6-7, juin 2016)
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