Attachement et dépression
14 septembre 2021
Par Anne Claire Nonnotte
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Attachement et dépression
Liens théoriques entre expériences d’attachement dans l’enfance et dépression de l’adulte
À l’origine, la théorie de l’attachement décrit trois types de circonstances pendant la petite enfance, l’enfance ou l’adolescence pouvant contribuer au développement ultérieur d’une dépression :
la perte d’un parent ;
l’impossibilité à former une relation stable et sécure avec une figure d’attachement ;
et l’attitude d’un parent qui fait sentir à son enfant qu’il ou elle n’est pas aimable [3, 29] .
Ces circonstances contribuent au développement (1) d’un sentiment d’impuissance et de désespoir face aux difficultés (2), d’une impression d’être responsable des échecs et des pertes et (3) d’un modèle de soi en tant qu’être détestable et de l’autre en tant qu’être rejetant. La théorie de l’attachement rejoint ainsi les travaux de Seligman [30]sur l’impuissance apprise et l’adaptation de ses travaux dans les modèles cognitivistes de la dépression [31-35] . Parallèlement à ces auteurs, Bowlby [3] pensait que les croyances négatives et le sentiment d’impuissance développés pendant l’enfance pouvaient précipiter un syndrome dépressif, principalement lorsque l’individu fait ultérieurement face à une perte, un trauma ou des difficultés. Par ailleurs, certains auteurs précisent que l’expérience d’un parent psychiquement indisponible peut avoir le même impact qu’un parent disparu, en ce sens que l’enfant fait l’expérience fréquente ou chronique de la perte de sa figure d’attachement [36] .
Liens empiriques entre expériences négatives de l’enfance et dépression à l’âge adulte
Il existe peu d’études longitudinales permettant de lier les insécurités d’attachement à l’enfance et le développement d’une symptomatologie dépressive à l’âge adulte. Duggal et al. [37]ont étudié la trajectoire développementale de la dépression en utilisant les données de la « Minessota Longitudinal Study of Parents and Children » (pour une revue exhaustive de l’étude [38] ). Ils ont montré qu’un attachement ambivalent/résistant ou évitant observé dans la petite enfance est un prédicteur de dépression à l’adolescence. Il n’existe pas de données évaluant les mêmes enfants à l’âge adulte ou permettant de lier la présence d’un attachement désorganisé chez l’enfant à l’occurrence d’une dépression à l’adolescence ou à l’âge adulte. Néanmoins, de nombreuses études viennent confirmer l’hypothèse de Bowlby selon laquelle les événements négatifs impliquant le système d’attachement pendant l’enfance peuvent précipiter l’occurrence d’une dépression à l’âge adulte. Par exemple, plusieurs études semblent montrer que la perte ou une longue séparation avec un parent dans la petite enfance augmente le risque d’une dépression ultérieure [39-43] . En particulier, l’association entre la perte de la figure d’attachement et la dépression semble être plus importante chez les individus présentant un MIO insécure avant la perte [36]ou chez ceux qui n’ont pas reçu un soutien adéquat après l’événement [40] . Par ailleurs, plusieurs études ont montré que, lorsqu’on les compare à des sujets contrôles sains, les adultes dépressifs décrivent davantage leurs parents comme des personnes rejetantes, non disponibles, et/ou n’offrant pas de support [44-46] . La peur du rejet et la négligence semblent donc être des facteurs importants dans le développement de symptômes dépressifs. Cela a été confirmé par une étude de Maciejewski et Mazure [47]qui montre une association significative entre l’abus émotionnel dans l’enfance et la survenue d’un trouble dépressif à l’âge adulte qui est médiée par la peur de la critique ou du rejet. De plus, Spertus et al. [48]ont mis en évidence que l’abus émotionnel et la négligence dans l’enfance sont des prédicteurs significatifs de symptômes dépressifs, même lorsque l’on met de côté la variance due aux abus physiques, sexuels, et l’exposition aux traumas au cours de la vie. Enfin, la présence de troubles affectifs du parent semble être un facteur de risque pour l’enfant de développer une dépression ultérieurement : dans une revue de la littérature, Beardslee et al. [49]ont mis en évidence qu’à l’âge de 20 ans, les enfants de parents présentant des troubles affectifs ont 40 % de chances d’avoir déjà présenté les symptômes d’un épisode dépressif majeur. Ce pourcentage monte à 60 % à l’âge de 25 ans.
Liens empiriques entre style d’attachement chez l’adulte et dépression : études transversales
Mikulincer et Shaver [5]ont passé en revue plus de 120 études afin d’examiner les liens entre l’attachement chez l’adulte et la sévérité des symptômes dépressifs évalués par les entretiens ou les échelles d’autoévaluation (c’est-à-dire le Structured Clinical Interview for DSM [SCID] ou la Beck Depression Inventory [BDI, etc.). Ces mesures ont porté sur des populations cliniques et non cliniques. En résumé, la très grande majorité de ces études montre que la sécurité de l’attachement aux parents et aux pairs, un état d’esprit concernant l’attachement catégorisé comme « sécure-autonome » par l’AAI [50]et un style d’attachement qualifié de sécure dans les relations proches sont associés à des niveaux plus bas de dépression. Selon la même revue, un état d’esprit correspondant au style « préoccupé » de l’AAI, la présence d’un style d’attachement anxieux (insécure) ou des scores plus élevés d’anxiété d’attachement sont associés à des niveaux de dépression plus élevés [5] . Concernant l’attachement évitant, les résultats sont moins consistants mais la plupart des études associent la tendance à l’évitement et la dépression. Plus précisément, la dépression est davantage associée à l’attachement « évitant-craintif » qu’à l’attachement « évitant détaché ». Même si l’attachement anxieux-préoccupé semble être d’avantage associé à la dépression que l’attachement évitant, Mikulincer et Shaver [5] soulignent que, si l’on analyse plus précisément les associations entre style d’attachement et dépression, chacun de ces deux styles d’attachement semble être associé à certains symptômes dépressifs spécifiques. L’anxiété d’attachement est plutôt liée à une dépendance excessive, un manque d’autonomie et une grande appétence relationnelle alors que l’évitement est lié à des aspects de la dépression en lien avec la performance, comme le perfectionnisme, l’autopunition ou l’autocritique. Cela semble correspondre aux deux types de dépression décrites par Blatt [51, 52]et Blatt et Zuroff [53] : la dépression anaclitique et la dépression introjective. La dépression anaclitique se caractérise par des sentiments d’impuissance, de faiblesse et d’effondrement, avec de fortes craintes d’abandon et une lutte désespérée pour maintenir un contact direct avec l’objet satisfaisant le besoin (figure d’attachement). La dépression introspective, en revanche, se caractérise par des sentiments d’inutilité, de culpabilité, ainsi qu’un sentiment de ne pas avoir été à la hauteur des attentes et des normes. Il existe une peur intense de perdre l’approbation, la reconnaissance et l’amour de l’objet. Un certain nombre d’auteurs ont établi des liens théoriques et empiriques entre les profils anaclitiques et introjectifs et les styles d’attachement [54-57] . Des études ont montré que l’attachement ambivalent/préoccupé est associé à la dépression anaclitique/dépendante alors que l’attachement évitant est associé à la dépression introjective/autocritique, caractérisée par des préoccupations concernant la perte d’estime de soi et le sentiment d’inutilité, le blâme et la culpabilité [58, 59] . Pour Mikulincer et Shaver [5] , l’hyperactivation du système d’attachement chez les individus préoccupés contribue à la surdépendance et au manque d’autonomie, ce qui conduit à une forme de dépression interpersonnelle car le besoin de proximité n’est jamais satisfait. Par ailleurs, les comportements de recherche excessive de proximité conduisent souvent à une usure ou à un rejet de l’entourage, ce qui accentue l’insécurité d’attachement ainsi que le besoin de proximité et précipite la personne dans un cercle vicieux qui augmente la dépression [60](étude sur les attitudes de rejet du personnel soignant vis-à-vis des patients avec un trouble borderline). D’un autre côté, l’autosuffisance compulsive des individus évitants avec sa stratégie de déactivation, favorise les représentations positives de soi mais peut conduire à la dépression et l’autocritique lorsqu’un individu reçoit un feedback externe négatif soulignant ses erreurs, ses imperfections ou le qualifiant d’individu faible. Par ailleurs, les standards élevés de performance et de réussite qui caractérisent les individus anxieux-évitants engendrent souvent un fossé entre la perception de leur performance et leur idéal de performance. Ce fossé les rend vulnérables à la dépression Ce point de vue a été confirmé par plusieurs études qui ont fait le lien entre attachement évitant, perfectionnisme maladaptatif et dépression [44, 58, 61] .
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Raphaël Gazon, psychologue clinicien, psychothérapeute cognitivo-comportementaliste agréé, chargé d’enseignement, directeur du centre PEPS-E, Centre PEPS-E, Liège, Belgique.
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Références
En savoir plus
[3] Bowlby J. Loss, sadness and depression. Attachment and Loss (vol. 3). Basic Books; 1980. Traduction française (1984). Attachement et perte, Tome 3 : La perte : tristesse et dépression. PUF. [5] Mikulincer M , Shaver PR . Attachment in adulthood: Structure, dynamics, and change . 2nd ed. Guilford Press ; 2016 . [29] Bretherton I . Attachment theory: Retrospect and prospect . Monogr Soc Res Child Dev 1985 ; 50 : 3 - 35 . [31] Abramson L , Seligman M , Teasdale J . Learned helplessness in humans: Critique and reformulation. J . Abnormal Psychol 1978 ; 87 : 49 - 74 . [32] Abramson L , Metalsky G , Alloy L . Hopelessness depression: A theory-based subtype of depression . Psychol Rev 1989 ; 96 : 358 - 72 . [33] Beck A . Depression: Clinical, Experimental and Theoretical aspects . Harper & Row ; 1967 . [34] Beck A , Rush A , Shaw B , et al. Cognitive therapy of depression . The Guilford Press ; 1979 . [35] Seligman MEP , Abramson LY , Semmel A , et al. Depressive attributional style . J Abnormal Psychol 1979 ; 88 : 242 - 7 . [37] Duggal S , Carlson EA , Sroufe LA , et al. Depressive symptomatology in childhood and adolescence . Dev Psychopathol 2001 ; 13 : 143 - 64 . [38] Sroufe L , Egeland B , Carlson E , et al. The Development of the Person: The Minnesota Study of Risk and Adaptation from Birth to Adulthood . Guilford Publications ; 2005 . [44] Enns M , Cox B , Clara I . Adaptive and maladaptive perfectionism: Developmental origins and association with depression proneness . Personal Individual Differences 2002 ; 33 : 921 - 35 . [52] Blatt S . Experiences of depression: Theoretical, clinical, and research perspectives . Washington, DC, US : American Psychological Association ; 2004 . [53] Blatt S , Zuroff D . Interpersonal relatedness and self-defi nition: Two prototypes for depression . Clin Psychol Rev 1992 ; 12 : 527 - 62 . [54] Blatt S , Homann E . Parent-child interaction in the etiology of dependent and self-critical depression . Clin Psychol Rev 1992 ; 12 : 47 - 92 . [55] Blatt S , Maroudas C . Convergence among psychoanalytic and cognitive behavioral theories of depression . Psychoanal Psychol 1992 ; 9 : 157 - 90 . [58] Reis S , Grenyer B . Pathways to anaclitic and introjective depression . Psychol Psychotherapy 2002 ; 75 : 445 - 59 . [59] Zuroff D , Fitzpatrick D . Depressive personality styles: Implications for adult attachment . Personal Individual Differences 1995 ; 18 : 253 - 365 . [61] Wei M , Heppner P , Russell D , et al. Maladaptive perfectionism and ineffective coping as mediators between attachment and future depression: A prospective analysis . J Counsel Psychol 2006 ; 53 : 67 - 79 .