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Introduction à la classification des psychoses endogènes de Karl Leonhard

France | 6 janvier 2021

Par Anne-Claire N.

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Nous vous proposons de découvrir un extrait de l'ouvrage Classification des psychoses endogènesS’ouvre dans une nouvelle fenêtre

Elsevier Health Science

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Introduction à la classification des psychoses endogènes de Karl Leonhard

Jack R. Foucher , Julien Elowe , Fabrice Berna

La psychiatrie connaît depuis le début du siècle une crise paradigmatique majeure. Le programme de recherche du DSM-III, dont la matrice disciplinaire valorise reproductibilité et athéorisme, est remis en question. Il faut dire que s’il a bien permis quelques progrès dans le domaine applicatif, ce programme s’est avéré stérile sur le plan fondamental. Près de quarante années de recherche fondée sur les entités défi nies par les classifications internationales (CIM 1 ou DSM 2 ) n’ont validé aucun des troubles pour en faire une maladie au sens du paradigme biomédical — c’est-à-dire répondant à une étiologie et/ou une physiopathologie spécifique3 . La conséquence en a été l’absence de découverte de nouvelles cibles thérapeutiques passant le mur de la recherche translationnelle depuis la fin des années 1950. L’industrie pharmaceutique a sanctionné cette accumulation d’échecs coûteux par son désengagement du champ de la psychiatrie, entraînant la prise de conscience de l’inadaptation du DSM en tant que programme de recherche fondamentale outre-Atlantique. Dans ce contexte, la Classification des psychoses endogènes de Karl Leonhard est d’une étonnante modernité. Son élaboration progressive par trois générations de neuropsychiatres tranche non seulement avec les démarches des classifications consensuelles, mais aussi avec celles des modèles alternatifs qui émergent dans le monde depuis le début du siècle. L’école de WernickeKleist-Leonhard , ou WKL , s’inscrit dans le paradigme biomédical classique et illustre comment il pourrait s’appliquer à certaines psychoses et certains troubles de l’humeur dits « endogènes ». Cela signifie que son programme de recherche ne consiste pas à exclure toute hypothèse (athéorisme ), bien au contraire : il fait l’hypothèse qu’il existe des maladies et qu’il faut donc se laisser guider par l’observation pour parvenir à identifier les phénotypes (naturels) qui pourraient en être les manifestations. Il réfute donc la valeur heuristique de la notion purement descriptive de trouble prônée par les classifications internationales. L’école de WKL s’est appuyée sur l’étude catamnestique5 , souvent vie entière, d’un très grand nombre de patients, et s’est aidée de différentes déclinaisons du principe de parcimonie (cf. « Construction de la classification de Leonhard » p. 55 et encadré 2 p. 56). Cela a conduit à proposer un regroupement en trente-cinq phénotypes majeurs (et trente-six mineurs), organisés en cinq familles. Ce lent processus d’optimisation a pris fi n en 1968. Seule la description des phénotypes identifiés a été améliorée par la suite, tout particulièrement celle des formes rares (mineures). Valorisant une psychopathologie différentielle , c’est-à-dire cherchant des différences plutôt que des points communs, l’école neuropsychiatrique de WKL s’opposait directement à l’école psychopathologique d’Heidelberg valorisant les similitudes. Rien d’étonnant à ce que l’approche plus simple et opératoire de Kurt Schneider à Heidelberg se soit mieux exportée à l’international que celle de Leonhard. Cette dernière est grevée par sa complexité conceptuelle et clinique, ce qui la rend difficile à transmettre. Sa diffusion a par ailleurs été limitée par le fait que Leonhard étant à la tête de l’hôpital de la Charité, côté Berlin Est, était peu libre de voyager pour défendre ses idées. Seule une version dégradée des concepts WKL d’unipolarité et de bipolarité a diffusé à l’international grâce à l’influence d’esprits curieux venus se former à Berlin : Carlos Perris, Jules Angst et Frank Fish pour l’Europe, George Winokur et l’école de St. Louis pour les États-Unis.

Est-il vraiment raisonnable de penser que cette classification ait pu rester méconnue aussi longtemps si elle avait un quelconque intérêt ?

Nous imaginons sans peine l’incrédulité de nos lecteurs, puisqu’elle fut aussi la nôtre. Une partie de la réponse réside dans le fait que les découpages qu’elle propose sont très éloignés de ceux des classifications internationales ( Peralta et al., 2016 ). Ainsi, il n’est pas rare qu’un patient présentant un trouble dépressif au sens de la CIM soit diagnostiqué d’un phénotype « schizophrénique » WKL (catatonie périodique, par exemple), alors qu’un autre rangé dans la schizophrénie CIM ou DSM est diagnostiqué d’un phénotype WKL dont l’évolution s’apparente plus à celui d’un trouble de l’humeur (les psychoses cycloïdes, par exemple). Si cette distinction opérée par WKL a comme avantage d’expliquer une bonne part de la mauvaise évolution de certains troubles de l’humeur ( Angst et Preisig, 1995 ) et le bon pronostic de 15 à 50 % des schizophrénies version DSM ( Vita et Barlati, 2018 ), un esprit formaté à la dichotomie de la CIM et du DSM aura un peu de mal à s’y retrouver.

De fait, cette classification n’est pas simplement une « deuxième langue » mais une grille de lecture radicalement différente avec ses soixante et onze entités et l’utilisation de plus de deux cents symptômes et signes cliniques, pour la plupart peu voire pas connus. Évidemment, il a fallu donner des noms à ces nouveaux concepts ; certains vous paraîtront parfois étranges et désuets malgré une première tentative pour les rajeunir6.

Nous vous invitons à ne pas vous arrêter à cet aspect superficiel et de prendre le temps d’en découvrir la profondeur. Plus déroutant encore, cette classification repose sur une interprétation de la clinique qui tranche singulièrement avec la démarche que nous utilisons communément. Les check-lists de la CIM ou du DSM nous ont habitués à considérer chaque symptôme individuellement, c’est-à-dire comme ayant une signification identique quelle que soit la situation. À l’inverse, Wernicke, en accord avec la démarche biomédicale classique, interprète le symptôme dans son contexte, dont une grande partie est donnée par les autres manifestations. Aussi un même symptôme peut-il prendre une signification différente en fonction du complexe symptomatique dans lequel il s’inscrit prenant en compte à la fois la connaissance que l’on a des systèmes neurobiologiques et les composantes psychodynamiques.

Bref, on ne rentre pas dans cette classification comme on entre dans une nouvelle version de la CIM ou du DSM. L’objet de ce chapitre introductif est de vous donner les quelques clefs qui nous ont manqué lorsque nous avons commencé à nous intéresser à cette nosologie.

Nous débuterons par un état des lieux avant de prendre un petit recul épistémologique qui nous permettra de situer l’approche WKL parmi les alternatives qui émergent en psychiatrie. Enfin nous aborderons quelques concepts généraux avant de présenter succinctement les phénotypes les plus importants. Cela sera l’occasion de synthétiser les principales connaissances collectées à leurs sujets et les arguments en faveur de leur validité. Il faut en effet souligner que la présente traduction ne correspond pas à l’ensemble de la dernière édition du livre de Karl Leonhard. Son titre complet était Classification des psychoses endogènes et leurs étiologies différentielles (Leonhard, 1999b , 2003). Malheureusement cette seconde partie de l’ouvrage n’a pas été traduite. L’auteur y synthétise l’ensemble de ses recherches sur les phénotypes identifiés : caractéristiques démographiques, sociologiques, familialité, etc. Nous nous excusons de cette amputation, mais le travail de traduction supplémentaire qu’elle aurait nécessité aurait considérablement retardé la publication de la classification en tant que telle. Le lecteur intéressé pourra se référer à l’ouvrage original (Leonhard, 2003), à sa traduction en anglais (Leonhard, 1999b ), ou encore à l’ouvrage que nous avions déjà publié en français, synthétisant non seulement les travaux de Leonhard mais aussi ceux de ses successeurs jusqu’en 2009 (Foucher, 2009).

1 La CIM est la Classification internationale des maladies ; elle est réalisée sous l’égide de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Bien que malgré son titre elle ne définisse pas uniquement des maladies, elle est l’outil de codage consensuel utilisé pour rapporter les statistiques sanitaires partout dans le monde. À ce titre, elle intéresse l’ensemble des disciplines médicales et pas simplement la psychiatrie — qui n’est entrée dans la CIM qu’après la Seconde Guerre mondiale. Sa version actuelle est la CIM- 10 (depuis 1990). La CIM-11 a été figée en septembre 2018 et a été présentée à l’Assemblée mondiale de la Santé en mai 2019. Elle devrait entrer en vigueur le 1 er janvier 2022 après sa ratification par les États membres. 2 Comme son titre l’indique, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, ou DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), n’intéresse que le champ de la psychiatrie. C’est l’outil de codage proposé par l’Association américaine de psychiatrie depuis la fi n de la Seconde Guerre mondiale. 3 Cette assertion est excessive. Même dans le domaine des psychoses, on a tout de même découvert près d’une trentaine d’anomalies chromosomiques pouvant se manifester sous la forme d’un trouble psychotique (macro- ou micro-réarrangements chromosomiques le plus souvent de novo qui entraînent une perte d’allèle ou la formation de gènes chimériques). En dehors de la délétion 22q11, elles restent extrêmement rares — près de deux tiers n’ont été observées que chez un seul sujet —, ce qui fait que dans l’ensemble elles expliquent moins de 3 % des psychoses. De plus, elles sont totalement aspécifiques puisqu’elles peuvent aussi bien se manifester par un retard mental, une épilepsie, un autisme, etc. 4 Cette reconnaissance est partie des États-Unis lorsque s’est ouvert le chantier du DSM-5 en 2000. Bien que ce dernier n’ait entériné aucun changement conceptuel, les débats nés des travaux préparatoires sont à l’origine de propositions nouvelles : modèle à huit dimensions, HiTOP, B-SNIP, RDoC, SyNoPsis, endophénotypes, biotypes, etc. Le lecteur intéressé pourra lire l’article de synthèse : Foucher JR, de Billy C, Obrecht A, Mainberger O, Schorr B, Bonah C, et al. Bases épistémologiques de la recherche sur les psychoses Quelle solution pour le choc des cadres paradigmatiques ? Ann Médico-Psychol. (Sous presse). 5 Une catamnèse est la reconstruction de l’histoire de la maladie d’un patient à partir d’éléments collectés rétrospectivement (rapportés par le patient et ses proches) et prospectivement (étude du dossier médico-psychiatrique). 6 Les lecteurs déjà familiarisés avec cette classification par nos précédentes publications seront peut-être déroutés par certains changements de nomenclature. Nous suivons en cela les propositions de re-labélisation de la Société internationale WKL adoptées début 2019 et qui devraient être publiées en 2020 (cf. Annexe 11 pour un aperçu des différents termes utilisés).

© 2020 Elsevier Masson SAS

Le docteur Jack R. Foucher (M.D., Ph.D.) est neurologue et psychiatre, maître de conférences à l’université de Strasbourg, responsable du centre de neuromodulation non invasive (CEMNIS) qu’il a créé au sein des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg. Le docteur Julien Elowe (M.D.) est psychiatre, médecin chef de service de l’hôpital psychiatrique de Prangins rattaché au centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) à Lausanne (Suisse) et responsable du secteur psychiatrique Ouest vaudois. Le professeur Fabrice Berna (M.D., Ph.D.) est psychiatre, professeur de psychiatrie à l’université de Strasbourg, responsable du service de psychiatrie I du pôle de psychiatrie et santé mentale des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg et du Centre expert Schizophrénie de Strasbourg.

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