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Que peut l’éducation menstruelle ?

France | 4 août 2023

Par Anne-Claire N.

Que peut l’éducation menstruelle

Que peut l’éducation menstruelle

Nous vous proposons de découvrir un article de La revue de santé scolaire et universitaire

La revue de santé scolaire et universitaire

La revue de santé scolaire et universitaire

Que peut l’éducation menstruelle ?

What can menstrual education do?

Justine Okolodkoff : Responsable sensibilisation et plaidoyer Règles élémentaires, La Cité audacieuse, 9 rue de Vaugirard, 75006 Paris, France

Résumé

Les règles sont un sujet qui demeure tabou ; il suffit d’interroger les collégiens pour le constater. Leurs connaissances sont approximatives, ce qui signe son invisibilisation. Celle-ci s’avère pourtant néfaste d’un point de vue sanitaire et masque les difficultés d’accès aux protections. Actuellement, le contexte scolaire est peu propice à l’éducation menstruelle. L’association Règles élémentaires conduit des ateliers dès le primaire ; c’est l’occasion d’aborder le fonctionnement du corps humain, d’appréhender la santé gynécologique.

What can menstrual education do? Menstruation is still a taboo subject, as we only have to ask middle-school students. Their knowledge of the subject is sketchy, a sign of its invisibility. Yet this is harmful from a health point of view, and masks the difficulties of access to protection. At present, the school environment is not conducive to menstrual education. The Règles élémentaires association runs workshops in primary schools, providing an opportunity to learn about the human body and gynecological health.

Mots clés : école, éducation menstruelle, information, règles, santé gynécologique, tabou

Keywords : gynaecological health, information, menstrual education, menstruation, school, taboo

Depuis 2020, Règles élémentaires, première association de lutte contre la précarité menstruelle et le tabou des règles en France, intervient en milieu scolaire pour apporter des informations sur les règles. L’objectif premier était de briser les tabous dès le plus jeune âge, et de prévenir la précarité menstruelle en diffusant des bonnes pratiques et recommandations, par exemple sur la durée d’utilisation des produits périodiques.

À mesure que ces ateliers se sont déployés, ils se sont affinés et affirmés en articulant des problématiques plus globales de santé, de prévention et d’égalité entre les genres. En d’autres termes, les règles sont apparues comme un enjeu d’éducation.

En partant des expériences et réflexions menées par l’association, de données probantes, et de retours d’expériences des animateur(trice)s d’ateliers et des élèves, l’idée d’éducation menstruelle dans le cadre scolaire se dessine, et permet d’envisager son impact sur les élèves.

Chronique d’un tabou ordinaire

Cette situation résume bien l’état actuel des savoirs sur les règles. Un matin, dans un collège d’Île-de-France, en 5e B : « Mais madame, on a déjà parlé des trucs des filles ! », lance Théo, en riant un peu. Théo précise le contexte, « une fois, en CM1 ou en CM2 » . D’autres élèves réagissent : « Non, moi j’ai jamais eu ça, en CM2 » et commencent à poser des questions en rapport avec celle soulevée par Théo : « Pourquoi on n’appelle pas les règles par leur nom ? » Et d’abord, est-ce que les règles sont “un truc de filles” ?

Arrivé à la puberté, personne n’a reçu les mêmes informations. Certain(e)s les perçoivent comme une étape liminaire de l’entrée dans l’âge adulte, au même titre que l’acné et les poussées de croissance ; d’autres pensent que c’est un sujet mystérieux, réservé seulement aux personnes dotées d’un utérus, d’autres encore n’ont jamais entendu le mot.

Ainsi, une fois qu’on soulève le voile épais du tabou, qu’on interroge les 5 000 expressions utilisées pour ne pas parler des règles, telles que les coquelicots, la marée rouge ou les “ragnagnas”, et qu’on prononce le mot règles dans une salle de classe, il y a une foule de questions, de représentations, et d’inquiétudes qui déferlent.

Les règles, entre invisibilisation et approximations

Certes, la plupart des élèves ont déjà entendu le mot, mais personne ne sait grand-chose sur le sujet.

La matérialité des règles elle-même est simplifiée, voire éludée : elles sont tantôt “un truc”, tantôt des “flots de sang” ou parfois, des “sécrétions”. Les hormones et leur interaction avec les cycles sont un phénomène inconnu, et les douleurs sont intégrées, normalisées, voire sources de honte. De fait, le baromètre 2022 Règles élémentaires X OpinionWay en rend compte : plus de 50 % des jeunes considèrent qu’il est normal d’avoir mal pendant ses règles [1].

En plus d’être peu connues, les règles, même quand elles sont nommées au détour d’une conversation avec un(e) ami(e), un parent, ou d’un cours sur les fonctions reproductives, demeurent un non-sujet. On a ses règles et « c’est comme ça » , c’est « parce qu’on grandit » , ça montre « qu’on est en capacité de se reproduire si on le veut » , et on passe à autre chose. Le tabou, les périphrases et la censure sont les expressions superlatives de l’invisibilité des règles. L’absence d’informations, de ressources et de dialogue sur le sujet contribue à la dynamique de leur invisibilisation car elles empêchent la compréhension riche et complexe du sujet.

Pour prendre conscience de cette dynamique d’invisibilisation, nous pouvons formuler deux exemples marquants :

  • la notion de précarité menstruelle, en France, n’avait pas été formulée avant 2015 ;

  • les détenues dans les prisons n’ont eu accès à des protections périodiques qu’en 2020

Les conséquences de cette invisibilisation sont multiples et peuvent être désastreuses au niveau sanitaire, social et psychologique. Aujourd’hui, en France, on estime à près de 4 millions le nombre de femmes en situation de précarité menstruelle [2]. Cela signifie concrètement qu’elles ont des difficultés d’accès aux protections périodiques. Or, porter une protection trop longtemps peut entraîner des troubles physiques : démangeaisons, infections, syndrome du choc toxique. Cela peut aussi avoir un impact sur l’estime de soi, l’insertion sociale et professionnelle.

Chez les plus jeunes, l’invisibilisation des règles entraîne aussi un sentiment de malaise et d’inquiétude. Il est difficile d’aborder le sujet, de poser des questions, ou même, parfois, de prendre conscience qu’on en a. Pendant l’atelier, après une heure et demie, à expliquer les cycles menstruels, à revenir sur la construction du tabou des règles, à aborder la précarité menstruelle et ses impacts, nous demandons aux élèves de nous poser des questions de manière anonyme. En 2022, les thématiques les plus abordées dans les questions anonymesconcernaient le vécu des règles : « Comment faire quand on a ses règles à l’école ? » ; « comment faire quand on se sent énervée, sensible, fatiguée ? » ; « est-ce qu’on doit en parler aux gens autour de nous ? » ; « est-ce qu’on peut avancer, reculer, arrêter ses règles ? » ; « est-ce que c’est autorisé d’avoir des relations sexuelles pendant les règles ? » . Ces questions, chez Règles élémentaires, nous ont donné envie de davantage de dialogue, de créer des temps d’échanges dédiés pour les jeunes. D’ailleurs, quand on leur demande, plus de 90 % des jeunes sont favorables à des modules d’éducation menstruelle dans le cadre scolaire.

Un contexte scolaire peu propice

Aujourd’hui, en France, il n’existe aucun cadre pour l’éducation menstruelle. Dans le programme de sciences et vie de la Terre du cycle 3, la “reproduction et la sexualité” sont abordées. Les orientations sont les suivantes : “relier le fonctionnement des appareils reproducteurs à partir de la puberté aux principes de la maîtrise de la reproduction” [3].

Les règles peuvent donc être abordées lors de ce temps d’enseignement, mais toujours dans la perspective de la reproduction, jamais dans une optique de santé globale, de santé des femmes, ou de prévention des troubles menstruels. En d’autres termes, les règles sont montrées comme un marqueur de la capacité à se reproduire et marquent, à chaque cycle, l’absence de fécondation.

Parallèlement, la loi Aubry fixe légalement, depuis 2001 [4], un cadre de trois heures d’éducation à la vie affective et sexuelle par an, entre le cours préparatoire (CP) et la terminale. Les dernières études menées sur l’application de cette loi montrent qu’elle n’est pas respectée. On estime aujourd’hui que seulement 15 % des jeunes reçoivent ces trois heures d’enseignement annuelles [5].

Par ailleurs, ces trois heures regroupent une diversité de thématiques complexes à aborder, allant de la prévention des violences sexistes et sexuelles jusqu’à la compréhension de la transmission des infections sexuellement transmissibles, en passant par les règles, un sujet souvent traité parmi les autres. Le mécanisme global des règles peut ainsi être appréhendé, mais il n’y aura pas nécessairement de temps dédié pour répondre aux questions spécifiques des élèves.

Ouvrir la voie : de l’information à l’éducation menstruelle

Les règles concernent la moitié de l’humanité. Dans une vie, on a, en moyenne, ses règles pendant quarante ans. Il est temps de prendre la mesure de ces constats et de réaliser que les règles ne peuvent pas être un sujet qu’on aborde dix minutes avant la puberté et 20 minutes quand on parle des fonctions reproductrices.

Lors de nos ateliers en cours moyen 2e année (CM2), qui abordent le rapport au corps et l’apparition de la puberté, certaines élèves ont pu témoigner de l’importance de relier les règles au fonctionnement plus général du corps humain : « Avant, j’avais peur que ça arrive, maintenant, je comprends que c’est normal et que ça veut dire que je suis en bonne santé » , rapporte l’une d’elles.

Or, la peur est le sentiment le plus évoqué par les filles entre 11 et 18 ans pour se référer à leurs premières règles. Un quart d’entre elles a ressenti de la peur au moment de leurs premières règles. Plus globalement, ce sont plus de sept filles sur dix qui ont éprouvé une charge émotionnelle au moment de leurs premières règles (peur, dégoût, angoisse) [6]. L’éducation menstruelle permet de rassurer sur l’inconnu et d’anticiper les changements du corps liés à la puberté.

À travers les règles, on appréhende le fonctionnement du corps humain : elles nous font nommer des organes, des fonctions, comprendre ses mécanismes d’interactions. Les règles sont une expérience partagée du vivant, qui nous permet, au même titre que d’autres expériences physiologiques, de comprendre comment le corps interagit avec son environnement, change dans le temps, évolue, varie.

Parler des règles, c’est comprendre son propre corps (ou celui de l’autre). Définir et promouvoir l’éducation menstruelle permet donc de donner plus d’outils à chacun(e) pour faire des meilleurs choix de santé et de bien-être. Parler des règles dans le contexte scolaire est aussi une façon d’appréhender la santé gynécologique, sexuelle et reproductive. En effet, des millions de personnes partagent l’expérience des règles mais ces dernières peuvent se manifester de façons très différentes d’une personne à l’autre. L’âge des premières règles, la couleur des règles, le flux, la variation des cycles, ou la douleur peuvent être des symptômes d’autre chose. On le sait, aujourd’hui, il faut encore en moyenne sept ans pour avoir un diagnostic d’une maladie gynécologique de type endométriose, adénomyose, syndrome des ovaires polykystiques ou fibrome utérin. Si on aborde les règles dans leur complexité, il est certain qu’on sera davantage en mesure de prévenir des troubles de la santé.

Enfin, parce que les règles ont si longtemps été invisibilisées et taboues, l’environnement scolaire est rarement adapté aux personnes qui ont leurs règles. Absence de poubelles dans les toilettes, réflexions sexistes, absentéismes liés aux douleurs sont autant de marqueurs de la non-prise en compte des règles dans le contexte scolaire. Une fille sur trois a ainsi vécu des moqueries et humiliations liées aux règles [6]. L’éducation menstruelle est donc aussi un moyen de questionner les préjugés liés aux tabous des règles, et de montrer qu’ils s’ancrent dans des représentations sexistes, pour créer plus de mixité active dans les établissements scolaires et davantage d’empathie entre les élèves.

Conclusion

L’éducation menstruelle dans le contexte scolaire peut à la fois accompagner les élèves dans leur approche de la puberté, répondre aux questions de leur quotidien, mais aussi aborder des enjeux sociaux et sanitaires. L’intégrer pleinement aux programmes scolaires généralistes, ainsi qu’aux programmes spécifiques de vie affective et sexuelle semble donc nécessaire pour que les règles ne soient plus ni un tabou ni un non-sujet ni “un problème de filles”.

L’éducation menstruelle est un champ en construction, à définir entre tous (toutes) les acteur(trice)s compétent(e)s, à la croisée des savoirs et des disciplines, si on souhaite qu’elle ait l’impact escompté. Afin de contribuer à cette construction, Règles élémentaires propose trois axes de travail :

  • inclure pleinement l’éducation menstruelle dans les enjeux de santé et d’éducation à la vie affective et sexuelle en proposant des modules d’éducation menstruelle adaptés à chaque niveau, du CP à la terminale ;

  • s’assurer que tous (toutes) les élèves reçoivent au moins un module d’éducation menstruelle dès le début du cycle 3 afin d’anticiper les premières règles et de prévenir la précarité menstruelle des plus jeunes ;

  • promouvoir et développer le travail interdisciplinaire autour des règles, en partenariat avec les relais éducatifs et les enseignant(e)s, afin de briser le tabou des règles et appréhender la diversité des expériences qui y sont liées.

L’éducation menstruelle permet de rassurer sur l’inconnu

Déclaration de liens d’intérêts

L’autrice déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

© 2023  Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Pour en savoir plus

Association Règles élémentaires. www.regleselementaires.com.

1 Les noms ont été changés. Questions recueillies anonymement par Règles élémentaires auprès de 72 classes de collèges et lycées en 2021 et 2022.

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Références [1] Règles élémentaires, OpinionWay. Les règles, un tabou qui impacte la vie des Français.es. Baromètre exclusif. Mai 2022. https://doccollectes.blob.core.windows.net/statics/Barometre_2022_Regles_Elementaires_Opinion_Way.pdf. [2] Règles élémentaires, OpinionWay. Les protections périodiques, un luxe pour 4 millions de femmes en France. Enquête exclusive sur la précarité menstruelle. Février 2023. https://doccollectes.blob.core.windows.net/statics/enqu%C3%AAte%20pr%C3%A9carit%C3%A9%20menstruelle%202023.pdf. [3] Direction générale de l’enseignement scolaire. Des ressources notionnelles et pédagogiques du cycle 1 au cycle 3. 2020. https://eduscol.education.fr/784/enseigner-les-sciences-et-la-technologie-du-cycle-1-au-cycle-3. [4] Loi no 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000222631. [5] Institut d’études opinion et marketing. Cas d’école. L’État ne fait pas ses devoirs. Février 2023. https://ressource.sos-homophobie.org/Presse/cas_d_ecole_DP_SOS_homophobie.pdf. [6] Règles élémentaires. Baromètre OpinionWay. 2023. À paraître.

Pour en savoir plus

Association Règles élémentaires. www.regleselementaires.com.

1 Les noms ont été changés. 2 Questions recueillies anonymement par Règles élémentaires auprès de 72 classes de collèges et lycées en 2021 et 2022.