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Soigner les addictions par les TCC

Paris | 11 décembre 2023

Le présent ouvrage est remarquable de complétude. Il présente un exposé holistique de l’ensemble des connaissances fondamentales sur les différentes formes d’addiction, couvrant aussi bien les aspects neurophysiologiques que psychologiques. Outre les aspects comportementaux, les aspects développementaux, motivationnels, de personnalité et de vulnérabilité sont examinés. L’ouvrage couvre l’ensemble des addictions possibles tant sur le plan des substances que sur le plan comportemental. Une large place est accordée aux interventions basées sur des données probantes. Enfin, ce nouvel ouvrage apporte aussi plusieurs nouveautés par rapport à l’édition précédente : un chapitre sur l’e-thérapie ainsi que l’abord sous l’angle de l’addiction de nouveaux domaines, tels le rêve éveillé, l’état amoureux ou le suicide. Enfin, un chapitre très utile présente les ressources francophones en matière d’addiction, disponibles sur internet ou via des groupes et associations d’entraide.

(extrait préface)

Nous vous invitons à découvrir un extrait du chapitre 3 de l'ouvrage Soigner les addictions par les TCC  S’ouvre dans une nouvelle fenêtredans la collection Pratiques en Psychothérapie, dont le plan est le suivant :

  1. Addictions, concepts généraux, évaluation et facteurs de vulnérabilité

  2. Motivation au changement

  3. Alcoolodépendance : types de consommation et prise en charge

  4. Autres addictions avec ou sans substances

  5. Addictions et groupes spécifiques : les adolescents, les personnes âgées et les femmes

  6. Évaluation et intervention en thérapie cognitivo-comportementale

  7. Nouveautés dans les modèles des addictions à d’autres domaines

Chapitre 3

Alcoolodépendance : types de consommation et prise en charge

3.1. Abstinence ou consommation contrôlée

3.2. Prévention de la rechute

3.3. Groupe TCC et trouble de l’usage de substances : exemple d’une pratique en hôpital de jour d’addictologie

3.4. Thérapie d’acceptation et d’engagement pour traiter les troubles liés à l’usage de substances

3.5. Prise en charge TCC de l’entourage en alcoologie

Découvrez la partie 3.5 de ce chapitre

3.5. Prise en charge TCC de l’entourage en alcoologie

Fabienne Sgard

La demande de prise en charge émane la plupart du temps de l’entourage qui s’en remet aux soignants : « Je voudrais tellement que ça aille vite. » Parfois, la demande « Je vais perdre mon logement » est restituée par le patient lui-même mais clairement soutenue par l’entourage : « Cette fois-ci, je si refuse l’hospitalisation, mes parents ne m’accueilleront plus. » Le patient souffrant d’un trouble lié à l’alcool aura envie de satisfaire les membres de son entourage sans connaître les véritables tenants et aboutissants du changement de consommation. Et pour optimiser toutes les chances de réussite du sevrage, l’entourage souhaitera s’inscrire dans le programme thérapeutique alors qu’il n’est pas prêt à entendre que la réalcoolisation peut s’inscrire sur un axe thérapeutique. L’entourage va traverser différentes phases. Il n’a pas forcément conscience de l’augmentation des alcoolisations et des difficultés que le proche rencontre à réguler ses consommations qui se majorent ; il a à sa disposition un panel de stratégies lui permettant de dissimuler à la fois ses alcoolisations et les conséquences négatives de ces dernières. Lorsque la famille prend conscience que le trouble s’est installé, cela ne signifie pas qu’elle est prête à accompagner son proche dans la prise en charge. L’entourage a besoin d’exprimer sa souffrance, sa colère ; il a été témoin de nombreuses tentatives de sevrage qui ont duré quelques jours, parfois à peine quelques heures. L’arrêt des alcoolisations des uns aura le don d’insupporter les autres : « Je veux bien l’accompagner aux consultations mais je ne suis pas prête à l’écouter se plaindre, dire à quel point c’est difficile pour lui de gérer ses envies. » À ce stade, le travail thérapeutique consistera à identifier une part de discours-changement – « Je sais qu’il est important que je l’accompagne ; arrêter l’alcool ne va pas être simple pour lui » –, oui mais – « C’est moi qui ai tout tenu à bout de bras et puis ce n’est pas lui qui va encore avoir le beau rôle, c’est moi qui souffre » –, existe une part de discours-maintien. L’ambivalence du proche sera repérée, validée, afin d’entamer l’entretien motivationnel. Les techniques motivationnelles utilisées seront les mêmes que celles utilisées avec le patient lui-même. Au cours de cet exercice, le thérapeute s’appliquera à répondre précisément lorsqu’il entend du discours-changement en demandant plus, en reflétant le discours-changement, en valorisant le comportement du patient (« Je vois que vous avez fait votre possible pour dégager du temps et venir aux consultations ») et en résumant le discours-changement (« Ce que vous dites, c’est que vous vous sentez prêt à accompagner votre épouse, qui a perdu son permis, à tous les rendez-vous médicaux »). Le thérapeute accompagnera son patient pour qu’il puisse regarder vers l’avenir : « Imaginons que vous décidiez de ne plus accompagner votre épouse, comment voyez-vous votre vie dans six mois ? » (Miller, 2013). Au moment où la famille accepte le trouble lié à l’alcool et les difficultés inhérentes à la consolidation de l’abstinence et à la prévention de la rechute, elle peut se préparer à se positionner comme cothérapeute et ne plus placer le patient dans un tourbillon de culpabilité et de reproches. Même si l’engagement n’est pas complet, l’entourage se fait à l’idée qu’une réalcoolisation est possible, que certaines pertes comme les amis, l’argent, la complicité, la santé sont parfois définitives. L’entourage a une bonne perception de la manière dont il souhaiterait que les choses changent ; il a également une perception claire de ce qu’il est prêt à mettre en place en individuel ou en groupe. Pour Bocquet (2018), les consultations conjugales et familiales en premières intentions, en addictologie, pourraient en quelque sorte améliorer la prise en charge individuelle « classique ». Mais c’est surtout l’évaluation de la motivation et l’intervention motivationnelle qui permettent de favoriser l’adhésion du patient à tout type d’intervention (Benyamina et Reynaud, 2016).

Prise en charge individuelle de l’entourage

Dans un premier temps, la prise en charge de l’entourage peut se poursuivre sur un format individuel : Rosa consulte car son mari, Louis, vient de sortir de cure il y a quatre semaines. La procédure de prise en charge TCC et la structure conventionnelle des consultations demeurent classiques. Nous vous présentons le cas de Rosa ; elle prétend avoir l’habitude des hospitalisations pour sevrage de son mari : « Une de plus! » Et pourtant, elle est en difficulté : « Il est important qu’il puisse compter sur mon aide ; je me suis engagée à l’accompagner dans la gestion de ses envies, à trouver des stratégies mais parfois je perds le contrôle. » Rosa est particulièrement en difficulté lorsqu’elle s’est absentée un moment et n’a pas eu la possibilité de surveiller Louis de loin ou de près. Rosa nous explique alors : « Chaque fois que je rentre du sport ou du travail, je suis inquiète. Si je le vois fatigué alors, immédiatement, je sens la colère monter en moi, je me sens triste à ce moment, je me dis : “C’est certain, il a bu”, alors la cocotte explose et je lui saute au cou en lui disant que j’ai raison de ne pas lui faire confiance et je pars en claquant la porte ; je pense que ça me soulage. Mais Louis me répète qu’il ne comprend pas mes réactions. »

L’axe émotionnel sera abordé en travaillant le repérage puis l’identification des émotions, en proposant des techniques permettant de réguler, comme les techniques de respiration avec lesquelles le patient va se familiariser et évaluer les gains. Il s’agira également de sensibiliser Rosa à la restructuration cognitive. Repérer et identifier la pensée gênante – « Ça ne changera jamais » – pour lui permettre de trouver des alternatives adaptées. ■ De quoi je suis en train de parler ? ■ J’utilise encore ma boule de cristal ! ■ En fait, les choses ont déjà clairement changé. Rosa sera initiée à l’affirmation de soi (ADS). Elle modifiera ainsi son comportement afin d’exprimer une émotion comme faire une demande en s’aidant des techniques spécifiques : écoute empathique et révélation sur soi. « Je sais que ce n’est pas toujours facile pour toi d’être abstinent ; pour moi c’est également compliqué car je suis souvent inquiète pour toi et j’ai souvent peur que tu te réalcoolises  ; si c’était le cas, serais-tu prêt à venir m’en parler  ? » (tableau 3.1).

Tableau 3.1. Le travail thérapeutique est axé sur les versants émotionnels, cognitifs et comportementaux.

Situation

Émotions

Pensées automatiques

Comportement

Conséquences

Je rentre du travail, vers 18 h, j’entre dans le salon et je vois mon mari, les yeux rouges

Colère : 6/10 Triste : 7/10

Je savais que ça n’allait pas durer, c’est trop difficile. Il ne fait pas d’effort. Je ne vais pas supporter cela longtemps À quoi ressemble ma vie ? Ça ne changera jamais. Il ne voit pas que je suis malheureuse Il ne se soucie pas de moi ! C’est trop cette fois

Crie : « Je ne peux pas te faire confiance » Hurle, sort, claque fortement la porte S’absente de longues heures Part chez son amie Fume beaucoup

Conséquences pour Rosa : – immédiates : soulagement – court terme : rumination, souci – moyen terme : se culpabilise, décolère Conséquences pour Louis : – immédiates : stupeur, ne comprend pas – court terme : doute sur la nécessité de poursuivre les efforts

Prise en charge patient-entourage

Chaque format de prise en charge sera proposé en fonction de la demande des patients et des objectifs qu’ils ont en vue de réaliser. Le thérapeute de Louis peut également proposer une consultation avec un membre de l’entourage, en l’occurrence Rosa, son épouse. Pour que cette consultation soit optimisée, il faut que Rosa soit prête, que les objectifs de la consultation soit clairement posés : parler des situations où Rosa s’énerve et ne comprend pas ce qu’il se passe, et où ce type de situations génèrent des pensées soulageantes et permissives que Louis n’est parfois pas à même d’identifier ni de gérer. Le patient doit accepter que la famille fasse partie de la solution et non pas du problème. Soyons clairs avec nos patients et leur entourage ; il ne sera pas question de régler les comptes, de revenir sur de vieilles histoires, de ruminer ou d’évoquer les rancœurs.

Situation

Émotions

Pensées automatiques

Comportement

Conséquences

Rosa rentre du sport il est 19 h Je l’attends tranquillement dans le salon et Rosa crie en disant que je ne fais aucun effort

Anxiété : 8/10 Tristesse : 8/10

Que se passe-t-il ? Je ne comprends pas. Je fais des efforts. En fait, ça ne change rien. Je pense qu’elle ne m’aime plus. Je suis tellement triste. J’ai besoin d’un verre pour aller mieux. Que je boive ou pas… Envie : 7/10 Si je bois, tout s’écroule mais combien de temps, vais-je tenir ? Allez, ne dis rien

« Allez, ne dit rien »

Conséquences pour Rosa : – immédiates : soulagement – moyen terme : renforcée dans l’idée que Louis ne fait pas d’effort Conséquences pour Louis : – immédiates : évitement – court terme : incompréhension puis s’en veut de ne pas avoir réagi – moyen terme : doute

Prise en charge de l’entourage ; le groupe thérapeutique

Les groupes néphalistes proposent des réunions pour les personnes abstinentes et également pour l’entourage. Les AA, Entraid’Addict, la Croix Bleue et d’autres associations proposent des groupes d’entraide pour l’entourage.

Autant que l’on sache, l’échange, le partage dans les groupes ont des effets bénéfiques  : amélioration de l’humeur, amélioration du sentiment d’autoefficacité (Pisani, 2019). Les groupes néphalistes proposent des temps d’écoute et d’échanges mais ne s’inscrivent pas dans un cadre thérapeutique. Il n’y a pas de soignants, ni démarche diagnostique, ni analyse fonctionnelle. Le groupe famille-entourage peut s’articuler de façons différentes. ■ À titre informatif, les infirmiers, psychologues peuvent proposer un groupe afin de répondre aux interrogations des uns et proposer des alternatives aux croyances des autres. « Ma femme a fait une cure, donc elle peut boire le weekend comme avant. » ■ À titre thérapeutique, comme il a été dit à plusieurs reprises, il est important que le patient et son entourage soient motivés. Comment changer et faire perdurer ce changement si l’on n’a pas une bonne perception du changement lui-même, de ses répercussions à court, moyen et long terme, au sein de la famille, du lieu professionnel ou extraprofessionnel ? ■ À l’instar des travaux de Graziani et al. (1998), le groupe famille-entourage peut débuter durant l’hospitalisation, à condition qu’il s’agisse d’une hospitalisation longue. Il est nécessaire de laisser le patient récupérer des effets du sevrage, même si le groupe a été préparé en amont. ■ Le groupe famille-entourage sera un groupe dit fermé, les règles de fonctionnement seront les règles inhérentes au groupe ; comme pour la majeure partie des groupes postcure, la durée n’excédera pas 2 h 30. ■ Le thérapeute TCC aura parfois à faire face à certaines difficultés ; en effet, les objectifs du groupe peuvent être détournés : le thérapeute rappellera en début de séance le sujet qui doit être abordé. Nous devons également compter sur la véritable disponibilité de la famille-entourage et de sa motivation qui peut fluctuer au décours de l’hospitalisation. En ce qui concerne la fréquence et le nombre de séances, nous serons attentifs à laisser assez de temps à nos patients pour réaliser les tâches assignées et à ne pas laisser le groupe s’essouffler. ■ Et puis le thérapeute usera d’inventivité : il s’adaptera au fonctionnement et à la personnalité des patients, en s’appuyant sur les dizaines d’analyses fonctionnelles et sur la bonne connaissance de l’histoire de leurs troubles pour utiliser différents supports (films, livres, sketch d’humoristes) qui leur permettront de leur faciliter l’accès aux différentes techniques thérapeutiques pouvant leur être proposées (gestion de stress, planification du temps, affirmation de soi, gestion de la pression sociale, etc.). ■ Les thérapeutes rappelleront qu’il est préconisé de participer ; les uns pourront s’entraîner dans un jeu de rôle pendant que les autres apprendront par observation. Quel que soit le type d’intervention, nous garderons en tête les prérequis de la TCC : l’alliance thérapeutique et l’esprit de l’entretien motivationnel, quelquefois la demande de l’entourage, de notre patient et leurs attentes du changement.

Le thérapeute ne perdra pas non plus son objectif de vue et devra accepter que l’entourage ne tienne pas son engagement et que certains patients puissent se réalcooliser avant même la fin du groupe.

Références - Benyamina, A., & Reynaud, M. (2016). Pharmacotherapy and psychotherapy of opioid addiction: Clinical and public health perspective. Neuroscience and Biobehavioral Reviews, 65, 423–434. - Bocquet, F. (2018). Réflexions autour d’une consultation conjugale et familiale en première intention en CSAPA. Alcoologie et Addictologie, 40(4), 328–333. - Graziani, P., Eraldi-Gackiere, D., Rusinek, S., et al. (1998). Familles et entourage dans la cure en alcoologie. Alcoologie et Addictologie, 20(4), 1–6. - Miller, W. R., & Rollnick, S. (2013). Motivational interviewing: Helping people change. Applications of motivational interviewing. New York : The Guilford Press (3e éd.). - Pisani, M. (2019). Mécanismes d’action du groupe d’entraide des Alcooliques anonymes. Annales médico-psychologiques, 177(8), 842–852.

Soigner les addictions par les TCC © 2024 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Coordinateurs de l'ouvrage

Pierluigi Graziani Psychologue clinicien, psychothérapeute TCC, Professeur des Universités en Psychologie clinique et Psychopathologie, directeur d’un parcours Master et d’un diplôme universitaire en TCC, université de Nîmes et Aix-Marseille université et président de l’AFTCC

Lucia Romo Psychologue, psychothérapeute TCC, Professeur des Universités en Psychologie clinique, université de Paris Nanterre ; co-responsable du laboratoire Evaclipsy (UR Clipsyd). Membre de l’AFTCC. Elle est psychologue clinicienne à l’hôpital Raymond-Poincaré (AP-HP) et membre associé à l’Inserm, Université Paris Saclay, unité 1118 CESP Soins primaires et Prévention.

Autrice de cet extrait:

Fabienne Sgard Psychologue, psychothérapeute TCC, centre alcoologique et addictologique de jour, centre hospitalier de Saint-Amand-les-Eaux, Valenciennes

Soigner les addictions par les TCC Pierluigi Graziani, Lucia ROMO ISBN 9782294779640 2e édition, 2023