Thérapie cognitive de la dépression et nouvelles technologies
6 septembre 2023
Par Anne Claire Nonnotte
Nous vous proposons de découvrir un extrait de l'ouvrage Psychothérapie cognitive de la dépression S’ouvre dans une nouvelle fenêtre
Thérapie cognitive de la dépression et nouvelles technologies
J. Cottraux
La crise du Covid-19 a recentré une bonne partie de la pratique psychothérapique sur le téléphone et les nouvelles technologies, en particulier les interventions sur Internet en visioconférence. Ces techniques ne sont plus réservées aux pays très étendus où l’accessibilité à des thérapeutes est difficile sans parler du suivi et des urgences. Une telle pratique ne date pas d’hier : en effet, pour réduire les coûts, des traitements par ordinateur ont été proposés et mis en place dès le début des années 1990 ( Selmi, 1990 ). La généralisation d’une telle pratique soulevait des réserves à la fois scientifiques et éthiques : vouloir aller trop vite et aveuglément pourrait aboutir à des coûts humains et/ou fi nanciers plus élevés que des prises en charge individuelles ou en groupe. En fait, on peut aujourd’hui voir les choses d’une manière plus optimiste car l’ordinateur est entré maintenant dans les mœurs, et les patients et les thérapeutes ont su s’y adapter. Cependant, une des limitations de ces programmes est qu’ils sont longs et coûteux à mettre en place et se heurtent aux inévitables difficultés de compréhension entre psys et informaticiens. Néanmoins de telles entreprises sont valables à condition qu’elles soient constamment améliorées par le feedback continu entre les usagers et les promoteurs des programmes. L’immense avantage est que la e-thérapie délivre le thérapeute de la répétition et de la fatigue des tâches routinières et qu’elle peut ainsi lui laisser plus de disponibilité pour l’adaptation au cas par cas lors d’échanges en visioconférence, par mails ou par téléphone avec les participants.
Thérapie cognitive par téléphone
Une étude ( Mohr et al., 2005 ) a testé l’efficacité de 16 semaines de thérapie cognitive et comportementale (TCC) par rapport à un contrôle tout à fait valide puisqu’il s’agissait d’une thérapie de soutien centrée sur l’émotion ; 127 patients ont été randomisés. Les mesures étaient l’échelle de Hamilton de dépression, le SCID ( Structured Clinical Interview for DSM disorders) pour le diagnostic des troubles de la dépression majeure, l’échelle de Beck de dépression et une échelle mesurant les affects positifs et négatifs. Sur les 127 patients randomisés, seulement sept patients ont quitté le traitement prématurément. Il y a eu une amélioration significative sur toutes les mesures et un accroissement de l’échelle d’affect positif. Cependant, les améliorations étaient plus importantes pour la TCC quand on la comparait à la thérapie de soutien centrée sur l’émotion. Mais les résultats étaient dissociés. La différence était significative pour l’échelle de Hamilton et l’échelle d’affects positifs, mais ne l’était pas pour l’échelle de dépression de Beck. À 12 mois, les différences entre les deux traitements n’existaient plus. Il apparaît donc clairement à la suite de cette étude que la thérapie cognitive agit plus vite et avec des effets plus spécifiques.
Thérapie cognitive sur ordinateur: Beating the blues
Proudfoot et al. (2004)ont proposé un programme de huit séances interactives, multimédias de TCC intitulé Beating the blues. Chaque séance est hebdomadaire, dure 50 minutes et propose des tâches pratiques à réaliser entre les séances. Les séances sont adaptables à chaque sujet. À la fi n de chaque séance, l’ordinateur imprime un rapport des progrès du patient pour ce dernier et son médecin généraliste. Il précise si le patient a exprimé des intentions suicidaires. Un infirmier est là pour expliquer et lancer programme, il quitte la pièce mais sert de personne ressource en cas de difficultés. Il ne passe en moyenne que 5 minutes de contact avec les patients par heure. Les auteurs ont cherché à démontrer l’efficacité et les effets économiques de ce programme ( McCrone et al., 2004 ). Un échantillon de 274 patients avec de l’anxiété et de la dépression a été randomisé en deux groupes : un programme de TCC par ordinateur (N = 146) avec ou sans médicament, mais sans intervention psychothérapique et un traitement comme d’habitude (N = 128) où les patients pouvaient recevoir et des médicaments et des interventions psychothérapiques. Le suivi était de 6 mois. Les patients avaient une dépression moyenne ou sévère. Beating the blues s’est révélé meilleur que le traitement comme d’habitude sur l’échelle de Beck, l’échelle d’ajustement au travail et social, et une mesure des schémas cognitifs : l’échelle du style d’attribution et l’échelle d’anxiété de Beck. Il n’y avait pas d’interaction avec les médicaments, ni de relation avec la durée de la maladie précédente ou la sévérité du trouble actuel. En ce qui concerne l’anxiété, le style positif d’attribution, le traitement interagissait avec la sévérité de telle sorte que la thérapie par ordinateur avait un meilleur résultat que le traitement usuel pour les patients les plus perturbés. La thérapie par ordinateur amène aussi une plus grande satisfaction avec les traitements que le traitement habituel. Les auteurs concluent que la TCC est applicable sur une plus large échelle pour l’anxiété et la dépression. Un certain nombre de limitations sont à envisager pour cette étude. Les résultats étaient mesurés simplement par auto-évaluation. Les patients avaient conscience de chaque traitement ce qui est, de toute façon, une nécessité et un certain nombre de données étaient manquantes ce qui est quand même assez fréquent dans les études en milieu naturel. Enfin, il apparaissait que la thérapie semblait acceptable aux patients. Les effets économiques du même programme ont été analysés (Mc Crone et al., 2004) montrant les coûts obtenus pour 123 participants du premier groupe et 138 participants du deuxième groupe. Les coûts ont été plus élevés sur 8 mois pour la TCC qui était délivrée par ordinateur. Les coûts d’emploi perdu étaient inférieurs pour le groupe thérapie comportementale et cognitive (£407, intervalle de confiance à 90 %, £196 à £586). Les auteurs aboutissent à la conclusion statistique qu’il y a 80 % de chances qu’un programme de TCC sur informatique ait un bon niveau de coût/efficacité. Il se révèle même efficace si l’on envisage la qualité de la vie ajustée sur 1 an.
E-thérapie versus e-information sur la dépression
Une autre étude ( Christensen et al., 2004 ) a évalué l’efficacité de deux interventions sur Internet pour des personnes demeurant dans leur environnement habituel et présentant des symptômes de dépression. Il y avait deux sites Web : l’un donnait une information au sujet de la dépression ; l’autre était un site interactif qui permettait la mise en place d’une TCC. Le protocole était randomisé et a inclus 525 personnes dont les symptômes dépressifs allaient croissant ; 116 personnes ont été randomisées sur le site qui offrait de l’information et 182 personnes ont été randomisées sur le site qui offrait une TCC interactive. Le groupe contrôle consistait en une procédure attention placebo pour 178 patients. Les mesures évaluaient le changement dans la dépression et les pensées dysfonctionnelles, la connaissance des aspects psychologiques médicaux, du style de vie et des traitements. Elles évaluaient, également, la connaissance de la TCC. L’analyse en intention de traiter a montré que l’information psycho-éducative et les interventions interactives de TCC étaient plus efficaces que la procédure « attention placebo », qui était, cependant, crédible. Les deux groupes traités ont vu se réduire les symptômes de dépression. Aussi bien les TCC que la psycho-éducation peuvent être délivrées par Internet, avec des résultats intéressants pour réduire les symptômes de la dépression.
E-thérapie et relation thérapeutique
Une étude originale sur la TCC délivrée par Internet s’est intéressée aux relations entre le contenu de la thérapie et les résultats dans les troubles anxieux et la dépression ( Ewbank et al., 2020 ). Pour ce faire, le contenu de la thérapie de 17 572 patients représentant 90 934 transcriptions de séances de TCC a permis d’obtenir des données de masse (big data) qui ont été analysées par l’intelligence artificielle ( deep learning ou apprentissage profond). Les résultats principaux montrent que ce sont les méthodes spécifiques de TCC telles qu’elles sont mises en place par le patient et le thérapeute qui sont en lien avec les résultats : l’approbation, la planification du futur, la perception du changement, l’utilisation de méthodes de changement cognitif et comportemental, établir un agenda de séance, demander un feedback, donner un feedback, revoir les tâches en dehors des séances, les mettre à jour, la discussion socratique et l’établissement de buts au traitement. De manière surprenante, l’empathie était corrélée négativement avec les résultats : les auteurs interprètent ce fait en considérant que l’empathie est déclenchée par des problèmes graves du patient qui peuvent avoir influencé négativement les résultats.
Formation des thérapeutes par l’ e-learning
La formation des thérapeutes par l’ e-learning ou les MOOC ( Massive Open On line Courses ou formation en ligne ouverte à tous) s’est beaucoup développée ces dernières années. L’ e-learning présente de nombreux avantages par rapport aux MOOC car c’est un véritable programme d’apprentissage dans lequel l’étudiant peut évaluer ses progrès : il ne peut pas passer à l’étape suivante sans avoir satisfait à un contrôle de ses connaissances. En TCC, un programme d’ e-learning ( Cottraux et Cungi, 2011 ) a été construit en partenariat avec les éditions Retz pour enseigner les TCC sous la forme de présentation audiovisuelle avec des « quiz » et des cas filmés interprétés par de vrais thérapeutes et des comédiens jouant les patients. L’acquisition des connaissances, présentée aux enseignés par une personne compétente, est évaluée par le système informatique. Il ne s’agit en aucune manière de remplacer la formation en « présentiel » et la pratique supervisée des psychothérapies, mais d’accélérer l’apprentissage des bases de la TCC grâce à un programme que l’on peut reprendre autant de fois qu’on le souhaite et qui donne des exemples concrets. Vingt-deux modules de 6 heures couvrent les principaux domaines des TCC. Ce programme a été testé avec succès en France et au Maroc. Plusieurs de ces modules correspondent au contenu du présent ouvrage. Outre des modules généraux sur les théories de l’apprentissage et les théories cognitives, la relation thérapeutique, l’analyse fonctionnelle et la conceptualisation cognitive, il existe un module sur la thérapie cognitive de la dépression et un module sur la prévention du suicide. Il est actuellement, après une mise à jour, diffusé par l’Institut francophone de formation et de recherche en thérapies comportementales et cognitives (Ifforthecc) 1.
1. https://ifforthecc.org S’ouvre dans une nouvelle fenêtre
Résultats
Une méta-analyse ( Andersson, 2014 ) portant sur 13 études et 1053 patients souffrant de dépression, troubles anxieux ou troubles somatoformes ne trouve pas de différence d’efficacité entre l’e-thérapie et la TCC classique en face-à-face. En revanche, une méta-analyse plus récente ( Karyotaki et al., 2021 ) portant sur 39 études et 9751 patients trouve qu’une e-thérapie guidée en ligne en fonction du contexte par des thérapeutes soit dans le flux immédiat, soit en différé, donne de meilleurs résultats dans la dépression qu’une thérapie entièrement gérée de manière automatique par un ordinateur.
Conclusion
Le bilan que l’on peut faire aujourd’hui de la e-thérapie montre que la thérapie cognitive s’adapte bien aux nouvelles technologies, mais souvent sur un mode mixte ( blended) qui combine certaines interventions de face-à-face à la e-thérapie.
Psychothérapie cognitive de la dépression S’ouvre dans une nouvelle fenêtre © 2022 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Ivy Marie Blackburn : professeur émérite de thérapie cognitive à l’université de Northumbria à Newcastle. Jean Cottraux : psychiatre honoraire des hôpitaux et chef d’unité au CHU de Lyon, habilitation à la direction de recherche (HDR), ancien chargé de cours à l’université Lyon 1
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Références
Andersson G, Cuijpers P, Carlbring P, et al. : Guided Internet-based vs. face-to-face cognitive behavior therapy for psychiatric and somatic disorders: a systematic review and meta-analysis. World Psychiatry, 2014, 13(3), 288-95.
Christensen H, Griffi ths KM, Jorm AF : Delivering interventions for depression by using Internet: a randomised controlled trial. BMJ, 2004, 328(7434), 265.
Cottraux J, Cungi C : TCC : formation e-learning. Retz, Paris, 2011. En ligne (2022) https://ifforthecc.org .
Ewbank MP, Cummins R, Tablan V, et al. : Quantifying the association between psychotherapy content and clinical outcomes using deep learning. JAMA Psychiatry, 2020, 77(1), 35-43.
Karyotaki E, Efthimiou O, Miguel C, et al. : Internet-based cognitive behavioral therapy for depression: a systematic review and individual patient data network meta-analysis. JAMA Psychiatry, 2021, 78(4), 361-71.
McCrone P, Knapp M, Proudfoot J, et al : Cost-effectiveness of computerised cognitive-behavioural therapy for anxiety and depression in primary care: randomised controlled trial. Br J Psychiatry, 2004, 185, 55-62.
Mohr DC, Hart SL, Julian L, et al. Telephone-administered psychotherapy for depression. Arch Gen Psychiatry, 2005, 62(9), 1007-14.
Proudfoot J, Ryden C, Everitt B, et al : Clinical efficacy of computerised cognitive behavioural therapy for anxiety and depression in primary care: randomised controlled trial. Br J Psychiatry, 2004, 185, 46-54.
Selmi P, Klein MH, Greist JH, Sorrell SP, Erdman HP : Computer-administered cognitive-behavioral therapy for depression. Am J Psychiatry, 1990 ; 147(1) : 51-6.