Evidence-based practice en rééducation
3 avril 2019
Démarche pour une pratique raisonnée Par Monique R
Formuler une question clinique
The power to question is the basis of all human progress. Indira Gandhi
Une fois que nous nous posons une question, il va falloir la formuler du mieux possible pour tenter d'y répondre !
Pour cela, nous pourrions tout simplement taper sur Google notre question et voir quels résultats cela donne. Ou, mieux, saisir la question sur une base de données.
De manière sûre, des résultats seront obtenus. Mais lesquels ? Et surtout combien ?
Utiliser de manière « brute » sa question clinique (c'est-à-dire en posant sa question telle quelle, par exemple, dois-je m'étirer avant ou après l'effort ?), c'est prendre le risque :
● de ne pas être juste dans sa formulation et son contenu ;
● de ne pas obtenir toutes les réponses que nous aurions souhaitées ;
● d'obtenir beaucoup (trop !) de réponses, parmi lesquelles bon nombre de réponses inutiles par rapport à la question de départ ;
● d'obtenir des réponses à niveau de preuve assez faible (par exemple, des réponses sur le site Internet d'une grande marque de sport).
Si nous voulons obtenir des réponses pertinentes (c'est-à-dire à la fois de bon niveau de preuve et sans trop de réponses inutiles), il est primordial de formuler de manière standardisée sa question clinique. L'utilisation d'outils que nous allons détailler permet de ne pas oublier d'éléments constitutifs du questionnement. Ensuite, il est préférable de privilégier les recherches sur des bases de données plutôt que sur des moteurs de recherche tels que Google (voir aussi chapitre 9). Cette standardisation est nécessaire car elle répond aux critères de fonctionnement des bases de données. La non-utilisation de cette procédure implique une utilisation non convenable de l'outil de recherche bibliographique.
Plusieurs outils/modèles peuvent être utilisés pour :
● formuler sa question clinique provenant d'une situation de soin ;
● découler une équation de recherche de cette question clinique correctement formulée ;
● formuler la question clinique provenant d'un article que nous lisons.
Ceci est important à évoquer car la démarche EBP nécessite de formuler sa question puis de vérifier sa concordance avec celles des articles pour ne sélectionner que ceux qui correspondent à notre problématique avant d'en faire ensuite une lecture critique.
A lire aussi : un extrait de l'ouvrage Démarche clinique et diagnostic en kinésithérapie, de Michel Dufour, Serge Tixa et Santiago Del Valle Acedo
Différents outils de formulation d'une question clinique
Pico
Le plus connu d'entre eux est l'outil/le modèle PICO où, après traduction de l'acronyme [1] :
P : population/patient/problem (population/patient/ problème) ;
I : intervention (intervention ou stratégie de prise en charge) ;
C : comparison (comparateur) ;
O : outcome (critère de jugement).
Ainsi, nous extrayons les concepts clés de la question.
Prenons chaque élément de manière plus précise.
Le P peut représenter plusieurs éléments selon le type de question. Il peut s'agir de la population, du patient ou encore du problème de santé. En d'autres termes, le P sert à décrire les caractéristiques les plus importantes du patient (ou d'un groupe de patients). Cet item montre quelle est la population pertinente en relation avec le problème considéré.
L'intervention (I) représente l'élément que l'on souhaite évaluer. Selon le type de question, le I peut aussi être l'exposition, le facteur pronostique ou le test à tester.
Dans une question PICO, nous comparons toujours le I à un comparateur (C). Ceci reflète l'aspect contextuel d'une question. En effet, s'il fait 12 degrés au mois de novembre dans le nord de la France, nous dirions sûrement que c'est une température de saison. Néanmoins, si cela est au mois de janvier, nous dirions plutôt qu'il fait chaud et, inversement, qu'il fait froid si c'est en plein été. De fait, le même 12 degrés peut être appréhendé de trois façons différentes en fonction du contexte dans lequel il est. C'est exactement la même chose avec le I qui est évalué par rapport au C. De fait, l'interprétation du I n'aura de sens qu'en connaissant le C auquel il est comparé. En général, les comparateurs peuvent être :
● soit l'absence d'intervention ;
● soit une fausse intervention, présentant des similarités à l'intervention étudiée mais considérée comme inactive (par exemple, une bande de sparadrap utilisée en comparaison au taping). En anglais, on retrouve le terme de sham, que l'on pourrait traduire par un faux/simulacre ;
● soit une autre intervention (alternative) ;
● soit une intervention en plus ou en moins.
Enfin, pour comparer les éléments, il faut déterminer et utiliser des outcomes (O), c'est-à-dire des critères de jugement. Ils sont ceux qui nous intéressent et/ou intéressent le plus le patient. Chaque critère de jugement est coté/ évalué grâce à un (ou plusieurs) indicateurs de suivi. Par exemple, l'amplitude articulaire est un critère de jugement, ses indicateurs de suivi sont la goniométrie, l'inclinométrie et la centimétrie. Autre exemple, l'équilibre (critère de jugement) peut être coté à l'aide de l'échelle de Berg ou l'échelle de Tinetti (indicateurs de suivi). En pratique ou lors d'expérimentations, toute évaluation utilise des critères de jugement et des indicateurs de suivi. En général, dans une étude, nous retrouvons un critère de jugement principal (nommé primary outcome) et des critères de jugement secondaires (secondary outcomes).
PICO et ses variantes
Alors que l'acronyme de base était PICO, d'autres auteurs ont proposé d'ajouter des éléments à ceux déjà présents. C'est pourquoi on rencontre parfois les acronymes PICOS, PICOT, PICOTS ou PICOTT ! Selon les cas, les lettres S et T peuvent signifier des éléments différents :
S comme :
● study design (schéma d'étude), par exemple, revue systématique, essai contrôlé randomisé, étude de cohorte, étude de cas, etc. Dans ce cas de figure, cela permet, lors de la recherche, de n'envisager qu'un ou plusieurs types de schéma d'étude ;
● setting (lieu/environnement). Cette notion permet de définir le contexte dans lequel l'intervention est amenée à être utilisée. Par exemple, si l'intervention est réalisée en hospitalisation complète (inpatient en anglais) ou en ambulatoire (outpatient). Elle peut également décrire un pays en particulier ou encore un lieu tel qu'une école, une prison, etc. Là encore, cette notion peut être intégrée dans le P ou dans le I mais elle est facilement descriptible, d'où la possibilité de la spécifier séparément ;
● statistics (statistiques). Pour d'autres, le S du PICOS indique les éléments de l'analyse statistique. Pour ces auteurs, le modèle sert à poser des questions cliniques mais aussi à rapporter de manière objective la partie méthodologie d'un article : méthode statistique, tests employés, outils statistiques, niveau de significativité ou encore logiciel utilisé.
T comme :
● time/timeframe (temps/plage de temps). Cela fait référence au moment où a lieu l'évaluation et/ou la réévaluation des critères de jugement (par exemple, court/moyen/ long terme). Ces informations peuvent aussi être directement intégrées dans le O ou dans le I du PICO ;
● type of study (type d'étude). Ou une autre manière de dire study design, (voir paragraphe ci-dessus) ;
● type of question (type de question). Dans ce cas, le T indique s'il s'agit d'une question à propos d'une thérapie, d'un diagnostic, d'une étiologie, d'un pronostic ou encore de prévention.
Très rarement, il peut être possible de rencontrer un D dans l'acronyme, qui peut faire référence soit à duration (durée, équivalent à la notion de temps), soit à study design (schéma d'étude, déjà vu précédemment).
Autre exception, il existe l'acronyme PICOC, pour lequel le second C signifie context (contexte) et sert à préciser le contexte dans lequel l'étude est faite (ex. milieu rural/ urbain). Cela revient aux notions exprimées via le S de setting.
A lire aussi :Etudiants kiné, tous les livres pour réussir, un article présentant de nombreux extraits de nos ouvrages
Spider
L'outil PICO semblait difficile à exploiter dans le cadre de questions de recherche qualitative et de questions de recherche par les méthodes mixtes [2]. C'est pourquoi certains auteurs ont cherché à adapter les composantes du PICO à un outil plus approprié à la recherche qualitative, avec l'ajout d'une composante : l'outil SPIDER [3]. Le tableau 8.1 indique les correspondances entre les différents éléments de cet outil et de PICO.
L'outil SPIDER met moins l'accent sur le comparateur mais davantage sur le schéma d'étude et plus sur des échantillons que sur des populations.
Par exemple, SPIDER peut être utilisé pour modéliser la question de recherche suivante : « Quelles sont les expériences des patients BPCO en matière d'éducation ? »
Spice
Après que Crumley et al., en 2002, ont conseillé la mise en place d'un outil plus pertinent, autre que PICO, pour l'evidence-based librarianship (EBL), Booth et al., en 2006, ont proposé l'acronyme SPICE, signifiant [4, 5] :
S : setting (lieu/environnement, c'est-à-dire où, dans quel contexte) ;
P : perspective/population (c'est-à-dire pour qui) ;
I : intervention (c'est-à-dire le phénomène d'intérêt) ;
C : comparison ;
E : evaluation.
Deux changements significatifs sont à observer par rapport au PICO.
D'une part, il est admis que la pratique de l'information est une science sociale et non une « science expérimentale ». Ainsi, « population » est divisée en deux composantes que sont « S – setting » et « P – perspective ». Cela indique que l'évaluation, dans la pratique de l'information, est typiquement subjective et qu'elle nécessite de définir la vision spécifique des parties prenantes au centre des préoccupations (par exemple, BPCO en libéral ou BPCO en hospitalisation aiguë).
D'autre part, en remplaçant « outcomes » par « evaluation », nous recherchons un cadre plus large, du fait que les critères de jugement sont davantage applicables au domaine de la santé pure qu'aux sciences humaines, par exemple. Ainsi, d'autres notions, comme l'impact d'une intervention/d'une thérapeutique, etc., peuvent être énoncées.
SPICE est employé pour rechercher des preuves qualitatives. Il peut être utilisé pour évaluer les critères de jugement d'un service, d'un projet ou d'une intervention, notamment en sciences sociales.
Un exemple de question serait : « dans les services d'oncologie pédiatrique, est-ce que la thérapie du rire par la venue de clowns professionnels (en comparaison à l'absence de clowns) permet de diminuer l'anxiété des enfants avant un examen ? »
Clip
L'outil CLIP a été proposé lors d'un séminaire du King's Fund en 2001 [6].
CLIP s'intéresse aux questions portant sur la prise en charge des services de santé, selon :
C : client (client, c'est-à-dire à qui le service est destiné. Par exemple, personnes âgées, personnes atteintes de mucoviscidose, fumeurs),
L : location (localisation, c'est-à-dire où le service est situé. Par exemple, service des urgences, cabinet libéral, en entreprise),
I : improvement (amélioration)/information/innovation, (ou que souhaitons-nous trouver ? Par exemple, cherchons-nous à savoir quelle est la meilleure pratique ? Quelle est la meilleure organisation pour un service ?),
P : professional (professionnel, c'est-à-dire qui est impliqué dans l'apport/l'amélioration du service. Par exemple, kinésithérapeutes, médecins, stagiaires, services administratifs, etc.).
Un exemple de question modélisable avec CLIP serait : la mise en place en HDJ d'un groupe de travail interdisciplinaire dans le cadre de la prise en charge de patients cérébrolésés améliore-t-elle la réinsertion sociale après trois mois ?
Eclipse
L'outil ECLIPSE a fait suite à CLIP, dans lequel il était considéré que le I faisait référence à trois éléments différents rendant le moyen mnémotechnique difficile à retenir. C'est ainsi qu'ECLIPSE a été proposé [6]. Alors que le C, L et P ont été conservés avec leur signification de CLIP, un E (pour expectation) a été ajouté au tout début pour signifier les attentes (encapsulant ainsi les idées essentielles d'improvement (amélioration), innovation et information). Le I a pris pour nouvelle signification impact (renvoyant en quelque sorte aux outcomes du PICO), et SE (pour service) a été ajouté à la fin.
Cela nous donne donc :
E : expectation (attente, c'est-à-dire qu'est-ce que nous voulons changer/améliorer ?) ;
C : client group (groupe de clients) ;
L : location (localisation, emplacement) ;
I : impact (impact, c'est-à-dire qu'est-ce que cela change dans le service, le cas échéant, qu'est-ce qui est recherché, comment pouvons-nous déterminer l'efficacité ou non et comment cela peut être mesuré) ;
P : professionals (professionnels, c'est-à-dire qui est impliqué dans le changement/l'amélioration ?) ;
SE : service (service, c'est-à-dire de quel type de service il s'agit (au sens prestation et non au sens localisation, cette dernière étant indiquée via le L)).
ECLIPSE est principalement employé pour étudier les résultats d'une politique ou d'un service. En général, nous cherchons davantage à explorer des informations pertinentes qu'à comparer deux options.
ECLIPSE pourrait être utilisé pour modéliser la question suivante : « Comment diminuer le temps d'attente des patients souhaitant un premier rendez-vous en libéral ? »
BeHEMoTh
BeHEMoTh a été proposé en 2015 et sert à identifier les théories pour les questions de synthèse réalistes, selon les informations suivantes [7] :
B : behaviour of interest (comportement d'intérêt) ;
H : health context (the service, policy, programme or intervention) (contexte de santé (service, politique, programme, intervention)) ;
E : exclusions (for reviewers to exclude non theories) (exclusions (pour les relecteurs, pour exclure les non-théories)) ;
MoTh : models or theories (modèles ou théories).
CMO ou CIMO
L'outil CMO ou CIMO permet de formuler sa question clinique avec [8] :
C : context (contexte) ;
I : intervention (intervention) ;
M : mechanism (mécanisme) ;
O : outcome (critère de jugement).
Mip
Lorsqu'on s'intéresse à l'éthique médicale, PICO n'est pas forcément pertinent car la plupart des questions examinées sur la bioéthique empirique utilisent une méthode par interview et se concentrent donc sur des domaines différents que ceux donnés par PICO [9].
Prenons l'exemple de la mise en place d'un questionnaire que l'on cherche à valider et ensuite à appliquer. Alors que l'intervention, le comparateur et les critères de jugement vont être des éléments peu pertinents, les participants qui auront à remplir le questionnaire auront, eux, toute leur importance à être déterminés. De plus, il sera intéressant de connaître la méthodologie des études primaires.
C'est ainsi que, dans le cadre de l'éthique médicale, a été proposé l'outil MIP, pour :
M : methodology (méthodologie. Par exemple, un questionnaire, une interview) ;
I : issues (problèmes. Par exemple, les décisions à propos de la fin de vie) ;
P : participants (participants. Par exemple, les praticiens, les patients).
Zoom sur PICO
PICO en fonction du type de question
En fonction du type de question formulée, les informations ne sont pas forcément les mêmes pour chaque item.
Le tableau 8.2 récapitule génériquement la nature de chaque item des critères PICO en fonction du type de question.
Exemples de formulation avec PICO
Reprenons quelques exemples du chapitre précédent et modélisons-les selon PICO.
Effet d'une thérapie/d'une intervention
Situation clinique
Vous recevez un patient ayant bénéficié d'une pose de prothèse totale de genou (PTG) après gonarthrose. Votre objectif principal est le gain en flexion. Il y a un arthromoteur sur votre lieu de travail. Pour l'intégrer ou non dans votre pratique, vous aimeriez savoir son efficacité dans ce but.
Formulation avec PICO
P : patients ayant bénéficié d'une PTG en première intention suite à une gonarthrose.
I : arthromoteur.
C : une alternative de l'arthromoteur (mobilisation passive, auto-mobilisation, etc.).
O : flexion de genou (en degrés).
Question normalisée qui en découle
L'arthromoteur, comparé à une alternative, permet-il un gain en flexion de genou plus important chez les patients ayant bénéficié d'une PTG en première intention suite à une gonarthrose ?
Remarque pour l'utilisation de ce PICO lors d'une recherche bibliographique
Ici, du fait de la grande variabilité d'éléments auxquels l'arthromoteur peut être comparé (appelés une alternative), nous ne renseignerons probablement pas le C.
Étiologie
Situation clinique
Vous recevez un patient pratiquant régulièrement la course à pied. Il vient vous voir pour des douleurs au tendon d'Achille gauche. Lors de son interrogatoire, il vous dit qu'il a eu un traitement antibiotique de la famille des fluoroquinolones. Vous vous demandez si cela ne pas être en partie la cause de ses douleurs.
Formulation avec PICO
P : sujets pratiquant une activité physique.
I : fluoroquinolones.
C : rien.
O : apparition d'une tendinopathie d'Achille.
Question normalisée qui en découle
Les fluoroquinolones sont-ils un facteur de risque de tendinopathies du tendon d'Achille chez des sujets pratiquant une activité physique ?
Remarque pour l'utilisation de ce PICO lors d'une recherche bibliographique
Dans ce cas, le C n'a pas lieu d'être, cette fois non pas parce que trop d'éléments pourraient être donnés mais parce que nous ne cherchons pas à comparer les fluoroquinolones à quelque chose mais à l'absence de prise de ce médicament.
PronosticSituation clinique
Vous recevez un patient ayant eu une rupture du ligament croisé antérieur (sans ligamentoplastie ensuite). Au cours des séances que vous avez avec lui, il vous demande si ses sensations de dérobement et de craquement sont normales car il a lu sur internet qu'il risquerait d'avoir plus d'arthrose au genou s'il ressent cela.
Formulation avec PICO
P : sujets avec rupture du ligament croisé antérieur (sans ligamentoplastie).
I : sensation de dérobement et de craquement au genou.
C : rien.
O : développement d'arthrose.
Question normalisée qui en découle
Les sensations de dérobement et de craquement au genou sont-ils des éléments prédicteurs de développement d'arthrose chez les sujets avec rupture du ligament croisé antérieur ?
Remarque pour l'utilisation de ce PICO lors d'une recherche bibliographique
Dans ce cas, le C n'a pas lieu d'être non pas parce que trop d'éléments pourraient être donnés mais parce que nous cherchons à comparer ces sensations à l'absence de celles-ci.
Diagnostic
L'objectif est de connaître la qualité diagnostique de nos outils (voir aussi chapitre 22). Il faut donc définir au moins le P, le test étudié et les éléments statistiques permettant de représenter la pertinence du test. Le P représente autant la pathologie (acquise ou suspectée) que les signes/symptômes de la population d'intérêt, il ne faut donc pas oublier de bien spécifier ces deux parties du P le cas échéant. Le I et le C dépendront du type de question diagnostique que nous nous posons : est-ce à propos de la fiabilité ou de la validité ?
Attention
Il est très important de bien spécifier qui sont les personnes qui réalisent les tests (kinésithérapeute, médecin, radiologue, etc.).
Question à propos de la fiabilité
Situation clinique
Vous faites un bilan intermédiaire à l'un des patients de votre collègue qui est absent (parti en congés). Le patient vient pour une rééducation fonctionnelle suite à un AVC. Vous utilisez l'échelle de Berg pour coter son équilibre et lui dire s'il a évolué ou non depuis son bilan initial (et dans quel sens le cas échéant). Vous vous demandez si cette échelle est fiable entre évaluateurs différents afin de savoir si vous pouvez comparer le score obtenu par le patient avec vous avec le score obtenu initialement avec votre collègue.
Formulation avec PICO
P : sujets post-AVC.
I : évaluation de l'équilibre avec l'échelle de Berg par un kinésithérapeute.
C : évaluation de l'équilibre avec l'échelle de Berg par un autre kinésithérapeute.
O : coefficient de corrélation intraclasse.
Il est à noter que si nous étions avec une question sur la fiabilité intra-observateur, alors le C serait : évaluation de l'équilibre avec l'échelle de Berg par le même kinésithérapeute.
Question normalisée qui en découle
Quelles sont les performances de la fiabilité interobservateurs (coefficient de corrélation intraclasse) de l'échelle de Berg dans une population de sujets post-AVC pour évaluer l'équilibre ?
Remarque pour l'utilisation de ce PICO lors d'une recherche bibliographique
Dans ce cas, le plus important est le P, le test testé et le terme « fiabilité » (ainsi que ses synonymes).
Question à propos de la validité
Situation clinique
Vous recevez une patiente de 63 ans avec des douleurs au niveau du moignon de l'épaule. Vous suspectez une tendinopathie de la coiffe des rotateurs, ce qui vous amène à utiliser le test de Jobe (empty can test) mais vous n'êtes pas sûr de sa précision diagnostique validité).
Formulation avec PICO
P : sujets avec douleur à l'épaule (population symptomatologique) avec suspicion de tendinopathie (pathologie suspectée).
I : test de Jobe réalisé par le kinésithérapeute (test testé).
C : imagerie par résonance magnétique (IRM) réalisée par le radiologue (gold standard).
O : ratios de vraisemblance.
Question normalisée qui en découle
Quelles sont les performances de la validité (ratios de vraisemblance) du test de Jobe par rapport à l'IRM dans une population de sujets avec douleur à l'épaule pour diagnostiquer une tendinopathie ?
Remarque pour l'utilisation de ce PICO lors d'une recherche bibliographique
Dans ce cas, le C n'est pas indispensable car d'autres gold standard peuvent exister.
Utilisation de ces outils dans la recherche bibliographique
Lequel choisir ?
Comme nous venons de le préciser, les outils se rapportent à certains types de question de recherche, d'où le fait de connaître de quel type il s'agit.
Certaines études ont cherché à comparer les outils.
Par exemple, l'outil SPIDER a fait l'objet d'une étude par Methley et al. qui ont cherché à comparer PICO, PICOS (le S étant utilisé pour study type) et SPIDER lors d'une recherche sur trois bases de données à l'aide de ces trois outils [10]. Leur question était l'évaluation des expériences, des points de vue, des attitudes et des perceptions de patients sur les services de soins de la sclérose en plaques.
Leurs résultats portaient à la fois sur le nombre d'articles trouvés ainsi que sur le nombre d'articles pertinents parmi ceux trouvés. Ils ont constaté que l'outil PICO générait davantage de réponses que PICOS et que SPIDER (respectivement 23 758, 448 et 239 réponses). De ce fait, le temps passé à sélectionner les articles pertinents se comptait en heures pour PICOS et SPIDER et en jours pour PICO.
Au final, l'outil PICOS était plus spécifique que PICO mais n'a pas permis d'identifier d'autres résultats pertinents par rapport à SPIDER, ce qui témoigne d'une sensibilité globalement similaire.
L'outil SPIDER a montré la plus grande spécificité du fait du peu de résultats générés mais a, en revanche, omis plusieurs articles pertinents (faible sensibilité).
L'outil PICOS a montré une sensibilité et une spécificité supérieures ou égales à SPIDER tandis qu'il a abouti à une recherche globalement moins sensible mais plus spécifique que PICO. L'outil PICO serait à privilégier lorsqu'on vise l'exhaustivité des données.
Globalement, de tous les outils présentés, l'outil PICO reste l'un des plus utilisés.
Néanmoins, la nature initiale de votre question doit vous guider à utiliser l'outil le plus adéquat.
PICO dans la recherche bibliographique : faut-il tout renseigner ?
Une étude de Huang et al. a rassemblé 59 questions cliniques : 25 sur la thérapie, 15 sur le diagnostic, 7 sur le pronostic et 12 sur l'étiologie [11]. Ces questions ont été modélisées sous le format PICO par deux personnes indépendamment puis mises en commun, comparées et lissées. Seules deux des 59 questions spécifiaient les quatre éléments de base du PICO et 37,3 % des questions contenaient uniquement l'intervention et le critère de jugement. Ils ont observé que, quel que soit le type de question, le P et le I sont les éléments les plus fréquemment renseignés (50 et 49 sur 59, respectivement), puis le O (27 sur 59) et enfin le C (3 sur 59).
En général, on retrouve donc plus souvent des apports via le P et le I que via le C et le O [12].
Le comparateur (C) n'est pas systématiquement renseigné dans la barre de recherche pour plusieurs raisons :
● la recherche sera plus sensible si on l'omet ;
● dans le cas des comparateurs « ne rien faire » ou « meilleurs soins actuels », il est difficile de savoir quels termes exacts auront été employés par les auteurs. De ce fait, mieux vaut s'abstenir de l'indiquer plutôt que d'utiliser tous les termes possibles et imaginables pouvant désigner l'éventuel comparateur (par exemple, meilleurs soins ? soins usuels ? soins courants ? soins habituels ? soins habituellement dispensés ? etc.).
En ce qui concerne le O (critères de jugement), comme le comparateur, ils ne sont pas systématiquement renseignés dans la barre de recherche, parce que :
● ils ne sont pas forcément connus à l'avance ;
● ils sont tellement variés qu'il est difficile d'être exhaustif ;
● ils peuvent impliquer un grand nombre de lettres et de chiffres (par exemple, mesures de la pression sanguine, éléments d'un bilan sanguin) ;
● ils peuvent ne pas être tous spécifiés de manière exhaustive (comme les effets secondaires) ;
● ils peuvent être implicites (par exemple, disparition d'une maladie, arrêt du tabac).
En revanche, lorsque le volume de réponses est trop important, nous pouvons éventuellement le renseigner pour restreindre les occurrences, c'est-à-dire diminuer en partie le bruit.
Finalement, c'est surtout en fonction du type et de la nature de notre question que nous allons devoir renseigner ou pas les éléments du PICO. Mais, souvent, préférez utiliser P et I pour la recherche en elle-même.
Points à retenir
■ Il existe plusieurs outils/modèles pour standardiser sa question clinique, PICO est le plus connu d'entre eux.
■ Pour les questions « quantitatives », l'acronyme PICO est à privilégier lorsqu'une exhaustivité des données est souhaitée.
■ Pour les questions de recherche qualitative, il est préférable d'utiliser d'autres outils comme SPIDER ou SPICE.
■ Le C et le O du PICO sont des informations à moins renseigner dans la barre de recherche des bases de données et moteurs de recherche.
Références
[1] Richardson WS, Wilson MC, Nishikawa J, Hayward RS. The well-built clinical question : a key to evidence-based decisions. ACP J Club 1995 ; 123 : A12–3.
[2] Cooke A, Mills TA, Lavender T. Informed and uninformed decision making'--women's reasoning, experiences and perceptions with regard to advanced maternal age and delayed childbearing : a meta-synthesis. Int J Nurs Stud 2010 ; 47 : 1317–29.
[3] Cooke A, Smith D, Booth A. Beyond PICO : the SPIDER tool for qualitative evidence synthesis. Qual Health Res 2012 ; 22 : 1435–43.
[4] Crumley E, Koufogiannakis D. Developing evidence-based librarianship : practical steps for implementation. Health Inf Libr J 2002 ; 19 : 61–70.
[5] Booth A. Clear and present questions : formulating questions for evidence based practice. In : Libr Hi Tech., 24. 2006. p. 355–68.
[6] Wildridge V, Bell L. How CLIP became ECLIPSE : a mnemonic to assist in searching for health policy/management information. Health Inf Libr J 2002 ; 19 : 113–5.
[7] Booth A, Carroll C. Systematic searching for theory to inform systematic reviews : is it feasible ? Is it desirable ? Health Inf Libr J 2015 Sep ; 32(3) : 220–35.
[8] Wong G, Greenhalgh T, Westhorp G, Buckingham J, Pawson R. RAMESES publication standards : realist syntheses. BMC Med 2013 ; 11 : 21.
[9] Strech D, Synofzik M, Marckmann G. Systematic reviews of empirical bioethics. J Med Ethics 2008 ; 34 : 472–7.
[10] Methley AM, Campbell S, Chew-Graham C, McNally R, Cheraghi- Sohi S. PICO PICOS and SPIDER : a comparison study of specificity and sensitivity in three search tools for qualitative systematic reviews. BMC Health Serv Res 2014 ; 14 : 579.
[11] Huang X, Lin J, Demner-Fushman D. Evaluation of PICO as a knowledge representation for clinical questions. AMIA Annu Symp Proc 2006 ; 2006 : 359–63.
Vous venez de lire le chapitre 8 Formuler une question clinique de l'ouvrage Evidence-based practice en rééducation
Evidence-based practice en rééducation. Démarche pour une pratique raisonnée, par Adrien Pallot, Thomas Davergne, Marion Gallois, Matthieu Guémann, Sébastien Martin, Aurélie Morichon, Thomas Osinski, Guillaume Raynal et Stephan Rostagno. © 2019 Elsevier Masson SAS
Auteur coordinateur
Adrien Pallot, kinésithérapeute, est référent pédagogique et enseigne en formation initiale (IFMK CEERRF, ASSAS, AP-HP Pitié-Salpêtrière, IRFSS Limoges et EFOM) et en formation continue (Master Ingénierie de la Rééducation, du Handicap et de la Performance Motrice de l’Institut d’Ingénierie de la santé d’Amiens). Il est également Rédacteur associé à Kinésithérapie, La Revue (Elsevier). Il a coordonné l’équipe d’auteurs composée de kinésithérapeutes, aux profils différents, tous enseignants ou responsables pédagogiques.
EVIDENCE BASED PRACTICE EN RÉÉDUCATION Démarche pour une pratique raisonnée Adrien Pallot ISBN: 9782294763465 Paru le 10 juillet 2019
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