Risque thrombotique et chirurgie orthopédique chez l'enfant
France | 27 novembre 2023
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Risque thrombotique et chirurgie orthopédique chez l'enfant
T. ODENT, B. de COURTIVRON, Y. GRUEL
Résumé
L'enfant est physiologiquement protégé contre la maladie thromboembolique veineuse (MTEV). On retrouve des événements déclenchants ou des facteurs favorisants dans la majorité des cas rapportés, ce qui est différent de chez l'adulte où 50 % des thromboses surviennent de façon « idiopathique ». La fréquence est rare et estimée à moins de 1/1000. Le risque est important avant 1 an, puis est faible et augmente vers l'âge de 13 ans pour rejoindre le risque observé chez l'adulte à l'âge de 16 ans. Le risque de MTEV est clairement majoré dans certaines situations : traumatisme important, immobilisation prolongée, cathéter veineux central, séjour en réanimation, thrombophilie constitutionnelle, néoplasie, obésité, prise de contraceptifs oraux, etc. La prescription d'une thromboprophylaxie ne doit pas être systématique, même chez l'adolescent. Une hydratation correcte et une mobilisation précoce restent les bases de la thromboprophylaxie. La prescription doit être évaluée précisément en fonction des facteurs de risque de l'enfant et du contexte orthopédique. Les scores évaluant le risque thrombotique, fondés sur des avis de spécialistes et sur des larges registres de thrombose veineuse profonde (TVP), même s'ils ne sont pas évalués par des études cliniques, semblent actuellement le moyen le plus fiable pour évaluer le risque thrombotique chez l'enfant et prescrire une thromboprophylaxie. Les héparines de bas poids moléculaires (HBPM) sont les molécules utilisées en thromboprophylaxie chez l'enfant avec une bonne tolérance et une bonne efficacité.
Mots-clés : Maladie thromboembolique veineuse – Thromboprophylaxie – Risque thrombotique – Héparine – Chirurgie orthopédique pédiatrique.
Introduction
Le risque de développer une TVP ou une embolie pulmonaire (EP) est faible chez l'enfant après une intervention chirurgicale ou à l'occasion d'une hospitalisation. Il y a peu de cas rapportés dans la littérature et lors de grandes enquêtes épidémiologiques, ce risque est évalué à moins de 1 %. Une étude spécifique auprès des membres de la Pediatric Orthopaedic Society of North America a retrouvé que ceux-ci avaient rencontré une TVP au moins une fois dans leur carrière professionnelle [1]
L'enfant est physiologiquement protégé contre les TVP, mais certains facteurs comme une anomalie constitutionnelle de l'hémostase, le tabac, l'utilisation de contraceptifs oraux, l'obésité peuvent augmenter ce risque. Le contexte médico-chirurgical joue également un rôle important : traumatisme majeur, chirurgie lourde, séjour en réanimation, une immobilisation postopératoire, etc. Dans la majorité des cas, on retrouve une situation à risque lors de la survenue d'une TVP chez l'enfant, à l'opposé de chez l'adulte où 50 % des TVP surviennent de façon spontanée.
Cette protection contre les TVP doit être adaptée dans le temps en tenant compte de l'âge, avec un niveau de risque plus élevé en période néonatale ou qui augment lors de la puberté, pour progressivement rejoindre celui présent chez l'adulte. Tous ces éléments vont être à prendre en compte pour estimer le risque thrombotique chez un enfant et décider l'éventuelle mise en route d'un traitement préventif. La survenue d'une TVP peut, en effet, dans certaines situations, être un événement majeur associé à un risque de morbidité et de mortalité élevé.
Les attitudes concernant la thromboprophylaxie diffèrent beaucoup selon les pays, les hôpitaux. Il n'y a pas de recommandations nationales ni de protocoles validés concernant la chirurgie orthopédique pédiatrique. La majorité des études sont fondées sur des opinions d'experts, des cas isolés ou dérivés de l'exploitation de larges bases de données sur la TVP, sans que soit étudiée spécifiquement la chirurgie orthopédique pédiatrique. L'objectif de notre travail a été, à partir d'une analyse de la littérature, d'évaluer les facteurs de risque thrombotique chez l'enfant et l'adolescent, de déterminer à quel âge ce risque rejoint celui observé chez l'adulte, d'étudier les situations à risque en chirurgie orthopédique et de proposer un schéma de prescription d'une thrombophrophylaxie chez l'enfant ayant une affection orthopédique en fonction d'un algorithme décisionnel prenant en considération ces éléments.
Risque thrombotique et âge : quand pouvons-nous considérer qu'un enfant est adulte ?
La fréquence des TVP chez l'enfant est incontestablement plus faible que chez l'adulte. Les facteurs physiologiques sous-jacents ne sont pas entièrement élucidés, mais certains ont été reconnus : les taux circulants d'α2- macroglobuline sont trois fois plus élevés chez l'enfant et contribueraient à un effet protecteur [2], plus que le taux d'antithrombine III, dont les déficits sont les plus pourvoyeurs de TVP. Par ailleurs, le taux de prothrombine, précurseur de la thrombine, est diminué de 10 à 20 % chez l'enfant par rapport à l'adulte. Les taux des différents facteurs de la coagulation peuvent également être diminués pendant l'enfance et les fonctions plaquettaires varient selon l'âge avec une adhésion plus élevée avant l'âge de 1 an. Il est important de souligner que les taux d'inhibiteurs (antithrombine, protéines C et S) sont plus bas chez l'enfant jusqu'à l'adolescence [3, 4], mais sans que ces variations physiologiques ne majorent le risque thrombotique. Ces variations n'impactent pas les tests usuels comme le temps de céphaline activée (TCA) qui permettent en pratique l'exploration de la coagulation [5].
En conséquence, le taux de survenue d'une TVP chez l'enfant est au moins dix fois moins élevé par rapport à celui observé chez l'adulte. L'incidence varie de 0,07 à 0,49 pour 10 000 enfants selon les études, leur mode de recueil, l'âge des patients inclus et si l'on considère seulement les thromboses symptomatiques ou confirmées par un examen radiologique [6]. L'incidence des TVP survenant de façon isolée est faible et représente de 2 à 12,6 % des TVP [7].
L'incidence est plus importante chez les patients hospitalisés avec un taux de 4,9 à 21,9 TVP pour 10 000 admissions. Deux pics ont été rapportés : la période néonatale (20 % des cas) et celle allant de 11 à 18 ans (50 % des cas) [8, 9]. Il faut souligner la fréquence des thromboses profondes qui affectent d'autres territoires anatomiques que les membres inférieurs (veines rénales, splanchniques et cérébrales, etc.) rapportées dans ces études. Leur fréquence est plus élevée en période néonatale. En étudiant la base multicentrique nord-américaine PHIS, Georgopoulos et al. ont retrouvé une incidence de 0,015 % après chirurgie orthopédique pédiatrique [10]. Murphy et al. ont évalué l'incidence de MTEV à 0,058 % après un traumatisme du membre inférieur ou du bassin [11], ce qui correspond à un risque dix fois plus élevé par rapport à la population pédiatrique générale. Greenwald et al. ont retrouvé une prévalence de 0,17 % après fracture du pelvis ou du fémur [12] et, pour Jain et al., l'incidence de TVP était beaucoup plus faible, égale à 0,0021 % après chirurgie rachidienne chez l'enfant. Néanmoins, ce risque était multiplié par 1,37 pour chaque année d'âge supplémentaire [13].
Compte tenu des connaissances physiologiques et des données rapportées dans la littérature, l'âge d'un enfant est un facteur majeur à prendre en compte dans l'estimation du risque thrombotique. Le risque thrombotique augmente à l'apparition des signes pubertaires. Dans les séries importantes, l'adolescence est associée à une majoration du risque de TVP et d'EP [12–14]. Deux analyses statistiques fondées sur des grandes cohortes de patients traumatisés utilisant la régression logistique ont retrouvé l'âge comme un des facteurs prédictifs les plus importants de thrombose. O'Brien et al. [15] ont identifié comme seuil critique un âge supérieur à 14 ans (OR : 2,34, IC 95 %). Vavilala et al. ont retrouvé qu'un âge entre 10 et 15 ans était associé à un RRf de TVP multiplié par 5 [16]. Dans une troisième étude ayant concerné des patients hospitalisés après un traumatisme, l'âge moyen des cas ayant présenté un TVP était de 16,6 ans pour 12,1 ans chez les sujets indemnes de thrombose [17].
Chez les patients ayant eu un traumatisme médullaire, le taux de TVP était significativement plus élevé chez les 14–19 ans (4,4 %) par rapport à celui retrouvé chez les sujets plus jeunes (1,1 %). Cairo et al. [18] ont retrouvé également un risque plus élevé de TVP après une chirurgie abdominale chez les patients âgés de plus de 15ans. Van Arendonk et al. ont objectivé une incidence globale de 0,4 % de TVP lors d'une hospitalisation après un traumatisme. Les patients les plus sévères ayant eu un cathéter central, une transfusion sanguine, une ventilation mécanique ou subi une intervention chirurgicale étaient les plus affectés. L'incidence des TVP était de 0,1 % avant 12 ans, 0,3 % de 13 à 15 ans et 0,8 % au-delà de 16 ans [19].
Bien qu'il y ait de nombreux facteurs à prendre en compte lors de l'évaluation du risque thrombotique, il semble donc raisonnable, après analyse de ces études, que l'on puisse considérer 13 ans comme l'âge à partir duquel le risque thrombotique augmente significativement chez l'enfant et qu'il rejoint celui de l'adulte à l'âge de 16 ans.
Facteurs de risque thrombotique chez l'enfant
La présence d'un ou de plusieurs facteurs de risque thrombotique est déterminante dans la survenue d'une TVP chez l'enfant. Ces facteurs de risque ont été recherchés avec des études rétrospectives sur de larges cohortes de patients hospitalisés ou opérés, et en étudiant les enfants ayant présenté une TVP. Un des facteurs limitant la pertinence de ces études est qu'il n'est pratiquement jamais spécifié si ces enfants recevaient une thromboprophylaxie.
Immobilisation
La notion d'immobilité ou de mobilité réduite ne fait pas consensus dans la littérature sur le risque associé de TVP chez l'enfant. L'importance de l'immobilisation est également un facteur relatif et imprécis. Les études chez l'adulte retrouvent une augmentation du risque après immobilisation ou pose d'un plâtre. La diminution de la mobilité sans réelle immobilisation augmente également le risque, à un niveau moindre. Un consensus sur un alitement récent de plus de trois jours semble être reconnu comme un facteur de risque, sans qu'il n'ait été validé par des études prospectives [20].
Durée d'hospitalisation
Cette variable est fortement dépendante des autres facteurs de risque et il est bien démontré que l'augmentation de la durée de séjour augmente le risque de TVP, bien que les mécanismes sous-jacents ne soient pas encore totalement élucidés. Selon deux études indépendantes de type cas-témoin, l'OR de survenue d'une TVP augmentait de 3 % par jour à partir du 5e jour d'hospitalisation [21]. Les 5e et 7e jours d'hospitalisation ont été reconnus comme associés à une majoration du risque [18]. L'augmentation du risque était respectivement de 2 et de 3 % par jour d'hospitalisation après un traumatisme crânien ou grave [22].
Obésité
L'inflammation chronique, l'activation plaquettaire et le dysfonctionnement du système réticulo-endothélial associés à l'obésité augmentent le risque de TVP, comme démontré chez l'adulte. Stokes et al. ont retrouvé chez 48 enfants hospitalisés ayant présenté une TVP une augmentation du risque d'un facteur 2,1 chez les enfants obèses par rapport aux enfants de poids normal [23]. Cependant, dans cette série, d'autres facteurs de risque étaient associés à l'obésité (adolescence, contraception orale, etc.). Le surpoids isolé (IMC compris entre le 85e et le 95e percentile) ne semble pas augmenter le risque.
Traumatisme
L'incidence après traumatisme de TVP symptomatique est de 0,08 à 0,3% et des études ont montré une fréquence plus importante de TVP asymptomatiques [24]. La sévérité de l'Injury Severity Score (ISS) [25] est associée dans plusieurs articles à la survenue d'une TVP. L'ISS prend en compte les différentes régions du corps traumatisées (tête, cou, face, cage thoracique, abdomen, membres, contenu pelvien et bassin) et leur sévérité allant de mineur à critique et pondère en prenant la somme des carrés des trois lésions les plus importantes. Dans une étude canadienne réalisée par deux importants centres de traumatologie, l'incidence des TVP était de 0,33 % par séjour. Un ISS inférieur à 9 était associé significativement à un risque multiplié par 5,3 de TVP [26]. Lors d'un traumatisme, la présence d'un cathéter veineux central, l'utilisation d'inotropes, une immobilisation prolongée, un score de Glasgow inférieur à 9 sont associés à un risque plus élevé de TVP. Il semble que la présence d'un cathéter veineux central soit le facteur le plus déterminant et ce facteur est également identifié chez les patients traités pour une tumeur maligne, lors de maladies intestinales ou rénales chroniques. Lors d'une fracture isolée, le risque est de 2,5/1000 patients (RR : 3,8), de 3,2/1000 en cas de fracture du bassin (RR : 4,4) et de presque 2 % en cas de lésion vasculaire [16].
Sexe
Dans une série de 34 813 interventions chirurgicales pelviennes ou abdominales, rapportée par Cairo et al., le sexe féminin serait associé à une incidence plus élevée de TVP (0,26 à 0,15 %) [18]. Ces constatations n'ont pas été retrouvées dans d'autres études.
Infection
La survenue d'une infection, qu'elle soit locale ou générale, est un facteur favorisant la survenue d'une TVP. La survenue d'une thrombose des veines adjacentes à un foyer d'ostéomyélite est souvent observée, comme lors d'une arthrite septique de la hanche ou du genou et le risque de MTEV est multipliée par 10 (1,2 à 10%) [27]. Les TVP sont présentes lors du diagnostic chez la majorité des patients. Des thromboses septiques étendues sont associées aux infections par des germes produisant des toxines nécrosantes comme la toxine de Panton et Valentine. Une CRP très élevée, un séjour en réanimation, une infection à staphylocoque résistant à la methicilline, sont des situations justifiant une thromboprophylaxie.
Contraception orale
Les estrogènes augmentent la synthèse de protéines prothrombotiques comme le facteur VIII, diminuent celle de la protéine S et entraînent une résistance à la protéine C activée. La prise d'une contraception orale combinée augmente de fait le risque de TVP par un facteur 5 [28].
Intervention chirurgicale
Les données existantes sont très variées et contradictoires. La lourdeur de la chirurgie, la durée opératoire (> 4 heures et > 8 heures), un séjour en réanimation, une transfusion dans les deux jours suivant l'intervention sont des facteurs favorisant la survenue d'une TVP chez l'enfant en chirurgie pédiatrique générale [18]. Dans la seule étude concernant la chirurgie orthopédique pédiatrique, l'obésité, la réalisation d'une ostéotomie, une fracture des membres, et un âge élevé n'ont pas été retrouvés comme facteurs de risque de TVP [29]. Seules les maladies rénales et gastro-intestinales chroniques, les anomalies hématologiques, l'élévation des transaminases et un TCA anormal ont été identifiés comme facteurs de risque. Les taux observés en chirurgie rachidienne sont discutés, équivalents aux autres chirurgies pour Jain et al. [13]. La recherche systématique de TVP était négative pour Kaabachi et al. [30] après chirurgie pour scoliose de l'adolescent. Les études anciennes ne sont pas représentatives de la situation actuelle car les enfants étaient auparavant alités pendant trois semaines après l'intervention. Concernant le risque d'hématome intraspinal, un saignement opératoire important est le facteur de risque le plus important. Lors de la mise en place de cathéters épiduraux, Il est donc recommandé de débuter la thromboprophylaxie 12 heures après la mise en place d'un cathéter épidural et de le retirer 12 heures après la dernière injection d'HBPM [31]. Il n'y a, par ailleurs, pas de données spécifiques pour l'enfant paralysé cérébral et les éléments à prendre en compte sont l'âge chronologique et les facteurs de risque définis.
Ventilation mécanique et séjour en réanimation
Un séjour en réanimation et/ou une ventilation mécanique supérieur à quatre jours sont également des facteurs de risque de TVP après un traumatisme chez l'enfant [15–20].
Facteurs de risque héréditaires
L'existence d'anomalies de la coagulation est un facteur de risque potentiellement important et doit être recherché systématiquement à l'interrogatoire de l'enfant et des parents. En cas d'antécédent thrombotique personnel ou familial, un polymorphisme facteur V Leiden, un variant 20210A du gène du facteur II, ainsi qu'un déficit en inhibiteur de la coagulation (antithrombine III, protéines C et S) doivent être recherchés.
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Thromboprophylaxie : pour quel patient, pour quelle chirurgie, avec quelles molécules ?
Risque/bénéfice de la thromboprophylaxie
Avant de débuter un traitement prophylactique, la balance bénéfice/risque doit être évaluée. Deux facteurs sont à prendre en compte : le risque de saignement, la morbidité et la mortalité associées aux TVP (EP, mortalité et maladie post-phlébite). Il faut également évaluer l'efficacité du traitement prophylactique. Le risque de saignement n'est pas négligeable. Nowak- Göttl et al. retrouvent 2,9 % de saignements majeurs et 21 % de saignements mineurs chez des patients traités en prévention primaire par une HBPM. Dans une revue de quatre centres prenant en charge des enfants traumatisés, le taux des événements hémorragiques majeurs était de 0,4 % [32]. La morbidité après TVP dépend beaucoup de leur localisation (insuffisance rénale après TVP rénale ou insuffisance cardiaque après EP). Les thromboses des membres inférieurs entraînent souvent des douleurs et un oedème séquellaire. Le risque de récidive est estimé à 10% et souvent associé à la persistance de facteurs favorisants comme une néoplasie ou une anomalie héréditaire de l'hémostase (thrombophylie). L'insuffisance veineuse chronique après TVP est plus rare chez l'enfant (12,4 à 30 %) que chez l'adulte [33]. La survenue d'une TVP chez l'enfant est associée à une augmentation de la mortalité, bien que celle-ci ne soit pas directement dans la plupart des cas liée à la MTEV (environ dans 2 % des cas) [34]. La mortalité associée à une EP est moins élevée chez l'enfant que chez l'adulte.
Modèles d'évaluation du risque
La thromboprophylaxie en chirurgie orthopédique adulte est maintenant bien codifiée. Une durée de trois mois est recommandée après un traumatisme médullaire, réduite à 35 jours après une chirurgie orthopédique majeure (remplacement prothétique au membre inférieur ou fracture du col fémoral). Les autres situations après traumatisme sont moins codifiées et un consensus est établi autour de 10 à 15 jours de thromboprophylaxie, qui n'est toutefois pas indiquée après immobilisation isolée du membre inférieur.
La faible incidence des TVP, l'hétérogénéité des études cliniques, la multiplicité des facteurs de risque, et la variabilité du risque en fonction de l'âge rendent la réalisation de règles de prescription des anticoagulants assez difficile. Hormis l'âge, l'existence d'une anomalie constitutionnelle de l'hémostase, un traumatisme majeur, un cathéter veineux central, une néoplasie qui sont des facteurs de risque majeurs, beaucoup d'autres sont discutés et discutables. Qu'entend-on par immobilisation par exemple : plâtre, alitement, dispense d'appui ? Les facteurs de risque peuvent également s'additionner et se potentialiser entre eux. Compte tenu de cette situation, il n'a pas été possible de réaliser des études validées pour nous aider à définir des règles strictes de prescription de la thromboprophylaxie. Jackson et Morgan [35] ont été les premiers à proposer un modèle de prescription en chirurgie pédiatrique fondé sur un risque calculé pour chaque individu prenant en compte les risques propres du patient et la lourdeur du geste chirurgical. En fonction d'un score propre à chaque patient, ils ont ainsi défini trois catégories de risque : faible, moyen et fort et préconisé les mesures à prendre : bonne hydratation et mobilisation précoce, moyens mécaniques, traitement par HBPM. Deux modèles d'estimation du risque de TVP par des scores ont été définis par une même équipe en utilisant des études cas-témoin en fonction du statut de l'enfant : « enfant dans un état critique » ou « enfant dans un état non critique ». Dans la première catégorie, les scores de 15, entre 7 et 14 et inférieurs à 6 étaient associés respectivement à un risque de TVP de 8,8, 1,3 et 0,03 %. Dans la deuxième catégorie, les scores de 8,7 et inférieurs à 6 étaient associés respectivement à un risque de TVP de 12,5, 1,1 et 0,1 % [36–38].
Selon le même principe, Reiter et al. [38] ont proposé un score pour les enfants admis en soins intensifs prenant en considération 12 facteurs de risque de thrombose reconnus dans la littérature. Chaque facteur de risque valait 1 point et ils retrouvaient une augmentation du risque de TVP de 1,57 fois à chaque point supplémentaire pour les TVP survenues avant l'hospitalisation et de 2,12 fois pour les thromboses survenues au cours de l'hospitalisation. Les facteurs de risque les plus importants retrouvés étaient une thrombophilie, la présence d'un cathéter central et l'âge (< 1 an et > 14 ans). Connelly et al. ont défini un autre score spécifique pour les patients traumatisés prenant en compte le score de Glasgow, la présence d'une fracture des membres inférieurs ou du bassin et la lourdeur de la chirurgie. Le score est ensuite transformé en un risque prédictif qui peut aller de 0 à 14,4 % de TVP [39].
Suite au symposium organisé par la Sofcot en 2016 sur les fractures des membres inférieurs chez l'adulte et l'enfant et à l'étude de la littérature, nous avons proposé un score pouvant être utilisé en traumatologie et en chirurgie orthopédique pédiatrique hospitalière en ambulatoire. Ce score reprend les risques intrinsèques du patient et le contexte chirurgical ou traumatique avec des points qui sont attribués en fonction de chaque facteur de risque (tableau 14.1). Si le score obtenu est inférieur ou égal à 3, il n'y a pas d'autres mesures à prendre qu'une mobilisation précoce et une bonne hydratation. Si le score est supérieur ou égal à 4, il faut initier une thromboprophylaxie médicamenteuse, en l'absence d'un saignement actif non contrôlé. Il est important de souligner que cet avis d'experts est une aide à la prescription, non validée par une étude clinique.
En pratique, il est suggéré de ne pas prescrire une thromboprophylaxie chez un enfant préadolescent ou adolescent après une fracture isolée. En cas de fractures multiples, en l'absence de risques personnels, il n'y a aussi pas d'argument pour instaurer une thromboprophylaxie.
Thromboprophylaxie chez l'enfant : méthodes mécaniques, quelles molécules ? Durant combien de temps ?
Les méthodes mécaniques reposent principalement sur les bas de contention qui réduisent la vasodilatation veineuse superficielle et augmentent le flux veineux. La plupart des études utilisent des bas mais leur arrêt audessus ou au-dessous du genou ne semble pas modifier leur efficacité. Celle-ci est toutefois majorée en association avec une prévention pharmacologique. Ils sont recommandés chez l'enfant de plus de 40 kg et doivent être portés pendant l'intervention et jusqu'au retour à une mobilité complète [31] .
Les HBPM sont les plus prescrites en thromboprophylaxie et chez l'enfant trois molécules ont été utilisées : l'enoxoparine, la dalteparine et la tinzaparine. Leur efficacité en injection unique est supérieure aux héparines non fractionnées. Leur risque d'emploi est moindre avec peu d'interactions médicamenteuses ou de modifications de leur activité en cas de pathologies sous-jacentes.
Les doses doivent être augmentées chez le nouveau- né (< 2 mois) en raison d'une élimination rénale plus rapide. Une administration en deux injections quotidiennes est recommandée dans ce cas. Ensuite, une injection quotidienne est indiquée [31]. Les doses recommandées et le mode d'administration sont résumés dans le tableau 14.2.
Le risque de thrombopénie induite par l'héparine (TIH) secondaire à la production d'anticorps dirigés contre le complexe héparine-facteur plaquettaire 4 est faible chez l'enfant, notamment avec les HBPM. Une TIH doit néanmoins être suspectée en cas de diminution de plus de 40 % de la numération des plaquettes survenant au-delà de cinq jours après la première administration. Elle survient surtout lors de traitements curatifs de TVP par une héparine non fractionnée (HNF) et elle est exceptionnelle sous HBPM. Selon les recommandations les plus récentes, en l'absence de chirurgie, il n'est pas indiqué de réaliser une surveillance systématique de la numération plaquettaire. Lors d'une intervention chirurgicale, un contrôle de la numération plaquettaire est à réaliser en préopératoire et entre le cinquième jour et le quinzième jour postopératoire [40]. Les anticoagulants oraux directs (inhibiteurs directs de la thrombine ou du Xa) sont maintenant utilisés couramment en chirurgie orthopédique chez l'adulte et ont prouvé leur efficacité. Il n'y a pas de raison justifiant qu'ils ne puissent pas être prescrits à partir de 16 ans, âge auquel le risque thrombotique est comparable à celui de l'adulte. Par contre, ils ne sont pas autorisés chez l'enfant car les données cliniques relatives à leur efficacité et le risque induit par leur prescription sont aujourd'hui insuffisantes.
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Conclusion
Dans la majorité des situations, l'enfant est protégé contre la TVP. La fréquence d'événement est donc rare (moins de 1/1000). Le risque est important avant 1 an, augmente vers l'âge de 13 ans pour rejoindre le risque observé chez l'adulte à 16 ans. Certaines situations sont à risque élevé de TVP avec des facteurs favorisants qui sont bien individualisés. Une hydratation correcte et une mobilisation précoce sont les bases de la thromboprophylaxie. La prescription d'une thromboprophylaxie médicamenteuse (HBPM essentiellement) ne doit pas être systématique, même chez l'adolescent. Elle doit être évaluée précisément en fonction des facteurs de risque de l'enfant et du contexte orthopédique. L'utilisation de scores évaluant le risque thrombotique, fondés sur des avis de spécialistes et sur de larges registres de TVP, même s'ils ne sont pas évalués par des études cliniques, semblent actuellement le moyen le plus fiable pour évaluer le risque thrombotique chez l'enfant et prescrire une thromboprophylaxie adaptée.
Déclaration d'intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêt en relation avec la conférence.
T. ODENT, Professeur des universités - Praticien hospitalier Service de chirurgie orthopédique pédiatrique, hôpital Gatien-de-Clocheville, 49 boulevard Béranger, 37044 Tours, France
B. de COURTIVRON, Praticien hospitalier, Service de chirurgie orthopédique pédiatrique, hôpital Gatien-de-Clocheville, 49 boulevard Béranger, 37044 Tours, France
Y. GRUEL, Professeur des universités - Praticien hospitalier Service d'hématologie-hémostase, hôpital Trousseau, CHRU de Tours, 37044 Tours cedex 9, France
© 2019, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
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Références
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