Je consulte en urgence car… je suis enceinte et je vomis
13 octobre 2022
Par Anne Claire Nonnotte
Nous vous proposons de découvrir un extrait de l'ouvrage Urgences en gynécologie S’ouvre dans une nouvelle fenêtre
Conduite à tenir devant des vomissements gravidiques du 1er trimestre de grossesse
Définition
Les nausées et vomissements sont extrêmement fréquents pendant la grossesse et peuvent toucher jusqu’à 80 % des femmes enceintes. Il s’agit le plus souvent de nausées matinales survenant au cours du 1er trimestre de la grossesse (classiquement débutant vers 6 SA et maximales vers 9 SA) et disparaissant spontanément au-delà de la 13e ou 15e SA.
L’hyperemesis gravidarum ou hyperémèse gravidique est une pathologie correspondant à une forme sévère et persistante de vomissements liés à la grossesse et touchant entre 0,5 et 2 % des femmes enceintes. Les patientes qui en sont atteintes présentent des nausées et vomissements incoercibles, responsables d’une perte de poids (supérieure à 5 % du poids initial), d’une déshydratation avec possibles troubles hydro-électrolytiques ou d’une intolérance alimentaire totale, nécessitant le plus souvent une hospitalisation.
La physiopathologie reste actuellement encore mal connue, mais elle est probablement multifactorielle : hypersusceptibilité à l’hCG, taux élevé d’hCG (en cas de grossesse molaire ou de grossesse multiple), facteurs psychosociaux, stress…
Interrogatoire
Antécédents médicochirurgicaux :
notamment pour rechercher les comorbidités qui pourraient être aggravées par les vomissements (diabète, insuffisance rénale, cardiopathie…).
Antécédents gynéco-obstétricaux :
gestité et parité ;
date des dernières règles et/ou date de début de grossesse (si échographie de datation disponible) ;
grossesse multiple (les vomissements gravidiques sont majorés en cas de grossesse multiple) ;
vomissements gravidiques lors des précédentes grossesses (augmentation du risque de récidive de vomissements gravidiques si antécédent de vomissements lors des précédentes grossesses).
Caractérisation des vomissements :
quand ont-ils commencé ?
quelles sont leur quantité et leur fréquence quotidienne ?
existe-t-il des facteurs d’aggravation ou d’amélioration ?
existe-il une intolérance alimentaire totale ? aux solides ? aux liquides ?
hypersialorrhée associée, ptyalisme (impossibilité d’avaler la salive et crachats) ?
Autres symptômes associés :
pour rechercher les signes de gravité : déshydratation, perte de poids, malaise ;
pour éliminer les diagnostics différentiels : – douleurs abdominales, – arrêt des matières et des gaz, – diarrhée, – hématémèse, – céphalées, – photo-phonophobie, – vertiges
Examen clinique
L’examen clinique a pour principaux objectifs de rechercher les signes cliniques de gravité et d’éliminer les diagnostics différentiels :
prise des constantes (pouls, pression artérielle, température, saturation) et évaluation de l’état général ;
poids à l’entrée et calcul de la perte de poids ;
diurèse ;
recherche de signes cliniques de déshydratation : perte de poids, soif intense, peau et muqueuses sèches, persistance du pli cutané, yeux cernés, hypotonie des globes oculaires, hyperthermie, troubles de la conscience et de la vigilance, oligurie, hypotension, tachycardie, tachypnée ;
bandelette urinaire : recherche d’une cétonurie ;
recherche de signes d’hypokaliémie, d’hyper- ou d’hypocalcémie, de thyrotoxicose ;
recherche de diagnostics différentiels : examen neurologique, digestif (palpation abdominale en particulier point de Mac Burney et hypocondre droit) et endocrinien.
Diagnostics différentiels
Gastro-intestinaux : le diagnostic d’appendicite aiguë est plus difficile à poser en cours de grossesse et les pathologies hépatobiliaires (hépatite, cholécystite, pancréatite) ne sont pas rares. Elles peuvent constituer un véritable piège diagnostique. On élimine aussi gastrite, ulcère gastroduodénal, hernie hiatale, occlusion…
Neurologiques : migraines, méningite…
ORL : toute pathologie ORL responsable de vertiges.
Endocriniens : hypercalcémie, maladie d’Addison, thyrotoxicose…
Prise médicamenteuse.
Psychiatriques : troubles du comportement alimentaire.
Pathologie gravidique sous-jacente : grossesse molaire (les signes sympathiques de grossesse sont exacerbés).
Bien que très fréquent, le diagnostic de vomissements gravidiques doit être considéré comme un diagnostic d’élimination des pathologies précédentes.
Examens complémentaires
Échographie obstétricale : vérifier l’évolutivité de la grossesse
numération-formule sanguine (NFS), plaquettes ;
ionogramme sanguin, urémie, créatininémie, ionogramme urinaire ;
bilan hépatique complet, lipasémie ;
calcémie, phosphorémie, magnésémie (classiquement abaissée, aggravant nausées et vomissements) ;
thyroid stimulating hormone (TSH), thyroxine (T4) ;
glycémie, recherche d’une grossesse multiple ou d’une grossesse molaire.
Bilan biologique à faire d’emblée aux urgences ou en ville en l’absence de signe clinique de gravité :
Signes biologiques possibles de déshydratation : hypokaliémie, hypochlorémie, hypernatrémie (facteur de gravité), élévation de l’hématocrite, hyperprotidémie, élévation de l’urée sanguine, natriurie basse, inversion du rapport sodium/ potassium urinaire, cétonurie, alcalose hypochlorémique due aux vomissements, puis acidose métabolique due à la dénutrition.
Autres anomalies biologiques possibles : élévation des transaminases, hypoglycémie.
Électrocardiogramme (ECG) en cas de troubles hydro-électrolytiques. En particulier, l’hypokaliémie peut provoquer un aplatissement des ondes T, une onde U, un allongement du QT, une tachycardie ventriculaire, des torsades de pointes…
Traitement (figure 5.1)
Prise en charge à domicile
En l’absence de signe de gravité et de comorbidité, une prise en charge en ambulatoire est possible.
Outre les traitements médicamenteux, certaines règles hygiéno-diététiques permettront de diminuer les vomissements gravidiques et d’en éviter les complications. Ainsi, le fractionnement des repas, l’éviction de certains aliments (trop gras, trop épicés ou au goût trop prononcé) et un apport hydrique suffisant feront partie intégrante de la prise en charge thérapeutique. Certaines méthodes non médicamenteuses pourront également être conseillées telles que la prise de gingembre, de jus de citron ou la pratique de l’acupuncture. Si les méthodes non médicamenteuses sont insuffisantes, certains traitements pourront être prescrits : la doxylamine seule (Donormyl®, Lidène®) ou en association à la vitamine B6 (Cariban®) ou le métoclopramide (Anausin®, Primpéran®, Prokinyl®).
En première intention, on pourra proposer le métoclopramide (Primpéran®) à la dose de 10 mg 3 fois/jour per os, en sublingual ou en suppositoire. La doxylamine (Donormyl®) peut également être proposée à la dose de 15 mg le soir. En seconde intention, il peut être prescrit la doxylamine + vitamine B6 (Cariban®) : 2 gélules de 10 mg le soir au coucher à J1. Si ce traitement est efficace sur les nausées du matin mais qu’il persiste des symptômes dans la journée, on pourra ajouter 1 gélule de 10 mg le matin + 1 gélule l’après-midi (dose maximale de 4 gélules par jour).
En cas d’échec, la prescription d’ondansétron (Zophren®, Sétofilm®) est envisageable, à la dose de 4 mg 3 fois/jour, si possible après 10 SA, en raison de certaines données récentes de la littérature faisant état d’une augmentation minime des fentes labiales ou palatines (prévalence de 0,11 % versus 0,08 % en population générale, sans que cette association ne soit univoque et nécessite confirmation). Dans tous les cas, une prise en charge psychologique peut être proposée.
Enfin, il est important d’informer la patiente sur les signes devant la faire consulter.
Prise en charge hospitalière
En cas de signe de gravité, de présence de comorbidités (diabète, cardiopathie, insuffisance rénale…) ou d’échec du traitement à domicile, une hospitalisation est nécessaire.
Les signes de gravité nécessitant une hospitalisation d’emblée sont la présence de vomissements incoercibles, la perte de poids (> 5 % du poids initial), une intolérance alimentaire totale, les signes cliniques ou biologiques de déshydratation ou une hypokaliémie.
Pendant l’hospitalisation, la prise en charge se fera dans un premier temps par voie intraveineuse (IV) avec la pose d’une perfusion pour réhydratation, à adapter aux résultats du bilan biologique, et la mise en place des anti-émétiques. En cas d’hypokaliémie < 2,8 mmol/L, il faut prévenir l’anesthésiste pour assurer la recharge potassique en salle de réveil, avec scope.
Il faut également mettre en place des bas de contention.
La surveillance est quotidienne : état général, vomissements, constantes, poids/ jour, diurèse/jour, bilan biologique journalier. Avec l’amélioration des symptômes, la reprise de l’alimentation se fera progressivement et le passage des anti-émétiques par voie per os pourra être envisagé.
Durant l’hospitalisation, une prise en charge psychologique peut être débutée. Celle-ci pourra être poursuivie après le retour à domicile de la patiente.
La fatigue aggravant les nausées et vomissements, il est important de favoriser le repos de ces patientes. Il est conseillé de limiter les visites sans pour autant les interdire. De même, il n’est pas nécessaire d’isoler ces patientes dans le noir absolu comme cela a pu se faire à une époque lointaine.
Pour en savoir plus
Dean CR, Shemar M, Ostrowski GAU, Painter RC. Management of severe pregnancy sickness and hyperemesis gravidarum. BMJ 2018;363:k5000. London V, Grube S, Sherer DM, Abulafia O. Hyperemesis gravidarum: a review of recent literature. Pharmacology 2017;100(3–4):161-71.
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L'auteur : Antoine Bourret Praticien hospitalier, responsable des urgences gynécologiques, service de chirurgie gynécologique, AP-HP, hôpital Cochin Port-Royal, Paris
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